1. Les communautés mexicaines, leur relation à la terre et au territoire. Lorsqu’en août et septembre 2023, nous avons parcouru certaines régions mexicaines dans le but de mieux comprendre le mode de pensée et les pratiques des communautés de la région, nous avons eu la surprise de constater qu’une agriculture paysanne aux racines ancestrales perdurait dans certaines enclaves, face à une agriculture tournée vers la culture commerciale du maïs, à grand renfort de produits agrochimiques. Cette coexistence se poursuit, même si les entreprises ne cessent d’étendre leurs monocultures d’exportation en plein air, ou sous des serres de plus en plus nombreuses qui accaparent de grandes quantités d’eau.Si l’agriculture paysanne ancestrale n’est ni en voie d’extinction ni en déclin, elle est toutefois acculée. Et ce ne sont pas seulement la propagande officielle, les agences gouvernementales, le monde universitaire et les campagnes menées par les entreprises qui s’acharnent à saper la crianza mutua (soin mutuel) millénaire.Les communautés conservent leur relation étroite à la terre, « elles y sont enracinées, elles en vivent, elles communiquent avec elle, elles y habitent et elles en prennent soin »[1]. Il existe un énorme fossé entre ces communautés paysannes traditionnelles, presque toujours autochtones ou issues de peuples autochtones, et l’agriculture commerciale, qui calcule les coûts et les bénéfices, qui achète des machines et des intrants et dont les produits sont cotés à la bourse de Chicago, sans que ses entreprises soient forcément présentes sur le marché à l’export.Visite aux agriculteurs à El Limón - Guadalajara. @GRAINSi elle se retrouve dans le monde entier, cette relation entre la vie et les cultures, entre les communautés et leur environnement, est particulièrement forte en Amérique latine. Elle se traduit par diverses pratiques de soins, qui suivent différents cycles, courts comme longs. « Le fait de cultiver nos aliments depuis toujours et de produire notre propre nourriture pour prendre soin de notre famille et de notre communauté, nous fait voir le travail, les relations sociales, l’espace et le temps, de façon particulière. Pour nous, paysannes et paysans, la communauté revêt beaucoup d’importance, et nous entretenons une relation collective à la terre. Les conditions dans lesquelles le maïs a évolué sont le fruit d’un développement mutuel. D’une façon générale, les personnes qui cultivent pour se nourrir n’ont pas besoin de travailler pour gagner de l’argent auprès de personnes qui exploitent leur travail. Notre rapport aux cultures, minutieux et précis, crée la vie au quotidien et nous pousse à prêter attention à de nombreux signes. Dans chacune de nos tâches, de minuscules cycles s’accomplissent qui donnent un ordre et un sens au lent passage d’autres cycles plus grands comme celui du soleil au cours de l’année, dans une véritable trame de saisons, de climats, d’humidité. Nous, paysannes et paysans, prêtons attention à des détails que les gens de la ville ne voient même pas. Être cultivateurs et cultivatrices, paysannes et paysans, est un état d’esprit complet, collectif, communautaire, qui nous place en contradiction immédiate avec les systèmes qui veulent nous imposer leurs façons d’être en relation les un·es avec les autres[2] ».Dans la confusion actuelle, ces modes de culture ancestraux propres aux communautés paysannes sont assaillis comme jamais auparavant. Cette attaque a été en premier lieu exacerbée par la Révolution verte et par la déshabilitation imposée par les agences internationales et nationales et les grandes entreprises aux communautés qui pratiquent l’agriculture traditionnelle. Ces dernières sont méprisées, marginalisées, et leurs méthodes sont même interdites, tandis qu’on leur impose des semences de laboratoire, des engrais et des pesticides.Si l’on y ajoute les accaparements de terre de plus en plus fréquents, voire violents, la déforestation et la réticence des autorités à leur venir en aide, il est surprenant de constater que l’agriculture paysanne perdure. Mais c’est pourtant le cas.Plusieurs communautés assurent leur subsistance grâce à la migration. Les paysannes et paysans ont réussi à survivre à des siècles de marginalisation en faisant preuve de suffisamment d’ouverture pour partir travailler sur d’autres terres, comme journalières ou journaliers agricoles, ou même dans les villes, comme main-d’œuvre dans la maçonnerie, l’entretien des jardins, le ramassage des ordures ou la restauration. Les personnes qui pratiquent l’agriculture commerciale exercent leur métier sans la polyvalence, sans la minutie et sans l’application dont font preuve celles qui pratiquent l’agriculture paysanne vivante d’aujourd’hui.2. Ce que font les peuples n’est pas un « rempart à l’effondrement » : c’est ce qu’ils ont toujours fait. L’agriculture paysanne, qui englobe aujourd’hui les possibilités instrumentales de l’agroécologie, n’est en rien « un rempart à l’effondrement » provoqué par la Révolution verte. C’est la même agriculture, qui reste pratiquée avec beaucoup de dévouement dans de nombreuses enclaves, mais qui tente de se défaire de la désinformation et du découragement promus par divers vulgarisateurs.Désormais, les gens commencent à refuser les semences fallacieuses provenant de l’assistance technique promue par les entreprises et les agences gouvernementales.L’agroécologie semble fonctionner comme une loupe dirigée sur la mémoire vive de l’agriculture traditionnelle, accompagnée d’un recueil de savoirs et d’expériences provenant de divers domaines. Elle est, avant tout, la revendication d’une intégrité paysanne qui exige des conditions minimales de respect, d’équité et d’autonomie pour préserver ses activités et son horizon.Le Tribunal permanent des peuples (TPP) a siégé au Mexique de 2011 à 2014. Cet exercice d’écoute d’envergure nationale (que diverses organisations et d’innombrables communautés ont entrepris depuis leurs régions) est un processus venant d’en bas, de chaque coin du pays, qui a eu pour constante la revendication, par les participant·es, de leur agriculture paysanne comme un élément fondamental de leur vie et de leur culture en tant que peuples, quelque chose d’irrévocable qui leur donne une identité et une raison d’être.Au Mexique en particulier, mais également dans toute l’Amérique latine, cela s’est récemment traduit par la défense du maïs natif contre les versions transgéniques, et contre sa privatisation, ouverte ou cachée. Toutefois, ce qui ressort avant tout de sa systématisation dans le TPP, c’est sa défense intégrale de la vie paysanne. Au sein des régions, les participant·es ont partagé le résultat des systématisations au niveau local, ce qui constitue non seulement un diagnostic participatif en soi, mais également un exercice de mobilisation pour revendiquer leur identité et leur condition historique. Les juré·es et les participant·es ont fait part d’avis formulés conjointement, dans la Péninsule, à Tepoztlán, à LaHuasteca, à Oaxaca, dans le bassin du Río Lerma, et lors de la session finale intitulée A la sombra de Ayotzinapa (À l’ombre d’Ayotzinapa). Joel Aquino, lors de son intervention au cours de l’audience préalable sur le maïs à Oaxaca, a déclaré :« Perdre le maïs natif, l’aliment de nos peuples, c’est perdre notre autonomie ». Voilà le cœur du problème. Pendant des siècles, les communautés ont lutté pour consolider leur autonomie et bâtir leurs propres modes de vie et de gouvernement. À Oaxaca, comme cela a été dit dans les présentations, ‘la pratique et le renforcement de la communalité’ restent en vigueur, ce qui a permis d’atteindre de solides niveaux d’autosuffisance ainsi qu’une réelle souveraineté alimentaire. Toute cette construction repose sur le maïs. Chaque famille, chaque communauté, chaque région, s’engagent à produire suffisamment de maïs pour assurer la consommation quotidienne[3] ».Dans une affaire plus rapprochée de la visite menée par GRAIN au Mexique en août 2023, à San Isidro (Jalisco), après des années de lutte pour récupérer leurs terres accaparées par une énorme société transnationale, Nutrilite, une filiale d’AMWAY, les communautés ont présenté leurs accusations et ont dressé le contexte général des plaintes :« [...] nous prétendons que les conditions imposées tant par l’État que par les entreprises nous empêchent d’assurer par nous-mêmes ce qui nous concerne fondamentalement, à savoir nos moyens d’existence, et tout ce qui a du sens pour nous, en tant que personnes et que communauté. Elles nous empêchent de défendre ce que nous revendiquons comme territoire : l’environnement vital qui nous permet de recréer et transformer notre existence, cet espace auquel nous donnons tout son sens grâce à nos savoirs partagés. Sans ces savoirs, comme le disent si justement les ancien·nes de nos communautés, les territoires ne seraient rien d’autre que des endroits, de simples paysages.Avec cette attaque, on veut nous empêcher de poursuivre notre entente étroite avec un espace, avec nos terres, avec l’eau, avec la forêt, avec nos semences, avec nos façons de naître, de donner la vie et d’accueillir la naissance, avec nos façons de cultiver, avec nos façons de guérir, avec notre conception de l’alimentation, avec nos façons de nous déplacer et de vivre en communauté[4] ».Lors de la session de San Isidro, de nombreuses communautés de la région (et d’autres régions qui s’y sont jointes pour exprimer leurs griefs) ont souligné « la pollution, la maladie et la mort du Río Santiago ainsi que la dévastation et la destruction des sources de subsistance », comme à El Salto. La destruction et la stigmatisation de la vie paysanne par l’État, les entreprises et la société, comme à Palos Altos. L’attaque globale contre le territoire et les droits de la communauté autochtone de Mezcala, la privatisation de leurs terres communes et la pollution des eaux lacustres. À Santa Cruz de las Flores (Tlajomulco), la plainte a porté sur l’urbanisation excessive, la surexploitation de l’eau et les pressions exercées sur la population « pour qu’elle modifie ses usages du sol et qu’elle quitte les lieux ». À San Sebastián Teponahuaxtlán, sur le territoire wixárika, « la spoliation et la détérioration du territoire ancestral par les projets des services hydrologiques environnementaux, la construction d’autoroutes pour les couloirs industriels, les concessions d’eau pour des projets miniers et d’exploitation forestière, les attaques contre le maïs natif venant des programmes gouvernementaux, ainsi que le démantèlement de l’assemblée et de l’organisation communautaire, viennent s’ajouter à la non-reconnaissance des droits collectifs de la communauté ».Dans l’ejido de La Ciénega, dans la commune d’El Limón, les griefs ont porté sur « le démantèlement de l’assemblée ejidale via le programme Procede (d’individualisation de la possession), l’érosion des terres par les entreprises de production de tequila, la perte de la biodiversité avec la disparition d’espèces telles que le guamúchil et le huaje, l’introduction de paquets technologiques faits de produits agrotoxiques et de semences transgéniques, l’exploitation des peuples et les attaques contre la souveraineté alimentaire. Les personnes ayant participé se sont positionnées en faveur de la défense des semences, de la vie paysanne et de l’agriculture comme mode de vie, sans produits agrotoxiques.Dans de nombreuses communautés d’autres États voisins, les griefs se sont répétés : « les mécanismes répressifs de corruption et de cooptation des autorités et des assemblées communautaires pour la spoliation des terres, des forêts et des eaux (en particulier pour le projet d’autoroute Toluca-Naucalpan), au profit d’industriels et de particuliers du centre du pays », comme à San Francisco Xochicuautla ; « La spoliation et la pollution du territoire par l’entreprise transnationale Amway et sa filiale mexicaine Nutrilite ont engendré le non-respect systématique des décisions de justice qui ordonnent la restitution des terres ejidales par les autorités fédérales, la dégradation de l’environnement ainsi que la désintégration de la famille et de la communauté. Les personnes ayant exigé le respect des décisions et l’application de la justice ont été criminalisées et emprisonnées », comme à San Isidro ; et « l’intégrité de la communauté dans le cadre du conflit lié au trafic de drogue et l’abattage illégal de ses forêts, en plus de la destruction de l’assemblée communautaire et de la perte d’autonomie, d’autosuffisance et de biodiversité », comme à Cheranástico dans l’État voisin du Michoacán, qui est également une des zones où la culture de l’avocat est en plein essor[5].Serres à Guadalajara. @GRAIN3. Ce ne sont pas les terres qui sont spoliées, mais toute la vie de la communauté à qui l’on impose déshabilitation, exil, immigration et semi-esclavage. Lors de la session du Tribunal permanent des peuples à San Isidro (Jalisco), les communautés ont présenté un document de réflexion qui coïncide parfaitement avec la décision rendue par les personnes membres du jury.Extrait de ce document : « Peut-il exister une spoliation plus brutale que celle qui arrache la vie de quelqu’un et la jette à la poubelle ? La fameuse accumulation primitive était la spoliation des terres, mais au fil de l’histoire, les individus ont été dépouillés des fruits de leur travail, ils ont été réduits au rang de main-d’œuvre et aujourd’hui, on assiste à l’accaparement continu et irrépressible de milliers de pans d’humanité ».En définitive, les entreprises (soutenues par les politiques néolibérales et les accords de libre-échange qui renforcent ces politiques et les rendent inamovibles) s’efforcent de « nous arracher nos sources de subsistance - nos terres, nos eaux, nos forêts, nos semences - c’est-à-dire notre territoire ». Elles dégradent et accaparent les moyens d’existence (les stratégies et les savoirs) avec lesquels nous défendons notre centre de référence, notre vie, notre histoire, notre justice et notre destin en tant que peuples et communautés. L’assaut des entreprises et des gouvernements a réussi, pendant un certain temps, à entraver et à criminaliser le cœur même des soins ancestraux que nous, communautés, gardons précieusement pour préserver notre indépendance et notre autonomie[6]. »Cette réflexion nous invite à explorer les mécanismes qui entrent en jeu dans le processus d’assujettissement, elle ne se contente pas de rendre compte de ce dernier. La façon d’agir des entreprises « détruit les conditions permettant aux peuples de gérer leur environnement matériel et subjectif, et d’assurer leur subsistance par leurs propres moyens, individuels comme collectifs, et par leur créativité ». Cela conduit à ce que nous avons mentionné précédemment : fragmentation de la communauté, dégradation des relations, invasion, spoliation, accaparement de terres, expulsion des populations et soumission extrême via des pratiques de travail esclavagistes.Ces pratiques esclavagistes ne sont pas une métaphore. Elles ont eu lieu à maintes reprises et ont eu des répercussions publiques. En juin 2013, l’entreprise Bioparques de Occidente a été dénoncée « par plusieurs journalier·es agricoles ayant fui les champs où elles et ils travaillaient, dans la commune de San Gabriel, pour demander de l’aide aux autorités face aux conditions de semi-esclavage dans lesquelles elles et ils vivaient. Ainsi, suite à leur intervention, les autorités ont sauvé 275 ouvriers et ont infligé à l’entreprise une amende de 1 740 000 pesos (environ 85 000 dollars) ».4. Le géant agro-industriel est un imposteur. Depuis au moins 2019, des efforts ont été entrepris pour révéler et documenter la stratégie de l’agro-industrie et pour comprendre sa triple logique de spoliation : accaparer les terres et l’eau, c’est-à-dire la vie même des communautés, déshabiliter les peuples en dégradant leur base matérielle et leurs stratégies ancestrales (semences et savoirs paysans), et profiter d’une main-d’œuvre fragilisée, expulsée de ses terres. « Le géant agroalimentaire » ne produit pas d’aliments. Il privilégie quelques produits d’exportation de luxe, comme les « baies » (myrtilles, fraises, framboises), la tequila, le citron, le sucre et l’avocat, alors que la population locale consomme des aliments ultra-transformés, de très mauvaise qualité et beaucoup plus chers, « assortis de coûts de production très élevés pour l’environnement et la santé humaine, et d’effets néfastes durables ». La nourriture est toujours produite par les communautés paysannes, même si les villes ne s’en rendent pas compte. La faim se généralisera si la culture paysanne disparaît, « d’où l’importance de la lutte en faveur de la vie paysanne. La variété, la qualité et la proximité des aliments dépendent des populations paysannes. Elles ne peuvent pas dépendre des flux de capitaux, du marché et du pétrole ».Les fermes et les élevages industriels de porc chassent également les communautés en les intimidant et les menaçant.Pourtant, le sort que leur réserve ce Monstre agro-industriel n’a pas réussi à éteindre la résistance. Là où les populations contrôlent encore leurs terres, ou parviennent à les récupérer, malgré cette pression constante et le vol des ressources (eau, terres et semences), les peuples autochtones et paysans font face tant bien que mal à l’avancée du géant agro-industriel.Les cas des communautés, telles que celle de Cherán, sont emblématiques de la résistance des peuples pour défendre leur territoire et leur vie collective, pleine, diverse et créative[7].Le plus étrange, c’est que la spoliation entreprise par l’agro-industrie n’a aucun sens. Le géant agro-industriel n’est même pas rentable, même s’il dégage des dividendes et peut se targuer de figurer parmi les dix premiers exportateurs de produits agricoles au monde.En effet, même si l’État prétend que l’agro-industrie crée des emplois, produit de la nourriture et participe à l’économie, cette dernière est en réalité responsable de corruption et de spoliation, et normalise l’idée que la souveraineté alimentaire n’est qu’un rêve lointain. En nous coupant de nos propres ressources, elle nous laisse supposer que la croissance n’est possible qu’à travers ce modèle. La culture de l’agave nous démontre pourtant le contraire. Il y a deux ans de cela, la demande mondiale d’agave mexicain explosait et la tequila se vendait à profusion. Aujourd’hui, deux ans après, l’agave ne vaut plus rien et son cours a totalement chuté. Ils veulent désormais tout arrêter. Pourtant, les ventes de tequila se maintiennent. Comment cela est-il possible ? Les pratiques maléfiques de l’agro-industrie font que tout est volé, accaparé, et qu’en plus, elle engendre des coûts pour ceux qui s’y associent. Et des subventions publiques. La certification « Agave Responsable Ambiental (ARA) » impose « que la tequila provienne de plantations d’agave n’ayant pas entraîné de déforestation depuis 2016 ». Au moyen d’un registre des parcelles figurant sur une carte virtuelle et d’un rapport faisant état de leur usage agricole avant 2016, ils prétendent freiner la déforestation alors que dans les régions, des stratagèmes permettent l’ouverture de nouvelles terres à la culture agro-industrielle sur des champs paysans en faisant croire qu’il n’y a pas eu de changement dans l’usage des terres, en raison du manque de présence institutionnelle pour appliquer la réglementation.Rien de tout cela ne se fait sans violence. Au Chili, au Paraguay ou en Argentine, la situation est la même qu’au Mexique : l’intention est d’en finir avec la capacité des peuples et des communautés à assurer leur subsistance et leurs modes de vie de manière autonome, et de les obliger à s’intégrer dans le marché industriel mondialisé. Les sources de vie sont détruites et le formatage se poursuit, avec l’usage systématique de produits agrochimiques (engrais, pesticides), de plastique pour les serres, d’équipements numériques pour cette agriculture de précision tant prônée. Tout cela s’ajoute au blanchiment de l’argent des subventions et du crime organisé, qui sont les réelles sources de profit. L’argent coule à flots et, quels que soient les détenteurs du prétendu pouvoir politique, le contrôle qu’elle exerce est le véritable pouvoir d’une agro-industrie qui a un pied dans la corruption et l’autre dans les groupes criminels. Dans « Les avocats de la colère », un texte sur l’industrie de l’avocat, toute la logique de contrôle est détaillée et mise à nue à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement.L’accaparement de terres pour les vergers d’avocats ouvre également la porte à l’essor des serres. Un contrôle territorial absolu est recherché, dans le cadre de relations de travail profondément précaires. L’eau et le plastique constituent ici des fils conducteurs. Ainsi, des entreprises israéliennes telles que Netafim ou Rivulis, qui fournissent des systèmes d’irrigation au goutte-à-goutte à base de tubes en plastique pour l’industrie de l’avocat, tirent profit de la technification des serres de baies et autres denrées alimentaires. Ce n’est peut-être pas une coïncidence si Netafim a été rachetée par le puissant groupe mexicain Orbia, leader régional de l’industrie du plastique. Ces technologies sont présentées comme un moyen plus durable, grâce à une consommation d’eau réduite. Ce qui est discutable si l’on considère la quantité de plastique nécessaire et l’empreinte écologique et sociale de la numérisation associée à ce modèle.Lors de l’atelier « Práctica crítica de la agroecología; desde una visión comunitaria y el saber campesino frente a la agroindustria » (Pratique critique de l’agroécologie ; la vision communautaire et le savoir paysan face à l’agro-industrie), à San Isidro (Jalisco), une dame que nous appellerons Marina a fait part du témoignage suivant basé sur sa propre expérience. Comme beaucoup d’autres, elle a pu facilement se faire embaucher dans les serres pour moins de cent pesos (environ 6 dollars) par jour, sous une température ambiante de 36-39 degrés, aspergée de produits agrochimiques toxiques, aidée dans sa corvée par plusieurs de ses enfants de moins de quinze ans. L’un d’entre eux (au beau milieu de la confusion quotidienne et de l’étourdissement engendré par les bruits, les vapeurs, les mouvements imprévus de l’empilage des caisses et le fonctionnement du chariot élévateur) a été accroché à la cheville par l’une des fourches de levage du chariot et a été grièvement blessé. Les machines ont été arrêtées et il a été secouru. Les services de secours sont arrivés mais, bien entendu, l’entreprise s’est presque immédiatement désintéressée de l’enfant blessé. Elle a demandé qu’on le ramène chez lui, qu’il se repose un jour, et qu’il revienne travailler le jour d’après s’il voulait conserver son emploi. L’enfant, évidemment, est revenu. Sa jambe a commencé à s’infecter très rapidement, sans véritables soins médicaux, pour moins de cent pesos par jour, sous une température ambiante de 36-39 degrés, aspergée de produits agrochimiques toxiques et dans l’humidité omniprésente. L’enfant n’a pas pu résister à de tels mauvais traitements. Il est décédé très rapidement, avec la jambe gangrenée. L’entreprise a versé seulement 500 pesos (environ 30 dollars) à la famille et lui a ordonné de ne plus aborder le sujet. Les premières semaines qui ont suivi, la mère a pleuré l’assassinat de son fils sans rien dire et a continué à travailler. Mais un jour, Marina a décidé de partir. Elle a quitté les serres pour aller laver et repasser des kilos et des kilos de vêtements pour les autres, consciente qu’elle revenait de l’enfer[8].5. Et tout ce que cela apporte, c’est de la violence. Ce qu’apportent les grandes transnationales, c’est de la violence. Face à cette dernière, les communautés opposent leur enracinement à la terre, à la communauté, aux semences : une lutte permanente sans répit. Elles gardent la conviction que l’essentiel est de continuer à assurer, par leurs propres moyens créatifs et collectifs, ce qui compte le plus pour elles : la souveraineté alimentaire et la défense de leur vie sur leurs territoires.Récupération du territoire ejidal accaparé illégalement par Amway. @GRAINPhoto de couverture : Mario Olarte[1] Sylvia Marcos, note personnelle[2] Centro de Análisis Social, Información y Formación Popular, GRAIN, Colectivo por la Autonomía, El maíz en la vida y la siembra (testimonios indígenas del maíz y la autonomía en México), 2005[3] Avis de la préaudience nationale : Contaminación Transgénica del Maíz Nativo, San Luis Beltrán, Oaxaca, 26-27 avril 2013[4] Territorialidad, subsistencia y vida digna. Documento de contexto general de las denuncias ante el Tribunal Permanente de los Pueblos, San Isidro, Jalisco, 27 juin 2013.[5] Voir l’avis Territorialidad, subsistencia y vida digna, op.cit.[6] Colectivo por la Autonomía, ETC Group et GRAIN, Territorialidad, subsistencia y vida digna. Documento de contexto general de las denuncias ante el tribunal permanente de los Pueblos en San Isidro, Jalisco, 27 juin 2013.https://www.grain.org/media/W1siZiIsIjIwMTMvMDgvMDYvMTJfMjJfMDhfMzAzXzA3dGVycml0b3JpYWxpZGFkNzcucGRmIl1d[7] Voir Daniela Rico Straffon et Edgars Martínez Navarrete, Las raíces del despojo, Conaculta, 2022.[8] Voir Ramón Vera-Herrera, Dentro y fuera de la piel del mundo, Editorial Itaca, Mexico, 2019, p. 101-102