Aux États-Unis, 200 000 kilos de viande contaminée par une bactérie mortelle résistante aux antibiotiques ont été servis aux enfants des écoles avant que le deuxième conditionneur de viande du pays n'émette un rappel en 2009. En Chine, un an plus tôt, six bébés sont décédés et 300 000 autres ont été gravement malades des reins lorsque l'un des plus grands producteurs laitiers du pays a sciemment permis la présence d’un produit chimique industriel dans le lait qu’il fournissait. Partout dans le monde, des gens sont contaminés par leur alimentation et en meurent, à un niveau jamais atteint auparavant. Les gouvernements et les grandes entreprises réagissent en élaborant toutes sortes de règles et de réglementations, mais beaucoup n’ont rien à voir avec la santé publique. Les accords commerciaux, les lois et les normes privées utilisées pour imposer leur version de la « sécurité sanitaire des aliments » ne fait que renforcer les systèmes alimentaires des entreprises qui nous rendent malades et détruire ceux qui permettent vraiment de nourrir les populations en prenant garde à leur sûreté, ceux qui sont fondés sur la biodiversité, les savoirs traditionnels et les marchés locaux. Les populations résistent, que ce soit au travers de mouvements contre les OGM au Bénin ou contre la viande de « vache folle » en Corée, ou de campagnes pour défendre les vendeurs à la sauvette en Inde ou le lait cru en Colombie. La question de savoir qui définit la « sécurité sanitaire des aliments » est de plus en plus au cœur de la lutte pour l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture. Cliquez ici pour lire l'aperçu Une menace mondiale croissante Les aliments doivent être une source de santé, pas de nuisances. Pourtant la nourriture peut blesser, handicaper et tuer. La principale cause d'intoxication alimentaire au Royaume-Uni aujourd'hui est le Campylobacter, une bactérie minuscule, répandue dans les élevages de volailles de tout le pays, qui entraîne chez les humains une diarrhée, de la fièvre, des douleurs et des crampes abdominales et, dans certains cas chroniques, peut même représenter un risque mortel. Les gens l'attrapent en touchant de la volaille crue ou en mangeant des oiseaux insuffisamment cuits. Environ 85 % des poulets au Royaume-Uni pourraient être infectés. Aux États-Unis, les premiers coupables en ce moment sont les Norovirus, principalement transmis par les mains sales, et les salmonelloses, contractées en mangeant des aliments contaminés par des matières fécales. Les Norovirus vous donneront des vomissements aigus et de la diarrhée, alors que les salmonelles provoquent des vomissements, de la fièvre et des crampes abdominales. Un des incidents les plus notoires de la sécurité alimentaire de ces dernières années a été le scandale de la mélamine en Chine en 2008. Six bébés sont morts et 300 000 autres ont été gravement malades et ont souffert de problèmes rénaux en raison d’une contamination par de la mélamine chimique industrielle dans le circuit de distribution du lait commercial. Il y a aussi eu un scandale de la dioxine en Allemagne en janvier 2011, où les autorités allemandes ont fermé plus de 4000 fermes après qu'il fut découvert qu'une entreprise allemande avait vendu 200 000 tonnes d'aliments pour animaux contaminés aux dioxines, qui étaient par la suite entrés dans la chaîne alimentaire. Les dioxines sont des poisons cancérigènes formés lors de la combustion des déchets et d'autres procédés industriels. 1 Quelle est la gravité du problème au niveau mondial ? Croyez-le ou non, il n'existe pas de statistiques globales ou de mécanismes de suivi sur les incidents de sécurité sanitaire des aliments dans le monde entier ; les données fiables sur leur fréquence et leur impact sont très clairement insuffisantes. Néanmoins, les données disponibles montrent effectivement que les intoxications alimentaires sont assez fréquentes dans la plupart des pays (voir Graphique 1). 2 Selon les autorités de Singapour, qui gèrent un système d’hygiène alimentaire très strict, environ 1,5 milliard de personnes à travers le monde sont touchées par des épidémies d'origine alimentaire chaque année, ce qui entraîne 3 millions de décès. 3 Le prix de cette pagaille dans la sécurité sanitaire des aliments est énorme. Le Royaume-Uni évalue les coûts annuels pour l'économie britannique à 1,2 milliard de livres sterling, une somme que l’Agence britannique des normes alimentaires qualifie carrément de « trop importante ». La facture annuelle pour l'Australie est de 1,2 milliard de dollars australiens (1,23 milliard de dollars US). L'Organisation mondiale de la santé indique que le coût annuel pour le Vietnam est de 210 millions de dollars. Aux États-Unis, les Centers for Disease Control (CDC) ont longtemps donné le chiffre de 35 millions de dollars par an, mais une nouvelle étude publiée par The Pew Charitable Trusts à l'Université de Georgetown en 2010 avance un chiffre astronomiquement supérieur de 152 milliards de dollars. 4 Qu’est-ce qui rend les aliments dangereux ? Ce qui fait qu’un aliment est sûr ou non est une question controversée. Toutes sortes de choses peuvent rendre les aliments dangereux : des mauvaises pratiques (hygiène, violence envers les animaux, recours à des antibiotiques et des pesticides), des technologies à risque ou qui n’ont pas fait leurs preuves (modification génétique, nanotechnologies, irradiation, clonage), la contamination délibérée (comme dans le cas de la fraude), ou tout simplement une mauvaise supervision. Une chose est claire cependant : le système alimentaire industriel est – en lui-même - la plus grande source de problèmes de sécurité alimentaire, en raison de ses pratiques intensives, de sa taille et du niveau de concentration et de pouvoir qu'il a accumulé. Une petite ferme qui produit de la mauvaise viande aura un impact relativement faible. Des réseaux de fermes petites et moyennes produisant des aliments pour une consommation régionale répartissent largement le risque et le diluent. Un système mondial construit autour d’exploitations de taille industrielle concentrées géographiquement fait l’inverse : il accumule et amplifie le risque, en soumettant des secteurs particuliers à une pollution de type industriel et en exposant des consommateurs du monde entier à des produits empoisonnés (voir encadré: « Super-bactéries et mégafermes »). Les systèmes à grande échelle comme à petite échelle sont capables de produire des aliments contaminés, mais l'impact potentiel est foncièrement différent. Le risque lié à un système à plus grande échelle est tout simplement plus important. En outre, l'industrie agro-alimentaire – par opposition aux petits agriculteurs et exploitants du secteur alimentaire - est fortement intégrée. Cela génère également un risque plus élevé, car ce système repose sur la combinaison et la manipulation des aliments au travers de toute une série d’activités de fabrication, de transformation et de distribution. Bien sûr, on peut attraper une intoxication alimentaire n’importe où, dans des cantines scolaires ou chez soi. Mais le système alimentaire industriel est de plus en plus devenu lui-même le problème, étant donné le type de pratiques et le problème de l'échelle et de la concentration (voir l'encadré :. « La sécurité sanitaire alimentaire au pays du fast-food »). La sécurité sanitaire des aliments au pays du fast-food La production à l’américaine représente-t-elle l’avenir de l’alimentation mondiale ? Peut-être. Certes, l’élite des leaders d’opinion et des décideurs occidentaux (les rédacteurs de The Economist, les administrateurs de la Bill and Melinda Gates Foundation, certains personnages clés de l’administration Obama) pensent que ce devrait être le cas. Il est donc utile d'examiner de quelle façon le régime de sécurité alimentaire aux États-Unis a répondu aux dilemmes d’échelle au cours des dernières années. Dans un système alimentaire industrialisé, fortement regroupé, visant à maximiser les profits en vendant des volumes considérables de produits alimentaires bon marché, une pression s’exerce à chaque étape de la chaîne de production pour réduire les coûts en grignotant des économies, notamment sur la sécurité des pratiques alimentaires. En outre, du fait de l’échelle même de la production alimentaire moderne des défaillances apparemment isolées peuvent devenir très graves, et exposer des millions de personnes à un danger entraîné par les activités d’une seule installation de production. Le cas de l’entreprise Peanut Corp. of America illustre clairement les dangers de la production à grande échelle. Jusqu'à récemment, l’entreprise gérait deux installations : une au Texas, l’autre en Géorgie. Ces deux installations transformaient 2,5 % des arachides produites aux États-Unis, et vendaient de la « pâte d'arachide » à toute l'industrie alimentaire américaine. À la fin 2007, la société avait manifestement de toute évidence renoncé à essayer de maintenir des conditions d’hygiène appropriées dans ses installations. À la fin 2008, des consommateurs ont commencé à attraper des salmonelloses après avoir consommé un nombre effarant de produits contenant de la pâte d’arachides de Peanut Corp’s, ce qui a amené la FDA à engager un « rappel volontaire » des produits. À la fin de l’opération, le rappel avait concerné pas moins de 1800 marques de supermarché. Les produits contaminés ont tué neuf personnes et environ 700 autres sont tombées malades (dont la moitié étaient des enfants) dans 46 États américains. Le Centre de contrôle des maladies (CDC) estime que pour chaque cas signalé de salmonellose, 38 autres cas ne sont pas signalés, si bien que le nombre réel de personnes rendues malades par la production de ces deux seules installations pourrait être de 26 000. Suite à ce fiasco, des journalistes américains ont démontré que la FDA avait « externalisé » l’inspection de l’installation basée en Géorgie aux autorités de l’État, puis avait ignoré les conclusions des inspecteurs de l’État faisant état de pratiques d’hygiène calamiteuses. En outre, il s'est avéré que les tests de l’entreprise elle-même avaient mis en évidence de la salmonelle dans d’énormes lots de pâte d’arachide, qu’elle a tout de même décidé d’expédier. i Dans un autre incident survenu en 2009, une société du nom de Beef Packers, détenue par le géant de l’agroalimentaire Cargill, a dû lancer deux « rappels volontaires », concernant plus de 500 tonnes de bœuf haché infecté par des salmonelles résistantes aux antibiotiques. ii L'USDA a annoncé que la consommation de la viande suspecte pouvait se traduire par un « échec thérapeutique » iii, c’est-à-dire, un décès, en raison de sa capacité à résister aux médicaments. Au moins 39 personnes dans 11 États ont signalé qu’elles étaient tombées malade, et plus de 200 000 kilos de viande avariée ont été servis aux enfants des écoles dans le cadre du programme national de repas scolaires. iv La réponse officielle à ces incidents a été minimale. En janvier 2011, un projet de loi qui a fait l’objet de vifs débats, du nom de Loi de modernisation sur la sécurité sanitaire des aliments, a été adopté. L'intention du projet de loi initial était d’actualiser le système de sécurité sanitaire des aliments des États-Unis et de lui apporter des ressources supplémentaires. Elle appelait essentiellement à davantage de contrôles, donnait au gouvernement le pouvoir d’exiger des rappels de produits alimentaires, et apportait une certaine traçabilité dans un secteur industriel autrement très peu réglementé. Qui pouvait donc s'opposer à une telle démarche ? On pourrait penser que l’opposition viendrait des gros bonnets de l'industrie alimentaire, comme Cargill et Tyson, qui ne veulent pas être contrôlés. Mais on aurait tort. Les nouvelles règles ont peu de chance de les concerner. Selon une analyse réalisée par l'ONG américaine Food & Water Watch, rien dans cette loi n’aurait empêché la Peanut Company of America d’expédier sa pâte d’arachides contaminée. Pire encore, les règles ne concerneraient même pas le secteur de la viande, qui est à l’origine du plus grand nombre de maladies d’origine alimentaire aux États-Unis. v Les principaux opposants au projet de loi, tout au long des débats, étaient des militants gérant de petites exploitations agricoles familiales qui, en raison du cadre de la loi, se retrouvaient soumis à ces contrôles alors qu’ils n’étaient pas à l’origine du problème. Ainsi, au lieu d’engager une véritable réforme de la sécurité sanitaire des aliments dans un pays où une personne sur quatre tombe malade et où 5 000 personnes meurent de la consommation d'aliments contaminés chaque année, la loi pourrait avoir un effet à peu près nul. En l'absence d’action publique plus stricte sur la sécurité sanitaire des aliments, des entreprises ont tenté de combler le vide, avec des effets parfois tragicomiques. Un exemple : au milieu des années 2000, une société du nom de Beef Products Inc a eu une idée ingénieuse : acheter à prix réduits des déchets d'abattoirs - qui sont très susceptibles d'être infectés par des agents pathogènes bactériens – auprès de grandes entreprises de transformation du bœuf. Il s’agissait ensuite de transformer ces déchets en une pâte, puis de la mélanger avec de l’ammoniac pour tuer les agents pathogènes bactériens. L’entreprise revendrait alors le produit à la filière bovine comme agent de remplissage bon marché à mélanger au bœuf haché, tout en remplissant une fonction supplémentaire, puisque l’ammoniac contenu dans la pâte permettrait de stériliser le bœuf haché avec lequel il était mélangé. La filière bovine avait ainsi trouvé une « solution » pour résoudre le problème des agents pathogènes bactériens dans le bœuf haché ! Le produit, connu dans la filière sous le nom de « pink slime » (« boue rose ») pour son aspect caractéristique, pouvait être trouvée dans 70 % des hamburgers consommés aux États-Unis à la fin de la décennie. Le Service d’inspection de la sécurité des aliments de l'USDA, qui supervise la sécurité de la viande, a applaudi : elle a considéré que le « pink slime » était sûr et ne nécessitait aucun test, au motif qu’il était stérilisé par l’ammoniac. Mais en 2009, un article du New York Times a découvert que le « pink slime » était au contraire souvent infesté par des agents pathogènes, et ajoutait fortement à la charge pathogène du bœuf haché avec lequel il était mélangé. Beef Products Inc. a répondu en se contentant d’accroître la dose d'ammoniaque dans son mélange. À ce jour, le produit reste largement utilisé dans le vaste marché américain du bœuf haché, y compris par des chaînes de fast-food à l'échelle nationale. vi Si la réponse officielle des États-Unis face à des cas manifestes d’empoisonnement alimentaire, comme dans les cas de viandes et pâtes d’arachide contaminées par des salmonelles, a été décevante et a toujours été favorable aux intérêts de l’industrie, la réponse à une faible exposition à des agents pathogènes entraînant des dommages cumulés a été pratiquement inexistante. Le premier type d’exposition entraîne des symptômes spectaculaires, impossibles à ignorer, comme des vomissements et des diarrhées. Le second entraîne des symptômes légers, faciles à ignorer, mais qui peuvent causer des dommages importants à long terme. Les régimes de sécurité alimentaire dictés par les entreprises, comme celui des États-Unis, sont obligés de prendre des mesures minimales dans le premier type d’exposition, mais pas autant dans le deuxième. Il s'avère que le Service d’inspection de la sécurité des aliments de l'USDA (FSIS), qui supervise la sécurité de l'approvisionnement en viande des États-Unis, valide régulièrement de la viande qu’elle sait contaminée par des résidus de « médicaments vétérinaires, pesticides et métaux lourds », selon le rapport 2010 de l’Inspecteur général de l’USDA. vii Le rapport accablant a pourtant été passé sous silence par les médias américains, probablement parce que de petites quantités de substances telles que des métaux lourds n’entraînent pas des symptômes spectaculaires immédiats, mais plutôt des problèmes de santé plus difficiles à détecter et lents à se développer, comme des cancers. Comme l’indique le rapport, les « effets des résidus sont généralement chroniques et non aigus, ce qui signifie qu'ils se produisent au fil du temps, au fur et à mesure qu’une personne consomme de faibles traces du résidu. » Dans son rapport, le bureau de l'Inspecteur général de l’USDA s’est dit certain que le FSIS redoublerait d’efforts pour veiller à ce qu’il n’y ait plus de traces de métaux lourds et d’antibiotiques dans les lots de viande approuvés. Il avait pourtant exprimé le même avis, après avoir exposé le même problème, dans son rapport deux ans auparavant. viii Un autre exemple concerne le refus d’agir de la Food and Drug Administration des États-Unis, lorsqu’elle a été confrontée à des preuves de plus en plus nombreuses que le Bisphénol A, un composé industriel qui se trouve dans de nombreux récipients alimentaires, est un perturbateur endocrinien. Si le régime de sécurité sanitaire des aliments pour les agents pathogènes spectaculaires pouvait être qualifié de poreux, dans le second cas, plus impalpable, il est presque inexistant. (Cet encadré est basé sur les contributions écrites de Tom Philpott, journaliste spécialisé dans l’alimentation et l’agriculture pour le magazine Grist). i Voir « Peanut Corp. Shipped Product After Finding Salmonella », Bloomberg News, 27 janvier 2009, http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=newsarchive&sid=aeXwqlMnIWU0; et « Peanut Plant Had History of Health Lapses », New York Times, 26 janvier 2009, http://www.nytimes.com/2009/01/27/health/27peanuts.html?_r=1&ref=health ii Voir « Antibiotic-resistant salmonella, school lunches, and Cargill's dodgy California beef plant », Grist, 10 décembre 2010, http://www.grist.org/article/2009-12-10-meat-wagon-cargill-salmonella/ iii « California Firm Recalls Ground Beef Products Due to Possible Salmonella Contamination », USDA Food Safety and Inspection Service, 9 décembre 2009, http://www.fsis.usda.gov/ News_&_Events/ Recall_065_2009_Release/index.asp iv « Why a recall of tainted beef didn't include school lunches », USA Today, 2 décembre 2009, http://www.usatoday.com/news/education/2009-12-01-beef-recall-lunches_N.htm v La responsabilité de la sécurité sanitaire des aliments aux États-Unis est répartie entre deux organismes. Le département américain de l'Agriculture (US Department of Agriculture) est responsable de la viande, de la volaille et des ovoproduits, qui représentent 20 % de l'approvisionnement alimentaire des États-Unis. Le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques (Food and Drug Administration), au sein du ministère américain de la Santé, est chargé du reste. La Loi de modernisation de la sécurité alimentaire porte uniquement sur les travaux de la FDA. Les principales sources d'intoxication alimentaire aux États-Unis sont, cependant, la volaille, le boeuf et les légumes à feuilles (dans cet ordre, 2007). Voir : « Can Congress make a food-safety omelette without breaking the wrong eggs? » , Grist, 25 oobre 2010. vi « Safety of Beef Processing Method Is Questioned », New York Times, 30 décembre 2009, http://www.nytimes.com/2009/12/31/us/31meat.html?_r=1&partner=rss&emc=rss&pagewanted=all; Voir aussi, « Lessons on the food system from the ammonia-hamburger fiasco », Grist, 5 janvier 2010, http://www.grist.org/article/2010-01-05-cheap-food-ammonia-burgers vii « FSIS National Residue Program for Cattle », Office of the Inspector General, US Department of Agriculture, http://www.usda.gov/oig/webdocs/24601-08-KC.pdf viii « USDA Inspector General: meat supply routinely tainted with harmful residues », Grist, 15 avril 2010: http://www.grist.org C’est de la « sécurité alimentaire » ? Si l’on se base sur l’action des gouvernements et des industriels, il semble qu’ils ne voient pas vraiment de problème fondamental dans la production alimentaire industrielle. Il est rare que leurs règlements ou leurs normes gênent les pratiques des entreprises de manière significative. Au contraire, elles ont tendance à renforcer le pouvoir de la grande industrie, tout en fragilisant, ou même en criminalisant la production à petite échelle et les cultures vivrières locales. La Colombie, par exemple, est en train de mettre en place une législation pour empêcher la vente de lait cru dans les zones urbaines. Plus de deux millions d'agriculteurs et de vendeurs dépendent pour leur subsistance de ces ventes de lait cru, et environ 20 millions de Colombiens, pour la plupart pauvres, se servent du lait cru comme d’une source d’alimentation abordable et essentielle, qu’il est facile de rendre saine en faisant bouillir le lait à la maison. Éprouvant des difficultés à justifier son initiative pour des motifs de santé publique, le gouvernement affirme que la loi fait partie de ses engagements vis-à-vis de l'OMC, et qu'elle contribuera à « moderniser » le secteur laitier, ce qui lui permettra de mieux concurrencer les importations lorsqu'une menace d’accord de libre-échange (ALE) avec l’UE se présentera. 5 Actuellement, en Colombie et ailleurs, la politique de « sécurité sanitaire alimentaire » n’a pas grand chose à voir avec la santé publique ou les consommateurs. Elle est devenue un champ de bataille entre des intérêts conflictuels, le lieu de luttes de pouvoir pour le contrôle de l'alimentation et de l'agriculture, avec des décisions qui sont prises de plus en plus loin des producteurs et des consommateurs, dans le monde obscur des négociations commerciales et des agences multilatérales, dans lequel ce ne sont pas la science et la santé publique qui déterminent les choses, mais la politique et le commerce. Prenons le cas de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la maladie mortelle dégénérative du cerveau communément appelée la maladie de la vache folle. Les gens en attrapent la souche humaine en mangeant de la viande de vaches qui ont été nourries avec des animaux malades pour leur fournir des protéines bon marché, une pratique courante dans les parcs d'engraissement industriels depuis les années 1970. Les États-Unis et le Canada ont perdu le Japon, la Corée et plusieurs autres marchés importants d'exportation de viande bovine lorsque l'ESB a été détectée dans leurs troupeaux en 2003. Ils ont eu du mal à reconquérir ces marchés, car les risques demeurent du fait des pratiques d'alimentation de leurs industries. 6 De fait, en mars 2011, un nouveau cas d'ESB a été identifié chez une vache canadienne. 7 Mais grâce à une pression constante, en particulier à la table des négociations commerciales, les deux pays ont obtenu des concessions permettant à certains morceaux de viande de vache ou d’animaux plus jeunes de franchir les frontières librement. Les deux pays sont également allés voir l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) à Paris, qui a un rôle similaire à la Commission du Codex Alimentarius à Rome mais pour le règne animal, pour obtenir que leur viande soit déclarée de façon générale sans danger pour la consommation. Et qu’en est-il du Japon ? Il est indifférent. Il déclare que ses normes sont plus strictes que celles de l'OIE ou des États-Unis, et qu’on doit leur accorder la priorité. Et puis il y a le cas de la ractopamine, un promoteur de croissance ajouté à l'alimentation des porcs. La Chine et l'Union européenne, qui produisent ensemble 70 % de la viande de porc dans le monde, estiment que son utilisation dans la production de viande n’est pas sûre et l’ont interdite. C’est aussi valable pour plus de 150 autres pays. Aux États-Unis, cependant, le pays d'Eli Lilly, le géant pharmaceutique qui produit la ractopamine par le biais de sa filiale Elanco, le médicament est donné tous les jours à des porcs, des vaches et des dindes et Washington se bat bec et ongles pour défendre les intérêts des sociétés américaines et empêcher les pays de rejeter le porc américain qui pourrait contenir des résidus de cette substance. Les États-Unis et Eli Lilly travaillent avec acharnement à essayer de convaincre le Codex de la déclarer sans danger pour la consommation humaine. Pékin, pour sa part, a jusqu'à présent refusé de changer d’avis. Mais cela ne signifie pas pour autant que les consommateurs chinois reçoivent du porc sans ractopamine. Le même gouvernement qui combat le porc à la ractopamine américain, défend de manière véhémente, au nom de la « sécurité sanitaire des aliments », une consolidation et une modernisation de la production porcine du pays sur le modèle des fermes industrielles américaines. Les deux producteurs de porcs chinois les plus importants, intégrés verticalement, Yurun et Shineway, qui ont tous deux été largement financés par la banque américaine Goldman Sachs, ont été impliqués dans les récents incidents de sécurité alimentaire liés à la ractopamine et au clenbutérol (un autre médicament interdit ajouté à l'alimentation des porcs pour les mêmes raisons). En mars 2011, les consommateurs chinois ont été choqués quand un reportage télévisé de CCTV a révélé que la ractopamine et le clenbutérol sont largement utilisés dans tous les élevages industriels fournissant Shineway dans la province du Henan. Le reportage a découvert que Shineway offrait en fait des prix plus élevés aux agriculteurs pour les porcs nourris à la ractopamine. Super-bactéries et mégafermes Le terme « super-bactéries » est utilisé pour décrire les bactéries qui ont acquis la capacité de résister aux antibiotiques couramment utilisés. L'une des plus célèbres est le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM), qui a été découverte dans les années 1960 au Royaume-Uni et s'est depuis propagée à travers le monde, avec des conséquences fatales. Dans les seuls États-Unis, 17 000 personnes sont mortes d'une infection à SARM en 2005. i Le SARM est habituellement associé aux hôpitaux, où la super-bactérie a tendance à pénétrer dans les plaies ouvertes et à causer des maladies difficiles à soigner. Mais ces dernières années ces superbactéries ont trouvé un endroit pour prospérer : les porcheries industrielles. ii En 2004, des chercheurs néerlandais ont identifié une nouvelle souche de SARM, ultérieurement appelée ST398 ou « SARM du porc », qu'ils ont trouvé chez des personnes en contact direct avec des élevages porcins néerlandais. Dans les deux ans qui ont suivi, la bactérie ST398 est devenue une source majeure d’infection humaine à SARM dans le pays, représentant plus d’un cas sur cinq d’infection humaine à SARM. Des études ont montré que ces cas avaient un lien étroit avec la présence de porcs, et d'autres recherches ont révélé que la bactérie ST398 était endémique chez les porcs dans les fermes néerlandaises. Une enquête de 2007 a établi que la bactérie ST398 était présente chez 39 % des porcs et dans 81 % des porcheries locales. iii De nouvelles enquêtes sur des exploitations situées en dehors des Pays-Bas ont fait apparaître des chiffres similaires. iv La première enquête à l'échelle européenne sur le SARM dans les exploitations porcines, menée en 2009 selon une méthode qui « sous-estime grandement la prévalence du SARM », a trouvé la bactérie ST398 dans plus des deux tiers des États membres de l'UE. L'Espagne et l'Allemagne avaient l'incidence la plus élevée, avec plus de 40 % des élevages de porcs se révélant positifs aux tests pour le SARM. v Étant donné les exportations considérables de l'industrie porcine européenne à l'étranger, il n’est pas surprenant de constater que la bactérie ST398 est également en train de se propager chez les porcs au-delà des frontières de l'Europe. Une étude menée sur les porcs dans la province canadienne de l'Ontario, par exemple, a déterminé que la bactérie ST398 est présente chez un quart des porcs de la province, ainsi que chez un cinquième des éleveurs de porcs contrôlés. 6 Une seule étude a été menée aux États-Unis à ce jour : il s’agissait d’une étude pilote menée sur deux grandes exploitations porcines dans le Midwest, qui a découvert la bactérie ST398 chez 49 % des porcs et 45 % des travailleurs. 7 Le SARM est susceptible d’évoluer de façons très dangereuses dans son nouvel environnement dans les porcheries. La densité des animaux dans les élevages industriels permet aux bactéries d'évoluer rapidement et de diverses manières. En outre, dans ces élevages, l'utilisation d'antibiotiques est omniprésente. Les porcs reçoivent régulièrement des antibiotiques dans leur alimentation et dans l'eau, souvent comme mesure préventive pour éviter les épidémies de maladies ou simplement pour augmenter les taux de croissance. Aux États-Unis, 80 % du total des antibiotiques consommés annuellement sont consommés par le bétail. 8 En Chine, le chiffre est de près de 50 %. 9 Même dans l'UE, où l'usage non thérapeutique des antibiotiques pour les animaux est interdit et où les types d'antibiotiques autorisés pour le bétail sont contrôlés, l'utilisation d'antibiotiques pour les animaux dépasse encore leur utilisation pour les humains. En Allemagne, par exemple, les animaux reçoivent trois fois plus d’antibiotiques que les êtres humains. 10 Un usage aussi répandu des antibiotiques dans les élevages industriels accélère le développement de la résistance aux antibiotiques chez les bactéries. Contrairement à d'autres souches de SARM, la bactérie ST398 résiste déjà aux tétracyclines, un groupe d'antibiotiques qui est donné largement et régulièrement aux porcs dans les élevages industriels. La profession médicale est de plus en plus préoccupée par ce que cela implique pour l'avenir des soins de santé pour l’homme, car les antibiotiques pourraient devenir inutiles. Selon l’OMS, il s’agit maintenant de « la plus grande menace pour la santé humaine ». 11 La bonne nouvelle, cependant, c’est que la bactérie ST398 ne semble jusqu’ici pas être devenue très virulente chez l’être humain, ni être facilement transmise entre être humains. Pas encore, du moins. En 2010, une jeune fille de 14 ans en France, en convalescence à l'hôpital suite à une pneumonie, a été infectée par une super-bactérie. Elle a bientôt commencé à avoir de graves problèmes respiratoires, ses poumons ont commencé à saigner, et dans les six jours elle est décédée. La super-bactérie qui l'a tuée était un clone de SARM ST398, dont on sait qu’il peut se transmettre entre êtres humains. La question la plus préoccupante pour les médecins français qui étudient le cas, c’est qu'il s'agissait du premier incident signalé dans lequel cette souche de SARM a acquis la capacité de produire une toxine mortelle chez les humains, quelque chose que d’autres souches de super-bactéries savent faire. Ils en ont déduit que si le clone de SARM ST398 pouvait le faire, alors le « SARM du porc » avait certainement la même capacité. 12 Il n'est pas très difficile d’imaginer une situation où le « SARM du porc » serait transmis d’un porc à un travailleur de la ferme portant une autre souche de SARM virulente pour les humains, se mélangerait avec cette souche, en acquérant ainsi sa capacité de virulence. La nouvelle souche virulente du ST398 pourrait alors facilement être retransmise aux porcs, où elle pourrait rapidement s’amplifier et se propager. Le ST398 n’est pas seulement transmis aux hommes par le contact avec des porcs vivants : la bactérie est également présente sur la viande vendue dans les supermarchés et peut être transportée sur de grandes distances par les insectes qui passent par les exploitations agricoles. 13 L'UE commence lentement à prendre des mesures pour se préserver d’une telle possibilité. Elle a mis en place plusieurs mesures visant à restreindre l'utilisation des antibiotiques dans l’élevage et, au niveau national et au niveau de l'UE, une certaine surveillance des exploitations agricoles a été mise en place. En 2009, un groupe spécial de l'Autorité européenne de sécurité des aliments a recommandé que l’UE s’oriente vers la « surveillance et le contrôle systématiques du SARM chez les animaux issus d'élevages intensifs ». La Corée du Sud, pour sa part, a interdit l'utilisation de sept antibiotiques dans l'alimentation animale en 2008, et mis en œuvre un programme national visant à réduire l'utilisation des antibiotiques dans les élevages. Mais de telles restrictions sur l'utilisation des antibiotiques pour le bétail sont presque inexistantes aux États-Unis, même si le projet de loi pour limiter l'utilisation non thérapeutique de certains antibiotiques dans l'alimentation du bétail est actuellement soumis au Congrès. En ce qui concerne la surveillance, le système américain (National Antimicrobial Resistance Monitoring System) ne prévoit même pas de tests pour le SARM. 14 En dehors des pays industrialisés, où la filière viande se développe le plus rapidement, il y a une absence presque totale de contrôle sur l'utilisation des antibiotiques dans l'agriculture et de surveillance des agents pathogènes comme le SARM. Le renforcement de la surveillance et la réduction de l’utilisation des antibiotiques dans les élevages industriels sont des mesures importantes. Mais elles ne suffisent pas à traiter efficacement la menace représentée par le SARM et la myriade d’agents pathogènes qui se développent dans les élevages industriels. Il est stupéfiant de constater que 61 % du total des agents pathogènes humains, et 75 % des nouveaux agents pathogènes humains, sont transmis par les animaux, et qu’un bon nombre des plus dangereux – comme la grippe aviaire, l'ESB, la grippe porcine et le virus Nipah – sont apparus dans des exploitations d'élevage intensif. 15 C’est le mode d’élevage qui est fondamentalement en cause. 16 1 E. Klein, D.L. Smith, R. Laxminarayan, « Hospitalizations and Deaths Caused by Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus, United States, 1999–2005 », Emerg. Infect. Dis. Vol. 13, No. 12, 2007, pp. 1840–46. 2 Ed Yong, « MRSA in pigs and pig farmers », 23 janvier 2009, http://scienceblogs.com/ notrocketscience/ 2009/01/ mrsa_in_pigs_and_pig_farmers.php 3 X.W. Huijsdens et al., « Community-acquired MRSA and pig-farming », Ann. Clin. Microbiol. Antimicrob., Vol. 5, N° 26, 2006; A.J. de Neeling et al., « High prevalence of methicillin resistant Staphylococcus aureus in pigs », Vet. Microbiol., Vol. 122, N° 3–4, 21 juin 2007, pp. 366-72; I. van Loo et al., « Emergence of methicillin-resistant Staphylococcus aureus of animal origin in humans », Emerg. Infect. Dis., Vol. 13, N° 12, 2007, pp. 1834–9. 4 Danish Integrated Antimicrobial Resistance Monitoring and Research Programme, http://www.danmap.org/pdfFiles/Danmap_2009.pdf 5 « Pig MRSA widespread in Europe », Ecologist, 25 novembre 2009 ; Broens et al., « Diagnostic validity of pooling environmental samples to determine the status of sow-herds for the presence of methicillin-resistant Staphylococcus aureus (MRSA) », Poster présenté lors de la Conférence ASM-ESCMID sur les staphylocoques résistants à la méthicilline, dans Animals : Veterinary and Public Health Implications, Londres, 2009. 6 « Guelph Researchers Find MRSA in Pigs », Université de Guelph, 8 novembre 2007, http://www.uoguelph.ca/ news/2007/11/post_75.html. 7 T.C. Smith, M.J. Male, A.L. Harper, J.S. Kroeger, G.P. Tinkler et al., (2009) « Methicillin-Resistant Staphylococcus aureus (MRSA) Strain ST398 Is Present in Midwestern US Swine and Swine Workers », PLoS ONE, Vol. 4, N° 1, 2009. 8 Voir « New FDA Numbers Reveal Food Animals Consume Lion's Share of Antibiotics », Center for a Liveable Future, Johns Hopkins University, 23 décembre 2010. http://www.livablefutureblog.com/2010/12/new-fda-numbers-reveal-food-animals-consume-lion%E2%80%99s-share-of-antibiotics Voir aussi Margaret Mellon, Charles Benbrook, Karen Lutz Benbrook, « Hogging it!: Estimates of antimicrobial abuse in Livestock », Union of Concerned Scientists, 2001, http://www.ucsusa.org 9 « Half of China's antibiotics fed to animals: Expert », Xinhua, 26 novembre 2010. 10 Kristen Kerksiek, « Farming out Antibiotics : The fast track to the post-antibiotic era », Infection Research, Allemagne, 22 mars 2010, http://www.infection-research.de/ perspectives/detail/ pressrelease/ farming_out_antibiotics_the_fast_track_to_the_post_antibiotic_era/ 11 AAP, « Greatest threat to human health », Sydney Morning Herald, 16 février 2011, http://www.smh.com.au/lifestyle/wellbeing/greatest-threat-to-human-health-20110216-1awai.html 12 Frédéric Laurent, « Les souches de staphylococcus aureus ST398 sont-elles virulentes », Bull. Acad. Vét. France, Vol. 163, N°. 3 mai 2010. 13 Voir Aqeel Ahmad et al., « Insects in confined swine operations carry a large antibiotic resistant and potentially virulent enterococcal community », BMC Microbiology, 2011, http://www.biomedcentral.com/1471-2180/11/23/abstract 14 Maryn McKenna, « Alarm over 'pig MRSA' – but not in the US », Wired, 30 octobre 2010, http://www.wired.com/wiredscience/2010/10/alarm-over-pig-mrsa-%E2%80%94-but-not-in-the-us/ 15 John McDermott et Delia Grace, « Agriculture-Associated diseases: Adapting Agriculture to improve Human Health », ILRI, février 2011. 16 GRAIN, « Germ warfare: Livestock disease, public health and the military-industrial complex », Seedling, janvier 2008, http://www.grain.org/seedling/?id=533 La sécurité sanitaire des aliments et le commerce mondial : l'Europe et les États-Unis imposent leurs normes Comme les deux exemples ci-dessus permettent de le voir, les accords commerciaux sont devenus le mécanisme de base pour développer et appliquer des normes de sécurité alimentaire dans le monde. Depuis les années 1980 et l'Uruguay Round des négociations du GATT, qui a donné naissance à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les marchés agricoles ont été profondément libéralisés, avec des tarifs douaniers et des quotas en baisse, en particulier dans les pays en développement. 8 Cela a conduit à une très forte progression du commerce alimentaire mondial, peu de pays étant libres d'imposer des tarifs douaniers ou de prendre des mesures similaires pour mieux réguler le flux des importations et des exportations. En conséquence, les gouvernements et les sociétés se sont tournés vers d'autres mesures pour manipuler l'accès et le contrôle du marché. Dans l'agriculture, la sécurité sanitaire des aliments est la principale méthode. En substance, comme les restrictions quantitatives n'existent plus (comme outil pour ouvrir et fermer les marchés), des restrictions qualitatives ont été inventées pour les remplacer. L'OMC a joué un rôle direct dans ce changement (Voir l’Annexe : « Qui fait quoi ? »). Mais aujourd'hui, c'est principalement par des accords dits de libre-échange, négociés au niveau bilatéral ou régional, que les gouvernements recalibrent les règles de sécurité sanitaire des aliments. Trop souvent, les règles de sécurité sanitaire des aliments qui se dégagent des négociations commerciales deviennent des mécanismes pour forcer l'ouverture des marchés, ou des voies détournées pour limiter l'accès au marché ; elles ne contribuent guère à protéger la santé publique, mais servent seulement les impératifs de croissance et les marges bénéficiaires des entreprises. C’est par exemple le cas de l'UE, qui est devenu maître dans l’art de défendre certaines des normes les plus ridicules, juste pour exclure la concurrence et protéger les entreprises européennes. À la fin des années 1990, l'UE a interdit les produits de la pêche provenant de l'Inde en raison des risques sanitaires inacceptables qui auraient été découverts dans ce pays. Mais la définition communautaire du « sanitaire » peut être absurde. L’UE a exigé, par exemple, que les planchers et les plafonds des unités de débarquement du poisson soient lavés avec de l'eau potable, 9 tout cela dans un pays où une proportion importante de la population n'a pas accès à l'eau potable. Pour les entreprises de transformation du poisson et les pêcheurs indiens, l’objet de ces règles n'est pas de protéger le consommateur final, mais de dissuader les entreprises indiennes d’accéder au marché de l'UE en imposant des conditions que seules les entreprises de l'UE peuvent respecter. L’expérience de ce qui se passe en Afrique en apporte la preuve. Selon les Nations Unies, des pêcheurs de Tanzanie dépendant des exportations vers l'UE ont perdu 80 % de leurs revenus après une interdiction similaire à celle qui a été imposée à l'Inde. 10 L'Ouganda, dans la même situation, a perdu près de 40 millions de $US. Les Européens ont-ils cessé de manger du poisson ? Non. En fait, tandis que ces interdictions étaient commodément en place, des entreprises de l'UE, comme le groupe espagnol Pescanova, ont entrepris un développement agressif de leurs activités de pêche dans les eaux africaines pour servir le lucratif marché européen en achetant des quotas et des licences. 11 Aujourd'hui, alors que Bruxelles met en œuvre une vague d’accords commerciaux de nouvelle génération, la situation s’aggrave (voir l'encadré :. « Accord de libre-échange UE–Inde »). Prenons la question des arachides. L'UE a longtemps posé problème au reste du monde avec ses normes excessivement strictes par rapport aux aflatoxines. Les aflatoxines sont des mycotoxines produites par certains types de champignons ou de moisissures. Chez l’être humain, elles peuvent attaquer le foie ou même provoquer une stéatose hépatique, ainsi qu’un cancer. Si les adultes ont une tolérance élevée à l'intoxication par des aflatoxines, ce n’est pas le cas des enfants et ces derniers peuvent y être exposés par le biais des céréales, des noix, des fruits, ou du fromage. Avec le poids croissant qu’occupe la sécurité sanitaire des aliments dans les préoccupations des autorités de l'UE, Bruxelles a fixé des limites de tolérance pour les aflatoxines manifestement hors de proportion avec les risques. 12 Cela a touché les producteurs de pistaches iraniens, les exportateurs d'arachide du Gabon, les cueilleurs de noix du Brésil boliviens et les producteurs philippins de noix de coco. La Banque mondiale a calculé que les niveaux de tolérance exagérés sur les aflatoxines imposés par l'UE coûtent aux pays africains 670 millions de dollars par an en pertes à l'exportation. 13 Pour de nombreux observateurs, il est difficile de mettre en rapport ces pertes avec le bénéfice de prévenir 0,7 décès par an sur une population de 500 millions de personnes. 14 En fait, dans certains cas, des restrictions un peu trop zélées sur les aflatoxines n’ont conduit qu’à des surenchères qui ont tiré vers le bas le prix des arachides, pour le plus grand profit des importateurs européens, bien sûr. 15 Les États-Unis ont une approche légèrement différente dans leurs exigences. Pour commencer, on estime généralement que les États-Unis ont des normes moins rigoureuses que l'Europe en ce qui concerne les résidus de pesticides et de produits chimiques. En fait, Bruxelles semble être engagé dans une espèce de querelle constante avec Washington. Par exemple, les volailles américaines destinées à l'exportation sont habituellement trempées dans du chlore juste avant leur expédition. Cette opération est destinée à tuer les bactéries qui se sont accumulés dans les carcasses des volailles au cours du processus typique d' « élevage industriel » américain. 16 Les Européens n’autorisent pas l'importation de poulets qui ont été baignés dans le chlore et aucune volaille américaine ne peut arriver sur le marché de l'UE. Les États-Unis effectuent également moins de contrôles physiques sur leurs propres importations de produits alimentaires. Par exemple, ils n’examinent que 2 % du total des arrivées de poissons, alors que quelque 80 % du poisson consommé aux États-Unis est importé. Ce laxisme donne un exemple du système américain de sécurité sanitaire des aliments, qui a longtemps reposé sur l'autocontrôle des industriels, notamment à travers des vérifications dans le cadre de l'Analyse des risques et la maîtrise des points critiques (HACCP), plutôt que sur la supervision des autorités et la responsabilisation. 17 À la table des négociations commerciales, le gouvernement américain est bien connu - et redouté - pour pousser à des normes laxistes sur les aliments génétiquement modifiés. D’ailleurs, un câble diplomatique révélé par Wikileaks montre que l'administration Bush fait pression sur le gouvernement français pour que ce dernier assouplisse sa politique contre les OGM. Dans un télégramme de 2007, l'ambassadeur américain en France est allé jusqu'à suggérer que « nous mettons au point une liste cible de mesures de rétorsion qui vise à être assez douloureuse pour l'UE dans la mesure où [l'acceptation des OGM] est une responsabilité collective, mais qui se concentre également en partie sur les principaux coupables. » Il ajoute : « La liste doit faire preuve de mesure plus que de dureté et être tenable à long terme, car il ne faut pas s'attendre à une victoire rapide. » 18 Une telle « diplomatie » sert clairement et directement les intérêts de Monsanto, DuPont et d'autres sociétés de biotechnologie agricole qui n'aiment pas que des pays étrangers interdisent des semences ou des aliments OGM, et sont beaucoup moins désireuses d’avoir des étiquettes qui informent les consommateurs de la présence d'ingrédients génétiquement modifiés. Des entreprises américaines, en particulier les membres de la Biotechnology Industry Organisation, utilisent religieusement les négociations sur les ALE par des représentants de Washington comme une plateforme pour obtenir un accès au marché pour les OGM par une politique agressive de réformes réglementaires. 19 Outre les OGM, la politique commerciale des États-Unis est également considérée comme déstabilisatrice pour la souveraineté des autres pays en matière de sécurité alimentaire et de questions de santé, dans la mesure où Washington exige régulièrement l'assouplissement des règles contre l'importation des produits agricoles américains que d'autres jugent à risque, tels que le bœuf (ESB, hormones), le veau (hormones), le poulet (chlore) et le porc (grippe porcine). Les États-Unis et l'UE ont pourtant beaucoup en commun (voir Encadré :. « Comment l'Union européenne et les États-Unis utilisent les accords de libre échange pour imposer leurs normes alimentaires »). Pour les exportations alimentaires qui leur sont destinées, les deux sont attachés au processus d'inspection et d'accréditation de fermes, de pêcheries ou de fabricants particuliers qui satisfont ou dépassent les normes américaines ou de l'UE (voir Encadré : « Le piège des bonnes pratiques agricoles »). Si cette approche peut paraître extraordinairement protectrice pour les consommateurs de l'UE ou des États-Unis, elle ouvre aussi la voie à une prise de contrôle et une concentration des entreprises. Par exemple, lorsque l'UE a levé une interdiction de six ans sur l’importation de volailles chinoises en 2008, en réalité, elle n’a donné son feu vert qu’à un tout petit nombres d'usines de transformation de la viande de la province de Shandong, agréées pour une exportation vers l'UE, et l’une d’entre elles avait été rachetée seulement deux semaines plus tôt par Tyson, la seconde entreprise mondiale de transformation de viande. 20 Les États-Unis et l'UE ont également créé des comités bilatéraux avec leurs partenaires commerciaux pour poursuivre les discussions sur « l’harmonisation », en vue d’élaborer des pratiques de sécurité sanitaires des aliments faisant l’objet d’un accord mutuel mais aussi des normes, y compris de nouvelles normes internationales. L'UE utilise ces mécanismes pour poursuivre sa stratégie d'introduction du « bien-être animal » dans le pool des normes du commerce mondial de l’alimentation. Les Accords de libre échange (ALE) ne sont bien sûr pas seulement utilisés par les États-Unis et l'UE pour mener des batailles sur la sécurité sanitaire des aliments. Des pays comme l'Inde, l'Australie ou le Brésil ne se contentent pas d’être soumis aux pressions des États-Unis ou de l'UE. Ils ont leurs propres normes sanitaires, leurs stratégies et leurs besoins. L’Inde, par exemple, grâce à une stratégie d’ALE qui a progressivement mûri, mène une lutte difficile pour augmenter les investissements étrangers tout en gardant néanmoins le contrôle des marchés agricoles. Lors de la visite du président américain Obama en Inde en novembre 2010, le ministre indien de l'Agriculture, Sharad Pawar, a clairement indiqué que les États-Unis pouvaient produire toutes les études scientifiques qu’ils voulaient, et qu’elles seraient respectueusement examinées, mais que l'Inde ne procédera pas à des importations de produits laitiers des États-Unis qui heurtent des sensibilités religieuses nationales. 21 Dans son zèle à signer des ALE, notamment avec l’Australie et les États-Unis, le gouvernement japonais doit aussi marcher sur des œufs sur la question des OGM, dans la mesure où il doit respecter les préférences de son propre électorat pour les produits sans OGM. Des États d'Afrique australe, comme la Namibie, ont soulevé d’importantes questions sur la façon de prendre des initiatives pour faire avancer leurs propres stratégies de « développement » et leurs propres besoins dans les négociations commerciales avec l'UE, dans lesquelles les normes sanitaires et phytosanitaires (SPS) – qui sont très coûteuses à respecter – peuvent affecter les bénéfices au niveau local. La différence est que ces pays ne cherchent pas à changer les normes de sécurité sanitaire alimentaire des autres, ce qui est très clairement le cas pour les États-Unis et l'UE. Accord de libre-échange UE–Inde : mauvaises nouvelles pour les petits pêcheurs et les poissonniers Un excellent rapport de Focus on the Global South, en collaboration avec Intercultural Resources, montre comment le futur accord de libre-échange entre l’UE et l’Inde va avoir une incidence sur les petits pêcheurs et les poissonniers, en particulier les femmes, dans le sous-continent. Les conclusions peuvent être résumées ainsi : i Ce que l'UE va obtenir de l'ALE UE–Inde * Des réductions des droits de douane (pour les poissons de l'UE exportés en Inde). * Des exigences de traçabilité (le poisson importé en UE doit être conforme à la certification de l’UE, et non de la FAO, contre la pêche illégale), ce qui élimine la concurrence des opérateurs indiens. * Le droit de vendre du poisson indien sur le marché indien (probablement dans les supermarchés). * Des protections générales pour les investissements (le droit pour les entreprises de l'UE d’aller en Inde et de s’y installer). * Un traitement national (toutefois il reste encore à voir si l'Inde exemptera l’accès à sa Zone économique exclusive, ce qu’a fait le Chili dans son ALE avec l’UE, ou l’accès à ses zones côtières, tous deux étant essentiels pour les pêcheurs locaux). Ce que va obtenir l’Inde * Une légère amélioration de l’accès au marché (les tarifs douaniers de l'UE ne sont déjà pas très élevés), mais au prix de normes de sécurité sanitaire des aliments très élevées (barrières à l'entrée), ce qui n'est d'aucune utilité pour les petits pêcheurs ou négociants. i Voir « Economic liberalisation and gender dynamics in traditional small-scale fisheries: Reflections on the proposed EU-India free trade agreement », Focus on the Global South Occasional Paper 8, New Delhi, août 2010, http://www.focusweb.org/content/occasional-paper-8-economic-liberalisation-and-gender-dynamics-traditional-small-scale-fishe De nouvelles normes ouvrent de nouveaux marchés La sécurité alimentaire, à proprement parler, est une question de prévention des maladies. Mais les limites de ce qu’on peut regrouper sous ce concept peuvent être élargies pour inclure des questions plus larges de qualité des aliments. Les aliments halal, sans OGM, sans cruauté envers les animaux et biologiques sont autant d'exemples de la croissance des marchés qui sont généralement traitées, pour des raisons pratiques, par le régime actuel de sécurité sanitaire des aliments (normes, audits, certification, traçabilité et mécanismes de règlement). De même, au niveau politique, ces considérations sont réglementées par les autorités de sécurité sanitaire des aliments, et dans les négociations commerciales, elles font partie des chapitres ou des accords sanitaires et phytosanitaires. 22 Bon nombre de ces préoccupations plus générales sur la qualité des aliments ne portent pas nécessairement sur les normes de produits, mais sur des processus. Par conséquent, elles ont tendance à être définies et contrôlées par le biais de dispositifs plutôt que des normes en elles-mêmes. Et si on n'y prend garde, elles peuvent être tout à fait arbitrairement définies pour répondre aux besoins des multinationales comme Cargill ou Carrefour, plutôt que par les besoins des communautés locales ou plus généralement par les besoins de santé publique. Alors que les demandes visant à l'étiquetage des OGM et des aliments biologiques sont relativement mieux intégrées aux régimes de sécurité ou de commercialisation des aliments, une réorganisation est nécessaire en ce qui concerne les aliments halal et les questions de bien-être animal. 23 Le marché des aliments halal, estimé à environ 600 milliards de dollars US, soit 16 % du marché alimentaire mondial de détail, est en pleine expansion, et va continuer à progresser dans les prochaines années. 24 Mais savoir en quoi consiste la nourriture halal est une question extrêmement litigieuse. Il n'y a pas de norme mondiale, et dans un pays donné peuvent coexister des normes différentes ou même concurrentes. 25 Au niveau international, l'Organisation de la conférence islamique est l’instance qui doit résoudre ces problèmes. En 2008, la Malaisie et la Turquie ont décidé d'élaborer conjointement des normes harmonisées ou communes, pour adoption par l'OCI dans son ensemble, mais il est peu probable qu’elles passent sans contestation (voir Encadré : « La religion, comme pratique d’un racket »). Le bien-être animal est une tout autre question. Elle semble être une préoccupation réglementaire essentiellement européenne mais, de ce seul fait, elle est en train de devenir une responsabilité pour le reste du monde. En 2013, l'UE mettra en œuvre de nouvelles normes sur l'abattage des animaux, y compris sur l'étourdissement, et ces nouvelles normes devront être respectées par toute personne envisageant d'exporter de la viande vers l'UE. Comme on l’a déjà noté, l'UE intègre de plus en plus le bien-être animal dans ses accords commerciaux bilatéraux, en exigeant explicitement de ses partenaires qu’ils travaillent avec l'Union européenne à l’élaboration de normes internationales dans ce domaine. Jusqu'à présent, le Chili, la Corée, la Colombie, le Pérou et l'Amérique centrale ont accepté les demandes de l'UE, en particulier celle de travailler avec les Européens à l’élaboration de normes juridiques mondiales. 26 Au niveau international, l'OIE devrait adopter, très rapidement, un ensemble de principes recommandés pour le bien-être animal dans le cadre du commerce international. 27 Mais qui définit ces principes, et qui les fait respecter en tant que normes internationales ? Il n'y a pas de normes juridiques internationales sur le bien-être des animaux. À l'OIE, le débat voit une opposition entre pays du Nord et pays du Sud. Le principal grief du Sud, c'est que le cadre de l’OIE pour le bien-être animal s’appuie sur les normes privées. Les pays en développement ont déjà une mauvaise expérience des normes privées sur la santé animale et s’attendent à ce que cela se reproduise si la tâche de l'élaboration des normes de bien-être animal échoit à des entités non publiques. 28 Dans ces nouveaux domaines, la véritable question est : qui a créé les normes dont nous discutons, et au profit de qui ? La religion, comme pratique d’un racket i Pour certains, l'idée même de formaliser des normes et standards pour la production alimentaire halal a des relents de racket visant à faire de l’argent à partir de la sensibilité spirituelle des gens. Dans un pays musulman comme l'Algérie, pourquoi y aurait-il besoin de légiférer sur ce qui constitue la nourriture halal quand la nourriture produite en Algérie est halal ? La campagne visant à définir ce qui constitue l’alimentation halal, et à communiquer aux consommateurs sur ce sujet, vise en fait à vider les poches des consommateurs musulmans dans les pays chrétiens et non musulmans. Même aux Philippines, si vous écoutez les reportages des médias sur les prochaines initiatives de la classe politique, on ne pourrait vous blâmer si vous pensez que les efforts visant à développer des normes et garanties nationales sur la nourriture halal visent principalement à faciliter l’exportation de mangues et autres aliments des Philippines vers l’Arabie Saoudite et les États du Golfe voisins. Les éventuels bénéfices pour la population musulmane des Philippines semblent secondaires. Si les États et organisations islamiques font maintenant pression pour une harmonisation des normes alimentaires halal, c'est pour servir des intérêts purement commerciaux. Isla Délice, France i Ce commentaire est basé sur un entretien avec Meriem Louanchi d'AREA-ED en Algérie.. La sécurité sanitaire des aliments, maintenant offerte dans les magasins Walmart On aurait tort de prendre des querelles diplomatiques ou législatives pour preuve que les gouvernements commencent à prendre réellement au sérieux la sécurité sanitaire des aliments. Bien qu'ils ne regardent pas à la dépense pour s’assurer que les réglementations ne nuisent pas aux marchés à l'exportation de leurs entreprises agro-alimentaires, quand il s'agit de gérer les risques générés par le système alimentaire industriel, ce sont la déréglementation et les attitudes de non-intervention qui prennent le pas. Les gouvernements peuvent définir et administrer le cadre juridique de la sécurité sanitaire des aliments et des normes similaires, mais l'action et le programme sont pour l’essentiel laissés entre les mains du secteur privé. On pourrait même dire que la sécurité sanitaire des aliments reste à peine une question de politique publique dans la mesure où beaucoup de choses dépendent de normes privées, de contrôles volontaires et d’obscurs organismes industriels, tous sous la coupe des plus grandes sociétés agro-alimentaires. Prenons la situation de la viande de bœuf. Le gouvernement américain insiste sur le fait que le bœuf américain est le plus sûr au monde, mais les acheteurs se méfient. « Si vous regardez les rappels de produits alimentaires au cours des deux dernières années, il y a eu une augmentation significative », explique Frank Yianna, vice-président pour la sécurité alimentaire à Wal-Mart, l'un des plus importants distributeurs de bœuf du pays. La réponse du gouvernement des États-Unis à cette augmentation alarmante des retours de viande : pas de nouvelles mesures. La réponse de Wal-Mart : un ensemble de nouvelles normes qui lui sont propres, auxquelles ses fournisseurs américains de viande bovine devront se conformer d’ici juin 2012. Wal-Mart dit que ses normes offriront à ses clients une « protection supplémentaire » au-delà des tests de recherche d’Escherichia coli et d'autres agents pathogènes que l'industrie de la viande effectue déjà. « C'est vraiment une réponse aux tendances à long terme des rappels de viande », explique F. Yianna. 29 Walmart en Amérique centrale Les marchés traditionnels sont en train de disparaître rapidement en Amérique centrale. Déjà plus d’un quart des quetzals servant aux Guatémaltèques pour leur alimentation sont dépensés dans un supermarché appartenant à Walmart, et c’est le cas d’un tiers des colones pour les Costaricains. Et pourtant, presque tous les produits horticoles achetés dans la région par les opérations de Walmart en Amérique centrale proviennent de sa propre filiale, Hortifruti, qui s’approvisionne auprès de quelque 1800 agriculteurs. Au Honduras, Hortifruti se fournit auprès de 395 producteurs horticoles sur un total de 18 000 dans le pays, et la plupart des produits proviennent d’un groupe de 45 producteurs préférés, qui ont au moins 4 ha en irrigation au goutte à goutte et disposent de leurs propres camions, tous formés par Bayer aux « bonnes pratiques agricoles ». i En outre, la moitié des produits vendus par les magasins Walmart en Amérique centrale sont importés, en grande partie de grandes exploitations au Chili. ii i Pour en savoir plus sur Hortifruti, voir Madelon Meijer, Ivan Rodriguez, Mark Lundy et Jon Hellin, « Supermarkets and small farmers: the case of Fresh Vegetables in Honduras », dans E.B. McCullough et al., The Transformation of Agri-Food Systems, Earthscan, 2008; Alvarado et Charmel, « The Rapid Rise of Supermarkets in Costa Rica », 2002; Berdegué et al., « The Rise of Supermarkets in Central America », 2003. ii Thomas Reardon, Spencer Hensen et Julio Berdegué, « ‘Proactive fast-tracking' diffusion of supermarkets in developing countries : Implications for market institutions and trade », Journal of Economic Geography, Vol. 7, N°. 4, 2007. Les réglementations américaines sur le bœuf, et même les réglementations imposées par le gouvernement japonais aux importations de bœuf américain, ne sont pas suffisantes pour le secteur de la restauration au Japon. Si Tokyo a levé, en 2006, son interdiction sur les bovins américains âgés de 20 mois ou moins, Zensho, la plus grande entreprise japonaise de restauration, exige que les fournisseurs de bœuf américain lui fournissent des garanties spéciales, en particulier concernant l'ESB. En décembre 2010, Zensho a annoncé qu'il avait conclu un accord avec JBS, une société brésilienne qui est l'un des plus grands producteurs de viande bovine aux États-Unis, pour lui fournir du bœuf provenant de bovins certifiés, qui ont été élevés sans aliments contenant des « agents responsables de l’ESB ». Aux termes de l'accord, JBS doit pratiquer une ségrégation des « bovins Zensho » pendant les étapes de transport, de finition et de transformation. JBS doit également veiller à ce que « les bovins Zensho » soient transformés uniquement au début d'un changement de production et seulement après que le matériel et les installations ont été spécialement désinfectés. Les inspecteurs de Zensho seront physiquement présents pour surveiller le processus et le produit final sera commercialisé au Japon sous l’appellation « bœuf Zensho SFC ». 30 Dans le même esprit, l’énorme chaîne de supermarchés Carrefour a annoncé en novembre 2010 qu'elle va commencer à apposer l'étiquetage « Nourri sans OGM » sur 300 produits d’origine animale vendus dans ses magasins sous sa propre marque. Les clients de ces sociétés pourraient être sensibles à de telles mesures. Mais qu'en est-il pour tous les autres ? La seule responsabilisation dans un tel système est par rapport aux actionnaires, et non pas par rapport au public ; les normes privées ne se préoccupent que du bilan financier. Pour donner un exemple de la façon dont cela peut se passer, les entreprises de volaille en Afrique du Sud retirent régulièrement des supermarchés des quartiers riches des poulets congelés qui ont dépassé la date limite, et les recyclent en les décongelant, en les lavant et en injectant de l'arôme, puis ils les vendent dans des magasins des townships noirs. Les entreprises de volaille refusent d’admettre que la pratique est raciste et affirment qu'ils respectent en fait des normes plus strictes que celles requises par le ministère de la Santé. 31 Résumé : Comment l'Union européenne et les États-Unis utilisent les accords de libre échange pour imposer leurs normes alimentaires * Faire accepter les OGM (États-Unis). * Dégager un espace pour élaborer des politiques sur les OGM en dehors du système des Nations Unies (États-Unis). * Imposer des normes élevées pour limiter la concurrence (UE). * Exiger l'ouverture des marchés à des aliments interdits ou indésirables (États-Unis). * Créer des comités bilatéraux pour continuer à définir les politiques, à l’abri de la curiosité du public (les deux). * Imposer des systèmes d'agrément au niveau de chaque exploitation agricole, qui entraînent une vulnérabilité face à une prise de contrôle par les grandes entreprises (les deux). * Exiger une coopération bilatérale sur l'établissement de normes internationales, notamment l'élaboration de nouvelles normes (les deux). Les petits agriculteurs sont les perdants Une proportion de plus en plus importante des aliments achetés par les consommateurs leur est fournie par les chaînes d'approvisionnement de supermarchés et de sociétés de restauration multinationales (voir Encadré : « Le tsunami des supermarchés »). Ces sociétés exercent maintenant un pouvoir considérable pour décider où l’alimentation est produite et où elle est vendue, et elles veulent de plus en plus souvent imposer exactement la façon dont les aliments sont produits et traités. Les normes alimentaires sont devenues pour ces entreprises un moyen essentiel d'organiser les marchés mondiaux. Les normes des supermarchés pour les fruits et légumes frais nous en disent beaucoup sur l’identité des gagnants et des perdants dans l'appareil réglementaire des entreprises. Les fruits et légumes frais sont extrêmement importants pour les distributeurs, car ils amènent les consommateurs dans leurs magasins plus régulièrement et tirent l'ensemble des ventes vers le haut. Les supermarchés ont essayé de capter ce marché en offrant de faibles coûts et des assurances sur la qualité. Leur principale stratégie à ce niveau a consisté à s’approvisionner auprès de « fournisseurs privilégiés » qui peuvent fournir d'importants volumes provenant de zones de production à faible coût, assurer la traçabilité du produit jusqu’à l’exploitation agricole, et garantir qu'ils ont été cultivés selon les normes stipulées par les supermarchés. Le tsunami des supermarchés Thomas Reardon et ses collègues économistes Spencer Henson et Julio Berdegué ont suivi le développement des supermarchés dans les pays du Sud. Ils constatent que le développement des supermarchés a évolué très lentement en dehors des pays industrialisés entre les années 1950 et 1980. Durant ces années, les supermarchés sont restés confinés à la petite niche de riches consommateurs dans les grandes villes, qui pouvaient se permettre des prix plus élevés. Mais les choses ont changé « de façon brutale et spectaculaire » dans les années 1990. T. Reardon et ses collègues divisent cette période de « décollage » des supermarchés dans les pays du Sud en trois vagues. La première vague s'est produite au début des années 1990 dans une grande partie de l’Amérique du Sud, l’Asie de l’Est (en dehors de la Chine et du Japon), le nord de l’Europe centrale et l’Afrique du Sud. Dans ces pays, les supermarchés sont vite passés d’une part de 10 % du marché global de la distribution alimentaire à une part de 50 à 60 %. Au Brésil, le chiffre actuel est de 70 %, et en Argentine Carrefour dispose à lui seul d’une part de de marché de 5 %. La deuxième vague a commencé dans le milieu des années 1990, en Amérique centrale, au Mexique, dans une grande partie du Sud-Est asiatique et dans le sud de l'Europe centrale. Dans ces pays, la part du marché de la distribution alimentaire correspondant aux supermarchés est passée de 5-10 % en 1990 à 30-50 % au début des années 2000. Aujourd'hui, un tiers des sommes dépensées pour l’alimentation au Mexique va à Walmart. La troisième vague a commencé à la fin des années 1990 et au début des années 2000 dans certains pays d’Afrique, comme le Kenya, en Amérique latine, avec par exemple le Pérou et la Bolivie, et en Asie, avec le Vietnam, la Chine, l'Inde et la Russie. Cette troisième vague est maintenant en plein essor, et les multinationales affluent dans ces pays aux côtés des concurrents nationaux. Même en Afrique, l'expansion des supermarchés décolle en flèche, sous l’impulsion d’entreprises basées en Afrique comme Nakumatt et Shoprite. Les multinationales commencent elles aussi à s’installer. En décembre 2010, Walmart a fait une offre pour acheter 51 % du distributeur sud-africain Massmart, l’un des plus grands distributeurs de produits grand public de la région, avec quelques 290 magasins répartis dans 13 pays en Afrique. La transaction est vivement contestée par les syndicats en Afrique du Sud et doit encore être approuvée par les autorités du pays. Dans l'ensemble, l'expansion des supermarchés est en train de se faire cinq fois plus vite dans les pays en développement que ce qui s’est produit aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Comment expliquer ce soudain décollage ? T. Reardon et ses collègues affirment que le principal facteur a été la libéralisation de la politique des investissements étrangers dans les années 1990, qui a ouvert la porte à des investissements de grands distributeurs étrangers. Ils soulignent également la stratégie de « procédures accélérées » pour les supermarchés qui permet de créer des « conditions favorables » à leur expansion, principalement par la création de systèmes d’approvisionnement standardisés, directs, qui permettent de tirer les prix vers le bas. Selon eux, les politiques municipales favorables aux supermarchés ont également joué un rôle important. i i Thomas Reardon, Spencer Hensen et Julio Berdegué, « 'Proactive fast-tracking' diffusion of supermarkets in developing countries: Implications for market institutions and trade », Journal of Economic Geography, Vol. 7, No. 4, 2007. Aujourd'hui, les grands distributeurs alimentaires, tels que Tesco, Walmart, Carrefour ou Lotte, se concentrent sur le développement de leurs activités dans le Sud, où les marchés sont en progression. L’Inde, la Chine, le Brésil et l'Indonésie sont parmi les premières cibles. Dans ces pays en développement et d’autres encore, cependant, les marchés des fruits et des légumes sont encore dominés par des chaînes d'approvisionnement informelles, qu’il s’agisse de paysans de petites coopératives, de grossistes locaux ou de vendeurs ambulants. Par conséquent les supermarchés imposent leurs propres modèles d’achat, en utilisant un ensemble commun de normes comme base de restructuration. Ils doivent aussi faire face à la concurrence des élites locales et régionales, comme la chaîne Matahari en Indonésie, ou Big C en Thaïlande. Ces chaînes d'approvisionnement mondiales sont organisées d’après le schéma de base suivant. Au sommet se trouve la grande distribution, le mot « grand » étant ici un euphémisme. Walmart, le plus grand distributeur alimentaire de la planète, encaisse des ventes alimentaires annuelles de 405 milliards de dollars, soit plus que le PIB annuel de l'Autriche, de la Norvège, de l'Arabie saoudite, de l'Iran, de la Grèce, du Venezuela, du Danemark ou de l'Argentine. Les ventes combinées de produits alimentaires des quatre plus grands distributeurs alimentaires mondiaux (Wal-Mart, Carrefour, Metro et Tesco) atteignent 705 milliards de dollars. C'est un chiffre d'affaires supérieur à la production annuelle de la Turquie ou de la Suisse. Leur taille et leur pouvoir d'achat leur donnent un formidable moyen de pression sur l'ensemble du système alimentaire mondial : ils sont en mesure de dicter leurs conditions à tous leurs fournisseurs, depuis les agriculteurs jusqu’aux transformateurs de produits alimentaires. 32 Ils travaillent ensemble, avec la participation des plus grandes entreprises alimentaires et des entreprises agro-industrielles, à élaborer des normes communes pour les aliments (depuis l'agriculture jusqu’à l'emballage) que leurs fournisseurs doivent respecter. GlobalGAP donne un exemple de cette situation. Dans le contexte d’un régime de politiques de sécurité alimentaire mondiale marqué en grande partie par le laissez-faire (ou du moins une complaisance vis-à-vis de l'industrie), ces normes sont en train de devenir la structure de sécurité sanitaire alimentaire implicite pour la majeure partie du monde. Et pour souligner un point essentiel, ces entreprises gigantesques sont responsables devant leurs actionnaires, et dans une faible mesure vis-à-vis de leurs clients, mais devant personne d'autre. Au-dessous des supermarchés géants se trouvent les fournisseurs. Ce sont des grandes entreprises qui achètent et livrent à partir du monde entier, et de plus en plus à partir de leurs propres exploitations agricoles ou des programmes de production sous contrat qu'ils gèrent. Puis il y a les producteurs. De plus en plus, la production est centralisée dans des « pôles » ou des « zones » où la production de fruits ou de légumes spécifiques est bon marché et organisée selon les normes dictées par les supermarchés. Quelques exemples bien connus sont les raisins du Chili, les haricots verts au Kenya et les pommes en Chine. Beaucoup a été dit sur la façon dont les pays peuvent se positionner pour profiter de cette expansion mondiale des supermarchés. Pour accéder aux linéaires des supermarchés, les gouvernements locaux et les bailleurs de fonds consacrent des ressources considérables à essayer de renforcer les capacités de production dans les pays pauvres. La croissance des supermarchés est même présentée comme une « opportunité » pour les petits agriculteurs. La réalité est tout autre (voir l'Encadré : « Walmart en Amérique centrale »). Tout d'abord, les grands distributeurs étrangers qui s’installent dans les pays du Sud sont en concurrence directe avec les marchés locaux et traditionnels. Au fur et à mesure qu’ils se développent, ils envahissent l'espace des petits vendeurs, négociants et marchés de producteurs, qui sont desservis principalement par des petits producteurs et vendeurs. Les pays en développement ne sont pas simplement des sites pour la production à l'exportation destinée aux chaînes d'approvisionnement des supermarchés de l’Occident. Ils deviennent de plus en plus souvent également les consommateurs de ces marchés (voir l’Encadré : « Le tsunami des supermarchés »). Deuxièmement, les supermarchés ont accès à des réseaux d'approvisionnement mondiaux par le biais desquels ils peuvent accéder à des fruits et légumes bon marché et pousser à la baisse des prix. Si les oranges locales sont trop coûteuses pour ses magasins indonésiens, Carrefour peut faire venir des oranges de ses fournisseurs au Pakistan ou en Chine. Pas moins de 70 à 80 % des fruits vendus dans les supermarchés en Indonésie sont importés, principalement de pôles régionaux d'approvisionnement des supermarchés en Thaïlande et en Chine. 33 Troisièmement, les fournisseurs qui desservent les supermarchés, et les normes qu'ils doivent respecter, ne laissent aucune place à l’agriculture traditionnelle (voir Encadré : « Le piège des bonnes pratiques agricoles »). La seule opportunité pour un petit producteur qui veut vendre aux supermarchés est d’avoir un contrat de production étroitement contrôlé dans lequel le grand distributeur dicte tout, depuis les semences jusqu’aux pesticides utilisés. Ces systèmes d'agriculture contractuelle affaiblissent la biodiversité et les systèmes et cultures alimentaires locales. Mais même cette option n'est généralement pas possible, dans la mesure où le respect de ces normes est généralement trop coûteux et inapplicable pour les petits producteurs. Ainsi, une proportion de plus en plus importante de l'agriculture réelle est réalisée et gérée par les « fournisseurs privilégiés » eux-mêmes, avec une forte intervention des supermarchés (voir Encadré : « Les agriculteurs ougandais sur la touche »). Bien sûr, de nombreux supermarchés et chaînes d'approvisionnement de différents pays – qu’il s’agisse de ShopRite en Afrique du Sud ou de DMA au Brésil – mettent aussi en œuvre ce modèle. Et si certains vont sûrement se développer et devenir des géants régionaux, ils sont des proies faciles pour un rachat par leurs cousins du Nord. Le producteur américain Fresh Del Monte est l’un de ces « fournisseurs privilégiés » de fruits et légumes frais des chaînes mondiales de supermarchés. Selon le PDG de la société, Mohammad Abu-Ghazaleh, « aujourd'hui, les distributeurs sont plus enclins à travailler avec quelqu'un qui peut leur garantir que leur produit provient de sa propre exploitation agricole, a été conditionné dans sa propre usine, l'expédition étant sous son contrôle, tout comme la livraison à son client. » Sa société produit 39 % de ses bananes, 84 % de ses ananas et 81 % de ses melons sur ses propres plantations, principalement en Amérique centrale, et dirige une entreprise verticalement intégrée de volailles en Jordanie, qui approvisionne des grands distributeurs et des sociétés multinationales au Moyen Orient. En 2009, 13 % de ses ventes totales ont été conclues avec Walmart. Le Pérou est présenté comme un succès pour ce qui est des canaux d’approvisionnement des supermarchés. Il a été poussé dans cette voie il y a 20 ans, dans le cadre de ce qu’on a appelé « la guerre contre la drogue » de Washington. Depuis lors, les exportations d'asperges vers l'UE et l'Amérique du Nord ont décollé. Mais l'agriculture locale en a été radicalement transformée. Les asperges étaient ordinairement produites par des petits producteurs alors que ces derniers représentent aujourd'hui moins de 10 % de la production du pays, qui est maintenant dominée par de grandes entreprises tournées vers l'exportation. Deux sociétés (Del Monte et Green Giant, toutes deux américaines) contrôlent aujourd'hui à elles seules un quart des exportations d'asperges du Pérou. 34 En 2000, le Ghana a essayé un programme similaire, mais en mettant l’accent sur la production d'ananas pour les supermarchés européens. Au cours des quatre premières années, les exportations d'ananas vers l'Europe ont fait un bond, passant d'environ 20 000 tonnes à environ 50 000 tonnes, et une grande partie a été fournie par de petits agriculteurs et des commerçants ghanéens de taille moyenne. 35 Mais en 2005, le marché du Ghana s’est écroulé. Sans avertissement, les distributeurs européens, sensibles au lobby de Del Monte, ont décidé unilatéralement de commencer à acheter seulement la variété d'ananas MD2 et de ne plus accepter la variété Sweet Cayenne produite au Ghana. Ils ont également commencé à exiger la certification EurepGAP de leurs fournisseurs, en particulier sur les résidus de pesticides. Ce changement soudain a constitué une charge trop importante pour les producteurs et les exportateurs d'ananas du Ghana. La certification EurepGAP et la variété MD2 étaient hors de leur portée, en raison du coût élevé des jeunes plants et de la logistique supplémentaire requise. Ils ont été forcés de mettre la clef sous la porte, et les sociétés multinationales se sont installées. En 2004, il y avait 65 exportateurs d'ananas au Ghana. Aujourd'hui, deux sociétés contrôlent à elles seules près de 100% des exportations d'ananas du Ghana : l’américain Dole, qui s’approvisionne principalement auprès de ses propres exploitations, et le suisse HPW, qui achète chez trois grands producteurs. 36 Au Vietnam, les petits producteurs et les entreprises de pisciculture qui tentent de surfer sur la vague de popularité du Tra – ou poisson-chat, son nom commercial, (comme aliment familial à bas prix) en Europe et en Amérique du Nord - ont dû surmonter un certain nombre d'obstacles. Aux États-Unis, une grosse campagne menée par les producteurs nationaux de poissons-chats, qui ne peuvent pas rivaliser avec le bas prix du Tra, cherche à donner du poisson vietnamien une image « répugnante ». En Europe, le World Wild Fund for Nature (WWF) a mis le Tra sur sa « liste rouge » des produits que les consommateurs avertis devraient éviter. Le boom de l’élevage intensif du Tra sur ces nouveaux marchés lucratifs à l'exportation a en effet attiré les pratiques et les personnes les moins recommandables. Mais pour être juste, un certain nombre d'entreprises ont essayé de respecter les normes mondiales. Le problème réside, précisément, dans ces normes. Un pisciculteur de Tra, Nguyen Huu Nghia, l’appelle amèrement un « labyrinthe ». 37 On lui a demandé ainsi qu’à d’autres petits pisciculteurs, de respecter les normes Safe Quality Food (SQF), qui sont gérées par une équipe de certification privée aux États-Unis. Puis on leur a dit d’appliquer ce qu'on appelle la norme SQF-1000. Ensuite, on leur a recommandé l'adoption des normes GlobalGAP. Et maintenant, pour se débarrasser de la mauvaise réputation que les poissons vietnamiens ont acquise du fait du WWF, on leur demande de se conformer aux critères du WWF au travers du Conseil de gestion de l’aquaculture (Aquatic Stewardship Council - ASC). Si tous les producteurs de Tra suivaient, par exemple, les normes GlobalGAP et ASC pour un produit ultra-propre et sans danger pour la consommation internationale, il en coûterait aux Vietnamiens pas moins de 22 millions de dollars par an ! 38 Outre le nombre ahurissant de normes privées que personne ne peut vraiment garantir, qui peut se le permettre et quel en est l’objectif ? (Voir Encadré : « Le pièce des bonnes pratiques agricoles »). Les plus gros producteurs paieront les frais supplémentaires pour obtenir l’approbation de GlobalGAP car, pour eux, c’est le prix nécessaire pour un accès privilégié aux empires en expansion que se construisent les supermarchés. Comme le dit un exportateur kenyan, « J'ai tendance à être particulièrement positif à ce sujet [la certification]. Cela peut sembler un peu cynique, mais c'est une barrière à l'entrée sur le marché. Plus il y a de normes, moins nous aurons de concurrence. » 39 Tant pis pour les petits producteurs du Kenya. Plus de la moitié d'entre eux ont été abandonnés immédiatement après que les supermarchés ont commencé à exiger le respect de leurs normes GAP. 40 Il convient de souligner que cette concentration n’intervient pas seulement au niveau des exportations. Comme les supermarchés s’emparent de plus grandes parts des marchés alimentaires dans le Sud, la distinction entre les marchés d'exportation et les marchés intérieurs disparaît, les mêmes normes étant appliquées pour les deux. Cela laisse aux petits agriculteurs et à la biodiversité qu'ils entretiennent un espace qui se réduit en peau de chagrin pour survivre. Walmart en Amérique centrale Les marchés traditionnels sont en train de disparaître rapidement en Amérique centrale. Déjà plus d’un quart des quetzals servant aux Guatémaltèques pour leur alimentation sont dépensés dans un supermarché appartenant à Walmart, et c’est le cas d’un tiers des colones pour les Costaricains. Et pourtant, presque tous les produits horticoles achetés dans la région par les opérations de Walmart en Amérique centrale proviennent de sa propre filiale, Hortifruti, qui s’approvisionne auprès de quelque 1800 agriculteurs. Au Honduras, Hortifruti se fournit auprès de 395 producteurs horticoles sur un total de 18 000 dans le pays, et la plupart des produits proviennent d’un groupe de 45 producteurs préférés, qui ont au moins 4 ha en irrigation au goutte à goutte et disposent de leurs propres camions, tous formés par Bayer aux « bonnes pratiques agricoles ». i En outre, la moitié des produits vendus par les magasins Walmart en Amérique centrale sont importés, en grande partie de grandes exploitations au Chili. ii i Pour en savoir plus sur Hortifruti, voir Madelon Meijer, Ivan Rodriguez, Mark Lundy et Jon Hellin, « Supermarkets and small farmers: the case of Fresh Vegetables in Honduras », dans E.B. McCullough et al., The Transformation of Agri-Food Systems, Earthscan, 2008; Alvarado et Charmel, « The Rapid Rise of Supermarkets in Costa Rica », 2002; Berdegué et al., « The Rise of Supermarkets in Central America », 2003. ii Thomas Reardon, Spencer Hensen et Julio Berdegué, « ‘Proactive fast-tracking' diffusion of supermarkets in developing countries : Implications for market institutions and trade », Journal of Economic Geography, Vol. 7, N°. 4, 2007. Privatisation de la sécurité sanitaire des aliments dans les pays du Sud En Chine, où les supermarchés se développent à un rythme effréné, cette évolution se fait durement sentir. Les grandes chaînes de supermarchés, à la fois nationales et étrangères, travaillent main dans la main avec les fournisseurs et les gouvernements locaux au développement d’exploitations agricoles pour fournir les fruits et légumes. Dans le cadre d'une campagne visant à améliorer la sécurité des aliments et intégrer ses 700 millions de petits agriculteurs dans des « filières alimentaires à haute valeur ajoutée » avec « des méthodes agronomiques scientifiques », le gouvernement chinois poursuit la mise en place d’une base pour la production de fruits et légumes en partenariat avec le secteur privé. Dans chacune de ces zones affectées à la production, les autorités locales négocient des accords avec des entreprises privées qui permettent à la société de s’installer, de louer des terrains auprès des agriculteurs qui les occupent actuellement ou d’en acquérir les droits d'utilisation, et de mettre alors en place une production à grande échelle, en embauchant les agriculteurs évincés comme travailleurs agricoles ou dans le cadre d’accords de production. Hong Kong Yue Teng investissement est l'une de ces sociétés. Au cours de ces dernières années, elle est devenue un grand producteur de légumes dans la province du Guizhou, où elle dispose de deux zones de production à grande échelle qui fournissent en légumes les magasins Walmart dans le sud de la Chine. Le fournisseur privilégié de Walmart pour les fruits est la Xingyeyuan Company, qui possède plusieurs milliers d'hectares de vergers au nord de la ville de Dalian. Pour les œufs, Walmart traite avec Dalian Hongjia, un énorme complexe agro-industriel avec 470 000 poules pondeuses et une capacité de production annuelle de 7 400 tonnes d'œufs frais. Walmart utilise 56 entreprises de ce type pour « l’achat direct » dans 18 provinces et villes de Chine, qui couvrent au total au moins 33 000 ha de terres agricoles. Il appelle son réseau « Programme d’achat direct à la ferme » (« Direct Farm Program ») et affirme que, d'ici à 2011, ces dispositifs apporteront des bénéfices à un million d'agriculteurs. Bien sûr, Walmart ne traite pas directement avec les agriculteurs, mais avec des entreprises qui embauchent et gèrent les agriculteurs pour leurs activités à grande échelle. Les initiatives de Walmart dans le domaine de l'agriculture font partie de sa stratégie globale pour s’approvisionner plus directement et réduire les coûts de sa chaîne d'approvisionnement. Les entreprises qui fournissent Walmart doivent veiller à ce que la production se déroule en stricte conformité avec les demandes du grand distributeur et celui-ci gère des programmes de formation pour montrer aux entreprises et aux agriculteurs qui travaillent pour lui les méthodes agronomiques qu’il exige. « En tant que multinationale très consciente de sa responsabilité sociale au niveau local, nous avons aidé les agriculteurs à mieux s'adapter aux conditions du marché, nous les avons encouragés à choisir des méthodes de production standardisées et à plus grande échelle, et nous avons donné des consignes sur les moyens de préserver l'environnement dans les activités de production à travers des programmes d’agriculture durable », explique Ed Chan, PDG de Walmart Chine. 41 Chongqing Cikang Vegetables and Fruits, qui gère les activités Walmart Direct Farm dans la province de Chongqing, affirme que son processus de production est entièrement contrôlé par des inspecteurs extérieurs agréés par Wal-Mart, depuis la sélection des variétés jusqu’à la récolte et au stockage. Il en va de même pour les entreprises chinoises qui fournissent Carrefour, qui gère son propre programme d’achat direct à la ferme, appelé Carrefour Quality Line, ou pour le distributeur national Wumart, qui a un programme d’achat direct à la ferme dans la province de Shandong. 42 Qu'est-ce que ces entreprises entendent par « agriculture durable » ? En ce qui concerne Walmart, du moins ses programmes d’achats directs à la ferme en Inde et au Honduras, cette tâche a été confiée à l'un des plus grands producteurs mondiaux de pesticides et de semences OGM, l’Allemand Bayer CropScience (voir Encadré : « Adieu la biodiversité »). Au Honduras, Bayer, par le biais de son programme de « Partenariat de filière alimentaire », forme 700 producteurs qui assurent à Walmart « des pratiques agricoles responsables ». En Inde, la société exploite 80 de ces projets de Partenariat de filière alimentaire avec Walmart et d’autres distributeurs, qui couvrent une superficie de 28 000 ha. Les agriculteurs participants doivent utiliser un « passeport » Bayer pour garder une trace de leurs pratiques. 43 Bayer affirme qu'il dispose de 250 projets de partenariat de filière alimentaire à travers le monde. En Colombie, il travaille avec Carrefour, tandis qu'au Mexique il a un partenariat direct avec l'autorité de certification nationale, Calidad Suprema, une « association civile sans but lucratif » qui aide le gouvernement mexicain à « renforcer la compétitivité de la campagne » et la « promotion de la marque déposée México Calidad Suprema », qui est la propriété du gouvernement. 44 Bayer forme les représentants de Calidad Suprema aux bonnes pratiques agricoles à l'aide de son outil BAYGAP, et les deux parties effectuent en commun des visites d’exploitations. 45 Pour ne pas être en reste, Syngenta, le deuxième producteur mondial de pesticides, a son propre programme de filière alimentaire, appelé « Fresh Trace », qu'il met en place en Thaïlande, et les deux entreprises sont des membres actifs de GlobalGAP. Dans la mesure où l'industrie des pesticides est si intimement impliquée dans l’élaboration et la mise en œuvre des normes des supermarchés, il n'est guère surprenant que la contamination par les pesticides reste aussi fréquente dans les fruits et légumes des supermarchés. Des tests effectués par Greenpeace en Chine en 2008 et 2009 sur des fruits et légumes de consommation courante ont fait apparaître une pollution par les pesticides beaucoup plus grave pour les échantillons recueillis chez Walmart et les autres grands supermarchés que pour ceux recueillis sur les marchés flottants. 46 Le piège des bonnes pratiques agricoles En 2002, les États-Unis ont fermé leur frontière aux importations de melons cantaloup provenant du Mexique après la détection de plusieurs cas de salmonellose qui ont été attribués à la consommation de ces fruits mexicains. i Un an plus tard, en vertu d'un accord élaboré entre les autorités américaines et mexicaines, l'interdiction a été levée pour les cantaloups qui faisaient la preuve de leur conformité au « Programme d’exigences de reconnaissance fédérale pour la production, la récolte, le conditionnement, la transformation et le transport des melons cantaloup ». Mais avec la mise en œuvre de ce programme de bonnes pratiques agricoles (GAP), basé sur des normes établies par les distributeurs américains, peu de cultivateurs mexicains ont pu revenir sur le marché. En application des exigences des GAP, les exploitations doivent disposer de toilettes portables qui seront utilisées pendant la plantation et la récolte. Une enquête auprès des petits producteurs dans l'un des plus importants états producteurs de melon cantaloup a révélé que 94 % n'ont pas de toilettes à proximité, et que pour la plupart elles étaient situées à plus d’une demi-heure de distance des champs. Les normes GAP exigent aussi la réalisation d’analyses périodiques de l’eau qui prennent en compte des numérations microbiennes. Mais 88 % des producteurs interrogés ont déclaré avoir utilisé de l'eau des rivières, une situation où il est difficile de maintenir la qualité de l'eau. En fin de compte, seules deux grandes exploitations dans l'État où l'enquête a été réalisée ont pu à nouveau accéder au marché américain. Maintenant, tout comme d'autres producteurs mexicains, ils doivent se conformer aux rigoureuses normes GAP, comme des analyses régulières du sol et de l’eau, la tenue de registres sur l'utilisation des terres, l’installation de clôtures autour des zones de plantation et l'utilisation d'eau d'un puits qui est contrôlée chaque mois pendant la production pour établir le niveau de contamination microbienne. Ils ont également investi dans des installations d'osmose inverse pour garantir la qualité de l'eau, et disposent de toilettes sur l’exploitation avec de l’eau courante, des lavabos, du savon et du papier. De plus, ils doivent payer une certification réalisée par vérificateur indépendant, dont le prix s’élève en moyenne à 3 000 dollars par exploitation. Les États-Unis n’imposent pas ce type d’obligations à leurs propres producteurs de melons. Mais en tout cas, l'efficacité du programme mexicain est discutable. De fin 2006 à début 2007, la FDA américaine a émis six rappels de cantaloups, dont quatre concernaient des melons cultivés au Mexique dans des exploitations approuvées par la FDA. ii À cette date, seuls neuf producteurs au Mexique ont réussi à obtenir l'autorisation d'exportation vers les États-Unis. iii On trouve de nombreuses histoires similaires à travers le monde. Un récent rapport de la FAO et de l’OMS met en avant des données qui indiquent que le coût réel par exploitation de la certification de petites exploitations pour le programme GlobalGAP est de plus de 1 200 €, ce qui amène les auteurs à conclure : « Le bilan, du point de vue des petits exploitants, c’est que le GlobalGAP n’est pas rentable. » iv i Ce cas mexicain peut être consulté dans Clare Narrod, Devesh Roy, Belem Avendano et Julias Okello, « Impact of International Food Safety Standards on Smallholders: Evidence from Three Cases », dans E.B. McCullough et al., The Transformation of Agri-Food Systems, Earthscan, 2008. ii Julie Schmit, « US food imports outrun FDA resources », USA Today, 18 mars 2007, http://www.usatoday.com/money/industries/food/2007-03-18-food-safety-usat_N.htm iii « Timco issues voluntary cantaloupe recall », The Packer, 20 novembre 2006, http://thepacker.com/Timco-issues-voluntary-cantaloupe-recall/Article.aspx?oid=268606&fid=PACKER-TOP-STORIES iv Spencer Henson et John Humphrey, « The Impacts of Private Food Safety Standards on the Food Chain and on Public Standard-Setting Processes », document préparé pour la FAO/l’OMS, mai 2009. La résistance des populations à la sécurité sanitaire alimentaire prônée par les entreprises Ces dernières années, on a pu assister à l’émergence d’incroyables luttes sociales et à des initiatives très intéressantes pour lutter contre ce détournement dans l’élaboration des politiques et les pratiques de sécurité sanitaire des aliments par les entreprises. Certaines d'entre elles ont été déclenchées par la restructuration du commerce international des denrées alimentaires, telles que la résistance à la viande bovine américaine menée par des mouvements de citoyens à Taiwan, en Australie, au Japon ou en Corée du Sud. D'autres actions ont vu le jour en réaction à des catastrophes sanitaires nationales, comme l’action citoyenne en Chine après la tragédie du lait à la mélamine. De temps à autre, tous les pays sont secoués par des épidémies d’intoxications alimentaires de courte durée. Mais nous assistons de plus en plus souvent à une remise en cause plus structurelle et politique du système alimentaire industriel, du développement capitaliste. Il s’agit de savoir qui décide quoi, parce que la santé et les moyens de subsistance des populations sont directement touchés. Les luttes autour de l’ESB et des OGM constituent de bons exemples. À de nombreuses reprises, les mouvements sociaux se sont organisés pour empêcher l’entrée de ces produits dans leur pays, non pas tant en raison des problèmes de sécurité pour la santé ou l’alimentation en eux-mêmes, mais en raison des orientations sociales et économiques générales que représentent ces symboles de l'agriculture industrielle, du pouvoir des entreprises ou de l'impérialisme occidental. La résistance du peuple coréen au bœuf américain est devenue l'expression, non pas d’une peur irrationnelle des prions, mais en réalité d'une profonde méfiance par rapport au système de démocratie représentative en Corée du Sud, y compris au niveau des relations du pays avec les États-Unis. 47 En Australie, la campagne a plus porté sur le maintien de l’alimentation australienne dans le giron de l’Australie, une préoccupation que partagent de nombreux peuples à travers le monde en matière de gouvernance et de contrôle de l'approvisionnement alimentaire de leur propre pays. Quant aux luttes anti-OGM, elles sont aussi diversifiées que les campagnes contre le bœuf américain, mais elles ont également porté sur des questions profondes liées à la démocratie, la survie des cultures locales et des systèmes alimentaires face aux assauts des « solutions » occidentales, sur le maintien au sein des communautés des semences et des connaissances et la remise en cause de l’ensemble des modèles de développement. À un niveau plus profond, les gens s'organisent pour se libérer des coûts sanitaires, environnementaux et sociaux du système alimentaire industriel en pleine expansion. Les mouvements et les campagnes en faveur des aliments biologiques ou de l’achat local, en d'autres termes l’achat de denrées alimentaires produites à proximité et le boycott des produits provenant de très loin, se sont diffusés dans de nombreux pays. L'augmentation alarmante de l'obésité, du diabète de type 2, des cancers et d’autres maladies qui sont directement liées à une mauvaise alimentation incite de nombreuses personnes à changer leurs modes de vie et à travailler avec d'autres pour promouvoir des aliments et des approches agricoles plus saines. Des campagnes et des actions spécifiques visant à empêcher la diabolisation et la destruction des alternatives locales à un système d'alimentation trop aseptisé, comme les marchands ambulants, les aliments crus ou le bétail élevé de façon traditionnelle, gagnent également en popularité. Vía Campesina, le mouvement mondial de défense des droits des paysans et des petits producteurs, a lancé une campagne pour introduire le concept de souveraineté alimentaire : le « droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite par des méthodes écologiquement rigoureuses et durables, et leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles ». 48 Suivant l'exemple de la Vía Campesina, plusieurs comtés de l'État américain du Maine ont récemment déclaré leur « indépendance alimentaire ». 49 La sécurité alimentaire et des aspects plus globaux de la qualité des aliments sont clairement au centre de ces processus. Adieu à la biodiversité L’un des projets du Partenariat de filière alimentaire de Bayer en Inde se fait en lien avec le géant des supermarchés indiens ABRL pour la fourniture de gombo de taille standardisée. Une vidéo promotionnelle de Bayer relate l'expérience d'un agriculteur qui est censé avoir participé au projet Bayer : Dans le temps, nous cultivions notre propre alimentation ici dans de petits champs. Maintenant, sur une superficie d'environ 2,4 ha, je cultive le gombo. Nous, les agriculteurs, apprenons auprès des professionnels comment avoir des cultures durables conformes aux bonnes pratiques agricoles. ... Cela couvre l'utilisation contrôlée et écologique de produits phytosanitaires de pointe issus de la recherche Bayer CropSciences... Ces connaissances sont positives, pas seulement pour mon portefeuille mais aussi pour l’environnement... Avant, je ne cultivais que des variétés locales de gombo. Mais les experts du Partenariat de la filière alimentaire de Bayer CropScience India m’ont convaincu de cultiver la variété Sonal dans mes champs. Cette nouvelle variété de gombo de Nunhems est précisément adaptée aux conditions régionales et aux normes de plus en plus strictes des grands distributeurs alimentaires nationaux. Chaque étape de la culture et toutes les mesures de protection phytosanitaire sont enregistrées en détail dans mon passeport Bayer. Cela sert de preuve pour les distributeurs alimentaires et leur démontre que j’ai cultivé mes légumes correctement. i i Voir la vidéo à l’adresse http://www.youtube.com/watch?v=oVRMmYTqsCE Certes, la défense et le développement d’une agriculture paysanne et de systèmes alimentaires non industriels, en particulier dans les pays industrialisés, exigent leurs propres approches de sécurité sanitaire des aliments. Cela ne signifie pas qu’il faut travailler en dehors des institutions au sens de violer des lois ou de créer de dangereuses économies souterraines, même si certains groupes du monde des affaires tentent de dénigrer et d'éliminer les aliments crus et d'autres cultures alimentaires riches en traditions. 50 Le défi consiste à s'assurer que des systèmes de connaissances et des critères différents peuvent exister en dehors de la mainmise du monopole des supermarchés et de leurs chaînes d'approvisionnement. Comme le dit l’agriculteur français Guy Basitanelli, de La Confédération Paysanne : Pour les petites exploitations qui ont peu de personnel et fonctionnent à un niveau artisanal, la gestion des risques pour la sécurité alimentaire repose sur la formation et le contact humain direct. La gestion des équilibres microbiens, et la protection et la production d’une flore spécifique, sur la base d’un respect des pratiques traditionnelles et locales, sont la meilleure garantie de la sécurité. Vous n’arrivez pas à une sécurité par une « tolérance zéro » en matière de micro-organismes et un matériel de stérilisation qui détruit ces équilibres. 51 De nombreuses organisations de producteurs et des groupes de consommateurs, sans parler de grands mouvements comme Slow Food, sont convaincus que la diversité biologique et de la complexité écologique (par opposition à l'hygiène extrême) sont les clés de systèmes sains et stables. La nature a horreur du vide, après tout. Bien entendu, ces approches plus satisfaisantes de la sécurité sanitaire des aliments s’appuient aussi sur des circuits courts de distribution, en offrant aux populations des produits alimentaires obtenus dans des fermes ou de petites usines de transformation, par le biais de les systèmes de distribution moins complexes, plus directs (groupements d’achat, toutes sortes de systèmes d’AMAP, coopératives, etc.). Une autre grande partie de la résistance populaire à la prise de contrôle des entreprises sur la sécurité et les cultures alimentaires consiste en des campagnes, un travail d'enquête et des efforts d'éducation du public pour révéler le fonctionnement réel des supermarchés – et des chaînes d'approvisionnement qu’ils dominent quand ils ne les gèrent pas directement – en arrêtant le développement de la grande distribution et en protégeant les vendeurs de rue d’une disparition complète (voir Encadré : « Le lobby qui n'ose pas mettre son nom sur les étiquettes des aliments »). La culture antisyndicale de Walmart est bien connue dans le monde entier, grâce à des décennies d’action citoyenne qui inspirent aujourd'hui des groupes qui tentent de résister à l'entrée de Walmart sur de nouveaux marchés comme l'Inde. En fait, l'Inde a un mouvement dynamique de marchands ambulants et de vendeurs de rue qui risquent de perdre leurs moyens de subsistance si le gouvernement central permet aux distributeurs étrangers de s’installer. Ils ont l'appui d’agriculteurs, d’intellectuels et de groupes de la société civile qui font partie d'un tissu de plus en plus dense de résistance aux sociétés multinationales qui viennent prendre le contrôle de l'approvisionnement alimentaire de l'Inde. L’investigation et le travail politique sur d'autres structures d'entreprises, comme Carrefour ou Tesco, a également joué un rôle important en aidant la société civile, sans parler des législateurs, à mieux comprendre comment fonctionnent la grande distribution et les pressions qu'elle impose à la diversité biologique, aux agriculteurs et aux travailleurs du secteur alimentaire. 52 Les travailleurs de l'industrie alimentaire – cueilleurs saisonniers ou femmes et hommes participant à l'abattage ou à la transformation – jouent un rôle tout aussi central dans ce qu’est la sécurité sanitaire des aliments ou ce qu’elle devrait être. Après tout, ils sont aux avant-postes du travail, et ils sont généralement payés aussi peu que possible. Ils sont souvent confrontés à des conditions d'organisation difficiles, en particulier pour les travailleurs migrants, les enfants ou les immigrants illégaux. Quand ils réussissent à s’organiser et à obtenir le soutien d’autres groupes, leur capacité à obtenir des changements peuvent être énormes. La lutte des travailleurs agricoles migrants d’Immokalee, en Floride, par exemple, a été phénoménale. Outre qu’elle a obtenu des hausses de salaires pour les cueilleurs de tomates, la Coalition des travailleurs d’Immokalee a permis de démontrer que le système alimentaire industriel, qui a été mis en place pour fournir de la nourriture bon marché, est en fait le problème – social, environnemental et en termes de sécurité et de santé. 53 Il y a aujourd’hui une dynamique importante aux États-Unis pour changer la manière dont les aliments sont produits, notamment les normes de sécurité alimentaire, en réactivant l'utilisation de la législation anti-trust. Elle peut se révéler une bonne façon de briser le système alimentaire industriel et de rendre le pouvoir aux petits agriculteurs, aux transformateurs locaux, aux marchés régionaux, et à d'autres structures plus démocratiques. Les agriculteurs ougandais sur la touche En 2000, des investisseurs islandais ont créé une entreprise en Ouganda appelée Icemark Africa, pour assurer des opérations logistiques vers des marchés européens pour les exportations de poisson frais, avec une activité parallèle complémentaire pour les exportations de fruits et de légumes. Icemark est maintenant le plus grand exportateur de fruits et légumes frais en provenance d'Ouganda, avec trois vols par semaine assurant l’exportation des produits vers l’Europe. Il y a encore quelques années, 90 % des produits Icemark étaient achetés auprès de petits producteurs indépendants. Mais ensuite la société a commencé à créer ses propres exploitations agricoles, dans lesquelles la certification GlobalGAP est plus facile à obtenir. Elle achète maintenant 40 % de ses produits auprès de ses trois propres exploitations disposant de 270 ha dans le centre de l’Ouganda. i i Thomas Pere, « Mashamba: the identity of quality fruits, vegetables », The New Vision, http://www.enteruganda.com/brochures/manifesto_7.html Le lobby qui n'ose pas mettre son nom sur les étiquettes Les intérêts des grandes entreprises peuvent parfois échapper à l’attention du public pendant que gouvernements et législateurs marchandent ce qui semble être une politique publique. Prenons par exemple la lutte sur l’étiquetage alimentaire dans l’UE : la mondialisation dictée par les grandes entreprises et les changements de modes de vie entraînés par l'urbanisation et les nouvelles technologies sont en train de créer un nouvel ensemble de problèmes de santé liés à l'alimentation, en particulier l'obésité et le diabète de l'adulte. Ces problèmes ne sont pas limités à notre riche société occidentale ; ils progressent dans toutes les régions du monde, notamment en Chine et en Afrique, qui connaissent une évolution rapide. Ces maladies sont non seulement pénibles et handicapantes pour les familles affectées, mais elles entraînent aussi des coûts énormes pour la société. Dans le cadre des efforts de l’UE visant à s’attaquer à ces problèmes de santé croissants et à leurs causes en Europe, la difficile tâche de l’harmonisation des étiquettes alimentaires pour informer les consommateurs sur ce qu’ils achètent s’est naturellement présentée. En 2010, on a pu assister à une guerre entre deux options : d'un côté, une étiquette avec un graphisme de type « feux de signalisation » pour montrer sur les emballages de produits alimentaires ou les menus des restaurants les teneurs de certains ingrédients représentant un risque potentiel (graisses, graisses saturées, sucre et sel) contenus dans un article ; d’autre part, une liste écrite rigoureuse des ingrédients avec un calcul de la ration quotidienne consommée par portion. Le feu tricolore est utilisé dans divers pays européens, tels que le Royaume-Uni, et il est extrêmement direct et favorable aux consommateurs. La liste des rations s’est avérée peu compréhensible pour la plupart des consommateurs (la question de savoir à quoi correspond une portion peut être très trompeuse) et pour cette raison, elle a la préférence de l’industrie. Selon le travail d'investigation mené par Corporate Europe Observatory, une organisation de la société civile, l’industrie de l’alimentation et des boissons dans l’UE – le troisième secteur économique de l'Union, après l'agriculture et les produits chimiques - a dépensé pas moins de 1 milliard d’euros pour faire échouer l’étiquetage « feux tricolores » et maintenir les consommateurs dans l’ignorance. Ceci a constitué l'exercice de lobbying le plus coûteux de toute l'histoire de l'UE. i i Voir CEO, « A red light for consumer information », Bruxelles, 11 juin 2010, http://www.corporateeurope.org/lobbycracy/content/2010/06/red-light-consumer-information Dans la mesure où les décisions de l’UE sont maintenant prises dans le cadre du Traité de Lisbonne, un groupe allemand appelé Foodwatch (http://www.foodwatch.de) propose de lancer une initiative citoyenne qui, si elle obtient le nombre de signatures requis, pourrait obliger la Commission européenne à revoir la question de l’étiquetage alimentaire en raison des préoccupations de citoyens ordinaires. Bien sûr, l'obligation pour la Commission consiste seulement à en prendre note et à examiner le document, pas vraiment à changer quelque chose, mais certains groupes pourraient profiter de cette dynamique pour faire un travail de sensibilisation sur le contrôle exercé par les grandes entreprises sur le système alimentaire européen et montrer comment cela affecte directement la santé et la qualité de vie des gens. Conclusion Dans la plupart des pays du monde, les secteurs agricoles sont rapidement restructurés pour laisser la place à un secteur agro-industriel en expansion. Les normes de sécurité sanitaire des aliments jouant un rôle essentiel dans la justification de nouvelles formes de contrôle des entreprises, il est grand temps de réévaluer ce que signifie la sécurité alimentaire. À l'heure actuelle, elle se traduit par une « culture d'audit », qui s’accompagne d’un transfert de pouvoir des populations (les consommateurs, les petits agriculteurs, les magasins d’alimentation, les marchés, les restaurants) vers le secteur privé (Cargill, Nestlé, Unilever, Walmart ... la liste est longue). Elle peut au contraire consister en un contrôle local et des systèmes agricoles et alimentaires plus communautaires. En fait, elle peut être beaucoup plus vigoureusement et explicitement intégrée dans des campagnes et initiatives populaires sur la souveraineté alimentaire. Dans ce processus, on pourrait complètement arrêter de parler de sécurité sanitaire des aliments et affirmer à la place nos propres exigences de qualité des aliments, ou quelque chose de global du même type. La salubrité des aliments, ou la qualité des aliments en termes plus généraux, est un terrain sur lequel la grande agriculture industrielle et les cultures de supermarché ne peuvent pas surpasser les petits producteurs et les marchés locaux. Le défi est de faire en sorte que les petits acteurs locaux puissent survivre et tourner à notre profit les préoccupations qui se manifestent de plus en plus aujourd'hui vis-à-vis de la sécurité sanitaire des aliments. ANNEXE - Sécurité sanitaire des aliments : qui fait quoi ? Organisation mondiale du commerce (OMC) Dans le domaine de la sécurité sanitaire des aliments, l'OMC est responsable de la mise en œuvre de l'Accord sur les normes sanitaires et phytosanitaires (Accord SPS) et dispose d'un Comité SPS composé des États membres pour cette tâche. L'Accord SPS énonce un certain nombre de règles qui visent à limiter le blocage des échanges agricoles dus à des problèmes de sécurité sanitaire des aliments, qu'il considère comme un obstacle au commerce. Une de ces règles est que les pays doivent utiliser les normes adoptées par les organisations intergouvernementales spécialisées, telles que l'OIE pour la santé animale et le Codex Alimentarius pour les produits alimentaires. Mais ces « normes » sont, dans de nombreux cas, des recommandations ou des directives. Les pays conservent le droit de pratiquer des normes de sécurité sanitaire des aliments « supérieures » à condition qu’elles s’appuient sur des motifs « scientifiques ». Ils peuvent même suivre des normes différentes qui produisent des résultats équivalents, s’ils parviennent à s’en sortir ainsi. Après tout, n'importe qui peut prétendre que ses motifs sont scientifiques. i Ce que nous obtenons, avec tout cela, ce sont des politiques du type « la force fait la loi » (certains pays intimident les autres et se fraient leur propre chemin), avec le risque que certains gouvernements suivent tout simplement les recommandations de l’OIE ou du Codex faute de meilleure alternative (comme le souhaite l’industrie). L'Accord SPS de l’OMC a bien les moyens d’imposer ses décisions dans la mesure où tout désaccord entre les membres peut entraîner un comité de règlement des différends et des sanctions commerciales. Les États-Unis ont maintes fois utilisé cette méthode pour essayer de renverser la politique de l'UE qui interdit l'entrée du bœuf aux hormones ou des aliments OGM sur son territoire. L’un des problèmes ou l’une des faiblesses importantes de l’Accord SPS de l’OMC est le fait qu’un grand nombre de normes de sécurité sanitaire des aliments, qui ont explosé en nombre et en complexité, sont élaborées par le secteur privé, et non par les gouvernements. Et ce sont des normes volontaires, pas obligatoire. Comment placer ceci sous le contrôle de la politique commerciale ? Les pays en développement sont particulièrement réticents à la notion d'être tenus pour responsables des normes de l'industrie, en particulier dans une instance telle que l’OMC. Pourquoi le gouvernement du Kenya, par exemple, travaillerait-il à promouvoir des normes élaborées par Tesco pour les clients de Tesco ? À qui le gouvernement doit-il rendre des comptes, après tout : Aux citoyens du Kenya ou aux actionnaires de Tesco ? C'est le pétrin dans lequel les membres de l'OMC se sont mis. Tout compte fait, cela signifie qu'il y a une sorte d’impasse des SPS au niveau de l’OMC. L'Organisation peut préconiser certaines normes, mais elle ne peut pas les appliquer d'une manière totalement prévisible ou dissuasive. Elle peut servir d’instance publique où les changements de politique nationale ou les événements sont notifiés pour l’information de tout le monde, mais la plupart des décisions politiques sont en fait prises dans d'autres instances par le secteur privé et sous son influence. Codex Alimentarius Le Codex Alimentarius (Codex en abrégé) est une commission créée en 1953 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et l'Organisation mondiale de la Santé. Le Codex débat et adopte des lignes directrices, des normes et des recommandations relatives à la sécurité sanitaire des aliments, par exemple en ce qui concerne le niveau acceptable du pesticide x dans les bananes. En tant que tel, son but est d'arriver à un terrain d'entente en matière de santé et de sécurité pour les aliments. Le problème est que le Codex ne fonctionne pas de façon démocratique et transparente. Il est composé de gouvernements, mais le secteur privé participe très activement à ses travaux, que ce soit dans le cadre des délégations gouvernementales officielles ou en tant qu'observateur. Les groupes d'intérêt public à but non lucratif, de santé publique ou de consommateurs, en revanche, y sont à peine représentés. Nous pouvons dire que : * Le Codex exerce un pouvoir important, car il établit des normes officielles pour ce qui devient des aliments qui peuvent entrer dans la chaîne alimentaire commerciale en vue de parvenir à une uniformité mondiale. * En dehors des fonctionnaires, les principaux participants au Codex sont des représentants de l'industrie. * L'OMC donne au rôle du Codex un vernis de légitimité qu'il n'avait jamais eu auparavant. Un problème important discuté actuellement par le Codex est l'étiquetage des produits OGM. Un grand groupe de pays veut définir et promouvoir une approche commune pour l'étiquetage des aliments OGM. D'autres considèrent que l'étiquetage est une pratique discriminatoire (parce qu’elle distingue une tomate OGM d'une tomate non OGM !) et ne veulent pas de normes internationales à ce sujet. Dans ce qui pourrait être une évolution positive au sein du Codex, le regroupement en faveur d’un étiquetage gagne actuellement du terrain. ii Organisation mondiale de la santé animale (OIE) L'OIE joue un rôle similaire au Codex, mais pour le règne animal. Elle a été créée à Paris dans les années 1920 pour mettre un terme à une épidémie de peste bovine. Aujourd'hui, l'OIE est une institution intergouvernementale assez importante qui surveille et évalue les maladies animales (notamment celles qui affectent les humains, comme la grippe aviaire ou l’ESB) et établit des normes sanitaires pour le commerce mondial des produits d'origine animale. Comme le Codex, l'OIE s’est aussi vu attribuer par l’OMC un « vernis » d’autorité et de légitimité pour définir la politique nationale et internationale sur les questions de santé animale. Mais aussi, comme le Codex, elle est très déconnectée des gens dans la mesure où peu d'agriculteurs, de consommateurs ou de représentants d’organisations de défense de la santé publique semblent en avoir connaissance, et encore moins avoir une quelconque influence sur elle. L’OIE a acquis une certaine notoriété ces dernières années en raison de la façon dont l’organisation a été utilisée pour mettre fin à une impasse entre les gouvernements américain et coréen sur la maladie de la vache folle. iii La victoire des États-Unis, qui ont été commodément déclarés pays à « risque contrôlé » pour le bœuf, a toutefois été de courte durée. L'OIE n’a jamais été en mesure d'imposer ses normes à des pays dont les habitants résistent au bœuf américain, comme Taiwan, le Japon ou la Corée. Étonnamment, l’OIE n’a pas joué un grand rôle au cours des récentes épidémies de grippe aviaire et porcine. À l'heure actuelle, l'OIE s'efforce d'élaborer des normes ou des standards internationaux pour la protection des animaux en tant qu’enjeu pour le commerce alimentaire. Cette orientation vient clairement de l'UE. Depuis le début des années 2000, l'UE a tenté d'introduire le bien-être animal comme un enjeu de protection phytosanitaire par le biais de ses accords bilatéraux de libre-échange avec des partenaires commerciaux étrangers comme le Chili et la Corée, et ce thème fait également partie des négociations actuelles de l'UE avec l'Inde, les pays de l'ANASE, le Canada et le Mercosur. Cela va au-delà de ce qui avait été convenu à l'OMC, un accord qui ne mentionne même pas le bien-être animal, et semble être plus consacré à la restriction du commerce en fonction des préférences de l’UE afin de favoriser les entreprises de l’UE. iv Les « normes » de bien-être animal de l’OIE relatives à l’alimentation qui sont actuellement formulées correspondront probablement aux cinq libertés : la liberté de ne pas souffrir de la faim, de la soif et de la malnutrition ; d'être épargné par la peur et la détresse ; d'être épargné par l'inconfort physique et thermique ; d'être épargné par la douleur, les blessures et les maladies ; et d'exprimer des modes normaux de comportement. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)/Organisation mondiale de la Santé (OMS) Outre qu’elles accueillent le Codex Alimentarius, la FAO et l’OMS traitent toutes les deux la sécurité alimentaire des aliments depuis leur point de vue respectif (production alimentaire et santé), mais ils semblent très peu actifs dans ce domaine. Même leur Réseau international des autorités de sécurité sanitaire des aliments conjoint (INFOSAN) ne dispose pas des ressources ou de la détermination nécessaires pour produire des informations mondiales adéquates en ce qui concerne la sécurité sanitaire des aliments (comme une base de données consacrée aux alertes sur la sécurité alimentaire). Comme on peut s’y attendre, au niveau de l’ONU, il semble que la sécurité sanitaire des aliments soit traitée beaucoup plus comme un problème commercial que comme un problème de production alimentaire ou de santé publique. GlobalGAP et l'Initiative mondiale de sécurité alimentaire (GFSI) Au cours des dix dernières années, l'industrie alimentaire mondiale a sans doute élaboré des centaines, voire des milliers de dispositifs (qu’il peut être préférable de considérer comme des listes de contrôle) pour identifier les produits qui sont acceptable pour la consommation, de la ferme jusqu’à la table. Ces systèmes sont des ensembles de normes. Par exemple, elles peuvent dire que le piment jalapeño doit être d’un vert x, d’une épaisseur y et avec un indice thermique de z. La complexité de ces listes devient énorme (elle va jusqu’à la variété de semence que doit utiliser l’agriculteur), mais elles sont fondamentales dans le système alimentaire industriel. Les institutions qui contrôlent ces listes exercent un pouvoir caché dans la formulation de notre approvisionnement alimentaire. Dans les années 2000, tout pays qui voulait participer sérieusement au commerce alimentaire mondial a développé ses propres systèmes nationaux de référence et de normes pour les producteurs alimentaires sous le nom de GAP (bonnes pratiques agricoles). La Thaïlande, par exemple, a développé ThaiGAP comme assurance de contrôle de la qualité des produits agricoles thaïlandais. Ceci s'est avéré d'une importance cruciale pour les exportateurs thaïlandais même pour vendre des produits à la Chine dans le cadre de l'accord de libre-échange Chine-Thaïlande de 2003. Ces GAP sont des normes volontaires privées mises au point par l'industrie (à l'origine sous l’impulsion des distributeurs) pour s’autoréguler. Toute une batterie d'entreprises a vu le jour pour mettre en œuvre ces normes : auditeurs, contrôleurs, certificateurs et entreprises qui traitent les données. Il est important de noter l’existence de deux institutions, en raison de leurs ambitions de servir de chefs de file mondiaux dans ce réseau de contrôleurs alimentaires privés. En 2007, EurepGAP – un réseau de systèmes GAP européens créé en 1997 – a changé de nom pour devenir GlobalGAP. Cette initiative ne correspondait à rien moins que la mondialisation par l’industrie alimentaire européenne de ses normes pour qu’elles deviennent des normes mondiales. En conséquence, les autres programmes GAP nationaux (KenyaGAP, ThaiGAP, et ainsi de suite) ont dû se réorienter et travailler à se faire accepter par GlobalGAP comme des points de repère nationaux du nouveau système. Aujourd'hui, GlobalGAP détient l'autorité mondiale sur les normes pour les produits agricoles. Cela signifie que toute exploitation agricole qui veut que ses produits arrivent sur le marché mondial du commerce et de la distribution alimentaire (et finir, par exemple, sur les étalages de Tesco avec toutes les assurances de traçabilité et de contrôle que cela implique) serait obligée d’obtenir l’agrément de GlobalGAP (via des membres locaux). D'où la puissance de ceux qui définissent ces normes. L’initiative mondiale de sécurité alimentaire (GFSI) a été créée en 2000 par le Food Business Forum (devenu CIES), un club des plus importants PDG de groupes agroalimentaires mondiaux. L'argument donné pour justifier la création de la GFSI est que le Codex, censé harmoniser les normes nationales, est trop lent. La GFSI contourne l'harmonisation des normes pour créer un système permettant d’approuver les aliments en se basant sur des systèmes de référence du secteur privé. Si le programme GAP garantit la qualité d'un produit (le piment jalapeño qui est x, y et z), l'accréditation par la GFSI est une preuve de conformité par rapport à toutes sortes de mesures de sécurité plus générales, notamment GlobalGAP. La GFSI insiste sur le fait qu’elle n'est pas une norme en elle-même, mais une instance qui établit des meilleures pratiques « repères », presque comme une marque. La GFSI étant constituée des 400 premiers acteurs de l'industrie alimentaire qui, collectivement, enregistrent un chiffre d'affaires annuel de 2 100 milliards d’euros, on peut s’attendre à ce qu’elle ait une influence importante dans l’élaboration des politiques de sécurité sanitaire des aliments dans les années à venir. i Par exemple, le 7 avril 2010, Hirotaka Akamatsu, qui était alors ministre de l’Agriculture, a déclaré aux journalistes après avoir rencontré le responsable du département américain de l’Agriculture Tom Vilsack à Tokyo, « Pour nous, la sécurité sanitaire des aliments basée sur les normes scientifiques du Japon est la priorité. Les normes de l'OIE sont différentes des normes scientifiques japonaises. » C’était là le mode d’expression choisi par le gouvernement japonais pour répondre à l’insistance des Américains qui demandaient que Tokyo ouvre ses marchés à toutes les formes de bœuf américain. Voir Jae Hur and Ichiro Suzuki, « Japan, US to Continue Dialogue on Beef Import Curbs », Bloomberg, 8 avril 2010, http://www.bloomberg.com/news/2010-04-07/u-s-japan-face-some-distance-as-talks-on-beef-import-curbs-to-continue.html ii Lors de sa réunion sur ce thème au Québec en mai 2010, la commission du Codex était en majorité favorable à l’étiquetage des OGM, ce qui s’est exprimé par la voix de l’UE, de nombreux pays européens distincts, du Brésil, de l’Inde, du Maroc, du Kenya, du Mali, du Ghana, du Cameroun et de la Corée. Les pays résolument opposés à un étiquetage des OGM étaient les suivants : États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Costa Rica, Mexique et Argentine. Ce bloc des « antis » semble toutefois se fissurer. La prochaine série de discussions aura lieu en 2011. iii See GRAIN, « Food safety: rigging the game », Seedling, juillet 2008, http://www.grain.org/seedling/?id=555 iv Il est vrai que bien-être animal est une préoccupation chez les populations de l'UE, et à juste titre. Mais l'argument utilisé par les négociateurs commerciaux européens, selon lequel il s’agit d’une demande sociétale majeure qui doit être imposée aux partenaires commerciaux de l'UE est réfuté par la dernière enquête Eurobaromètre menée auprès de consommateurs de l'UE, qui ne mentionnent même pas le bien-être animal lorsqu'on leur a demandé d'identifier spontanément les questions qui les préoccupent concernant la qualité et la sécurité des aliments. Voir European Food Safety Authority, « 2010 Eurobarometer survey report on risk perception in the EU », novembre 2010, http://www.efsa.europa.eu/en/riskcommunication/riskperception.htm Aller plus loin GRAIN, « La sécurité sanitaire : les dés sont pipés”, Seedling, Juillet 2008, http://www.grain.org/seedling/?id=556 Christine Ahn et GRAIN, « Food safety on the butcher's block », Foreign Policy In Focus, Washington DC, 18 avril 2008, http://www.grain.org/o/?id=83 La section SPS-sécurité sanitaire alimentaire du site militant bilaterals.org présente une série d'articles spécialisés consacrés à la façon dont des pays utilisent les accords de commerce et d’investissement bilatéraux pour faire passer des normes et des politiques de sécurité sanitaire qui avantagent leurs entreprises. http://www.bilaterals.org/spip.php?mot185 Sunita Narain, « Control your food. It’s your business », Centre for Science and Environment, New Delhi, 1er octobre 2010, http://www.cseindia.org/content/control-your-food-it-your-business Susan Freidberg, « Supermarkets and imperial knowledge », Cultural Geographies, 2007, http://www.dartmouth.edu/~geog/facstaff/ CVs/Freidberg/ImpKnowledge.pdf Acronymes ACP Groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique AREA-AD Association de réflexion, d'échanges et d'actions pour l'environnement et le développement (Algérie) ASEAN Association des nations de l'Asie du Sud-Est ASC Aquatic Stewardship Council (Conseil de gestion de l’aquaculture - WWF) ESB encéphalopathie spongiforme bovine CDC Centers for Disease Control and Prevention (États-Unis) PDG président-directeur général CIES Consumer Goods Forum (anciennement Food Business Forum) FAO Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l'agriculture ALE accord de libre-échange GAP bonnes pratiques agricoles (Good Agricultural Practices) GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (General Agreement on Tariffs and Trade) GFSI Initiative mondiale de la sécurité des aliments (Global Food Safety Initiative) OGM organisme génétiquement modifié HACCP Points de contrôle des risques et analyse critique (Hazard Analysis and Critical Control Points) INFOSAN Réseau international des autorités de sécurité sanitaire des aliments (OMS/FAO) SARM Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline NASA National Aeronautics and Space Agency (États-Unis) OCI Organisation de la Conférence islamique OIE Organisation de la santé animale ppb parties par milliard SPS normes sanitaires et phytosanitaires SQF Safe Food Quality (États-Unis) TNC société multinationale OMS Organisation mondiale de la santé OMC Organisation mondiale du commerce WWF Fonds mondial pour la Nature 1 « Germany approves anti-dioxin action plan », Reuters, 19 janvier 2011, http://af.reuters.com/article/worldNews/idAFTRE70I2CC20110119?sp=true 2 La FAO et l'OMS collaborent sur ces questions, en particulier dans le cadre d'INFOSAN, mais il n'y a pas de base de données mondiale ou d'outil de suivi. Certains pays ont (ou n'ont pas) leurs propres systèmes d'alerte, et ils se réunissent également dans des groupements divers. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ont une compétence partagée sur la sécurité sanitaire des aliments, et l'UE dans son ensemble a, en dehors de sa très contestée Autorité européenne de sécurité des aliments, ce qui semble être un système d'alerte rapide très efficace. Voir : http://ec.europa.eu/food/food/rapidalert/index_en.htm 3 Agri-Food and Veterinary Authority of Singapore, « Importance of Food Safety », 13 avril 2010, http://www.ava.gov.sg/ FoodSector/FoodSafetyEducation/ AboutFoodSafetyPublicEduProg/ImptFoodSafety/index.htm 4 Les données ne rendent pas compte de la privatisation croissante de la sécurité sanitaire des aliments. Pour ne donner qu'un exemple de frais juridiques privés générés par les défaillances du système alimentaire américain : en avril 2010, Cargill a réglé un litige avec Stephanie Smith, une danseuse de 22 ans qui est restée paralysée à vie après avoir mangé un hamburger contaminé avec Escherichia coli préparé à partir d’une viande de bœuf Cargill. Le montant de la transaction ne sera jamais connu, mais il serait suffisant pour couvrir, sa vie durant, les frais de santé de Mme Smith liés à l'adaptation à sa pathologie (et elle est déterminée à marcher à nouveau). Dans le contexte américain, cela peut s’élever à des millions de dollars. 5 Aurelio Suarez Montoya, « Colombia, una pieza mas en la conquista de un 'nuevo nundo' lacteo », RECALCA, novembre 2010, http://www.recalca.org.co/Colombia-una-pieza-mas-en-la.html 6 La réglementation américaine interdit désormais d’alimenter les vaches avec des protéines de vaches, mais elle permet l'alimentation avec du « fumier de volaille » qui peut contenir des « ingrédients d’alimentation animale à utilisation restreinte, notamment de la farine de viande et d'os de bovins morts ». Voir « Scary Downright : Cows fed chicken feces, recycled cow remains », Consumers Union, 29 octobre 2009, http://www.consumersunion.org/pub/core_food_safety/015272.html 7 Lee Eun-joo, « New mad cow disease case in Canada noted », JoongAng Daily, 7 mars 2011, http://joongangdaily.joins.com/article/view.asp?aid=2933089 8 Les pays riches continuent d'utiliser des subventions pour protéger et promouvoir leurs propres entreprises agricoles. 9 Veena Jha, chapitre sur l’Asie du Sud dans Environmental regulation and food safety:Études de la protection et le protectionnisme, International Development Research Centre, Ottawa, 2006, http://www.idrc.ca/en/ev-93090-201-1-DO_TOPIC.html 10 Gumisai Mutume, « New barriers hinder African trade », Africa Renewal, Janvier 2006, http://www.un.org/ecosocdev/geninfo/afrec/vol19no4/194trade.html 11 Ce processus a été surnommé la « sénégalisation » des navires de pêche de l'UE, en raison de l'endroit où il a commencé. Voir ActionAid, « SelFish Europe », juin 2008, http://www.actionaid.org/main.aspx?PageID=1114, et Jean Sébastien Mora, « L'Europe pêche en eaux troubles », Politis, 27 mai 2010, http://www.bilaterals.org/spip.php?article17454. 12 Pour les arachides, le niveau adopté par l'UE dans les années 1990 était de 4 parties par milliard (ppb). Le niveau recommandé par le Codex Alimentarius est de 15 ppb. De nombreux pays pratiquent une norme de 15 (Canada, Australie, Pérou), de 20 (Thaïlande, Etats-Unis, Chine) ou de 30 (Inde, Brésil). Données de l’Almond Board of California, novembre 2009, http://californiaalmonds.fr/Handlers/Documents/Intnl-Aflatoxin-Limits.pdf 13 Timothy Josling, Donna Roberts and David Orden, « Food regulation and trade : toward a safe and open global system », Institute for International Economics, Washington DC, 2004, p. 113. 14 T. Otsuki et al., « Saving two in a billion : quantifying the trade effect of European food safety standards on African exports », Food Policy, Vol. 26, N° 5, octobre 2001, pp. 495–514. 15 Voir Veena Jha (ed.), Environmental regulation and food safety :Studies of protection and protectionism, International Development Research Centre, Ottawa, 2006, p. 16. 16 Elle sert également à se débarrasser de la boue et de l'odeur. 17 HACCP est une méthode de contrôle des risques dans un processus de production alimentaire, en identifiant les points clés à surveiller, et en les maintenant sous surveillance. Il a été mis au point par la Société Pillsbury pour créer des aliments adaptés aux vols spatiaux de la NASA, on peut donc imaginer les conséquences ! Il s’agit essentiellement d’un simple système de listes de contrôle privées. 18 « Subject : France and the WTO ag biotech case », Wikileaks Reference de télégramme ID 07PARIS4723, en date du 14 décembre 2007, http://213.251.145.96/cable/2007/12/07PARIS4723.html 19 Pour plus de détails, voir bilaterals.org and GRAIN, « FTAs and biodiversity », dans Fighting FTAs, 2008, http://www.bilaterals.org/spip.php?article15225, et GRAIN, « Sécurité sanitaire : les dés sont pipés”, Seedling, Juillet 2008, http://www.grain.org/seedling/?id=556 20 GRAIN, « Big Meat is growing in the South », Seedling, octobre 2010, http://www.grain.org/seedling/?type=82 21 Cela comprend le lait des bovins nourris avec des aliments produits à partir des organes internes, les farines de sang et de tissus provenant de ruminants ou les produits qui peuvent contenir de la présure d'origine animale. Voir Gargi Parsai, « No import of US dairy products for now », The Hindu, 15 novembre 2010, http://www.bilaterals.org/spip.php?article18483 22 Ils relèvent également de la compétence des mesures sur les Obstacles techniques au commerce (OTC), les proches cousins des SPS. Les règles de l’OTC régissent l’étiquetage, et de nombreuses questions portant sur la sécurité sanitaire ou plus généralement sur la qualité des aliments exigent un étiquetage adéquat. 23 C’est également vrai pour les nanomatériaux. 24 Il existe des différences sur les chiffres exacts sur la taille du marché, mais ils tournent autour des 550-630 milliards de dollars par an. Les principales raisons pour lesquelles ce marché est en plein essor sont la croissance démographique et les taux de change. Mais les questions pratiques auxquelles est confrontée l'industrie de la restauration pèsent également. Par exemple, les entreprises de restauration qui fournissent les compagnies aériennes dans les grandes plates-formes du monde (par exemple, Heathrow et Francfort) choisissent de plus en plus de n'utiliser que de la viande halal. 25 Le fait de savoir si les OGM – comme le clonage et d'autres technologies nouvelles - sont halal ou haram fait depuis longtemps l’objet d’un débat, et la réponse dépend souvent du pays ou de l'autorité qui la donne. 26 En dehors du contexte des SPS, le Canada a déposé une plainte auprès de l’OMC, en août 2010, contre l'interdiction de l'UE sur le commerce des phoques. Si ce conflit ne porte pas sur la sécurité des aliments, il conteste la façon dont l'Union européenne peut tenter d’imposer ses normes de bien-être animal à d'autres pays. Cette question devra également être traitée dans les négociations en cours ALE entre l’UE et le Canada. 27 Cela concerne non seulement la nourriture mais aussi les tests et les cosmétiques. 28 Leurs principales préoccupations sont le manque d'harmonisation, le manque de transparence, les faiblesses des bases scientifiques et l’absence de consultation. Pour un aperçu du processus de discussion de l'OIE, voir « Implications of private standards in international trade of animals and animal products », mis à jour le 23 juin 2010, http://www.oie.int/eng/normes/ en_Implications%20of%20private%20standards.htm Pour un résumé des points préoccupants pour les pays en développement, voir le rapport final du questionnaire de l'OIE sur les normes privées, http://www.oie.int/eng/normes/A_AHG_PS_NOV09_2.pdf 29 Bruce Blythe, « Walmart will require stricter safety tests for beef suppliers", Drovers CattleNetwork, 29 avril 2010, http://www.cattlenetwork.com/cattle-news/latest/wal-mart-will-require-stricter-safety-tests-for-beef-suppliers-114326579.html 30 Communiqué Zensho du 30 novembre 2010, http://www.zensho.co.jp/en/ZENSHO_SFC_20101130.pdf 31 « South African poultry makers 'racist', politician says », BBC, 29 décembre 2010, http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-12090741 32 Pour une excellente analyse du rôle de Walmart dans le système alimentaire des Etats-Unis, voir Barry Lynn C., «Breaking the chain : the antitrust case against Wal-Mart », Harper's, juillet 2006, http://www.harpers.org/archive/2006/07/0081115 33 Thomas Reardon, Spencer Hensen and Julio Berdegué, « ‘Proactive fast-tracking’ diffusion of supermarkets in developing countries : implications for market institutions and trade », Journal of Economic Geography, Vol. 7, N° 4, 2007. 34 GRAIN, « Global agribusiness : two decades of plunder », Seedling, Juillet 2010, http://www.grain.org/seedling/?type=81 35 Niels Fold, « Transnational Sourcing Practices in Ghana's Perennial Crop Sectors », Journal of Agrarian Change, Vol. 8, N° 1, Janvier 2008, pp. 94–122. 36 Peter Jaeger, « Ghana export horticulture cluster strategic profile study », préparé pour la Banque mondiale, Ministère de l’alimentation et de l’agriculture du Ghana et Programme sur les produits de base agricoles EU ACP, 2008. 37 Voir « Don't let Vietnam's Tra fish be 'stricken down' » , Voice of Vietnam, 13 février 2011, http://english.vovnews.vn/Home/Dont-let-Vietnams-Tra-fish-be-stricken-down/20112/123832.vov 38 Ibid. La certification ASC du WWF coûte à elle seule 7 500 dollars pour 5 hectares et par an. 39 Spencer Henson et John Humphrey, « The Impacts of Private Food Safety Standards on the Food Chain and on Public Standard-Setting Processes », article préparé pour la FAO et l’OMS, mai 2009. 40 Clare Narrod, Devesh Roy, Belem Avendano et Julius Okello, « Impact of International Food Safety Standards on Smallholders : Evidence from Three Cases », in McCullough, Pingali et Stamoulis (eds), The Transformation of Agri-Food Systems :globalization, supply chains and smallholder farmers, Londres, Earthscan, 2008. 41 Commiqué de presse de Walmart, 25 octobre 2010, http://en.prnasia.com/pr/2010/10/25/100984911.shtml 42 « Large Corporations Engaging Small Producers – Fruits and Vegetables in India and China », étude de cas préparée et présentée par Nancy Barry, Présidente du NBA Enterprise Solutions to Poverty, au Harvard Business School Forum on the Future of Market Capitalism, 9–10 octobre 2009, http://www.scribd.com/doc/24650313/Case-on-India-and-China-Corporations-and-Small-Farmers-fin%E2%80%A6 43 Voir la vidéo de promotion du Partenariat de filière alimentaire Bayer pour l’Inde, http://www.youtube.com/watch?v=oVRMmYTqsCE ; « Wal-Mart Centroamérica y el Grupo Bayer firman convenio para impulsar agricultura », La Tribuna, 15 janvier 2010, http://www.latribuna.hn/web2.0/?p=86331 44 Voir le site web México Calidad Suprema sur http://www.mexicocalidadsuprema.com.mx/nosotros.php 45 Bayer CropScience, « An exceptional collaboration with Mexico Calidad Suprema », http://www.bayercropscience.com/bcsweb/ cropprotection.nsf/id/EN_Mexico_Calidad_Suprema_English/ $file/MEXICO_CS_web_EN_NEW.pdf 46 Greenpeace, « Pesticides : not your problem ? », 9 avril 2009, http://www.greenpeace.org/eastasia/news/China-pesticides 47 Voir Jo Dongwon, « Real-time networked media activism in the 2008 Chotbul protest », Interface, Vol. 2, N° 2, novembre 2010, pp. 92–102. 48 Voir le site web de Via Campesina : http://viacampesina.org 49 David Gumpert, « Maine towns reject one-size-fits-all regulation, declare 'food sovereignty' », Grist, 15 mars 2011 : http://www.grist.org/article/2011-03-15-maine-towns-reject-one-size-fits-all-regulation-declare-food 50 Le raid armé sur Rawesome Foods aux États-Unis en 2010, qui a été filmé par une caméra de sécurité et diffusé sur internet, en est un exemple (voir http://www.youtube.com/watch?v=X2jgpGyyQW8). En France, deux ans plus tôt, les transformateurs laitiers industriels qui souhaitaient une plus grande part du marché ont tenté d’abolir la règle selon laquelle seul le lait cru peut être utilisé pour fabriquer du fromage Camembert, au motif que ce n'est pas sûr. Ils ont rapidement perdu la bataille, y compris en ce qui concerne le manque de données scientifiques corroborant qu'il y a un problème sanitaire significatif avec le fromage au lait cru. Ce débat a également éclaté au Canada, mais le gouvernement du Québec a décidé de maintenir l’autorisation de la production de fromage au lait cru. 51 Cité par Cécile Koehler dans « Le risque zéro : du « sur mesure » pour l'agriculture industrielle », Campagnes solidaires, FADEAR, Bagnolet, novembre 2008. Ce dossier fait également ressortir qu'aucune étude ne peut montrer une corrélation entre des investissements lourds dans des pratiques industrielles et administratives et un niveau élevé de sécurité sanitaire des aliments. 52 Des journalistes et des universitaires occidentaux tels que Christian Jacquiau, Marion Nestle, Felicity Lawrence et Michael Pollan ont beaucoup fait pour aider le public à comprendre comment fonctionnent vraiment les supermarchés et les systèmes de sécurité sanitaire des aliments, et comment les citoyens peuvent reprendre le contrôle de ces questions. 53 « Historic breakthrough in Florida's tomato fields », communiqué de presse commun de la Coalition of Immokalee Workers et du Florida Tomato Growers Exchange, 16 novembre 2010, http://www.ciw-online.org/FTGE_CIW_joint_release.html Voir aussi : « The human cost of industrial tomatoes », Grist, 6 mars 2009, http://www.grist.org/article/Immokalee-Diary-part-I/