Éditorial L’épidémie provoquée par le nouveau coronavirus, le Covid-19, est à la une de tous les médias du monde depuis qu’il a été signalé à Wuhan en Chine à la fin décembre 2019. Depuis, le virus aurait tué plus de 2 000 personnes en Chine même et contaminé plus de 75 000 personnes dans le monde (selon les chiffres du 19 février 2020). Le 30 janvier 2020, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a déclaré que l’épidémie de coronavirus était une urgence de santé publique de portée internationale.Au départ, des articles ont rapporté que dans la ville de Wuhan un marché de produits de la mer de plein air vendant aussi des animaux domestiques et sauvages pourrait avoir été le point de départ de l’épidémie, étant donné qu’une partie des premiers cas s’y étaient rendus. Les autorités locales ont immédiatement fermé le marché et les médias n’ont pas tardé à pointer du doigt les « marchés de produits frais » et la tradition qui consiste à manger des animaux fraîchement abattus comme la cause de cette épidémie et d’autres épidémies mondiales.Cependant, il est de plus en plus clair que le marché de Wuhan n’est peut-être pas la source de la flambée initiale de la maladie chez les humains. Un article publié dans The Lancet par un groupe important de chercheurs chinois a étudié les 41 premiers cas de patients hospitalisés pour une contamination confirmée au coronavirus. Ces chercheurs ont trouvé que le premier cas « est tombé malade le 1er décembre 2019 et qu’il n’avait aucun lien établi avec le marché aux fruits de mer. » Au total, 13 des cas initiaux examinés n’avaient aucun lien avec le marché. « Treize, sans lien, cela fait beaucoup, » déclare Daniel Lucey, spécialiste des maladies infectieuses à l’Université de Georgetown. 1« Si l’on en juge par l’ensemble de la situation, le marché aux produits de la mer n’est peut-être pas la seule source ou bien l’origine du nouveau coronavirus peut être multi-source, » explique Huang Chaolin, directeur adjoint de l’Hôpital Jinyintan de Wuhan. Pour Huang, les endroits où le virus a été transmis pour la première fois aux humains peuvent être multiples. 2Les marchés de produits frais sont extrêmement communs et ont une longue histoire dans beaucoup d’endroits en Asie. On y vend de la viande fraîche, du poisson, des légumes et des fruits frais et d’autres denrées périssables. Sur ces marchés, des centaines voire des milliers de commerçants se mêlent aux paysans et aux pêcheurs qui amènent leurs denrées à vendre. Les marchés de produits frais représentent une source importante d’aliments et de viande frais à un prix abordable pour une majorité des citadins. Il est rare qu’on y vende des animaux sauvages.Ce sont les vendeurs de rue et les petits paysans dépendant des marchés de produits frais pour vendre leurs produits qui subissent les conséquences quand les autorités accusent ces marchés de provoquer de nouvelles épidémies. C’est ce qui s’est passé il y a une dizaine d’années avec la grippe aviaire et la peste porcine, quand les gouvernements ont commencé à fermer les marchés de produits frais. Mais le fait est que ces marchés existent en Asie depuis des milliers d’années sans avoir provoqué le genre de pandémies qu’on peut voir aujourd’hui.Ce qui a changé, c’est la manière dont on élève les animaux dans des fermes-usines et la façon dont la viande est transformée et vendue dans les chaînes de production de masse mondialisées. C’est ce système industriel de production de viande qui a généré et propagé les pandémies sans précédent de grippe aviaire, peste porcine et peste porcine africaine de ce siècle. 3Et il est tout à fait possible que ce système soit lié à l’épidémie actuelle de coronavirus. De fait, en 2008, un autre nouveau coronavirus, connu sous le nom de SADS [diarrhée épidémique porcine] a démarré dans une ferme porcine en Chine et a anéanti tout le lot de 24 000 porcelets. 4 Des tests de laboratoire ont montré que la maladie avait évolué à partir du virus de la diarrhée épidémique porcine, qui est lui-même un produit de l’élevage industriel, et qu’elle était transmissible aux humains. Par chance il n’y a pas eu à ce jour de transmission du SADS aux humains, mais une fois de plus, le cas a montré comment des virus potentiellement pandémiques peuvent évoluer dans la promiscuité inhérente aux fermes industrielles.Les affirmations infondées sur la responsabilité des marchés de produits frais en matière de transmission des maladies aux humains ont déjà causé d’immenses dommages économiques pour ceux qui travaillent et dépendent de ces marchés pour leur subsistance et leur sécurité alimentaire. Ce journalisme irresponsable est souvent empreint de l’idée tendancieuse que les supermarchés occidentaux avec leur lumière artificielle et leur atmosphère stérile sont mieux et plus sûrs que les marchés de produits frais. De tels stéréotypes peuvent facilement servir d’arme politique pour consolider la domination des chaînes d’approvisionnement mondiales et décimer les petits paysans et commerçants.****[1] Jon Cohen, “Wuhan seafood market may not be source of novel virus spreading globally”, ScienceMag, 26 janvier 2020 https://www.sciencemag.org/news/2020/01/wuhan-seafood-market-may-not-be-source-novel-virus-spreading-globally[2] Xinhua, “Wuhan seafood market may not be only source of novel coronavirus: expert “, 29 janvier 2020, http://www.xinhuanet.com/english/2020-01/29/c_138741063.htm[3] L’époque des virus – La politique des maladies émergentes dans le monde , 2008: https://grain.org/fr/article/770-l-epoque-des-virus-la-politique-des-maladies-animales-emergentes-dans-le-monde ; Un système alimentaire qui tue : la peste porcine, dernier fléau de l’industrie de la viande, 2009: https://grain.org/fr/article/197-un-systeme-alimentaire-qui-tue-la-peste-porcine-dernier-fleau-de-l-industrie-de-la-viande ; et un rapport de GRAIN à venir sur la peste porcine africaine (mars 2020).[4] Melody Schreiber, "A Novel Virus Killed 24,000 Piglets In China. Where Did It Come From?" NPR, 4 avril 2018: https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2018/04/04/599179621/a-novel-virus-killed-24-000-piglets-in-china-where-did-it-come-fromÀ travers la régionLe demi-siècle du mouvement des vendeurs de rue en Inde Dans les villes indiennes, les vendeurs de rue représentent le secteur le plus large, le mieux organisé et le plus dynamique politiquement de l’économie informelle. L’année 2020 revêt une importance très spéciale, car nous célébrons le jubilé d’or du Syndicat des vendeurs de rue de Calcutta [the Calcutta Hawker Men’s Union], le jubilé d’argent du Calcutta Hawker Sangram Committee [syndicat rassemblant une trentaine d’associations de vendeurs de rue], la célèbre lutte contre l’Opération Sunshine et la fin de deux décennies bien remplies de la Fédération nationale des vendeurs de rue [National Hawker Federation ou NHF]. Aujourd’hui la NHF existe dans tous les États et territoires de l’Union de l’Inde et comprend plus de 1 200 syndicats et associations de vendeurs de rue, et onze grandes centrales syndicales. La célébration sera l’occasion pour tous ces groupes de se rassembler et de concevoir un modèle populaire pour un avenir collectif, inclusif, équitable et durable. De plus, la célébration offrira une plateforme pour permettre les interactions entre citadins, vendeurs de rue, responsables politiques et gouvernementaux, universitaires, journalistes, urbanistes et décideurs.Nous croyons que c’est le moment d’écrire notre propre histoire, de tirer les leçons des réussites et des échecs passés, de réfléchir tout en gardant un esprit critique et de formuler de nouveaux modèles de mouvement populaire pour l’avenir incertain que nous allons rapidement avoir à affronter. Notre histoire est une histoire d’essais et de tribulations qui raconte comment les pauvres des villes ont fait leur chemin dans un monde changeant, comment ils ont fait face au marché et aux obligations gouvernementales, servi l’humanité, fait apprécié aux masses la démocratie et subi les trahisons, la violence, la mort et le déplacement. Nous avons ainsi changé le cours de l’Histoire et dans le même temps nous en ressortons transformés.En 1952, les syndicats de gauche ont commencé à organiser les vendeurs de rue en syndicats et ont joué un rôle majeur dans les années 1950 et 1960 pour réhabiliter les vendeurs réfugiés dans les quartiers autorisés pour les vendeurs de rue dans différents coins de Kolkata. La syndicalisation a toutefois véritablement décollé après la formation du Syndicat des vendeurs de rue de Calcutta [the Calcutta Hawker Men’s Union ou CHMU] en juin 1970. Ce syndicat a été lancé par Saktiman Ghosh pour résister aux évictions incessantes sur une intersection du centre de Kolkata. Le syndicat s’est depuis développé pour devenir un vaste organisme responsable de la majorité des vendeurs de rue dans le centre de la ville. Il est devenu célèbre durant un grand conflit en 1979-1980 quand le nouveau gouvernement du Front de gauche a décidé d’organiser une éviction massive à Sealdah pour construire un autopont. Le CHMU a réussi à mettre en place la première fédération de syndicats sous l’égide du Madhya Kolkata Hawker Sangram Committee. La fédération a finalement réussi à négocier la réinstallation des marchands ambulants sous l’autopont. Cette expérience s’est avérée emblématique dans l’histoire du mouvement populaire en Inde. Le succès des négociations a permis aux vendeurs de rue de comprendre la force d’un mouvement coordonné dans le cadre d’une structure organisationnelle démocratique et fédérale.Un autre tournant majeur a été marqué par l’Opération Sunshine qui a eu lieu entre les hivers 1996 et 1997 pour attirer les investisseurs à Kolkata en expulsant les vendeurs de rues. Quelque 21 grandes rues de Kolkata furent choisies pour y mener l’opération. C’est dans ce contexte que le 9 août 1996, plus de 36 syndicats de vendeurs de rues se rassemblent en une structure fédérale unique, le Hawker Sangram Committee (HSC). Le HSC mène une lutte épique contre l’Opération Sunshine avec le soutien du grand public. Des rallyes de protestation sensationnels se déroulent, avec des pratiques sans précédent comme le défilé de 18 cercueils pour rappeler tous les suicides de vendeurs ambulants suite à l’Opération Sunshine. En juin 1997, les vendeurs commencent à revenir à leur place habituelle et le Hawker Sangram Committee joue un rôle essentiel dans la redistribution de l’espace des trottoirs parmi les vendeurs de rue une fois l’Opération Sunshine terminée. C’est lui qui rebaptise l’Opération Sunshine « Opération Sunset » [opération coucher de soleil].Le Hawker Sangram Committee entretient des liens avec de nombreux mouvements indiens contemporains, comme l’Alliance nationale des mouvements populaires. L’alliance a été l’organisation clé du Mouvement national pour la démocratie du commerce [National Movement for Retail Democracy ou NMRD] qui a été le fer de lance des manifestations massives contre le grand commerce dans les villes indiennes. Il est rapidement devenu un élément central de la Fédération nationale des vendeurs de rue.Depuis sa création en 2000, la NHF a joué un rôle essentiel : elle a donné une dimension nationale à la cause des vendeurs de rue et mobilisé l’opinion publique en faveur d’une politique nationale sur les vendeurs de rue qui, après de multiples luttes et négociations et grâce à son activisme en matière de droit, a donné la Loi de 2014 sur les vendeurs de rue (pour la protection des moyens d’existence et la règlementation de la vente ambulante) [Street Vendors (Protection of Livelihood and Regulation of Street Vending) Act 2014]. L’émergence de la NHF à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a aussi été marquée par une accumulation de mouvements anti-éviction dans diverses villes, qui a permis de faire une étude comparative des différents législations et mouvements locaux et de la condition des vendeurs ambulants dans diverses villes indiennes. Le NHF n’a pas tardé à mettre au point une technique d’évaluation des politiques en utilisant le contexte de telle ou telle ville pour s’interroger sur une autre ville, incluant occasionellement des références à la condition des vendeurs ambulants dans d’autres coins du monde, de New York à Bangkok et de Mexico à Durban.Les vendeurs de rue organisent un programme de cinq jours pour célébrer le jubilé d’or du mouvement en Inde du 26 février au 1er mars 2020 sur la place historique le Subodh Mullick Square à Kolkata. Le programme commencera avec une manifestation de femmes vendeurs de rue et sera suivi de séminaires, de planification de meetings, d’un rallye central et de toute une série de programmes culturels sur l’histoire du mouvement des vendeurs de rue en Inde.Derrière cet évènement se dégage une double ambition : créer une plateforme où différentes approches géographiques des connaissances sur l’informalité urbaine peuvent interagir horizontalement et d’autre part développer des outils pour comprendre la politique et la planification urbaines via les paramètres de ce qu’on appelle la « trans-city interrogation ». En d’autres mots, utiliser le contexte d’une ville pour poser des questions sur une autre, en tenant compte de la grande diversité des économies urbaines, des structures de gouvernance et de l’histoire de la vente de rue dans les villes indiennes. Avec l’objectif donc pour la Fédération nationale des vendeurs de rue de définir et de mettre à jour de nouveaux outils pour faire face aux problèmes rencontrés au niveau local et régional.Article de la National Hawkers FederationPour plus d’informations sur la National Hawkers Federationhttp://www.nationalhawkerfederation.com/ contact : [email protected][email protected]