Trois activités (l’agriculture en semis direct, le biochar et l’élevage plus intensif avec des émissions de méthane réduites) vont sans doute bénéficier d’un financement supplémentaire du fait de leur rôle supposé dans la lutte contre le réchauffement climatique. Où sont les preuves que ces activités peuvent réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Que va-t-il advenir de la biodiversité de la planète et du climat mondial si ces secteurs connaissent une énorme expansion ? Et qui va sans doute en profiter ? par le Grupo de Reflexión Rural, Biofuelwatch, EcoNexus et NOAH – Amis de la Terre Danemark* L’agriculture en semis direct L’agriculture en semis direct (SD), aussi connue sous le nom de culture sans labour ou d’agriculture de conservation, est une méthode de culture qui évite de perturber le sol. Le développement moderne du SD a commencé en 1955 quand la société de produits chimiques ICI a découvert l’herbicide paraquat et qu’il est ainsi devenu possible de se débarrasser des mauvaises herbes sans labour. Avant cela, on considérait que le labour était nécessaire, à la fois pour lutter contre les mauvaises herbes et pour faciliter l’infiltration de l’eau. Le SD est souvent recommandé pour les sols érodés et appauvris, avec l’argument qu’il évite que le sol soit exposé et ainsi vulnérable à une érosion plus importante. On affirme également que le SD améliore la formation des agrégats du sol et l’activité microbienne, ainsi que l’infiltration et le stockage de l’eau. Le SD n’a pas été élaboré à l’origine dans la perspective de plantes génétiquement modifiées, mais il se prête clairement bien à la culture de plantes qui sont tolérantes à un herbicide. Le SD nécessite très peu de main d’œuvre : l’herbicide, l’engrais et la semence peuvent être appliqués tous ensemble par une grande machine en un seul passage. Ceci favorise les grands exploitants agricoles fortunés et la monoculture à très grande échelle. Ce système est de ce fait massivement adopté par les cultivateurs de plantes OGM. Il n’y a pour le moment aucune certitude quant à l’impact de la culture SD sur le sol. Les Lignes directrices 2006 du GIEC pour les inventaires de gaz à effet de serre laissent entendre que le passage d’une culture classique à une culture SD conduit à une augmentation de 10 % de la quantité estimée du carbone piégé dans le sol. 1 Le Rapport d’évaluation 4 du GIEC, plus récent, est toutefois beaucoup plus prudent. « Étant donné que la perturbation des sols a tendance à stimuler les pertes de carbone du sol via une augmentation de la décomposition et de l’érosion, la réduction ou l’absence de labour entraîne souvent un gain de carbone dans le sol, quoique ce ne soit pas toujours le cas. L’adoption de ces pratiques peut également influencer les émissions de N2O, mais les effets nets sont irréguliers et mal quantifiés à l’échelle mondiale. » 2 Effectivement, des études récentes montrent clairement qu’on ne comprend jusqu’ici pas bien comment le labour régule la respiration du sol en ce qui concerne les émissions de oxyde d'azote N2O et la dénitrification.3 Par ailleurs, de nouvelles études ont semé le doute sur les allégations concernant la séquestration du carbone. Dans une revue d’études sur la séquestration du carbone dans des systèmes SD, Baker et al. ont constaté que le protocole d’échantillonnage produisait des résultats biaisés.4 Dans la majorité des études qu’ils ont étudiées, les prélèvements de sol ont été effectués à 30 cm de profondeur ou moins. Les quelques études qu’ils ont examinées dans lesquelles les prélèvements avaient été faits à une plus grande profondeur ont constaté que le SD ne montrait aucune accumulation régulière du carbone organique du sol. D’ailleurs, d’autres études accompagnées de prélèvements plus profonds ne font apparaître aucun avantage pour l’agriculture de conservation au niveau de la séquestration du carbone et, en fait, constatent souvent que des systèmes avec labour conventionnel contiennent plus de carbone. Malgré les incertitudes actuelles, des organismes internationaux préconisent que l’agriculture SD soit considérée comme une activité développant un puits de carbone et qu’elle ouvre droit à des crédits carbone. En août 2008, la FAO a inclus le SD dans une soumission à la CCNUCC, dans laquelle elle proposait la validation d’un certain nombre de pratiques pour réduire le taux de CO2 émis par le biais de la respiration du sol et pour augmenter la séquestration du carbone dans le sol.6 Ceci a été suivi en octobre 2008 par la publication, par la FAO et le Centre d'information des technologies de conservation (CTIC – Conservation Technology Information Center), d’un rapport intitulé « Framework for Valuing Soil Carbon as a Critical Ecosystem Service ». Comme l’industrie des biotechnologies est bien représentée au Conseil d’administration du CTIC, Monsanto, Syngenta America et Crop Life America y détenant tous des sièges, il n’est pas très surprenant que le rapport préconise une plus grande utilisation des systèmes d’agriculture de conservation et recommande l’inclusion des crédits carbone issus de l’agriculture de conservation.7 Biochar C’est Peter Read, un lobbyiste de cette technique (qui soutient fortement les plantations industrielles), qui a inventé ce terme pour décrire un charbon de bois finement broyé quand il est appliqué sur le sol. Le charbon de bois est généralement un produit dérivé de la pyrolyse, qui est un type de production de bioénergie dans lequel la biomasse est exposée à des températures élevée pendant de courtes périodes de temps, en présence de peu ou pas d’oxygène. Quatorze gouvernements, ainsi que la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD), demandent officiellement que le biochar joue un rôle important dans un accord post-2012 sur les changements climatiques dans le commerce du carbone. Ils travaillent avec l’International Biochar Initiative (IBI), un lobby essentiellement constitué d’entreprises travaillant sur le biochar et de scientifiques (dont beaucoup ont des liens étroits avec l’industrie), qui est actif dans les réunions de la CCNUCC8 L’IBI affirme que l’application de charbon de bois sur les sols crée un « puits de carbone » fiable et permanent qui permet ainsi d’atténuer les changements climatiques. Il affirme aussi que le biochar améliore la fertilité des sols et leur permettent de retenir plus d’eau, ce qui aide ainsi les agriculteurs à s’adapter aux changements climatiques. Toutefois, des études scientifiques, dont certaines réalisées par des membres de l’IBI eux-mêmes, insistent sur le degré élevé d’incertitude de toutes ces affirmations. Il est intéressant d’examiner plus en détails les principales affirmations formulées en faveur du biochar. a) il s’agit d’une production « négative en carbone » Les lobbyistes du biochar disent que le processus de production de bioénergie à partir du biochar absorbe plus de carbone qu’il n’en produit. Ceci se base sur deux arguments. Le premier est que la combustion de la biomasse est neutre ou à peu près ; ceci veut dire qu’elle n’entraîne aucune émission importante de gaz à effet de serre, dans la mesure où les émissions pendant la combustion sont censées être compensées par la croissance des nouveaux végétaux. Étant donné que les défenseurs de cette technologie proposent que des plantations de biochar soient créées à l’échelle énorme de 500 millions d’hectares, qui est la superficie de terres nécessaire pour que le biochar ait l’effet sur « l’atténuation des changements climatiques » préconisé par ses partisans,9 cet argument est extrêmement suspect. L’impact sur le climat de la conversion d’écosystèmes en plantations pour la production de biochar, avec toute la dégradation des forêts et des sols qui l’accompagne, serait colossal et il deviendrait impossible de considérer que la combustion de la biomasse est neutre ou même proche de l’être. La seconde assertion est que le carbone contenu dans le biochar resterait de façon permanente dans le sol et que cette technologie peut donc être considérée comme « négative en carbone » dans la mesure où elle piégerait du CO2 de l’atmosphère. Cet argument est dans une large mesure basé sur la terra preta : des sols extrêmement fertiles riches en carbone noir, le type de carbone qui se trouve dans le charbon de bois. La création de ces sols remonte à 4 500 à 500 ans. Elle est le fait d’agriculteurs autochtones en Amazonie centrale, qui ont apporté à leurs sols une très grande variété de résidus de biomasse, notamment compost, sédiments fluviaux, déjections animales, arêtes de poisson et carapaces de tortue, et aussi charbon de bois.10 Il a été montré que le charbon de bois de la terra preta a une interaction avec des champignons qui aident au maintien de la fertilité du sol sur de longues périodes. Des résidus de charbon de bois issus de feux de forêts et d’autres sources ont été découverts dans des sols qui datent de plusieurs milliers d’années, par exemple dans des prairies nord américaines, en Allemagne et en Australie. Il est donc certain qu’une partie du carbone du charbon de bois peut, dans certaines circonstances, être retenue dans le sol pendant des milliers d’années. Toutefois, il sera finalement rejeté sous forme de CO2 et réchauffera l’atmosphère. De plus, le fait qu’une partie du carbone du charbon de bois reste dans le sol ne signifie pas que la totalité ou même la plus grande partie de ce carbone le fera. La plupart des études sur lesquelles sont basées les affirmations sur les propriétés du biochar ont été effectuées dans des laboratoires ou des serres, certaines avec des sols stériles. Il existe très peu d’études de terrain, et une seule expérimentation de terrain avec évaluation collégiale, qui s’intéressent aux impacts (à court terme) à la fois sur la fertilité du sol et le carbone dans le sol.11 C’est encore la situation sept ans après la création de la première société de biochar, Eprida. Par analogie, ce serait comme la mise sur le marché d’un nouveau produit pharmaceutique sans essai clinique. Le carbone du charbon de bois est certainement plus stable que le carbone organique du sol, parce qu’il est pour l’essentiel indisponible pour les organismes du sol et donc ne nourrit pas le sol. Si le carbone du charbon de bois peut rester dans le sol pendant de longues périodes, il peut cependant aussi être perdu en quelques dizaines de décennies, quelques années ou même moins. Le carbone noir, le type de carbone présent dans le charbon de bois, peut être dégradé et transformé en CO2 à travers des processus chimiques ou par des microbes, et certain types de carbone à l’intérieur du charbon de bois sont dégradés beaucoup plus facilement que d’autres.12 Johannes Lehmann, le président du Conseil d’administration d’IBI, affirme qu’entre 1 et 20 % seulement du carbone du charbon de bois sera perdu de cette manière à court terme et que le reste restera présent dans le sol pendant des milliers d’années.13Mais une autre étude, sur le devenir du carbone noir issu de la combustion de la végétation au Kenya occidental, laisse penser que 72 % du carbone a été perdu en l’espace de 20-30 ans.14 Une étude sur le « budget carbone noir » mondial montre que les sommes ne s’ajoutent pas : une beaucoup plus grande quantité de carbone noir est produite par les feux de forêts chaque année que celle qui est trouvée dans les sols ou les sédiments marins, ce qui laisse penser à des mécanismes de pertes qui ne sont pas parfaitement connus.15 Une autre question reste ouverte : la possibilité que le biochar ait des impacts différents sur différents types de sol. Certains éléments tendent à prouver que les types de carbone de charbon de bois qui se dégradent le plus vite pourraient être ceux qui peuvent augmenter le rendement des végétaux à court terme lorsqu’ils sont utilisés en association avec des engrais.16 En d’autres termes, il pourrait y avoir un compromis à faire entre le biochar qui augmente la fertilité du sol et le biochar qui piège le carbone, bien que l’absence d’études de terrain empêche d’en être certain. De plus, on a trouvé des microbes du sol qui peuvent métaboliser le carbone noir et ainsi le transformer en CO2.17 Il est plausible que si le biochar était répandu sur de vastes surfaces de terres, ces microbes pourraient se multiplier et casser le carbone noir plus facilement que ce qui passe aujourd’hui. Une autre question est de savoir si l’ajout de biochar dans le sol peut entraîner la dégradation du carbone organique du sol préexistant et son émission sous forme de dioxyde de carbone. Cette possibilité a été évoquée par une étude dans laquelle du charbon de bois en sacs filets avait été placé dans des sols d’une forêt boréale et des quantités importantes de carbone (apparemment du carbone organique du sol) ont été perdues. Les auteurs suggèrent que le biochar a peut-être stimulé l’activité microbienne, qui a dégradé le carbone organique du sol et a entraîné son émission sous forme de dioxyde de carbone.18 Cette hypothèse est renforcée par une étude en laboratoire de Rogovska et al. (2008) qui a montré que l’ajout de charbon de bois dans le sol augmentait la respiration du sol et donc les émissions de CO2.19 b) le biochar améliore la fertilité du sol La cendre, qui représente une partie du biochar frais, contient des nutriments et des minéraux qui peuvent stimuler la croissance végétale, ce qui est la principale raison de la culture par débroussaillage et brûlis. Les sols traités de cette manière, cependant, sont épuisés après une ou deux récoltes. Les partisans du biochar reconnaissent que les nutriments et les minéraux sont vites épuisés, mais maintiennent que le biochar peut néanmoins améliorer les rendements parce qu’il augmente l’assimilation des nutriments des autres engrais, améliore la rétention de l’eau et favorise les champignons bénéfiques. Ceci s’est avéré vrai pour la terra preta, mais les éléments de preuve pour le biochar moderne sont, là encore, peu concluants. Dans certains cas, le biochar peut inhiber plutôt qu’aider les champignons bénéfiques.20 Par ailleurs, l’absence d’études de terrain sur le long terme se traduit par une information très limitée sur ce qui se passe au-delà de la période initiale pendant laquelle le charbon de bois continue de retenir les nutriments et les minéraux. De plus, il a été montré que, même pendant cette période initiale, le charbon de bois peut dans certains cas réduire la croissance végétale, selon le type de biochar et les cultures sur lesquelles il est utilisé. Ce qui est peut-être le plus préoccupant, c’est que les études qui aboutissent à des augmentations (à court terme) de la fertilité du sol font intervenir des quantités de biochar bien supérieures à ce qui peut être obtenu en carbonisant les résidus de cette même terre, sans même parler de n’en brûler qu’une partie pour qu’il en reste suffisamment pour le sol. Il est évident que des grandes étendues de terres doivent être dépouillées de toute leur biomasse pour fertiliser une zone agricole plus petite, ou que des monocultures industrielles sont nécessaires. Lorsque le biochar augmente effectivement les rendements, au moins à court terme, il semble le faire seulement en conjonction avec d’autres matériaux comme du fumier de volaille ou des engrais azotés.21 C’est pourquoi des sociétés comme Eprida cherchent à produire non seulement du charbon de bois mais une combinaison d’azote et d’autres composants extraits des gaz de combustion des centrales au charbon. Une telle technologie n’offre toutefois que peu de ressemblance avec la terra preta ; elle s’appuie au contraire sur la combustion de combustibles fossiles et l’utilisation d’engrais basés sur des combustibles fossiles en agriculture industrielle. Carbone noir, labour et réchauffement climatique Bien que le carbone noir soit présenté comme un puits de carbone tant qu’il reste dans le sol, les aérosols de carbone noir sont une cause importante de réchauffement climatique. Bien qu’il ne soit pas un gaz à effet de serre, le carbone noir réduit l’albédo, c’est-à-dire qu’il diminue la réflexion de l’énergie solaire par la terre. Les petites particules sombres absorbent la chaleur et contribuent à la fonte des glaces en Arctique et ailleurs. En l’espace d’un siècle, le carbone noir a proportionnellement un impact de réchauffement 500 à 800 fois supérieur à celui du CO2.22 Il existe un risque sérieux que, pendant la production du biochar, une partie de la poudre de charbon de bois la plus fine se transforme en aérosols. Il est difficile de voir une issue : d’un côté, enfouir le biochar profondément dans les sols réduirait au minimum les pertes de biochar, mais le labour peut endommager les structures du sol et entraîner la décomposition du carbone déjà présent dans le sol ; d’un autre côté, le dépôt du biochar près de la surface du sol aboutirait à une plus grande exposition à l’érosion et à l’oxydation et pourrait en fin de compte ajouter une quantité importante d’aérosols de carbone noir. Ces problèmes sont bien mis en lumière par les illustrations d’une étude commandée par la société de production de biochar Dynamotive,23 qui montrent de gros nuages de poussière de charbon de bois pendant le transport et l’épandage. Les chercheurs rapportent que 30 % du charbon de bois a été perdu de cette manière. L’importance des aérosols est aussi indiquée par le fait que de la poussière transportée depuis le Sahara se dépose régulièrement dans le bassin amazonien. Même si un faible pourcentage du biochar se transformait en aérosols, cela se traduirait par le fait qu’il aggraverait le réchauffement climatique, quelle que soit la séquestration du carbone. Du biochar à grande échelle ? Presque inévitablement, une importante nouvelle demande en biomasse viendrait concurrencer les demandes actuelles, déjà non durables, et augmenterait encore la pression sur les écosystèmes naturels, sur les terres communautaires et sur la production alimentaire. Les partisans du biochar affirment qu’ils ne préconisent pas de déforestation pour les plantations de biochar. Toutefois, les grandes quantités de biochar en discussion (avec le chiffre de 1 milliard de tonnes de séquestration de carbone par an, qualifié de « valeur inférieure de la fourchette ») rendent inévitable une pression supplémentaire sur les écosystèmes.) Johannes Lehmann (IBI), par exemple, déclare que les cultures dédiées et les arbres présentent le meilleur potentiel pour le biochar,24 et une discussion lors de la Conférence 2008 de l’IBI a laissé entendre que des plantations seraient nécessaires pour le développer.25 C’est la principale préoccupation exprimée dans une déclaration intitulée « Biochar : A new big threat to people, land and ecosystems » (« Biochar, une nouvelle grande menace pour les populations, les terres et les écosystèmes »), signée par plus de 150 organisations au printemps 2009.26 Pour résumer : il n’existe aucune preuve indiscutable que le biochar « fonctionne bien » à un niveau quelconque, y compris à petite échelle. Au contraire, certains éléments indiquent que le biochar pourrait accélérer le réchauffement climatique et l’appauvrissement du sol, même si nous négligeons les inévitables pressions sur la terre et les écosystèmes qui seraient engendrées par la production du biochar à grande échelle. En vidant les sols et les forêts de résidus organiques vitaux, les plantations industrielles qui en résulteraient entraîneraient également un déplacement de grande ampleur de communautés traditionnelles et de populations indigènes, qui s’accompagnerait de la destruction de la production alimentaire et des moyens de subsistance, de l’épuisement des ressources en eau et de leur pollution. Élevage L’élevage est un énorme producteur de gaz à effet de serre : sur le total des émissions anthropiques, il est responsable de 9 % du dioxyde de carbone, 65 % de l’oxyde nitreux (provenant essentiellement des déjections), 37 % du méthane et 64 % de l’ammoniac. Il est responsable de près de 80 % de l’ensemble des émissions liées à l’agriculture et sa part dans le total des émissions (18 %) est supérieure à celle des transports (14 %). Ces chiffres comprennent les émissions provoquées par la production de l’alimentation animale, un tiers des terres cultivées étant utilisées à la production de céréales pour le bétail,27 mais ils ne tiennent pas compte des émissions élevées de carbone qui proviennent de la destruction des forêts et d’autres écosystèmes pour élever du bétail. La contribution réelle de l’élevage aux émissions de gaz à effet de serre est même supérieure à ce que suggèrent les chiffres officiels. De ce fait, il est loin d’être surprenant que des efforts considérables aient été entrepris pour réduire l’empreinte de l’élevage en matière de gaz à effet de serre. Avec les fonds du MDP, des digesteurs de biogaz sont actuellement construits pour réduire les émissions de méthane des fermes-usines. Des inhibiteurs de nitrification28 sont diffusés et pourraient inhiber l’oxyde nitreux, mais ils sont loin d’être efficaces, pratiques ou abordables. Des tentatives sont faites pour abaisser l’indice de consommation, c’est-à-dire la quantité d’alimentation animale nécessaire pour produire de la viande, des œufs et du lait. Effectivement, une croissance plus rapide du bétail et une meilleure utilisation de l’alimentation ont été obtenues au cours des dernières décennies. Les partisans de l’agriculture industrielle affirment maintenant que l’élevage traditionnel extensif nuit au climat et que la poursuite de l’intensification du secteur au sein d’installations industrielles est la meilleure solution (et peut-être la seule) pour sauver la planète. Mais est-ce crédible ? L’élevage a connu une révolution au cours des quelques dernières décennies.29 Grâce à des subventions massives et des réglementations favorables, les pays en développement ont suivi l’exemple du monde développé et ont créé leur propre élevage industriel. L’Asie produit maintenant plus de lait que l’Europe. En 2004, le Brésil a dépassé les États-Unis en devenant le premier exportateur mondial de viande. Dans les fermes-usines, les aliments disponibles localement comme l’herbe, les fourrages grossiers et les déchets riches en nutriments provenant des fermes et des ménages, ont été remplacés par des aliments composés, fabriqués dans des usines d’alimentation animale, à partir de ressources qui viennent concurrencer l’alimentation humaine et sont transportées sur de longues distances. Depuis ses débuts, l’élevage industriel a entraîné une grave pollution de l’eau, du sol et de l’air et a sérieusement mis en péril la santé et le bien-être des animaux. Ces problèmes restent en grande partie sans solution. L’aquaculture ne fera qu’aggraver le casse-tête, dans la mesure où elle a de plus en plus recours aux mêmes ressources alimentaires que celles du bétail. Dans les pays du Nord, 70 pour des installations de pisciculture ont recours à de la viande et à de l’huile de poisson. La destruction progressive des petits poissons pélagiques pour la viande et l’huile de poisson a profondément perturbé le réseau trophique des océans. Comme les réserves halieutiques sont en voie d’épuisement (et que donner à manger du poisson à des poissons paraît fou, même à certains industriels), de plus en plus d’installations de pisciculture utilisent des céréales. En Asie, où a lieu 80 % de la production mondiale en aquaculture, l’utilisation des aliments composés est en augmentation. En tant qu’approche d’atténuation des changements climatiques, l’intensification n’est qu’un appel à poursuivre et amplifier les mêmes tendances en termes politiques : ceux qui ne possèdent qu’un marteau ne chercheront que des clous, selon la formulation de Dennis Meadows, un des auteurs du rapport du Club de Rome, « Halte à la croissance ? ». Les nouvelles biotechnologies destinées à la sélection cherchent à développer l’uniformité dans des délais encore plus courts. Elles visent une intensité de sélection plus élevée (par exemple, une sélection assistée par marqueurs ADN), des intervalles de reproduction plus courts (par exemple, une sélection à partir d’embryons au lieu d’animaux adultes), plus de femelles que de mâles chez les bovins et les porcins (« sexed semen », c’est-à-dire « semences sexuées ») et la réplication des mêmes animaux (clones). Le résultat de ce type de biotechnologies animales est prévisible : un renforcement de l’uniformité génétique, une plus grande dépendance vis-à-vis de quelques firmes de génie génétique, une plus grande vulnérabilité par rapport aux maladies, plus de demandes de subvention, plus de pression sur le bien-être animal, plus de pollution de l’environnement et plus de changements climatiques. En définitive, plus des problèmes qui font justement déjà implicitement partie du système de production. Une approche high-tech similaire est adoptée pour le problème des émissions de méthane. Les ruminants (mammifères ongulés qui ruminent, comme les bovins, les ovins et les caprins) produisent du méthane par fermentation entérique, c’est-à-dire la fermentation qui intervient dans leur rumen, l’estomac spécial qui leur permet de manger des plantes dures et des céréales. De fait, il a été calculé que la fermentation entérique est responsable d’environ 16 % de la production mondiale de méthane, à la fois naturel et anthropique. C’est moins, soit dit en passant, que la quantité produite par l’exploitation du charbon, du gaz et du pétrole (voir Figure 1). Toute une série de solutions techniques sont étudiées. Figure 1 Source : Harvey Augenbraun, Elaine Matthews et David Sarne, « The Global Methane Cycle », Goddard Institute for Space Studies, http://icp.giss.nasa.gov/education/methane/intro/cycle.html [Traduction: Sources de méthane Termites - Hydrates de CH4 et océan – Marécages – Extraction du charbon et du pétrole / Gaz naturel - Fermentation entérique – Culture du riz – Combustion de la biomasse – Décharges – Traitement des eaux usées – Déchets d’origine animale naturelles - anthropique] Des vaccins sont en cours de développement pour empêcher les ruminants de produire de telles quantités de méthane. Des tentatives sont faites, y compris par transferts de gènes, pour modifier les bactéries méthanogènes dans le rumen des animaux, de façon à ce qu’ils changent leur habitude vieille de 80 millions d’années de produire du méthane. La recherche la plus en pointe sur ces idées a lieu actuellement en Nouvelle Zélande et en Australie, des pays dont les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre se heurtent à leur désir simultané et contradictoire d’augmenter leurs exportations de viande et de lait. L’élevage industriel a été à l’origine de toute une série de nouveaux problèmes qui n’existaient pas par le passé. Le fumier déposé sur les champs et les pâturages, ou utilisé autrement sous forme sèche, ne produit pas de quantités importantes de méthane, mais ceci a changé avec l’élevage industriel de bétail à grande échelle dans des fermes-usines et des parcs d’engraissement. Produisant des déjections sous forme liquide, ces installations rejettent annuellement 18 millions de tonnes de méthane chaque année.30 Actuellement, ces émissions ne représentent que 3 % des émissions mondiales anthropiques de méthane, mais elles pourraient doubler avec la Chine, où sont élevés la moitié des porcs dans le monde, qui remplace les systèmes de petits exploitants par des fermes-usines. Les émissions d’azote posent un autre problème. Les animaux de façon générale sont des utilisateurs inefficaces de l’azote et la teneur en azote des excrétions de ruminants est élevée. Quand ils sont nourris avec du fourrage grossier, toutefois, et que leurs déjections retournent dans les sols, leur inefficacité au niveau de l’azote n’a pas d’impact négatif sur l’environnement.31 Les fermes-usines ont changé tout cela : les animaux sont nourris avec des végétaux cultivés avec des engrais chimiques et la moitié de l’azote synthétique utilisé dans les champs n’est pas absorbée par les plantes ; l’azote en excès est donc peut-être en train de polluer les écosystèmes. Les émissions d’azote des fermes-usines, ainsi que celles de phosphate, de potassium, de résidus médicamenteux, de métaux lourds et d’agents pathogènes, sont aussi devenues un problème majeur. Il ne semble pas possible d’échapper à la conclusion que la consommation d’une quantité illimitée de viande, lait et œufs ne peut pas être un objectif de développement dans une ère de changement climatique, et ne devrait pas être soutenue par des réductions fiscales, des subventions, une externalisation des coûts et des réglementations avantageuses. En tout cas, contrairement à une opinion répandue, les produits d’origine animale ne sont pas essentiels à un régime alimentaire sain, et la FAO n’en a jamais recommandé une consommation minimale. En fait, il ne fait aucun doute que leur consommation est beaucoup trop élevée dans la plupart des pays industrialisés et constitue une cause majeure de ce qu’on appelle les « maladies de la civilisation ». Le monde doit réduire sa consommation de toutes les sortes de viande, et se détourner des méthodes actuelles non durables de production industrielle, dans laquelle le bétail est nourri avec des céréales (qui pourraient alimenter des êtres humains) au lieu du fourrage ou des déchets, et dans laquelle la « productivité » de la volaille, des cochons et des bovins a été tellement augmentée que leur génétique s’est appauvrie, que leur santé dépend de la « biosécurité »32 et des antibiotiques et que leur bien-être global est mis en péril à un niveau qui est inacceptable pour la plupart des gens. Du fait des populations excessives de bétail, il est actuellement impossible de limiter le réchauffement climatique (et de préserver la santé des gens, comme l’atteste le milliard de personnes obèses). Les systèmes d’élevage traditionnels aident à préserver les écosystèmes et à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les racines des végétaux des pampas, des prairies et de la toundra sont des puits de CO2 importants. On pense en effet que les prairies représentent 34 % du carbone absorbé par les puits de carbone.33 Les animaux et l’écologie fonctionnent en harmonie dans un système qu’ils ont tous deux aidé à créer. C’est un système mutuellement bénéfique, parce que les ruminants comme les bovins, les chèvres, les moutons, les buffles et les chameaux ont besoin d’herbe pour la transformer en nourriture tandis que les pâturages saisonniers contribuent à la préservation de la biodiversité. C’est un cercle vertueux : la biodiversité est préservée, un puits de CO2 important est conservé et une précieuse nourriture est créée. Les pasteurs traditionnels ont, parfois, été accusés de surpâturage, mais maintenant, les grandes organisations de protection de l’environnement, notamment l’IUCN,34 remettent en cause cette affirmation et préconisent une meilleure prise en charge réglementaire des systèmes mobiles de pâturage comme le pastoralisme et la transhumance. Mais ces systèmes sont en voie d’annihilation : des prairies qui constituent un important puits de carbone et ont évolué pour coexister avec le bétail sont actuellement transformées en cultures pour avoir plus d’aliments pour encore plus de bétail. Cette destruction doit prendre fin. Il est devenu impératif d’imposer une réduction de la moitié ou des trois quarts des produits d’origine animale dans le régime alimentaire du Nord, ce n’est plus une simple option. * Pour une version intégrale de cet article, voir « Agriculture and climate change : real problems, false solutions - preliminary report by the Grupo de Reflexión Rural, Biofuelwatch, EcoNexus and NOAH – Friends of the Earth Denmark », http://www.econexus.info/pdf/agriculture-climate-change-june-2009.pdf Références 1Avec un facteur d’incertitude de 5 %. 2 P. Smith et al., “Agriculture”, in IPCC (éds), Climate Change 2007: Mitigation, Contribution du Groupe de travail III pour le Quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, chapitre 8 3X.J. Liu et al., « Dinitrogen and N2O emission in arable soils : Effect of tillage, N source and soil moisture », Soil Biology and Biochemistry, Vol. 39, N° 9, septembre 2007, pp. 2362–70. 4 Baker J.M., Ochsner T.E., Venterea R.T. & Griffis T.J. (2007) : Tillage and soil carbon sequestration – what do we really know ? Agriculture, Ecosystems and Environment 118: 1-5. 6 FAO, Soumission de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, 3e Session du Groupe de travail spécial sur l’action coopérative à long terme dans le cadre de la Convention (AWG-LCA3), Accra, 21–27 août 2008, consulté le 26 may 2009, 7 FAO, Soil Carbon Sequestration in Conservation Agriculture : A Framework for Valuing Soil Carbon as a Critical Ecosystem Service, 2008. Document de synthèse établi à partir de la Conservation Agriculture Carbon Offset Consultation, West Lafayette, États-Unis, 28–30 octobre 2008, http://www.fao.org/ag/ca/doc/CA_SSC_Overview.pdf 8Pour les membres du Conseil d’administration et du Comité scientifique consultatif d’IBI 9A. Ernsting et D. Rughani, Climate Geo-engineering with “Carbon Negative” Bioenergy, Biofuelwatch, version actualisée, décembre 2008, http://www.biofuelwatch.org.uk/docs/cnbe/cnbe.html 10Pour plus d’informations, voir FAO, Terra Preta – Amazonian Dark Earths (Brazil), http://www.fao.org/nr/giahs/other-systems/other/america/terra-preta/detailed-information2/en/ 11J. Lehmann et al., (2003) : « Nutrient availability and leaching in an archaeological Anthrosol and a Ferralsol of the Central Amazon basin : fertilizer, manure and charcoal amendments », Plant and Soil, Vol. 249, N° 2, février 2003, pp. 343–57 ; C. Steiner et al., « Long term effects of manure, charcoal and mineral fertilization on crop production and fertility on a highly weathered Central Amazonian upland soil », Plant and Soil, Vol. 291, N° 1–2, février 2007, pp. 275–90. Ces deux articles sont basés sur la même expérimentation de terrain près de Manaus. 12Chih-Hsin Cheng et al., « Oxidation of black carbon by biotic and abiotic processes », Organic Geochemistry, Vol. 37, N° 11, novembre 2006, pp. 1477–88. 13J. Lehmann et al., « Stability of black carbon/biochar », présentation lors de la Conférence de la SSSA, octobre 2008 14Binh Thanh Nguyen et al., « Long-term black carbon dynamics in cultivated soil », Biogeochemistry, Vol. 89, N° 3, juillet 2008, pp. 295–308. 15C.A. Masiello, « New directions in black carbon organic chemistry », Marine Chemistry, Vol. 92, N° 1–4, décembre 2004, pp. 201–13. 16Novak et al. (2008) Influence of pecan-derived biochar on chemical properties of a Norfolk loamy sand soil. Présentation 17U. Hamer et al., « Interactive priming of black carbon and glucose mineralization », Organic Geochemistry, Vol. 35, N° 7, juillet 2004, pp. 823–30. 18D.A. Wardle et al., « Fire-Derived Charcoal Causes Loss of Forest Humus », Science, Vol. 320, N° 5876, 2 mai 2008, p. 629 ; voir également le commentaire de J. Lehmann & S. Sohi, et la réponse des auteurs, Science, Vol. 321, N° 5894, 5 septembre 2008, p. 1295 http://www.sciencemag.org/cgi/content/abstract/320/5876/629 19Rogovska et al. (2008) : Greenhouse gas emissions from soils as affected by addition of biochar 20Voir par exemple, Warnock et al. (2008) : Non-herbaceous biochars (BC) exert neutral or negative influence on arbuscular mycorrhizal fungal (AMF) abundance. 21 Voir par exemple, K.Y. Chan et al., « Agronomic values of greenwaste biochar as a soil amendment », Australian Journal of Soil Research, Vol. 45, N° 8, 2007, pp. 629–34. 22Voir : T.C. Bond et H. Sun, « Can Reducing Black Carbon Emissions Counteract Global Warming ? », Environmental Science & Technology, Vol. 39, N° 16, 15 août 2005, pp. 5921–6 ; et J. Hansen et al., « Climate Change and Trace Gases », Philosophical Transactions of the Royal Society, Vol. 365, N°. 1856, 15 juillet 2007, 1925–54. 23 B. Husk, Preliminary evaluation of biochar in a commercial farming operation in Canada, une étude de BlueLeaf Inc., http://www.blue-leaf.ca/main-en/files/ BlueLeaf_Biochar_Field_Trial_2008_fv.pdf 24J. Lehmann et al., « Bio-char Sequestration in Terrestrial Ecosystems – a review », Mitigation and Adaptation Strategies for Global Change, Vol. 11, N° 2, mars 2006, pp. 395–419. 25IBI 2008 Conference, Session D, « Biochar and bioenergy from purpose-grown crops and waste feedstocks : Relevance for developed and developing countries? », http://www.biochar-international.org/images/ IBI_2008_Conference_Parallel_Discussion_Session_D.pdf 26 « Declaration : ‘Biochar’, a new big threat to people, land, and ecosystems », Rettet den Regenwald, 26 mars 2009, http://www.regenwald.org/international/englisch/news.php?id=1226 2790 % du soja est utilisé pour produire des aliments pour animaux. 28Les végétaux peuvent utiliser à la fois les formes ammonium et les formes nitrate de l’azote, mais la forme nitrate est plus sujette à la lixiviation et penètre donc plus facilement la nappe phréatique. Les inhibiteurs de nitrification sont des produits chimiques destinés à ralentir le processus par lequel les bactéries convertissent les formes ammonium de l’azote en formes nitrate. 29- Voir le Seedling de janvier 2008 http://www.grain.org/seedling/?type=71 30H. Steinfeld et al., Livestock’s long shadow : Environmental issues and options, Rome, FAO, http://www.fao.org/docrep/010/a0701e/a0701e00.HTM 31Ibid. 32 Un terme créé par l’industrie de l’élevage pour les dispositions (structurelles ou organisationnelles) visant à préserver les fermes-usines des maladies. La biosécurité constitue une part croissante des coûts de production. 33 T. Tennigkeit and A. Wilkes, An Assessment of the Potential for Carbon Finance in Rangelands, ICRAF Working Paper no. 68, 2008, http://tinyurl.com/oxtwga 34IUCN, « Misconceptions surrounding pastoralism », 21 novembre 2008 (consulté le 20 mai 2009), http://www.iucn.org/wisp/whatwisp/ why_a_global_initiative_on_pastoralism_/?2313/ Misconceptions-surrounding-pastoralism