L'Agence de promotion des investissements de la Mauritanie a organisé une mission de prospection pour la valorisation du potentiel agricole avec African Agriculture Inc. en octobre 2022 (Crédit photo : APIM)S’offrir des terres du Niger pour des crédits carbone : le nouveau greenwashing qui prend de l’ampleur en AfriqueTandis que la COP 27 bat son plein en Égypte, et que tous les regards sont à nouveau tournés vers cette conférence climatique devenue le grand carnaval des promesses qui ne seront jamais tenues, une question hante sûrement de nombreux Nigériens et Nigériennes : la vente de crédits carbone, va-t-elle procurer le moindre bénéfice pour les communautés et le climat ?En effet, une nouvelle entreprise basée aux États-Unis et répondant au doux nom d’African Agriculture Inc vient de signer une série d’accords lui donnant accès à plus de deux millions d’hectares de terres au Niger pour la production et la vente de crédits carbone. L’idée consiste à planter des arbres qui fixeront du carbone atmosphérique dans le sol, et de vendre ensuite ces crédits positifs à des entreprises polluantes, pour qu’elles aient un bilan soi-disant moins catastrophique. En théorie ! Cela s’appelle l’ « agriculture carbone ». Et elle s’ajoute à la longue liste de fausses solutions comme l’ « agriculture intelligente face au climat » et les « solutions basées sur la nature », autant de beaux noms pour tromper l’opinion. Il s’agit en réalité pour de nombreuses entreprises de créer de nouvelles sources de profit, en utilisant la crise climatique comme tremplin.Le nouveau colonialisme du carboneFin 2021, African Agriculture Inc a signé deux accords avec deux municipalités du Niger, Ingall et Aderbinssinat, dans la région d’Agadez. Ce sont des baux de 50 ans, lui donnant les droits exclusifs sur 2 000 000 ha en total, ainsi que des droits d’accès aux eaux souterraines, pour la production de crédits carbone (via la plantation de pin d’Alep). Ensuite, en mai 2022, lors de la COP 15 pour lutter contre la désertification, la Direction générale des eaux et des forêts du ministère de l’Environnement du Niger s’engageait dans une convention à mettre à la disposition de la même entreprise 624 568 ha de terres pour le même objectif : la reforestation pour la production et la vente de crédits carbone.La vision portée par ces projets est très loin de la vision de celles et ceux qui vivent sur ces territoires. Au lieu d’attaquer la source des émissions de gaz à effet de serre, elle participe à une stratégie de financiarisation et de compensation de ces émissions – ces émissions qui ne cessent de grimper. Pire, elle disloque des communautés de leurs territoires traditionnelles et de leurs sources d’eau, en échange de quoi ? Quelques projets sociaux (points de santé, écoles, etc) ?Un collectif d’organisations de la société civile d’Agadez s’est exprimé fermement contre cet accaparement de leurs terres et a demandé l’annulation complète du projet.Monsieur Issa Garba, le coordinateur national du Réseau de la Jeunesse Nigérienne sur les Changements climatiques, a affirmé que « ce colonialisme vert qu’on souhaite nous imposer est une menace pour l’avenir des générations futures. Compromettre le futur de nos enfants pour le greenwashing d’African Agriculture Inc serait un suicide collectif. »Séquestration du carbone ou séquestration des terres des communautés ?Récemment, en Ouganda, la soif de gagner beaucoup sur le marché des crédits carbone a conduit à de nombreux problèmes et violences dans plusieurs communautés. Des paysans et paysannes ont vu leurs terres accaparées par l’État, au profit « d’investisseurs locaux et étrangers » alors que d’autres habitants qui ont subi ces déguerpissements inhumains ont vu des monocultures d’arbres — eucalyptus et pins — envahir leurs anciennes maisons. Ces exemples sont nombreux. En Afrique du Sud, au Kenya, en Tanzanie, l’expansion de ces projets censés contribuer à la lutte contre les changements climatiques par le biais de la séquestration du carbone cache en réalité bien l’intérêt du contrôle des terres au détriment des communautés agricoles et pastorales ! Au moment où tous les efforts doivent être concentrés sur la réduction effective des émissions de gaz à effet de serre, ces projets de production de crédits carbone pour remplir les poches des investisseurs n’ont aucune place en Afrique !Mauvaises expériences au SénégalAlors qu’il nous faut réhausser l’ambition climatique, les petits jeux de cache-cache des entreprises multinationales vis-à-vis de leurs responsabilités dans la crise climatique n’arrangent pas les choses. Quand African Agriculture Inc a acheté l’exploitation agricole de Senhuile, au Sénégal, et a pris le contrôle de 20 000 ha de terre des Sénégalais, personne ne se doutait que la vente de crédits carbone entre autres allait figurer parmi les objectifs de l’entreprise. Malgré la contestation de 37 villages concernés, qui n’arrivent plus à assurer leur souveraineté alimentaire mise à mal par cette quête du business carbone, les nouveaux propriétaires s’accrochent et brandissent un décret fort contesté qui accordait 50 ans d’exploitation à l’ancien propriétaire. Ces terres sont pourtant vitales pour les communautés d’éleveurs et d’agropasteurs de la zone.« Notre vulnérabilité en tant qu’éleveurs pastoraux nous dispose à etre pris en compte dans la recherche de solution pour faire face à la crise climatique. Mais voilà que nos terres sont accaparées par des entreprises étrangères qui oublient leurs responsabilités historiques dans cette lutte contre les changements climatiques » clame Gorgui Sow, éleveur et membre du Collectif pour la défense des terres du Ndiaël.Aujourd’hui, African Agriculture Inc n’est toujours pas satisfait et cherche encore plus de terres pour faire la même chose en Mauritanie. La solidarité avec les communautés locales face à cette entreprise, et à tous les projets d’accaparement de terres pour la production de crédits carbone, est urgente. Ces communautés sont déjà victimes de la crise climatique sans précédent qui sévit en Afrique. Il est inadmissible de se servir de cette crise pour les dérober de leurs terres aussi.