PAPA ALLAI MITAN PACHA. Le temps de déterrer les pommes de terre. Image: Felipe Huaman Poma de Ayala / domaine publicNous présentons ici une série de brochures qui peuvent nous aider à comprendre le rôle joué par les semences dans notre société planétaire, dans le tissu national de chaque pays, mais surtout dans la vie quotidienne des gens qui, depuis si longtemps, vivent de leur relation à la Nature, en écoutant la Terre. Ces brochures nous aident à comprendre pourquoi certains s'acharnent à établir la propriété intellectuelle et la privatisation des semences au moyen de pactes, de conventions, d'accords, de lois, de standards, de réglementations, d'enregistrements et de certifications. Elles nous aident aussi à comprendre pourquoi tant d'efforts sont déployés pour mettre à l'écart ce qui a été, durant des millénaires, une occupation fondamentale de l'Humanité.Tout ceci se passe comme dans le film de science-fiction le plus atroce : dans le monde entier, des lois et des traités de libre-échange rendent illégale une pratique des communautés vieille de milliers d'années qui consiste à protéger et à échanger librement les semences. Tout cela parce que les grandes entreprises (une sorte de consortium entre l'agroindustrie, la technoscience, les finances, le commerce, les organismes de réglementation internationaux, les appareils juridiques et les corps législatifs) cherchent à tout prix à attaquer directement, totalement l'agriculture paysanne pour l'éradiquer, la privatiser et la remplacer par la production agricole industrielle.Leur objectif est d'affaiblir le potentiel du talisman qui a permis à celles et ceux qui sèment de rester libres : les semences.Ces dernières sont la clef de voûte des systèmes alimentaires, d'une véritable indépendance des paysans face aux méthodes invasives et corruptrices des propriétaires terriens, d'haciendas, des narcotraficants, de l'industrie pharmaceutique, de l'agrochimie, des transformateurs de produits alimentaires, des supermarchés et des gouvernements.Les chercheurs des grandes entreprises croient que les versions étriquées et déficientes (ils parlent de semences « homogènes ») qu'ils tirent de l'infinie diversité des semences peuvent remplacer le potentiel génétique illimité des cultures et assurer le futur de la production agricole. Ils se trompent complètement.Un peu d'histoire. Dans les années 80, on pouvait facilement croire que chaque pays fixait ses propres politiques publiques pour ce qui était de la vie nationale. Malgré les ingérences, les invasions et les blocus généralisés (comme celui de Cuba par les États-Unis), on avait le sentiment qu'un certain équilibre était recherché en matière de relations internationales, que certains principes de base étaient respectés dans ce domaine.On supposait que chaque pays était économiquement et socialement souverain : il exerçait sa propre production, encourageait le commerce national et international, soutenait sa politique en matière d'emploi, de science et de technologie, la protection de l'environnement et bien d'autres choses.On insistait sur le fait que chaque pays possédait ses droits sociaux et ses libertés civiles (et ce malgré les ingérences, déclarées ou non).Fort de sa constitution, de ses lois, de ses normes et de ses réglementations, chacun pensait protéger son industrie et les idées mises en œuvre quant aux produits et services essentiels : des impôts et des taxes spéciales étaient établies pour l'import.Mais à partir de 1989, certains organismes internationaux tels que le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale ont, avec les États-Unis, imposé des « réformes structurelles » et commencé à exiger une uniformisation des façons de procéder, inaugurant ainsi ce que l'on a appelé la « mondialisation ». D'une façon quelque peu coercitive, ils ont exigé que les pays abandonnent leurs réglementations propres pour en adopter d'autres, « équivalentes pour tous ».Sous prétexte de « faciliter les échanges commerciaux », ils ont déclaré que des réglementations, des critères et des normes similaires seraient recherchés.C'est ainsi que les intérêts des pays « développés » et ceux des grandes entreprises qui y étaient implantées ont été mis en œuvre.Arguant du « libre-échange», ils ont en réalité imposé des réformes qui ont bouleversé toute la vie : elles ont accru la marge de manœuvre des entreprises, les ont délivrées de certaines restrictions et n'ont que très peu surveillé l'utilité et les effets néfastes de leurs activités.Les gouvernements, leurs institutions juridiques et la loi ont commencé à s'élimer. Les intérêts du profit ont cherché à soumettre la justice. Ils en sont arrivés à exiger que les entreprises puissent poursuivre en justice, d'égal à égal et devant des tribunaux spéciaux, les États qui ne se conformaient pas aux réformes imposées.Les grandes entreprises et les gouvernements qui leur étaient « associés » ont commencé à contrôler le commerce des biens et des services, l'importance accordée à la production, à l'alimentation, à la santé, au développement de la science, aux ressources naturelles, au travail, aux capacités individuelles et collectives et aujourd'hui, ils contrôlent de nombreux aspects de la vie.Les traités de libre-échange — des outils destinés à verrouiller toutes les réformes évoquées plus haut — nous sont tombés dessus. Ces accords sur le « commerce », « l'investissement », et « l'assistance technique » contraignent les pays signataires (non dominants, parmi lesquels figurent les pays d'Amérique latine) à se conformer aux exigences de ceux qui fixent les règles de ces accords de concert avec les organisations internationales. Ces règles sont cependant, en théorie, convenues « librement » par les pays.Dans le cadre de cette vague de contrôle international de la part des États et des entreprises, les gouvernements ont décidé de « protéger » — selon leurs mots — les semences destinées à l'alimentation ainsi que la biodiversité sauvage : les variétés de plantes, les espèces d'animaux, et les êtres qui se développent dans les forêts, les prairies et les déserts.En réalité, nous le savons maintenant, une dispute a commencé à se jouer à ce moment-là. Les multinationales cherchaient à contrôler le cœur de la reproduction de la vie : les semences et le matériel de reproduction ou de multiplication végétative (les « boutures », marcottes et autres) permettant une production alimentaire industrielle, en grande quantité. Elles voulaient se débarrasser de l'agriculture indépendante et contrôler les matériels végétaux pour produire des médicaments, des parfums, des combustibles et autres dérivés.Des accords ont également été conclus sur les savoirs traditionnels, des objets du quotidien et même des symboles culturels qui distinguent chaque peuple autochtone, chaque population locale.Les brochures que nous présentons ici visent à détailler les conventions et pactes internationaux créés pour assujettir la richesse de la biodiversité et ses savoirs, empêcher les peuples de préserver leurs façons ancestrales de prendre soin du monde, leur propre production, leur autonomie et leurs territoires.Nous présentons pour l'instant quatre brochures (actuellement seulement en espagnol) :La première, introductive, explique les causes et raisons de ce contrôle toujours plus lourd de restrictions.La deuxième décrit la Convention sur la diversité biologique et le Protocole de Nagoya.La troisième rend compte du TIRPAA (Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture) et propose une caractérisation des lois qui visent l'enregistrement et la certification des semences.La quatrième brochure établit les différences entre semences paysannes et semences certifiées et enregistrées.Ces documents ne sont qu'un premier regard posé sur ces questions. D'autres suivront, qui traiteront de l'UPOV (l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales), du problème de la propriété intellectuelle et des actions de résistance face à ces tentatives de privatisation nuisibles à l'Humanité et à la vie dans son ensemble.Collectif de semences - Alianza Biodiversidad - GRAIN