GRAIN Juin 1999 L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s'est alliée à l'Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) afin de convaincre les gouvernements du Tiers-Monde que l'UPOV est le système juridique idéal répondant aux exigences de l'OMC quant à la protection de la propriété intellectuelle sur les variétés végétales. Ils arrivent même à faire croire à certains gouvernements qu'ils doivent devenir membres de l'UPOV pour faire partie de l'OMC! Les pays en développement doivent résister à cette partie de bras de fer mensongère, d'autant plus que l'UPOV n'offre aucun mécanisme de protection, ni pour la biodiversité ni pour les droits des agriculteurs. Les règles de l'OMC sur la brevetabilité du vivant sont révisés cette année, avant que les pays en développement n'aient à les mettre en oeuvre. Ce processus de révision pourrait être mis à profit par les pays du Sud si, au lieu d'adhérer à l'UPOV, ils s'opposent à la confusion et exigent l'exclusion de la biodiversité du régime commercial de l'OMC. L'Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) a été créée en Europe en 1961 pour accorder aux sélectionneurs de plantes des droits de monopole sur les variétés nouvelles, ce qui leur garantit des profits plus importants sur leurs innovations génétiques. Spécifiquement conçu pour promouvoir l'agriculture industrielle dans les pays industriels, le système UPOV octroie des droits sur l'obtention végétale (DOV) sur des variétés qui répondent à des critères précis, dont l'uniformité génétique. Ces droits ne «protègent» pas les plantes dans un sens conventionnel. Ils protègent plutôt les obtenteurs et leurs intérêts commerciaux. La propriété intellectuelle sur le vivant, particulièrement la Convention de l'UPOV elle-même, a des conséquences néfastes pour l'agriculture. Les plus importantes sont reprises dans l'encadré n° 1. CADRE 1 : QUELS SONT LES IMPACTS NEGATIFS DE L'UPOV ? La Convention de l'UPOV établit des règles sur l'octroi des droits de monopole sur les résultat de l'amélioration des plantes. Deux actes distincts sont en vigeur dans les États-membres. L'Acte de 1978 donne aux sélectionneurs un droit exclusif sur l'usage commercial (multiplication et vente) des variétés végétales. Toutefois, ces droits sont limités par deux clauses dans l'Acte de 78. La première stipule que les électionneurs peuvent utiliser librement, pour leurs propres travaux de recherche, les variétés protégées par l'UPOV. La seconde donne une dérogation aux agriculteurs pour la réutilisation des semences sous certaines conditions. Lors de la révision de la Convention de l'UPOV en 1991, ces deux exemptions ont été réduites. De surcroît, l'Acte de 1991 étend le droits des obtenteurs de la variété au produit récolté par l'agriculteur. Aujourd'hui, tout pays souhaitant adhérer à l'UPOV est obligé de signer le traité de 1991. Les implications de ce système législatif sont profondes: Implications pour les producteurs: L'UPOV impose des restrictions juridiques et économiques sur les pratiques des agriculteurs. Sous le traité de 1978, les droits des paysans sont réduits à un « privilège », tandis que sous le traité de 1991, ce privilège disparaît du système. L'UPOV laisse la décision à chaque pays membre s'il veut accorder une dérogation pour la réutilisation des semences à la ferme. Le système UPOV restreint, comme principle général, l'accès aux ressources génétiques, que ce soit à des fins de production ou d'amélioration. Alors que les paysans contrôlent 80 à 90% de l'approvisionnement en semences dans le Sud, l'introduction de droits sur l'obtention végétale transférerait ce contrôle au secteur privé. Contrairement à ce qu'on peut penser, les entreprises semencières transnationales n'hésitent pas à poursuivre des agriculteurs en justice pour la reproduction des semences propriétaires, et même à mettre en pratique des moyens autrement forts pour empêcher la réutilisation des semences (comme le droit des contrats gouvernant des achats, des technologies du type « Terminator » qui forcent les plantes à s'auto-stériliser, ou encore des techniques d'hybridation nouvelles). Accélération de l'érosion génétique: L'UPOV est construite afin de promouvoir l'agriculture industrielle, particulièrement de par ses critères de Distinction, Uniformité et Stabilité des variétés protégeables. Le critère d'uniformité à lui seul est souvent accusé d'accélérer la perte de la biodiversité agricole. En autorisant des entreprises à collecter des royalties sur les ventes de semences, l'UPOV stimule la concentration du secteur semencier ce qui entraîne une réduction du nombreux d'acteurs et renforce l'érosion de la base génétique de l'agriculture. Les firmes semencières, qui ne jouent pas de rôle dans la conservation génétique (elles se reposent sur les banques de gènes), tendent à travailler avec un matériel d'élite, hautement stabilisé et largement adapté. Soutenues par des efforts intensifs de promotion et de commercialisation, ces variétés tendent à remplacer peu à peu les variétés traditionnelles plus diversifiées, avec pour conséquence une réduction de la base génétique de l'agriculture. Voilà pour les tendances; les données sur le renouvellement variétal et la réduction de la base génétique des variétés modernes sont aisément disponibles. Impacts négatifs sur la R&D: Des études d'impact sur l'effet de l'UPOV menées dans un de ses États-membres, les Etats-Unis d'Amérique, révèlent une réduction de la circulation du germoplasme parmi les sélectionneurs, une diminution de l'échange des informations scientifiques, et un ralentissement des progrès en matière d'amélioration végétale. Peu d'études similaires ont été réalisées dans les pays-membres de l'UPOV, malgré près de 40 ans d'expérience. On peut noter toutefois que l'UPOV s'est vu obligé de réviser son traité en 1991, afin de résoudre un important dysfonctionnement interne: au lieu de promouvoir l'innovation (la création de variétés nouvelles), le système incitait au plagiat (il permettait aux sélectionneurs de faire de très petits changements sur les variétés existantes et recevoir un autre titre à part entière). Source: GRAIN, « TRIPS versus biodiversity: What to do with the 1999 review of Article 27.3(b)» Barcelone, Mai 1999, 13 pages, www.grain.org/publications/reports/tripsmay99.htm ou s'adresser à GRAIN pour une copie électronique ou imprimée (indiquer laquelle). Bientôt disponsible en français. Récemment encore, les États-membres de l'UPOV étaient limités aux pays industrialisés. Mais au cours des dernières années, un certain nombre de pays du Sud se sont affiliés (voir l'encadré n° 2) sous la pression des accords commerciaux. Le plus important de ceux-ci est l'accord de l'OMC sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce (ADPIC). L'ADPIC, qui est entré en vigeur en 1995, exige des gouvernements qu'ils assurent la protection de la propriété intellectuelle dans tous les domaines de la technologie. L'Article 27 de l'ADPIC définit les droits relatifs à la biodiversité: il exige de tous les États-membres qu'ils accordent des droits sur les micro-organismes et les variétés végétales. Les micro-organismes doivent obligatoirement être brevetables, tandis que pour les variétés végétales – la base du système alimentaire mondial – les gouvernements ont le choix entre système de brevets ou système sui generis efficace, ou bien un mélange des deux. Aucune définition exacte n'est donnée de ce qu'est un système sui generis, ni de ce qui rendrait un tel système efficace. « Sui generis » signifie simplement « spécial » ou « unique ». Cela veut dire qu'il s'agirait d'un système autre que le brevet. Pourtant, les pays en développement, s'ils choisissent cette alternative plutôt que la brevetabilité de leur ressources génétiques – et s'ils veulent échapper aux sanctions des autres membres de l'OMC – seraient obligés de trouver des systèmes sui generis avant la fin de cette année. CADRE 2 : LES MEMBRES DE L'UPOV (43) EN DATE DE MAI 99 Afrique du Sud, Allemagne, Argentine, Australie, Autriche, Belgique, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Chine, Colombie, Danemark, Equateur, Espagne, Etats-Unis d'Amérique, Fédération de Russie, Finlande, France, Hongrie, Irlande, Israël, Italie, Japon, Kenya, Mexique, Nouvelle Zélande, Pays-Bas, Norvège, Panama, Paraguay, Pologne, Portugal, République de Moldavie, République Tchèque, Slovaquie, Suède, Suisse, Trinité et Tobago, Royaume-Uni, Ukraine, Uruguay. Nulle part l'ADPIC ne stipule que le schéma des droits sur l'obtention végétale de l'UPOV est le systéme juste, efficace ou même souhaitable en tant que système sui generis dans le contexte de l'OMC. Certains disent que le système UPOV peut difficilement être considéré comme « sui generis », vu qu'il n'est en réalité qu'une copie édulcorée du système de brevets. De toute façon, ses adhérants revendiquent activement l'insertion d'une référence à l'UPOV dans les accords de l'ADPIC, en tant que « la » loi sui generis idéale. Cela voudrait dire que tout membre de l'OMC serait forcé d'appliquer les règles de l'UPOV. Comme si cela n'était pas suffisant, l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et l'OMC ont joint leurs forces à celles de l'UPOV pour faire pression sur les pays en développement à adopter des lois conformes à l'UPOV avant la fin de cette année. L'intervention de l'OMC dans cette campagne est particulièrement inquiétante. En prenant ouvertement position, l'OMC se positionne automatiquement dans un camp: celui des supporters de l'UPOV, présenté comme « le » système sui generis acceptable. Cela provoque la colère des gouvernements du Sud, car l'OMC n'est pas là pour interpréter le sens du droit national. Les États-membres sont libres d'exercer leur droit souverain. Les pays industrialisés et les entreprises transnationales tentent de persuader les pays du Sud à adopter l'UPOV. Même si pour les firmes biotechnologiques le DOV n'est nullement suffisant, il peut servir à atteindre un objectif: faire accepter la brevetabilité du vivant par les pays en développement. C'est bien là, le but réel de ceux qui ont mis la propriété intellectuelle à l'agenda des négociations commerciales mondiales – enceinte où elle ne devrait pas figurer ! Tous les discours qui décrivent l'UPOV comme système juridique adapté à l'agriculture ne sont que des appâts déguisés pour préparer psychologiquement les gouvernements du Sud à l'expansion du système de droits de propriété industrielle du Nord sur la biodiversité. L'UPOV vit une seconde jeunesse Depuis plus de trois décennies, les représentants de l'UPOV voyagent dans le monde afin d'attirer de nouveaux membres du Sud dans leur club. Ils ont obtinrent remarquablement peu de succès (voir Seedling, juin 1996, p. 23). Mais l'entrée en force de l'ADPIC en janvier 1995, et la confusion générale qui en résulta, changea la situation en faveur de l'UPOV. Les vingt-sept États-membres de départ – dont tous, à l'exception de trois, faisaient partie du monde industrialisé – sont passés à quarante-trois en mai 1999, parmi lesquels onze sont des pays en développement. Un certain nombre d'entre eux se sont empressés de signer la convention de l'UPOV de 1978 avant la fin du délai d'inscription en avril 1999. En un seul mois, la Bolivie, la Chine, le Kenya, le Brésil et le Panama ont rejoint les rangs de l'UPOV de 1978, considéré comme un moindre mal par rapport au traité révisé de 1991. Le Nicaragua et le Zimbabwe, qui ont raté la date limite d'inscription de l'UPOV 78, ont demandé une prolongation du délai. D'après les observateurs, à la question du parlement sur les raisons de ce soudain empressement, le gouvernement nicaraguayen a répondu que rejoindre l'UPOV était nécessaire pour échapper aux sanctions commerciales à l'OMC. Quand le parlement a demandé des précisions sur ces sanctions, sachant que l'UPOV n'a aucun lien avec l'OMC, les bureaucrates gouvernementaux sont restés silencieux. La bataille de l'UPOV pour recruter de nouveaux membres a reçu un sérieux coup de pouce avec la formation de l'alliance UPOV/OMC/OMPI. Les trois organisations se sont mises à l'oeuvre dès le début de 1999, en organisant une série de séminaires visant à convaincre les pays en développement à se conformer à l'UPOV pour mettre en oeuvre l'Article 27.3(b) de l'ADPIC. Le coup d'envoi des réunions fut donné à Genève, en février, et a réuni des représentants de tous les pays en développement. Le séminaire a été suivi par des ateliers régionaux et sub-régionaux: Asie-Pacifique (Bangkok) en mars, monde arabe début mai (le Caire) et Afrique de l'est (Nairobi) peu après. Entre temps, l'Afrique francophone a signé en bloc la Convention UPOV. Les organisations paysannes et les ONG ont été écartées de ces ateliers mais plusieurs participants les ont décrits comme des exercices de lobbying, frisant des tentatives de corruption. A un atelier, un des participants fit remarquer que « les membres de l'UPOV ont réussi à semer la confusion parmi les participants, dont beaucoup pensent maintenant que l'UPOV et les systèmes sui generis ne font qu'un. Certains semblent même croire qu'ils doivent joindre l'UPOV pour être membres de l'OMC. » CADRE 3 : LA REVISION E L'ARTICLE 27.3(b) DE L'ADPIC L'Article 27.3(b) de l'ADPIC est l'un des paragraphes les plus controversés de l'accord tout entier, du fait qu'il exige des États-membres d'accorder des monopoles privés sur la biodiversité, base de la sécurité alimentaire. Les implications pour les agriculteurs, scientifiques et consommateurs d'une part, et pour quelques entreprises multinationales d'autre part, sont immenses. Pour cette raison, la révision de l'Article 27.3(b) de l'ADPIC en 1999, prévu depuis son entrée en vigeur, est crucial et urgent pour de nombreux pays en développement. Certains pays industrialisés, menés par les USA, tentent de réduire la révision à un simple échange d'informations sur la mise en oeuvre du sous-paragraphe plutôt qu'à une véritable révision de ses termes. Leur objectif ultime est de voir supprimé cet Article, de façon à ce que non seulement les variétés végétales mais également les plantes et les d'animaux en tant que tels soient sujets à la brevetabilité dans tous les États-membres de l'OMC. Le camp « pro-brevets » se montre favorable au retrait de l'option sui generis pour les obtentions végétales de 27.3(b), ou au moins à sa réduction à l'UPOV par l'insertion d'une référence à cette Convention dans l'accord ADPIC même. En attendant, un nombre de plus en plus important de gouvernements du Sud espèrent profiter de la révision de 1999 pour résoudre le conflit entre les exigences de l'ADPIC d'une part et leurs engagements à la Convention sur la Diversité Biologique (CDB) d'autre part. Des pays comme ceux de la Communauté Andine, l'Asie du Sud-Est, l'Inde, et de nombreux gouvernements du Sud et de l'Est africains ont lancé des appels pour que le re-éxamen remette en question les termes mêmes du sous-paragraphe. Selon eux, la solution logique est d'exclure la biodiversité de la portée de l'ADPIC ou sinon revoir le délai de sa mise en oeuvre dans les pays en développement afin qu'on puisse résoudre les conflits entre l'ADPIC et la CDB et trouver une solution adéquate. A mi-chemin de l'année, la révision de 1999 n'a que lentement évolué, et les vraies discussions ont jusqu'ici été évitées. Les sessions restantes sont prévues à Genève, pour les 7 et 8 juillet, les 15 et 16 septembre et les 23 et 24 novembre. Source: GRAIN, « TRIPS versus biodiversity: What to do with the 1999 review of Article 27.3(b) » Barcelone, Mai 1999, 13 pages, www.grain.org/publications/tripsmay99-en.cfm L'Afrique dans la ligne de mire La pression exercée envers l'Afrique est particulièrement forte. En février 1999, les forces de l'UPOV ont réussi à faire entrer onze des pays les plus pauvres d'Afrique dans les rangs de l'UPOV 91. Ces pays – qui, avec quelques autres pays en développement, font partie de l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), de composition francophone – jouissent d'un statut spécial à l'OMC, où ils sont traités comme pays les moins développés. Grâce à ce statut, ils n'ont pas à mettre en oeuvre l'Article 27.3(b) de l'ADPIC avant le 1er janvier 2006. Cependant, d'une manière ou d'une autre, on leur a fait croire qu'il vaut mieux jeter par la fenêtre les sept années qu'il leur reste pour mettre en place des mécanismes appropriés pour la stimulation de l'innovation agricole, en phase avec leurs réalités, et s'aligner plutôt avec l'UPOV et son régime de monopole industriel. L'empressement des États-membres de l'OAPI vers l'UPOV a été perçu par certains comme une tentative délibérée de la part des industriels de saper tous les processus de développement de législations en faveur des agriculteurs, en cours depuis quelque temps en Afrique. La décision doit encore être ratifiée dans chaque pays membre. Mais il est évident qu'elle se heurte de plein fouet avec la détermination de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA), qui a comme mandat d'aider les gouvernements africains à élaborer des systèmes législatifs sui generis qui assureraient la protection et l'épanouissement des droits communautaires comme une condition au développement durable dans le continent. Le Docteur Johnson Ekpere, de la Commission Scientifique, Technique et de la Recherche de l'OUA, a été surpris par l'accueil favorable que l'Afrique francophone a tout d'un coup démontré envers l'UPOV. Selon Ekpere, « La plupart des pays en développement ne sont pas membres de l'UPOV parce que celui-ci ne répond pas à leurs besoins. » Il a souligné le fait que « le système de l'UPOV s'inscrit parfaitement dans la philosophie des économies industrielles, où l'accent est mis sur la protection des investissements et des intérêts des grandes et influentes entreprises semencières, qui emploient les sélectionneurs professionnels. La situation des pays en développement est complètement différente. Les acteurs du secteur semencier, et les principaux producteurs de semences, sont de petits agriculteurs ou des coopératives paysannes. Il est dès lors évident que dans ces pays, les lois devraient se focaliser, et de façon appropriée, sur la protection desdits agriculteurs et de leurs intérêts en tant que sélectionneurs et utilisateurs de semences. » Ses paroles prennent tout leur sens si nous jetons un coup d'oeil sur la situation en Afrique. Jusqu'à présent, le Kenya, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe ont été les seuls pays africains à accorder aux sélectionneurs des droits sur l'obtention végétale, sous des lois nationales proches de l'UPOV 78. Selon un membre du gouvernement sud-africain qui, lui, est un fervent adepte de l'UPOV, stimuler la création de « variétés nouvelles et améliorées » en octroyant des droits de propriété intellectuelle aux sélectionneurs est « le seul moyen de nourrir une population sans cesse croissante. » La création des « variétés nouvelles et améliorées » est certe un objectif louable, pour autant que ces variétés servent réellement aux Africains qui cherchent à se nourrir de façon autonome. Mais les DOV – ou l'UPOV dans ce cas précis – vont-ils réellement aider ces populations à se nourrir ? La réponse, vue par le Kenya, est « non ». Le Kenya a adopté sa loi sur les DOV en 1975. En mai 1999, sur les 140 certificats sollicités, un seul concernait une culture vivrière. Il s'agit d'une variété d'haricot vert, que le Kenya cultive pour l'exportation vers les consommateurs européens. Plus de 90 % des certificats de DOV couvrent des fleurs, et le reste concerne le café, la canne à sucre, et l'orge de brasserie (voir graphique). Les gouvernements devraient se pencher plus sérieusement sur l'évidence existante avant de croire qu'une telle forme de propriété intellectuelle va les aider « à nourrir une population sans cesse croissante. » graphique DPI en Afrique: Promouvoir la securite alimentaire? Conscients des difficultés et de la complexité à développer un système plus équitable mais conforme à l'ADPIC, les Chefs d'État de l'OUA se sont mis d'accord, lors d'un sommet à Ouagadougou en juin dernier, sur la nécessité de placer les intérêts de la majorité de l'Afrique – plus de 20 millions de paysans sur lesquels le monde industrialisé à déjà versé des milliards en aide étrangère et des tonnes de technologies inappropriées – au premier plan de l'ordre du jour. Les membres de l'OUA ont donc décidé de procéder pas à pas: 1. Rédiger une proposition viable de type sui generis, sous la forme d'une législation modèle qui tiendrait compte de l'engagement des pays africains à la Convention sur la Diversité Biologique et à l'Engagement International sur les Ressources Phytogénétiques avec ses promesses de formalisation des Droits des Agriculteurs; 2. Adopter une Position Africaine Commune pour le ré-examen de l'ADPIC de 1999; 3. Forger une alliance avec d'autres pays du Sud en prévision du ré-examen de l'ADPIC, pour éviter le sacrifice des réussites obtenues par les pays en développement en terme d'amélioration de leurs systèmes de contrôle et de bénéfices de la diversité biologique, imputable à une bien plus longue et complexe histoire d'innovations dont les pays industrialisés ne peuvent se vanter. Les États-membres de l'OUA savent que si l'amélioration des plantes est forcément dépendante de l'agriculture et vice-versa, alors tout système de protection des obtentions végétales ou de promotion de la technologie sous l'ADPIC devrait tenir compte des Droits des Agriculteurs. Depuis les années 1980, un consensus a été atteint au niveau international sur les Droits des Agriculteurs, notamment la reconnaissance de la contribution des paysans du Sud à l'amélioration des plantes. Mais certains gouvernements du Nord bloquent la pleine réalisation de ces droits puisqu'ils craignent que cela ne se traduise par des restrictions sur leur accès au germoplasme du Sud ou bien par des obligations financières envers les paysans qui ont tant contribué sous forme de ressources génétiques aux industries semencières et biotechnologiques. Dans ce contexte, l'UPOV n'est pas une option sui generis valable pour la mise en oeuvre de l'ADPIC, parce qu'il est totalement inefficace. Car les lois basées sur l'UPOV n'apportent rien aux agriculteurs – ni des droits, ni de bonnes innovations agricoles comme l'exemple du Kenya le montre. Les experts zambiens ont noté pour leur part que sous la Convention de l'UPOV, « Il serait difficile pour la Zambie d'intégrer les systèmes formels et informels d'approvisionnement de semences, qui est actuellement la direction prise par le gouvernement. En plus, nous craignons que l'engagement du gouvernement à la Convention sur la Diversité Biologique ne soit compromis. » Au contraire, le gouvernement de Lusaka se concentre sur l'élaboration « d'un système sui generis efficace et bien structuré avec une base suffisamment large pour reconnaître les droits des paysans et les droits communautaires au sens étendu, puisqu'ils ont, pendant des années, conservé la biodiversité végétale et animale. » Le Zimbabwe envisagerait d'adhérer à l'UPOV si sa demande pour une extension du délai d'inscription au traité de 1978, comme celle du Nicaragua, est approuvée. Mais le Zimbabwe s'inquiète en même temps qu'« une telle adhésion ne couvre pas tous les aspects de protection dont le Zimbabwé a besoin, particulièrement en ce qui concerne les plantes sauvages médicinales et industrielles. » Pour cette raison, les experts zimbabwéens sont en train de construire leur propre système sui generis. Le Maroc a récemment adopté une loi sur les DOV tandis que l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, la Tanzanie et l'Ouganda préparent leurs propres lois. Que le processus en cours sous l'égide de l'OUA les aide à éviter le pire des aspects de l'UPOV et leur donne raison dans leur lutte pour une exclusion de la biodiversité de l'ADPIC reste à voir. La résistance en Asie Dans d'autres endroits du monde, l'opposition à l'UPOV en tant que solution sui generis pour la mise en oeuvre de l'ADPIC s'accroît. Des organisations de la société civile représentant des ONGs, des agriculteurs et des scientifiques de cinq pays d'Asie ont protesté contre le séminaire organisé par l'UPOV, l'OMPI et l'OMC en Thaïlande au mois de mars dernier, après avoir été empêchés d'y participer. Dans leur déclaration commune, ils accusent l'OMC « d'encourager la campagne concertée de l'UPOV, du gouvernement des Etats-Unis et de l'industrie semencière qui représente 30 milliards de dollars par an, qui a pour but de faire valoir les droits des sélectionneurs comme seule option possible pour les pays en développement. » Selon Witoon Lianchamroon de BIOTHAI, « l'UPOV outrepasse les droits des agriculteurs, et les communautés thaïlandaises ne peuvent pas l'accepter. » Ashish Kothari de Kalpavriksh, un membre du comité préparatoire de l'avant-projet de Loi sur la Biodiversité en Inde, a ajouté que « L'option apportée par l'UPOV n'est pas souhaitable pour l'Inde … [parce qu'elle ignore] les intérêts et les droits de millions d'agriculteurs qui ont sélectionné et amélioré des semences pendant des milliers d'années. » Selon Binu Thomas d'ActionAid India, « Les firmes transnationales dépensent des millions de dollars pour améliorer quelques nouvelles variétés de plantes qu'ils devront par la suite faire cultiver sur des millions d'hectares pour récupérer les sommes investies. Les droits de monopole, comme l'UPOV, accélèrent cet exercice de création de profit des firmes transnationales, au détriment de la capacité des agriculteurs à nourrir leur propre famille. » Certains délégués présents à la réunion de Bangkok ont partagé des perspectives similaires. Comme le représentant des îles Fidgi le faisait remarquer, « La Convention de l'UPOV 91 semble fournir une protection exclusive aux sélectionneurs commerciaux et aux compagnies multinationales, à l'exclusion totale des paysans, des peuples indigènes et de tous les autres. » Cela pose un réel problème parce que les Fidgiens veulent faire reconnaître les droits des agriculteurs et des peuples indigènes sauvegardés et valorisés, particulièrement depuis que le pays fut victime de la bio-piraterie et de la sur-exploitation d'une plante traditionnelle: la kava (Piper methysticum). Les thaïlandais ont été gênés par les discussions. « Je suis tellement inquiet, car de plus en plus nombreuses sont les nations joignant l'UPOV. L'essence du sui generis sera modifiée en faveur de l'UPOV (…). Ce n'était décidément pas bon signe que l'OMC organise cet atelier, » a déclaré un représentant de l'Université de Kasetsart. La Thaïlande a travaillé dur pour rédiger sa propre législation sui generis qui cherche à mettre en équilibre les intérêts des paysans Thaïs face aux entreprises multinationales semencières. C'est pourquoi la Thaïlande ne peut accepter de réduire l'option sui generis à un système tel que l'UPOV, dont on connaît les retombées. « L'UPOV est une espèce de sui generis mais n'est pas un système sui generis – nous n'accepterons pas de lavage de cerveau, comme les autres l'ont accepté, » s'est écrié au terme d'un atelier un autre universitaire Thaï, qui a également appelé pour « l'unité du Tiers Monde » contre la campagne de l'UPOV pour co-opter l'accord ADPIC. Aux Philippines, la résistance à l'UPOV et à toute forme de propriété intellectuelle sur le vivant s'intensifie. Déjà en 1994, quand Barry Greengrass, Vice-Secrétaire Général de l'UPOV, visita l'archipel pour promouvoir sa marchandise, les scientifiques et administrateurs philippins le questionnèrent durement, demandant si mettre en oeuvre l'ADPIC signifiait l'adoption de lois du type UPOV. Il répondit « non » à l'époque, expliquant que « il est possible (mais difficile) d'imaginer un système de protection national qui ne soit pas en accord avec l'UPOV mais soit toujours considéré comme un système sui generis efficace, conforme aux objectifs de [l'OMC]. » Il semble avoir changé d'avis – mais l'agence gouvernementale philippine responsable n'a pas, elle, changé d'avis. Le Département de l'Agriculture Philippin (DA) a finalisé sa position quant au ré-examen de l'ADPIC, et soutient que les pays n'ont pas besoin de joindre ou d'adopter une législation conforme à l'UPOV, devraient-ils choisir l'option sui generis. Tout comme pour la Thaïlande et l'Inde, le gouvernement philippin rédige son propre système sui generis. Mais cela ne résout pas les conflits, ambiguités et incertitudes qui pèsent sur tous les pays en développement. Comme le souligne la position du DA philippin, « les problèmes liés aux droits des sélectionneurs, aux droits des agriculteurs et aux droits communautaires non pas encore été compris dans les discussions à l'UPOV et à l'OMC. Les accords de l'OMC restent silencieux sur le problème de la protection et de la promotion des droits des communautés indigènes, paysannes et autres communautés locales. Ce problème mérite d'être abordé avec sérieux, ainsi que l'élaboration d'un système sui generis sur les obtentions végétales. Le Département de l'Agriculture encourage la Mission Philippine à Genève à inclure ce sujet comme partie intégrante de la position philippine pour le ré-examen de l'ADPIC. » Le document rédigé par le DA propose que, « pour faire avancer la protection des droits des agriculteurs et des communautés locales, le processus de ré-examen devrait avoir pour objectif d'exclure les formes vivantes (animales et végétales) et la biodiversité (ainsi que les connaissances indigènes) du champ juridique de l'OMC. » C'est la solution la plus claire (voir encadrés Nº 3 et 4). Personne ne conteste l'importance de l'innovation et du développement technologique. Ce qui se discute c'est la façon d'y parvenir et le genre de technologie que l'on veut promouvoir. Des systèmes comme le brevetage ou l'UPOV nous poussent dans une direction à sens unique: celle de la monopolisation croissante de quelques entreprises des pays industrialisés sur le système alimentaire mondial. CADRE 4 : LA BIODIVERSITE HORS DE L'ADPIC C'est la position la plus nette pour la révision de l'Article 27.3(b): exclure toute forme de biodiversité de la portée juridique de l'OMC sur la propriété intellectuelle (brevets ou système sui generis). Le système de brevets comme les systèmes sui generis impliquent des monopoles privés et exclusifs. La mise en oeuvre de tels régimes, sous prétexte qu'ils sont des incitations à la recherche et développement, ne devrait pas être obligatoire. Pour de nombreux groupes de base dans le Sud, et pour GRAIN, cette position n'est pas négociable. Promouvoir l'innovation en incluant la biodiversité – ou l' « utilisation durable » dans le jargon environnementaliste – n'est pas une question du commerce international. La question est de renforcer des capacités et des droits aux niveaux local et national et certainement pas de renforcer la dépendance vis à vis de technologies exportées. En pratique, cela signifie que la révision de 1999 nécessitera l'amendement de l'Article 27.3(b) afin de fournir aux États-membres l'option d'exclure toutes les inventions relatives à la biodiversité des lois sur la propriété intellectuelle. « Relatif à la biodiversité » inclut les inventions qui s'appuyent sur les connaissances traditionnelles et qui n'impliquent pas nécessairement des ressources biologiques en tant que telles. Cette exemption demandera également des modifications de l'Article 27.2, qui exige la brevetabilité des micro-organismes, au cours de la révision en 2000 de l'accord entier de l'ADPIC. Cette option appelle à élargir ce qui peut être exclu de l'ADPIC. De nombreux groupes du Sud qui soutiennent cette position, n'appellent cependant pas les pays qui actuellement pratiquent des droits de propriété intellectuelle sur le vivant à changer leurs lois. L'idée, plutôt, est d'utiliser la révision pour ajuster l'ADPIC aux besoins des pays en développement et de le réconcilier avec la Convention sur la Diversité Biologique. Avec une exemption complète de la biodiversité de l'ADPIC, les pays auraient plus de champ de manoeuvre pour la réalisation des objectifs de la Convention sur la Diversité Biologique, à savoir la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité, et pourront mettre en place des mécanismes d'incitation plus appropriés pour la valorisation de la biodiversité en faveur de l'intérêt national. Source: GRAIN, « TRIPS versus biodiversity: What to do with the 1999 review of Article 27.3(b) » Barcelone, Mai 1999, 13 pages, www.grain.org/publications/reports/tripsmay99.htm ou s'adresser à GRAIN pour une copie électronique ou imprimée (indiquer laquelle). Bientôt disponible en français. Plutôt que d'être contraints à accepter ce dont ils n'ont pas besoin, les pays en développement devraient mettre à profit le ré-examen de 1999 pour faire avancer leurs propres demandes légitimes. Si les pays asiatiques se rallient à la position des Philippines et si l'OUA adopte une position commune similaire pour l'Afrique, cela constituera une base solide pour convaincre le Conseil de l'ADPIC en juillet à mettre les vraies solutions sur le tapis. Plutôt que de capituler face à l'UPOV et n'y voir qu'un moyen de se défendre contres les sanctions commerciales de l'OMC, les gouvernements du Sud devraient demander – puisque c'est leur droit – l'exclusion de la biodiversité de la portée juridique du traité sur la propriété intellectuelle de l'OMC. Ils doivent le faire dès aujourd'hui, avant qu'ils ne soient forcés de le mettre en oeuvre. Sources principales: * Fondation Gaia et GRAIN (1998), « Dix bonnes raisons de ne pas adhérer à l'UPOV », Commerce mondial et biodiversité en conflit, Numéro 2, juin, Londres/Barcelone. www.grain.org/fr/publications/num2.htm * GRAIN (1996), UPOV: getting a free TRIPs ride? Seedling, Vol. 13, No. 2, juin, Barcelone, p 23. www.grain.org/publications/seedling.htm * GRAIN (1999), « TRIPS versus biodiversity: What to do with the 1999 review of Article 27.3(b) » Barcelone, mai, 13 pp. www.grain.org/publications/reports/tripsmay99.htm Version française bientôt disponible. * RAFI (1999), Les petits cultivateurs pris au piège des accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle touchant au Commerce (ADPIC): L'impact des droits de propriété intellectuelle sur la sécurité alimentaire durable et les agricultures paysannes demandent à être mieux considérées. Geno-types, le 19 mai. www.rafi.org/genotypes/ * Articles de presse et documents distribués lors des réunions organisées conjointement par l'UPOV/OMPI/OMC sur «La protection des droits sur l'obtention végétale sous l'Article 27.3(b) de l'ADPIC» (Genève, 15 février 1999; Bangkok, du 18 au 19 mars 1999; Nairobi, du 6 au 7 mai 1999). Traduit de l'anglais par Nathalie Talmasse avec l'assistance de Hélène Ilbert et GRAIN. Référence pour cet article : GRAIN, 1999, L'UPOV sur le sentier de la guerre, juin 1999, Seedling, GRAIN Publications Lien sur internet : www.grain.org/fr/seedling/upov-fr.cfm Notice de copyright : Les publications de GRAIN peuvent être reproduites, traduites et distribuées. Tout ce qu'on vous demande de faire c'est de citer les sources originales et d'envoyer une copie à GRAIN. GRAIN, Girona 25 ppal, Barcelona E-08010, Espagne.