GRAIN Depuis quelques temps déjà, on entend parler d'une nouvelle r évolution verte pour l'Afrique, car "La première révolution verte a raté l'Afrique" ou parce que "l'Afrique a raté la première révolution verte". Aujourd'hui, un nouveau projet, l'Alliance pour une révolution verte en Afrique, tente de mettre ce concept en application. Cet article a pour but de décrire ce que signifie réellement une révolution verte et pourquoi des projets de ce type n'ont pas fonctionné en Afrique auparavant pour les agriculteurs africains et pourquoi le nouveau programme AGRA ne pourra pas non plus marcher, afin d'aider à ce que les gens puissent prendre position aux niveaux locaux, nationaux et régionaux. Les partisans de la révolution verte la désignent comme une stratégie de lutte contre la faim dans le monde, rassemblant dans les pays en développement la recherche scientifique internationale et les variétés de plantes cultivées soi-disant améliorées largement disséminées dans le monde. Le modèle a été proposé dans les années 50 par les Fondations Ford et Rockefeller comme un moyen de contrecarrer la menace de la "Révolution rouge": l'expansion du communisme dans les pays pauvres. En commençant par le Mexique, les Philippines et l'Inde, les nouvelles variétés de blé, de riz et de maïs se sont rapidement propagées sous les tropiques et ont remplacé les variétés des agriculteurs. Mais ces variétés n'ont produit les résultats attendus de "hauts rendements" que s'il y avait de l'irrigation, de la mécanisation et de grosses quantités d'engrais chimiques (le seul moyen pour que ça fonctionne) et de pesticides. La conséquence de cet effort a en effet été une augmentation des rendements pour des cultures spécifiques et dans des pays bien précis, au moins sur leurs terres irriguées, fertiles et plates. Par exemple, pendant ce programme, l'Inde a multiplié par dix sa production de blé et par trois sa production de riz. Norman Borlaug, considéré comme l'un des pères de la révolution verte, a reçu le prix Nobel de la paix en 1970 pour sa contribution. Mais derrière les rendements accrus, il y avait un énorme prix à payer, en termes économiques, agricoles et sociaux. L'utilisation de grosses quantités d'eau, d'engrais et de pesticides chimiques ont appauvri les sols, les laissant moins fertiles et gravement pollués. La biodiversité locale a été considérablement réduite, rendant les agriculteurs dépendants des fabricants de pesticides et des fournisseurs de semences extérieurs. Les profonds changements culturels et sociaux provoqués par la révolution verte ont entraîné un exode rural massif et avec lui, une perte des savoirs et des savoir-faire traditionnels. Pour la majorité des agriculteurs, les profits des débuts se sont bientôt transformés en dettes et nombre d'entre eux, dans l'incapacité d'y faire face, se sont donné la mort. "Que la terre s'ouvre et nous engloutisse! Mes quatre hectares sont stériles car ils sont gorgés d'eau. Il y a des mauvaises herbes partout," explique Ram Pal, un agriculteur indien de 60 ans du village de Kalawala, dans l'état du Punjab. "J'ai trois bouches à nourrir et 1100 dollars de dettes à rembourser (…) En Inde, la révolution verte a peut-être enrichi le Punjab, mais elle a ruiné la terre et les petits agriculteurs, et les a forcés à s'endetter et à migrer vers les villes".[1] Pourquoi la première révolution verte a-t-elle été ignorée par les Africains? Entre 1960 et 1970, l'Afrique était occupée à gérer son indépendance nouvellement acquise, et n'a pas été intégrée à l'élaboration des premiers projets de la révolution verte. L'agriculture familiale était encore la norme en Afrique et la recherche officielle était menée par les systèmes de recherche agricole des pouvoirs coloniaux. Dans les pays africains francophones, les instituts de recherche français, comme l'IRAT, l'ORSTOM et le CIRAD[2] étaient très actifs. Ces institutions donnaient la priorité aux cultures de rente pour l'exportation vers les pays du Nord: le café et le cacao au Ghana et en Côte d'Ivoire, le coton dans le nord du Bénin, au Burkina Faso, au Mali et au Tchad, les arachides au Sénégal, et le palmier à huile au sud du Bénin. Souvent, les pouvoirs coloniaux devaient avoir recours à la force pour expulser les agriculteurs de leurs terres et imposer leurs variétés et leurs systèmes agraires. Même après l'indépendance, les cultures vivrières locales ont continué à être marginalisées par la recherche scientifique pendant encore une dizaine d'années. Ensuite, les instituts de recherche comme l'IITA (Institut international d'agriculture tropicale du Nigeria) et l'ICRISAT (Institut international de recherche sur les cultures des zones tropicales semi-arides), ont été parachutés en Afrique pour développer des programmes inspirés de la révolution verte pour certaines des plantes alimentaires du continent. Mais ils n'ont pas pris en compte les réalités de terrain et peu de ces "variété améliorées" ont été acceptées par les agriculteurs et consommateurs africains. La révolution verte, basée sur un réductionnisme scientifique, a abouti à des monocultures, l'utilisation d'intrants chimiques (comme des engrais et des pesticides) et une mécanisation inappropriée. C'est une approche totalement étrangère au système agraire du paysan d'Afrique qui a une approche plus holistique de l'agriculture dans laquelle les plantes sont associées à l'élevage, où on utilise du fumier organique et prend soin des sols, et où il y a un profond respect de l'environnement plus large. Le CGAIR a dépensé une bonne moitié de son budget en Afrique ces vingt ou trente dernières années, mais la révolution verte n'a jamais pris racines. Maintenant, avec un apport financier des fondations Bill Gates, Rockefeller et d'autres donateurs des Etats-Unis, beaucoup des organisations mêmes qui avaient fait une première tentative vont essayer à nouveau. Elles s'appellent elles-mêmes "Alliance pour une Révolution Verte en Afrique", AGRA, et sont en train de mettre leur nouveau plan à exécution. L'AGRA: une formation pour quoi faire? L'AGRA déclare que son principal objectif est d'aider l'Afrique à accroître sa productivité pour un certain nombre de plantes alimentaires majeures, tout comme cela avait été envisagé par les programmes initiaux de la révolution verte.[3] Et une fois de pus, cela est censé se faire via la sélection végétale de type occidental dans les instituts nationaux de recherche agricole. La différence étant que cette fois-ci une nouvelle fournée de sélectionneurs de plantes sera formée en Afrique même, au lieu d'être formée dans les université du Nord, mais l'université de Cornell, la principale institution des premiers programmes de la révolution verte, sera cependant là pour superviser la formation. En janvier 2008, un premier lot de sélectionneurs agricoles d'Afrique de l'ouest et centrale commencera sa formation à l'Université du Ghana, où le nouveau Centre d'Afrique de l'Ouest pour l'amélioration des plantes (WACCI) sera installé. Les étudiants travailleront sur le maïs, le manioc, le sorgho, le millet, la tomate, la dolique et d'autres plantes importantes pour l'alimentation africaine. Ce projet est financé par la coquette somme de 4,9 millions de dollars (plus de 24 milliards de francs CFA) venant de l'AGRA. Il a l'intention de former 40 étudiants sur une période de 5 ans, en commençant en janvier 2008, avec 8 étudiants inscrits par an. De plus, l'université du Kwazulu-Natal en Afrique du Sud, qui abrite le Centre Africain pour l'Amélioration des Plantes cultivées de la fondation Rockefeller (ACCI), formera 120 sélectionneurs dans les dix prochaines années avec un financement de l'AGRA de 8,1 millions de dollars. Les sélectionneurs de plantes ne seront pas seulement formés aux technologies, mais aussi au lobbying. Lors d'une récente réunion de sélectionneurs de maïs du sud et de l'est de l'Afrique, il a été vivement conseillé aux gouvernements de délivrer rapidement les autorisations de cultiver les nouvelles variétés. Ou, selon les termes de Jane Irinda, directrice de programme chez AGRA, "Pour pouvoir fournir de nouvelles variétés améliorées aux agriculteurs pour qu'ils augmentent leurs rendements et améliorent leurs conditions de vie, les pays doivent mettre en place un système de réglementation qui soit en mesure d'effectuer rapidement les tests et permettre l'afflux de nouvelles variétés commerciales."[4] L'AGRA se sert de son considérable pouvoir politique pour convaincre les gouvernements africains de mettre en place des politiques et des mécanismes qui garantiront un fonctionnement sans heurts de l'agrobusiness.[5] Les conséquences de l'accession au marché de semences en procédure accélérée veut dire que les plantes ne sont pas testées dans les conditions locales de manière adéquate. L'agriculteur est ainsi le seul à prendre tous les risques d'un échec de la culture alors que la compagnie est assurée d'un bénéfice financier rapide. Contrôler les fournisseurs de l'agroalimentaire: la voie la plus courte vers les agriculteurs En plus de la formation, un autre empêchement au succès de l'implantation de la révolution verte, telle que la conçoit l'AGRA, est de fournir les semences aux agriculteurs. La solution proposée par l'AGRA est de construire une infrastructure qui facilite le développement des entreprises privées de semences. C'est une chose que la fondation Rockefeller et la Banque mondiale essaient de faire depuis quelques temps déjà, sans beaucoup de succès. L'une des premières étapes de l'AGRA cependant est de créer un réseau de "fournisseurs en agroalimentaire", pour vendre les semences, les pesticides et les engrais. L'AGRA a déjà recruté une ONG étasunienne appelée Citizens'Network for Foreign Affairs (Réseau de citoyens pour les affaires étrangères) pour effectuer ce travail au Kenya, en Tanzanie et au Malawi. Jusqu'à présent, cette ONG a reçu près de 14 millions de dollars de subventions, ce qui en fait de loin le plus gros bénéficiaire des financements de l'AGRA jusqu'à présent. Pour approvisionner les fournisseurs, les donateurs de l'AGRA financent aussi des entreprises privées de semences. La fondation Rockefeller est le principal investisseur dans l'African Agricultural Capital (Capital agricole africain), un fonds d'investissement en capital-risque qui investit dans plusieurs petites entreprises de semences africaines qu'il contrôle en partie et qui sont aussi soutenues par l'AGRA.[6] L'AGRA essaiera certainement d'aider à développer des marchés avec les petits agriculteurs qui ont été jusqu'à présent limités par la résistance tenace des systèmes traditionnels de semences qui ont toujours été approvisionnés avec des semences de grande qualité, abordables, adaptées localement et culturellement acceptables. En attendant, en Afrique francophone, l'AGRA finance la recherche agricole nationale au Mali par des activités de recherche menées à l'Institut d'Economie Rurale (IER) sur le maïs, le sorgho et le riz. Un montant de 555 000 dollars (près de trois milliards de francs CFA) a été accordé à l'IER pour la période 2007-2010, et une somme de 208 000 dollars (plus de un milliard de francs CFA) a été accordée à l'organisation Faso Kaba pour la diffusion des variétés améliorées.[7] Ici la logique est ahurissante. L'idée est de financer les sélectionneurs publics pour qu'ils développent de nouvelles variétés (car le secteur privé ne veut pas le faire), de financer des entreprises privées pour qu'elles les vendent aux agriculteurs, et de fournir des crédits aux agriculteurs pour qu'ils achètent ces semences (car sinon, ils ne pourraient pas les payer). L'AGRA se consacre entièrement à créer une demande effective pour son propre produit, prescrivant un modèle de développement incapable de survivre par lui-même. Kenya: L'AGRA en pratique Les agriculteurs de l'ouest du Kenya ont reçu du gouvernement 6000 shillings kenyans (Sh), 92 dollars, pour leur permettre d'acheter des semences, des engrais et des pesticides. Le gouvernement fournit aussi des services supplémentaires pour veiller à ce que ces intrants soient correctement utilisés. L'argent est venu de l'AGRA qui a fourni 4,5 millions de dollars (294 millions de Sh). Un groupe appelé Agricultural Market Development Trust (Agmark), est en train de mettre en oeuvre le programme et il est prévu de l'étendre à 30 districts au Kenya.[8] Le Programme Sasakawa Global 2000, précurseur de l'AGRA, a travaillé au départ avec des petits agriculteurs. Les agriculteurs n'étaient pas très réguliers pour rembourser les emprunts ou pour acquérir des intrants et on a estimé que 60% des nouvelles affaires d'agroalimentaire n'ont pas survécu. Pour résoudre ce problème et créer une pression de groupe, il a été décidé de ne travailler qu'avec des groupes d'agriculteurs, et cette approche est maintenant courante dans ces programmes. Dans chaque village il y a un coordinateur de programme qui est payé 5 sacs de maïs par chaque agriculteur. Il vend ces sacs collectivement et se sert de l'argent pour acheter les intrants pour la saison suivante.[9] D'après l'AGRA cela rend le projet durable. Mais en réalité, le seul aspect durable de ce projet est qu'il garantit au fournisseur agroalimentaire un marché régulier.[10] En général, l'agriculteur n'a pas vraiment le choix. Ce système laisse peu de liberté aux agriculteurs de décider ce qu'ils veulent planter et quand ils veulent le faire, ils ne peuvent pas se servir des connaissances qu'ils ont accumulées depuis des années, ils ne peuvent pas répondre aux changements climatiques et aux autres changements dans leur environnement. Une fois que les financeurs cesseront de subventionner les agriculteurs, ceux-ci seront laissés avec des sols appauvris et sans semences. Le jeu bien connu de l'ancienne révolution verte continue. Vers une industrialisation de l'agriculture africaine Que ce soit l'ancienne ou la nouvelle révolution verte, les premiers perdants sont les agriculteurs, en particulier les petits. L'AGRA cherche à remplacer les semences que les agriculteurs africains ont soigneusement développées pour leurs fermes et leurs cultures, par des variétés adaptées aux monocultures industrielles. Ces semences ouvriront la voie à l'industrialisation des cultures alimentaires africaines, laissant le champ libre à l'introduction et à la domination de l'agrobusiness. L'IITA, par exemple, l'un des principaux partenaires de l'AGRA, a déjà changé l'objectif de son travail en laissant tomber l'agriculture paysanne pour le développement de la production et de la transformation industrielle de manioc, sans doute la culture de base la plus importante de la région. Dans un entretien avec un quotidien du Nigeria, le directeur de la recherche développement de l'IITA a expliqué qu'"il faut encourager les agriculteurs à aller vers une agriculture à grande échelle au lieu d'une agriculture de subsistance."[11] Le problème, au moins pour l'IITA, est que leurs variétés n'ont jamais vraiment convenu à la petite agriculture. L'IITA peut avoir toujours montré le développement des ses variétés résistantes au virus de la mosaïque du manioc comme un grand succès, en pratique les agriculteurs ont toujours préféré leurs variétés locales. Une enquête récente auprès d'agriculteurs ougandais, a établi que plus des trois-quarts des personnes interrogées qui cultivaient les variétés de l'IITA ont déclaré qu'elles n'étaient pas supérieures aux variétés locales.[12] Une autre enquête auprès d'agriculteurs au Ghana établit que les agriculteurs ne cultivaient pas les variétés de l'IITA parce qu'ils donnaient la priorité aux "considérations agronomiques", c'est à dire au rendement, à la qualité alimentaire, etc. Au Bénin, où les agriculteurs cultivent plus de 300 variétés locales de manioc, seulement 13% cultivent des variétés de l'IITA. Au Kenya et en Tanzanie, quelques agriculteurs cultivent les variétés de l'IITA, malgré les programmes abondamment financés de l'USAID pour les promouvoir, et les agriculteurs tanzaniens rapportent qu'ils ne voient pas la différence pour la résistance au virus de la mosaïque du manioc entre les variétés locales et celles de l'IITA. Même là où est implantée l'ITTA, au Nigeria, ce sont les variétés locales qui dominent.[13] Ce qui est le plus dérangeant concernant la nouvelle pression de l'IITA pour la production et la transformation industrielle du manioc, financée par le gouvernement nigerian, Shell, l'USAID, la fondation Rockefeller et certainement l'AGRA dans un avenir proche, est que son succès dépend de la réduction des prix du marché pour le manioc, qui est actuellement considéré comme trop élevé pour qu'il soit compétitif comme culture d'exportation pour les multinationales de l'alimentaire et des agrocarburants. En d'autres termes, l'actuel marché du manioc marche plutôt bien, et les agriculteurs sont payés correctement pour approvisionner en manioc de bonne qualité les marchés alimentaires locaux, là où les besoins sont les plus grands. Seulement, ça ne marche pas pour les grosses entreprises de l'agroalimentaire qui, en ce qui concerne la culture, ne peuvent pas entrer en concurrence avec les petits agriculteurs et, concernant les marchés, ne peuvent pas bénéficier d'un manioc bon marché car elles refusent de payer le prix que les consommateurs nigérians paieront. C'est un bon exemple de ce que les agriculteurs africains peuvent espérer de la nouvelle révolution verte. Utilisation des ONG et des organisations d'agriculteurs L'AGRA et ses partenaires sont aussi en train de créer d'autres problèmes pour l'Afrique, en utilisant des ONG pour qu'elles les aident à créer les marchés dont ils ont besoin. L'attrait financier est bien réel et les relations publiques sont effectives et trompeuses. Ce que l'AGRA peut faire est de créer des divisions entre les ONG, entre les organisations de la société civile et les groupes d'agriculteurs qui travaillent tous pour une agriculture durable, car ces différents groupes ont des perceptions divergentes de l'impact de sa stratégie. Par exemple, en Afrique, la plupart des ONG qui défendent une agriculture durable et conduite par les agriculteurs, ont pris position contre les cultures GM parce que leur impact négatif sur les agriculteurs en Afrique est clair. Cependant, l'AGRA représente une menace aussi importante que les cultures GM pour les agriculteurs. Mais l'approche de l'AGRA est plus insidieuse et leurs ressources financières sont énormes. Il y a donc un risque que les organisations qui travaillent avec les agriculteurs et qui s'étaient précédemment unies contre les OGM se mettent maintenant à travailler avec l'AGRA. Une collaboration de ce genre avec des ONG a déjà commencé. Au Kenya par exemple, SACRED Africa, membre du réseau pour une agriculture durable, gère des essais en champ pour l'AGRA.[14] Un autre exemple au Kenya, le maïs StrigAway, une variété brevetée par BASF, l'une des plus grosses firmes de l'agrochimie du monde, est diffusée auprès des agriculteurs via un impressionnant dispositif de marketing, qui utilise les institutions publiques, les ONG et les associations d'agriculteurs. Le maïs StrigAway, une semence résistante à l'herbicide créée par mutagenèse, présente de nombreux risques pour les agriculteurs. Pour s'assurer de leur collaboration, les agriculteurs doivent être formés et étroitement surveillés et cela est fait par les ONG. L' African Agricultural Technology Foundation (AATF, Fondation pour la technologie agricole africaine) négocie avec les compagnies de semences et les instituions publiques pour le compte de BASF, en fournissant au départ des semences gratuites pour s'ouvrir les marchés. Cela fonctionne à travers un réseau de 12 ONG et de 4 associations d'agriculteurs pour commercialiser la technologie pour le compte de BASF et pour former et surveiller les agriculteurs.[|5] Pas d'OGM ? Au moment où l'AGRA a été lancée, ses fondateurs se sont empressés de souligner que l'AGRA n'utiliserait pas de plantes cultivées génétiquement modifiées (GM). Pas pour l'instant, bien sûr. Lors de la troisième assemblée générale des collaborateurs du programme de l'AGRA sur les " Biotechnologies, sélection et systèmes de semences pour les plantes cultivées africaines", un certain nombre de présentations de recherches et d'essais sur des plantes cultivées GM ont été intégrées.[16] Il est donc difficile de prendre au sérieux la déclaration que l'AGRA n'avait rien à faire avec les semences GM. Tous ceux qui financent l'AGRA, dont Rockefeller et Gates, essayent déjà d'imposer l'introduction des technologies des modifications génétiques en Afrique. Mais ils se sont rendu compte que l'initiative de l'AGRA serait plus facile à introduire sans inclure les cultures ou les semences GM. La stratégie est sans aucun doute de l'introduire plus tard, une fois que le programme sera installé et que les agriculteurs auront déjà adopté les nouvelles semences. De plus, la plupart des pays d'Afrique n'ont pas encore mis en place de législation de biosécurité, et cela n'a donc aucun sens de se focaliser sur les cultures GM actuellement. Il faut plutôt se concentrer sur l'harmonisation des politiques, en s'assurant que les durées d'autorisation des plantes cultivées sont plus rapides et en construisant l'infrastructure nécessaire à l'introduction rapide des cultures GM. Destruction de la souveraineté alimentaire La grande majorité des Africains consomment ce qu'ils produisent, malgré le commerce international. L'Afrique se caractérise par sa diversité culturelle, qui fait sa richesse. En ignorant la première révolution verte, les Africains ont montré au monde qu'ils avaient compris que cette Révolution tuerait leur diversité culturelle et leur agriculture. Vu tout ce qui a été dit, il existe de grosses contradictions entre le modèle avancé par l'AGRA et la vision de la souveraineté alimentaire pour l'Afrique. Avec le temps, les agriculteurs africains ont créé une agriculture riche et dynamique qui a été gravement affectée par l'histoire du continent au cours des derniers siècles et aujourd'hui, par les multinationales dominatrices et leurs alliés pour en tirer ce qui reste des ressources et des savoirs. Des programmes comme ceux de l'AGRA, et autres soi-disant programmes "techniques", qui ignorent les réalités sociales, économiques et politiques de l'Afrique, sont incapables d'apporter quelque-chose de positif. Si les agriculteurs africains s'organisent, s'ils redécouvrent et mettent en valeur leurs cultures et leurs savoirs, c'est alors que l'Afrique aura vraiment la force de changer. Avec le changement climatique et l'avancée du désert sur le continent, il est opportun de penser à la souveraineté alimentaire. Des pratiques agroécologiques variées existent dans tous les pays africains, mais elles ne sont pas toujours connues à cause de la nature orale des cultures, trait commun à tout le continent. Pour apporter une alternative à l'AGRA, il est important de promouvoir ces pratiques agroécologiques locales, et de travailler avec les agriculteurs pour les améliorer, au niveau local comme au niveau national et régional. Ce qui est en jeu, c'est la survie des générations futures. Encardré : L'autre AGRA: le projet Sasakawa Global 2000 Sasakawa Global (SG) 2000 est un projet financé par Nippon Foundation et conduit par Norman Borlaug et il est opérationnel depuis les années 90. Il fonctionne principalement via les gouvernements, en utilisant les services logistiques des gouvernements et en influençant les politiques. SG 2000 apporte une aide par des crédits pour acheter des semences hybrides, des engrais et des pesticides. Le projet a fait l'objet de louanges pour des rendements plus élevés dans des années de pluviosité abondante (tant que le crédit est disponible) mais cette industrialisation de l'agriculture a aussi été sévèrement critiquée car elle crée une dépendance vis à vis des importations étrangères de semences et d'engrais, et un besoin de mécanisation qui demande un remembrement. En Afrique, comme en Asie, la révolution verte a forcé de nombreux agriculteurs à quitter leurs terres et le coût social, environnemental et financier a été élevé. 17 Ethiopie: nourrir les affamés ? Dans les années 90, Norman Borlaug et Jimmy Carter ont visité l'Ethiopie et ont convaincu le gouvernement de soutenir l'introduction de semences hybrides et d'engrais, et de libéraliser les marchés. Cela a été fait avec le soutien de Sasakawa Global 2000, et il s'en est suivi dix ans d'initiatives globales soutenant la production agricole, même si cela est allé de pair avec la suppression de l'aide de l'état à l'agriculture. Sous la pression des prêteurs internationaux et des donateurs des aides, le gouvernement a dérégulé le secteur de la semence et des marchés de céréales et les a laissés au secteur privé. Avec la récolte exceptionnelle de 2001, les marchés n'ont pas pu s'en sortir et les prix se sont effondrés. 18 L'Ethiopie a été rejetée dans une famine de plus malgré une production agricole nationale en augmentation, les agriculteurs furent laissés à leurs dettes et beaucoup perdirent leurs terres. Ghana: des agriculteurs acculés à la faillite Le projet SG 2000 au Ghana s'est avéré lui aussi non durable. Au début, le gouvernement ghanéen a fourni les services de ses agents de vulgarisation pour gérer la distribution des intrants, des pesticides et des semences et ils ont aussi recueilli les emprunts auprès des agriculteurs. Le crédit a été apporté par SG 2000. Les rendements se sont accrus, et se sont élevés dans certains cas à trois fois la moyenne nationale, mais les rendements du maïs ont augmenté de seulement 26%. Les agriculteurs devaient bien sûr renoncer à leurs propres semences et systèmes de culture. Pour soutenir cette approche de privatisation des intrants et des marchés agricoles, des réformes structurelles ont été mises en œuvre au Ghana dans les années 80 et en 1989 la compagnie para-gouvernementale des Semences du Ghana a été fermée et la politique nationale des semences a encouragé un développement du secteur privé des semences. Les marchés et le crédit ont été libéralisés avec des taux d'intérêt montant jusqu'à 40%. Le projet SG 2000 était prêt à décoller. Cependant, dès que le projet a pris de l'ampleur (il a dépassé le simple projet de démonstration), seuls 44% des agriculteurs ont été capables de rembourser leurs emprunts. La Banque de Développement du Ghana fut ensuite persuadée d'accorder des prêts à 20000 agriculteurs. Et là encore, le recouvrement des emprunts des agriculteurs fut seulement de 45%. Il fut alors décidé que les services du gouvernement ne seraient pas chargés du recouvrement des emprunts ni de la distribution des intrants. SG 2000 a instauré l'organisation d'un réseau de producteurs de semences privés et de marchands d'intrants et réduit le projet. Monsanto a commencé à s'engager dans la promotion de la pratique aratoire sans labour et bien sûr de l'utilisation du Roundup Ready. La stratégie suivant de cette expérience a été de se servir de la pression sociale et un nouveau mécanisme de crédit fut conçu, travaillant en collaboration avec les associations d'agriculteurs plutôt qu'avec les agriculteurs isolés. Une évaluation du projet conclut que l'objectif du projet était trop étroit, se concentrant seulement sur le maïs et que le projet était incapable de s'ajuster aux changements des marchés et des politiques gouvernementales. Par exemple, on n'a pas présenté un choix varié aux agriculteurs et l'engrais recommandé était le même pour tous. Un autre problème courant avec ce genre d'approche de l'agriculture est le surplus que les agriculteurs produisent dans une culture, en l'occurrence le maïs, qu'ils ne peuvent pas vendre ou vendre à perte. Quand la pratique aratoire sans labour a été introduite par Monsanto, l'utilisation de l'herbicide a fait augmenter le coût des intrants à 120 $ par hectare, obligeant les agriculteurs à emprunter avec u taux d'intérêt de 30 à 40%. 19 Une fois que SG 2000 a cessé de fournir le crédit, l'utilisation de l'engrais par les agriculteurs a baissé et le projet s'est arrêté. L'évaluation conclut que le projet n'avait pas tenu compte des "possibilités de ressources des petits propriétaires et de leur capacité à prendre des risques". SG 2000 a dépensé 20 millions de dollars sur 17 ans au Ghana. Ce projet s'est arrêté en 2003 au Ghana mais vise maintenant l'Ethiopie, le Nigeria, le Mali et l'Ouganda. "Si vous voulez faire une expérience agricole en Afrique, faites cette expérience en prenant des subventions de l'Occident pour une année", dit Kwame Amezah, directeur adjoint des services logistiques au ministère de l'alimentation et de l'agriculture du Ghana. 20 Réferences 1 Kumkum Dasgupta, "Pas si rose, la révolution verte!" Le Courrier, 2001, http://www.unesco.org/courier/2001_01/fr/doss22.htm 2 IRAT: Institut de Recherche Agronomique Tropicale; ORSTOM: Office de Recherche Scientifique et Technique d’Outre Mer (actuellement Institut de Recherche pour le Développement - IRD); CIRAD: Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement. 3 Voir: http://www.agra-alliance.org/ 4 Voir: http://www.agra-alliance.org/ 5 AGRA, " Top maize breeders in Southern and Eastern Africa urge governments to speed approvals of new crop varieties needed by farmers", AGRA, Nairobi, Kenya, 5 October 2007, http://www.seedquest.com/News/releases/2007/october/20565.htm 6 Voir: http://aac.co.ke/about_us.htm 7 Voir: http://www.agra-alliance.org/about/grants.html 8 Agmark est le membre Kenyan du Citizens Network for foreign affairs (Réseau citoyen pour les affaires étrangères), lui aussi finance par l'AGRA. 9 S. Mbogo, “Maize production rises as project helps farmers get access to inputs.” Business Day Africa. 12 November 2007 http://tinyurl.com/3ak8df 10 S Mbogo, “Maize production rises as project helps farmers get access to inputs.” Business Day Africa. 12 November 2007 http://tinyurl.com/3ak8df 11 The Tide, " NARSDA, IITA collaborate on cassava production", Port Harcourt, Nigeria, 15 May 2006, http://tinyurl.com/2u3rep (le lien va sur les archives de presse de Google car l'article a été supprimé) 12 Pamela Anderson and Francisco Morales (Eds.), "Whitefly and Whitefly-Borne Viruses in the Tropics: Building a Knowledge Base for Global Action", CIAT, Cali, Colombia, 2005, 351pp, http://www.tropicalwhiteflyipmproject.cgiar.org/WF-book.htm 13 Ibid 14 Voir: http://www.sacredafrica.org 15 GRAIN, Swapping Striga for Patents, "Seedling", October 2006, http://www.grain.org/seedling/?id=440 16 “Biotechnology, Breeding and Seed Systems for African Crops.” 26 – 29 March 2007, Maputo, Mozambique. Actes d'une conference organisée par la fondation Rockefeller et l'IIAM. 17 J C McCann, Maize and Grace: Africa's Encounter with a New World Crop, 1500-2000. Cambridge: Harvard University Press, http://tinyurl.com/38grql 18 Roger Thurow, Wall Street Journal. Behind the Famine in Ethiopia: Glut and Aid Policies Gone Bad, 1 July 2003, http://www.50years.org/cms/updates/story/25 19 Chris Dowswell, "Fertiliser Toolkit: promoting Efficient and Sustainable Fertiliser use in Africa", SG 2000, http://www.worldbank.org/afr/fertilizer_tk/ 20 S Killman and R Thurow, Africa Could Feed Itself But Many Ask: Should It? Issue Sets Affluent Donor Countries Against Man Who Sowed Green in Asia, "The Wall Street Journal", 3 December 2002.