African Agriculture Holdings, qui a fait son entrée à la bourse NASDAQ le 7 décembre 2023, prévoit d'exploiter plus de 2,9 millions d'hectares en Afrique de l'Ouest pour produire des aliments pour bétail et des crédits carbone destinés aux marchés internationaux.Au Sénégal, l'entreprise américaine produit de la luzerne pour exportation vers le Moyen-Orient et la Corée du Sud sur des terres et des pâturages dont les communautés pastorales dépendaient auparavant pour leur subsistance.L’actionnaire principal d'African Agriculture, Frank Timis, est un magnat de l'énergie et de l'exploitation minière dont les entreprises passées l'ont impliqué dans des affaires de fraude, de corruption et autres scandales. Plusieurs anciens diplomates américains de haut niveau siègent au conseil d'administration de la société.Oakland/Barcelone/Dakar (1 février 2024) – La société African Agriculture Holdings, basée à New York, a fait son entrée en bourse sur le NASDAQ le 7 décembre 2023. Cette nouvelle entreprise prévoit d'exploiter plus de 2,9 millions d'hectares en Mauritanie, au Niger et au Sénégal pour produire de l’alimentation animale destinée à l'exportation et vendre des crédits carbone aux entreprises cherchant à compenser leurs émissions de CO2."Qu’African Agriculture puisse revendiquer de telles surfaces et de droits à l'eau est stupéfiant et soulève de sérieuses inquiétudes quant à l'impact potentiel du projet sur les moyens de subsistance des communautés locales," a déclaré Frédéric Mousseau, directeur politique de l'Oakland Institute. "Outre le caractère douteux d'un nouveau projet de compensation carbone, il est choquant de voir une entreprise américaine s'approprier les pâturages d'éleveurs africains pour exporter de l’alimentation animale vers le Moyen-Orient et la Corée du Sud," a-t-il poursuivi."Notre message aux potentiels actionnaires d'African Agriculture est le suivant : ceci est notre terre. Il s'agit de nos pâturages, de notre patrie, de notre eau, de notre souveraineté alimentaire. Le projet doit être arrêté," a déclaré Ardo Sow, du Collectif pour la Défense des terres du Ndiaël, dans le nord du Sénégal, qui représente 37 villages et plus de 10 000 personnes.En 2018, African Agriculture a acquis un bail foncier pour 25 000 hectares de terres au Sénégal, auparavant contrôlées par une entreprise italienne, Tampieri. Les terres sont situées dans la réserve naturelle de Ndiaël – une zone humide protégée qui a été partiellement déclassée par décret présidentiel en faveur du projet italien en 2012. Le décret a été justifié comme servant "l'intérêt public," bon pour améliorer la sécurité alimentaire et conduire au développement durable. "Pourtant, les éleveurs ont perdu l'accès à leurs pâturages, le bétail a été mutilé par les barbelés installés partout et des enfants sont morts dans les canaux d'irrigation," a souligné Ange David Baïmey de GRAIN.Lors de ses déclarations officielles en vue de l’entrée en bourse, l’entreprise a d’abord omis de mentionner la lutte menée depuis dix ans par les communautés sénégalaises pour reprendre possession de leurs terres, bien que ces efforts aient été largement documentés par l'Oakland Institute, GRAIN et Action Aid. En mai 2023, le collectif Ndiaël a écrit à la société pour exiger la restitution immédiate de leurs terres ainsi que d’adéquates réparations et compensations. Dans son prospectus boursier d'octobre 2023, la société a alors reconnu que ces revendications foncières pourraient être "jugées valables."En janvier 2024, African Agriculture a annoncé un contrat d'approvisionnement pour exporter de la luzerne du Sénégal vers la Corée du Sud. L'entreprise a également détaillé des plans visant à prendre une part importante du marché de l'alimentation animale en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis lorsque les réserves d'eau dans le sud-ouest des États-Unis, leur source actuelle, se tariront.African Agriculture se vante de l'eau bon marché qu'elle peut obtenir du fleuve Sénégal à "1/100e du coût de ses concurrents étrangers." Elle oublie cependant de mentionner que le Lac De Guiers est le seul réservoir d'eau dans le bassin inférieur du fleuve Sénégal, fournissant une quantité importante d’eau à plusieurs villes – y compris la capitale Dakar dont la population est déjà confrontée à des défis majeurs en termes d’accès à l’eau. On ne peut croire aux promesses de l'entreprise en matière de développement durable étant donné qu’aucune analyse d'impact de ses projets agricoles n'a été rendue publique.En décembre dernier, African Agriculture a annoncé un accord en Mauritanie pour cultiver de la luzerne sur 1 600 hectares avec un potentiel d'expansion à 500 000 hectares, ce qui représenterait la quantité totale de terres cultivables du pays.Au Niger, African Agriculture a signé des accords portant sur 2,9 millions d'hectares pour de l'agriculture et de la compensation carbone. Cependant, on dispose aujourd’hui d’abondantes recherches qui révèlent que la quasi-totalité des projets de crédit carbone en Afrique présentent de graves lacunes et ne font rien pour réduire les émissions de carbone. Ces projets créent au contraire de nombreux problèmes, en entraînant des expulsions forcées, la perte des moyens de subsistance et des violences – le tout pour générer des profits pour les investisseurs.La société de Frank Timis, magnat de l'énergie et de l'exploitation minière d'origine roumaine, Global Commodities & Investments Ltd. – basée aux îles Caïmans – est le principal actionnaire, avec 48,5 % d'African Agriculture. Timis, qui a été impliqué dans des scandales de fraude et de corruption et accusé d'avoir trompé des investisseurs, est connu au Sénégal pour son implication dans un projet énergétique offshore qui impliquait des officiels sénégalais. Les autres principaux actionnaires de l’entreprise sont les gestionnaires d'actifs new-yorkais 10X Capital SPAC Sponsor II LLC (14,4%), Vellar Opportunities Master Fund, Ltd. (9,9%), Atalaya Capital Management LP (9,6%) et l'investisseur sénégalais Gora Seck (4,8%).Le conseil d'administration de la société comprend deux anciens diplomates américains : Bisa Williams, ancienne ambassadrice des États-Unis au Niger, et Daphne Michelle Titus, fonctionnaire du service extérieur du département d'État des États-Unis. Jonathan Modest Mero, ancien ambassadeur et représentant permanent de la Tanzanie auprès des Nations unies et de l'Organisation mondiale du commerce, siège également au conseil d'administration.Depuis qu'African Agriculture a commencé à être cotée en bourse en décembre, le prix de son action a chuté de plus de 90% – passant de 10 USD à moins de 0,90 USD à la mi-janvier. "Les investisseurs potentiels ont raison de douter des projets de l'entreprise, qui sont à la fois extravagants et néfastes pour les communautés locales. L'effondrement du cours de l'action en est le reflet," a déclaré Massa Koné, porte-parole de la Convergence globale des luttes Terre et l'Eau Ouest Afrique. "Les communautés rurales d'Afrique de l'Ouest et les investisseurs de Wall Street voient la société pour ce qu'elle est et savent qu'ils n'ont aucun intérêt à céder leurs terres ou investir leur argent," conclut-il.Pour plus d'informations :Frédéric Mousseau, The Oakland Institute, [email protected], +1 510 512 5458Elhadji Samba Sow "Ardo", Collectif pour la Défense des terres du Ndiaël, [email protected], +221 776 286 798Ange David Baïmey, GRAIN, [email protected], +233 269 08 94 32Massa Koné, Convergence globale des luttes Terre et l'Eau Ouest Afrique ( CGLTE-OA), [email protected], + 223 76 49 03 15Photo : Les communautés affectées par African Agriculture Inc dans le Ndiaël, au nord du Sénégal, se réunissent le 26 novembre 2023. Page Facebook de Michel Fiode.