« Une entreprise sans protection de la propriété intellectuelle peut-elle être durable ? Le meilleur outil : l’UPOV » (Michael Keller, secrétaire général de la Fédération internationale des semences).[1]L’immense richesse et la diversité des semences dont le monde dispose aujourd’hui sont le résultat de générations de conservation, d’échanges et d’innovation collective par les agriculteurs et les agricultrices. Ces systèmes de semences paysannes fournissent encore 70 à 90 % de ce qui est planté chaque année dans de nombreuses régions des pays du Sud. Mais ils sont menacés. Les multinationales ne peuvent pas tirer profit des semences lorsque les agriculteurs et les agricultrices sont libres de les conserver, de les échanger et d’innover avec elles. Aussi, depuis que les plus grandes multinationales agrochimiques du monde ont commencé à racheter des sociétés semencières dans les années 1980 et à développer des plantes génétiquement modifiées, elles ont fait énergiquement pression pour que la législation leur accorde des droits de monopole sur les semences et criminalise les pratiques semencières paysannes.L’outil le plus important de leur arsenal est peut-être l’UPOV, un régime juridique de droits monopolistiques sur les variétés végétales, administré par un organisme intergouvernemental basé à Genève, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales. L’UPOV a été lancée en 1961 par des obtenteurs de semences européens et est restée largement confinée aux pays du Nord jusqu’au milieu des années 1990, quand les multinationales semencières ont réussi, par le biais de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils renoncent à la souveraineté sur leurs semences et qu’ils se rallient au système des droits monopolistiques sur les variétés végétales. Bien que l’OMC n’ait jamais stipulé que ses pays membres devaient adhérer à l’UPOV, le régime et ses règles ont ensuite été imposés par les pays industrialisés aux pays du Sud à travers des accords commerciaux négociés en dehors de l’OMC. En conséquence, le nombre de pays membres de l’UPOV a grimpé à 78, tandis que l’UPOV elle-même a été révisée pour exiger des restrictions encore plus importantes sur la conservation et l’échange des semences par les agriculteurs et les agricultrices.Au fur et à mesure de l’expansion de l’UPOV, le marché mondial des semences a été récupéré par un cartel de sociétés agrochimiques. Aujourd’hui, quatre de ces sociétés – Bayer (19 %), Corteva (18 %), Syngenta (8 %) et BASF (4 %) – contrôlent à elles seules la moitié (49 %) d’un marché des semences qui représente 47 milliards de dollars. Elles contrôlent également 75 % du marché mondial des produits agrochimiques. Ce n’est pas une coïncidence. Ces sociétés privilégient les ventes de semences commerciales sélectionnées pour dépendre d’une utilisation intensive des produits agrochimiques, et leurs semences génétiquement modifiées représentent désormais près de la moitié (46 %) du total des ventes mondiales de semences.Le résultat logique de ce pouvoir concentré aux mains des multinationales et qui bénéficie du soutien de la loi est une augmentation exponentielle des bénéfices de ces entreprises. Avec leur pouvoir monopolistique et la criminalisation des alternatives, les géants de l’agrochimie sont libres d’augmenter leurs prix et de faire pression sur les fermes. Au cours des cinq dernières années, leurs chiffres d’affaires et leurs bénéfices provenant de la vente de semences et de produits agrochimiques ont grimpé en flèche, leurs bénéfices dans ces deux secteurs ayant presque doublé au cours de cette période.Bénéfices des semences et de l'agrochimie (EBITDA) pour Bayer, Syngenta, Corteva, BASFDonnées de S&P Capital IQ, rapports financiers des entreprises.Tous les chiffres sont exprimés en milliards de dollars US, les conversions à partir des communiqués des sociétés étant effectuées à la date de dépôt des documents (convertisseur utilisé : https://www.xe.com ).Prévisions pour 2022 basées sur les rapports des entreprises et Fitch Rating (dans le cas du groupe Syngenta).Les chiffres de Syngenta pour 2018 et 2019 concernent Syngenta AG et ceux de 2020 et 2021 concernent Syngenta Group.L’année dernière, 230 signataires de 47 pays, représentant des organisations paysannes ainsi que d'autres groupes de la société civile se sont réunis pour s’opposer au détournement des systèmes semenciers par les multinationales en lançant une campagne Stop UPOV. Ils réclament le démantèlement de l’UPOV, car cette dernière interdit la conservation, la sélection, l’échange et la distribution libres de semences et affaiblit les divers systèmes de semences agricoles dont nous avons besoin pour faire face aux crises climatique et alimentaire. En 2022, la campagne se réunira à nouveau lors d’une semaine d’action mondiale du 28 novembre au 2 décembre. Les semences ont besoin de protection, mais d’une protection contre la convoitise des multinationales chimiques, pas contre les agriculteurs et les agricultrices qui en prennent soin depuis des générations.[1]Michael Keller, « International Seed Federation perspective », présentation au « Séminaire de l’UPOV sur le rôle de la sélection végétale et de la protection des obtentions végétales comme moyens pour l’agriculture d’atténuer le changement climatique et de s’y adapter », 5 octobre 2022.