Le 18 novembre 2008, le « Financial Times » a révélé qu'un énorme accord était en cours de négociation entre Daewoo Logistics et le gouvernement de Madagascar. Dans le cadre de cet accord, la société sud-coréenne cherchait à obtenir pas moins de 1,3 millions d'hectares pour cultiver du maïs destiné à l'exportation, sans que les communautés locales en soient informées. La révélation de cette affaire a contribué au renversement du gouvernement malgache quelques mois plus tard et a fait découvrir au monde une nouvelle tendance scandaleuse à l'accaparement de terres destinées à la production agricole, motivée par la crise alimentaire et financière. Dix ans plus tard, à quoi assistons-nous ? D'une part, nous constatons que le nombre d'accaparements de terres pour la production alimentaire et l'agriculture continue de croître. En 2016, GRAIN a comptabilisé 500 transactions portant sur 30 millions d'hectares dans 70 pays, dont la moitié en Afrique. Mais le rythme des transactions foncières a ralenti et de nombreux grands projets ont échoué. Ils ont fait faillite, ont été un fiasco ou ont été stoppés par la résistance des communautés. Aussi, pour échapper aux réactions de l'opinion publique, certains investisseurs se tournent vers des formes d’accaparement des terres plus diffuses et subtiles : agriculture contractuelle, zones économiques spéciales, agropoles et corridors d’infrastructures. Mais quelle que soit la méthode utilisée, la concentration foncière est de plus en plus forte. Nous voyons aussi plus clairement comment beaucoup de ces accords reposent sur la violence et l'état de non-droit. En 2016, la Cour pénale internationale a élargi son mandat pour inclure l'accaparement des terres parmi les « crimes contre l'humanité » qu'elle poursuivra désormais. En 2017, Global Witness a enregistré un nombre record d'assassinats de défenseurs des droits fonciers sur le terrain et a souligné que l'industrie agroalimentaire était le principal facteur de l'aggravation de cette situation. L'année dernière, plusieurs hommes politiques et hommes d'affaires corrompus ont été jetés en prison pour s'être emparés de vastes étendues de terres agricoles pour blanchir de l'argent sale. Le bilan humain de ces accaparements s'alourdit. Sur le terrain, cependant, nous assistons à l'émergence d'un immense espoir. Les populations s'organisent et bâtissent des alliances pour dénoncer ces projets et reprendre le contrôle de leurs terres. Partout en Afrique de l'Ouest, les femmes déplacées par les plantations de palmiers à huile gérées par des conglomérats asiatiques tels que Wilmar, Olam, Golden Agri-Resources et d'autres mettent à profit les expériences des autres, élaborent ensemble des stratégies et trouvent la force de se faire entendre pour mener la lutte. Des communautés riveraines des fermes géantes financées par les groupes européens, Socfin et Bolloré, ont formé une alliance pour faire pression sur les investisseurs afin qu’ils tiennent compte de leurs revendications et leur garantissent une eau non polluée, des conditions de travail décentes et la restitution de leurs terres. En République démocratique du Congo, les villageois qui résistent à une exploitation de 100 000 hectares de palmiers à huile appartenant à Feronia, autrefois propriété d'Unilever, contestent la légalité même du projet dans le cadre d'une plainte auprès des gouvernements européens. Il existe de nombreux autres exemples, y compris en Asie, en Europe et en Amérique. Mais le message essentiel est que nous devons faire plus pour bloquer dès l'origine ces transactions foncières à grande échelle. Aucune d'entre elles ne permet de nourrir les populations locales, elles favorisent principalement les conflits, les expropriations et les abus. Revenons à Madagascar, où le temps semble s'être arrêté. Daewoo Logistics est toujours présent dans le pays, dissimulé derrière un autre nom. Son offre foncière ratée est revenue hanter le processus électoral en cours dans la mesure où les mêmes politiciens qui se sont prononcés pour et contre l’accord il y a dix ans, sont à nouveau en course pour la présidence. À un moment où les communautés malgaches luttent courageusement contre plusieurs autres projets d'accaparements de terres, moins monstrueux que la tentative de Daewoo, nous espérons que l'histoire ne se répètera pas et que le nouveau régime résistera à toute autre tentation de céder les ressources du pays au profit d'un petit nombre.