La communauté internationale est très inquiète par le récent développement du forçage génétique, notamment par l’expérimentation au Burkina Faso portant sur les moustiques issus de cette technologie. Le problème ne concerne pas uniquement le Burkina Faso. L'objet de l’expérimentation est Anopheles gambiae, espèce présente dans la majorité des pays d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale. La technologie de forçage génétique est très agressive, elle touche toute l'espèce ciblée. Jusqu’où les gènes forcés vont se propager? Quels pays seront touchés ? Qui peut répondre à cette question ? Il s'agit d'une technologie nouvelle, puissante et mal connue, pourtant elle est sur le point d’être expérimentée sur les humains. Un grand débat est nécessaire pour mieux cerner le problème. Au mois d’août 2018, le gouvernement du Burkina Faso a donné son autorisation pour le démarrage des activités du projet sous-régional Target Malaria concernant la dissémination des moustiques génétiquement modifiés, GM, dans des villages du pays. Le projet concerne la dissémination des moustiques GM de l’espèce Anopheles gambiae, vecteur du paludisme, pour lutter contre le paludisme. La première phase concerne les moustiques GM de type classique - des moustiques GM mâle stériles - et la phase finale - les moustiques GM de nouveau type appelé forçage génétique (gene drive). Forçage génétique La plupart des organismes possèdent deux copies de chaque gène, l’une provient du père et l’autre – de la mère. Les gènes sont les unités d'information génétique, information portée par la molécule d’ADN. L’ADN est une séquence de gènes, il est comme un livre qui décrit le plan de construction d’un individu. Un gène est comme un chapitre du livre concernant un caractère de cet individu. La plupart des gènes mutants sont hérités par la moitié des descendants et se répandent lentement dans les populations naturelles. Les gènes forcés sont hérités par tous les descendants et se répandent très vite dans les populations. Le forçage génétique est une manipulation génétique qui provoque des dommages dans les deux copies du gène ciblé, de telle sorte qu’une des copies du gène (copie endommagée) est forcée à se transmettre à tous les descendants. Par exemple, si le forçage génétique concerne le gène essentiel pour la fertilité des femelles, les femelles avec les 2 copies de gène endommagé seront stériles. Ainsi la population génétiquement manipulée ne contiennent que des mâles, qui vont se reproduisent avec des femelles trouvées dans l’environnement et produire la descendance composée exclusivement de males. Jusqu’à présent les moustiques vecteur du paludisme issus de forçage génétique n’étaient jamais relâchés dans le monde. Pourquoi, le Burkina Faso est choisi pour cette grande première ? Réunion de la CDB, juillet 2018 L’autorisation concernant la dissémination des moustiques génétiquement modifiés intervient juste après les travaux de la 22ème réunion de l’Organe subsidiaire de la CDB, Convention sur la diversité biologique, tenue à Montréal, Canada, en juillet 2018. La réunion a recommandé aux gouvernements de s’abstenir de disséminer des organismes résultant d’un forçage génétique Le cas des pays en développement a été souligné en particulier, avec l’inquiétude que ces disséminations peuvent causer beaucoup de problèmes. Mais le gouvernement du Burkina Faso est dans une autre dynamique. Il y a un enchainement d’irrégularités juridiques concernant le projet de Target Malaria. Accord des populations L’accord des habitants du village de Bana est une étape cruciale pour faire l’autorisation. La procédure d’autorisation demande « la participation publique et consentement pleinement éclairé", exigences du Protocole de Cartagena, de la Déclaration d'Helsinki de l'Association médicale mondiale qui régit la recherche médical et de la loi du Burkina, LOI N° 064-2012/AN portant régime de sécurité en matière de biotechnologie. Le projet a affirmé que la «communauté sur le site d’étude a approuvé l’activité du lâcher à petite échelle ». Mais ce soit disant consentement des populations n’était pas du tout éclairé. Les paysans du village de Bana ont reçu l’information venant d’une seule source, la source pro-OGM, sans information pertinente et avec des fausses promesses concernant la lutte contre le paludisme Aucune information sur les objectifs, méthodes et les risques pour la santé et l’environnement n’était pas donnée Même le terme OGM était évité, au lieu de ce terme, les agents du projet ont utilisé le terme moustiques transgéniques, sans expliquer la signification. La confusion, c’est le mot qui convient le mieux pour décrire la situation. Il y avait deux maires de la localité qui ont dit après à l’équipe de COPAGEN [1] / CCAE [2] que « s’ils avaient su que transgénique = OGM ils allaient dire un NON catégorique à ce projet car ils étaient toujours sous le choc de l’échec du coton Bt ». Le refus de débats médiatisés entre les agents du projet et la société civile, COPAGEN, CCAE, etc., ont contribué au manque d’information des populations. D’ailleurs, l’accord des populations susceptibles d’être touchées par les futures lâchages ne concerne pas uniquement les habitants du village de Bana, toute la population du pays doit être consultée, il en est de même pour les pays voisins, tous les pays où se trouve l’espèce d’anophèle ciblée Anopheles gambiae. Irrégularités juridiques Concernant les mouvements transfrontières d’organismes génétiquement modifiés, entre Burkina et les pays exportateurs, Italie et la Grande Bretagne, la notification transfrontalière prévue par Protocole de Cartagena, le règlement européen n° 1946/2003, et la loi du Burkina, LOI N° 064-2012/AN, n’a pas été présentée. A part cela, le Burkina Faso devrait avoir tout le dossier sur les moustiques importés, y compris l’étude des risques de toute sorte selon la procédure prévue par la loi, avant d’accorder l’autorisation pour faire enter des moustiques GM. Pour les moustiques génétiquement modifiés issus du forçage génétique, la situation se complique davantage par le fait que le forçage génétique échappe à la réglementation. C’est justement l’objet des réunions de la CDB qui se déroulent actuellement. Cette lacune de la règlementation concernant le forçage génétique est du au fait que ces organismes ne connaissent pas les frontières. Le projet doit importer 3 souches de moustiques GM différentes, une souche pour chacune des 3 phases du projet [3]. Les deux premières souches sont les OGM de type classique issus de la transgénèse (une manipulation génétique basée sur le transfert de gènes entre les espèces très différentes qui ne se croisent pas normalement dans la nature) et la troisième – est un OGM issu du forçage génétique. La première souche est déjà au Burkina depuis 2016, en train d’être multipliée. La conception du protocole de l’expérimentation n’est même pas encore finalisée. Comment doit se faire la procédure d’autorisation de ces 3 couches ? Un grand juriste international, qui a participé dans l’élaboration de la plupart des lois sur les semences, a qualifié cette situation de « forçage juridique ». Les moustiques OGM issus du forçage génétique qui seront relâchés au Burkina Faso vont franchir rapidement les frontières. Le forçage génétique est conçu pour propager très rapidement dans une espèce le caractère gouverné par le gène forcé. Si ce caractère perturbe la reproduction de l’espèce, ceci peut conduire à l'extinction même de l’espèce. Inquiétudes du monde scientifique De nombreux scientifiques ont exprimé leurs inquiétudes concernant le forçage génétique, notamment en ce qui concerne les risques pour la santé et l’environnement, risques imprévisibles et irréversibles. D’après certains, il y a également le risque de renforcement du pouvoir des firmes qui constitue une menace pour la sécurité alimentaire et les droits des agriculteurs. Le forçage génétique est plus dangereux que les OGM classiques [4]. Pourquoi le Burkina Faso est le premier à s’ouvrir aux OGM de toute sorte? Les lâchers de moustiques OGM issus du forçage génétique, vecteurs du paludisme, au Burkina Faso seront le premier événement du genre dans le monde. Pourquoi le Burkina Faso veut être le premier dans cette expérience hautement dangereuse? Il s’agit d’une biotechnologie récente, à haut risque, financée largement par l’armée américaine [5], biotechnologie qui n’a pas encore de réglementation, et voila, que le Burkina Faso accepte de l’expérimenter sur ces populations. Le Burkina Faso est le premier pays, qui, en plus de moustiques OGM issus du forçage génétique, expérimente les OGM agricoles. Après l’échec du coton Bt, le Monsanto revient en force avec les variétés OGM pour les cultures vivrières : le maïs, le sorgho et le niébé. Qu’est-ce qui se passe au Burkina Faso ? Pourquoi cet offensive OGM tous azimut ? Certainement, les raisons sont multiples. Vu l’échec du coton Bt, la porte d’entrée des OGM en Afrique de l’Ouest, ouverte au Burkina Faso, est devenue fragile avec le risque de se fermer, alors les firmes ont redoublé d’effort. Elles cherchent à profiter de la faiblesse existante de la réglementation sur les OGM, faiblesse, démontrée clairement par le procès de la société civile Tribunal de Monsanto qui a condamné symboliquement la firme Monsanto pour de nombreux crimes. Réglementation en évolution La réglementation est en train d’évoluer. L’évolution positive des lois sur les semences a été commencé par le TIRPAA, Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture; qui a proclamé la reconnaissance internationale des droits des agriculteurs sur les semences et qui a demandé l’application de ces droits. Les paysans et leurs alliés, sous l’inspiration de Guy Kaestler, continuent à se battre pour faire avancer les lois en faveur des semences paysannes et des droits des agriculteurs. Ce qui favorise les semences paysannes défavorise en même temps les OGM, de façon directe ou indirecte. En 2017, le Mali a créé le Cadre de concertation pour la reconnaissance juridique des semences paysannes et des droits des agriculteurs. Le 19 avril 2018 le Parlement européen a adopté le règlement autorisant les semences paysannes. Partout dans le monde, on observe l’intérêt grandissant pour les semences paysannes et l’agriculture biologique et agro écologique. Source: Comité Ouest-Africain des Semences Paysannes, COASP Le COASP fut créé en 2011 à l'issue de la 3éme Foire des semences paysannes de Djimini, Sénégal. [1] COPAGEN, Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain, créée en 2004, est un réseau de 9 coalitions nationales de l’Afrique de l’Ouest, ayant pour mission d’œuvrer pour la sauvegarde du patrimoine génétique africain, notamment par la promotion des semences paysannes et la lutte contre les OGM. [2] CCAE, le Collectif Citoyen pour l’Agroécologie, né en 2015, regroupe une quarantaine d’organisations partageant le modèle agroécologique comme vision. [3] Les moustiques génétiquement modifiés au Burkina Faso, Third World Network, février 2018. [4] Les arguments en faveur d'un moratoire mondial sur le forçage génétique obtenu par génie génétique, Groupe de travail de la société civile sur le forçage génétique, 2016. [5] Gene Drive Files Expose Leading Role of US Military in Gene Drive Development, Gene Drive Files, 2017.