Ousmane Tiendrebeogo, Secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (Syntap), une organisation créée en 1998 pour lutter contre les accaparements de terres et de semences et contre les OGM depuis 2003, est connu pour son franc-parler. Au regard des préjudices subis du fait de la culture du coton BT, il réclame des compensations pour les producteurs burkinabè. Le gouvernement du Burkina-Faso a décidé d’abandonner progressivement le coton BT pour revenir au coton conventionnel. C’est une victoire pour les paysans, les organisations de la société civile ? Ça devrait être une victoire si dans le même communiqué le gouvernement n’avait pas fait de passerelle pour repartir chez Monsanto. Mais là, c’est nous maintenant qui devons nous organiser pour rendre impossible ce retour aux OGM. Qu’est-ce que vous appelez passerelle pour Monsanto ? Passerelle parce que le gouvernement dit qu’il faut traiter avec Monsanto et que s’ils entendent, ils vont reprendre, alors qu’il faut purement et simplement arrêter [les OGM]. Quand le gouvernement dit que s’il s’entend avec Monsanto il va reprendre, c’est dire qu’il y a quand même un égoïsme, ça veut dire qu’il ne vise que les intérêts justement des usines et ceux de Monsanto. Mais il ne considère pas les pertes qu’ont subies les paysans. Autrement, quand on est vraiment conscient, quand on est responsable, quand on sait qu’on est désigné pour gérer un peuple et non les usines, je crois quand même qu’on devrait considérer cet aspectlà pour ne plus ramener ce qui va continuer à faire du mal. Quelles sont les pertes que les paysans ont subies ? On avait flatté les paysans en disant qu’il y aura une augmentation de 30% de la production avec le coton BT. Alors qu’en fait, ils se sont rendus compte que leur production a chuté de plus de 40% dans la mesure où le camion qu’ils avaient l’habitude de charger et qui accusait 12 tonnes revient à 5,5 tonnes. Donc c’est une chute drastique. Deuxièmement, au moment de la culture, à cause du produit de conservation des semences OGM, les femmes, les bébés, ont été intoxiqués à cause du coton BT tant lors des semis qu’à la récolte. Ensuite, il y a des morts d’animaux. Il y a des éleveurs qui ont perdu une centaine de boeufs, presque tout leur parc à cause du coton OGM. Il y en a qui disent qu’ils auraient par exemple pu faire des analyses. On n’a pas besoin d’analyses, ça s’explique parce que la plante, quand elle monte, elle est vénéneuse. Donc les boeufsqui avaient l’habitude de brouter les restants dans les champs du coton conventionnel, on continué de brouter les tiges du coton BT et justement ça les a intoxiqués. Il y a beaucoup de gens qui commandaient chaque fois le tourteau [résidu obtenu après l’extraction de l’huile des graines de coton] à partir des usines mais depuis qu’il y a le coton BT, beaucoup ce sont rétractés. Ils se retournent vers le Mali pour avoir le tourteau parce que notre tourteau est devenu un poison. Donc il y a tant d’effets qui n’affectent pas que les producteurs de coton mais aussi les éleveurs. Combien de paysans ont été affectés par les effets néfastes de l’utilisation du coton BT ? Ce qui était intéressant, c’est qu’on ait fait par exemple une étude d’impact sur ce sujet-là. Mais je ne pense pas qu’on ait eu à faire cette étude pour essayer d’évaluer les pertes. Et comme le syndicat n’a pas les moyens de le faire, on crie partout mais on n’a pas encore eu quelqu’un qui va le faire. Si on a la chance d’avoir des gens pour nous appuyer, je crois qu’on pourra établir un état réel justement des pertes. Sinon, les dommages sont immenses. Vous avez parlé de pertes au niveau des sociétés cotonnières, ce qui a emmené le gouvernement à avoir cette position stratégique. A combien évalue-t-on ces pertes ? Elles demandent en tout cas 48 milliards francs Cfa. 48 milliard, c’est le prix de leurs mensonges. Nous, nous trouvons que c’est vraiment scandaleux de s’acoquiner avec Monsanto et accepter un marché aussi plat pour tromper d’abord les paysans. Ça, c’est le prix de la tricherie puisqu’elles savent depuis le début qu’il y a cette dégradation. Mais comme Monsanto veut coûte que coûte faire tomber presque toute la sous-région dans son piège, il a demandé à ces gens de se taire. Donc au lieu d’acheter le coton au prix normal - puisque le prix a chuté, donc le prix du coton graine normalement devait chuter – Monsanto avait demandé à ce que ce soit maintenu, qu’il allait évaluer toutes les pertes et puis prendre le reste. Jusqu’à présent, il n’y a rien. Et comme les usines commencent à battre de l’aile, c’est pourquoi elles se sont rassemblées, l’AICB, l’Association interprofessionnelle du coton du Burkina, pour faire la somme de leurs pertes et présenter la facture à Monsanto. Que souhaitez-vous aujourd’hui, des dédommagements pour les préjudices subis ? En tout cas, il faut absolument qu’il y ait un dédommagement pour les paysans. L’Etat n’est pas là pour gérer uniquement que les usines. Si on gère les usines, c’est au profit du peuple. La mission principale de l’Etat, c’est d’oeuvrer au bien-être des populations. Que les choses se passent comme ça avec la complicité même de l’Etat, je trouve que c’est vraiment scandaleux. C’est comme si on est là pour la place, on s’en fiche pas mal du peuple. Interview réalisée à Ouagadougou par Anderson Diédri, Le Nouveau Courrier N°1435, 12 mai 2016