Entre le 28 février et le 3 mars 2010, le Réseau pour la défense du maïs, l’Assemblée nationale des victimes environnementale et Via Campesina-Amérique du Nord ont tenu une conférence publique indépendante à Guadalajara, au Mexique. Le but était de rassembler les preuves et d’élaborer les arguments qui permettent poursuivre le gouvernement mexicain dans des cours internationales de justice pour avoir délibérément favorisé l’introduction de maïs génétiquement modifié (GM) dans le pays. Le Mexique est en effet le pays où est né le maïs, il y a quelques milliers d’années, et où plus de 1 500 variétés poussent, évoluent et font l’objet de sélections. La culture de ces variétés repose sur un ensemble très complexe de relations sociales, de savoir-faire d’une grande richesse et de confiance, mais aussi sur la résistance des communautés. Il y a dix ans, le gouvernement mexicain s’est mis à distribuer dans les campagnes de grandes quantités de semences de maïs GM, dans le cadre d’une opération illégale et clandestine ; dans plusieurs régions le maïs natif a commencé à être touché par la contamination. Pour répondre à cette menace, les communautés indigènes et paysannes, issues de nombreuses régions, ont formé le Réseau pour la défense du maïs (Red en Defensa del Maíz). Elles ont échangé leur expérience et leurs savoir-faire locaux et décidé d’interdire l’entrée du maïs GM dans leur région. Le réseau est devenu un espace de partage d’opinions et au sein des communautés, une conviction de plus en plus forte s’est fait jour : la meilleure façon de protéger le maïs était de le cultiver. Pour les communautés, l’agriculture n’est pas une activité commerciale, mais une façon de soigner la planète par un travail continu. Faire pousser sa propre nourriture ne permet pas seulement de comprendre les relations complexes entre les vents, l’eau, les forêts, les autres cultures, les animaux et les sols, mais c’est aussi une manière de protéger la vie humaine et de promouvoir la justice. Ce n’est que de cette façon que les communautés peuvent être sûres que la diversité du maïs ne sera perdue et que tout le tissu de relations naturelles et sociales qui existe derrière le maïs ne sera pas fragilisé. La décision de tenir une première conférence publique pour préparer un procès international contre le gouvernement mexicain et les grandes entreprises impliquées dans l’agriculture et les aliments GM, est venue du sentiment que le système judiciaire mexicain était complètement fermé ou corrompu, voire les deux. Au cours des dix dernières années, le gouvernement mexicain a approuvé une série de réformes et de lois destinées à privatiser, enregistrer, certifier ou interdire ce qui était autrefois des biens communs : l’eau, les forêts, les semences, la biodiversité. Il a encouragé les droits de propriété intellectuelle, par l’intermédiaire des brevets et autres outils juridiques, et favorisé l’introduction des cultures GM. Ces lois ont créé un nouvel espace immense qui laisse les grandes entreprises manœuvrer à leur guise, mais ont restreint de plus en plus l’espace légal déjà très limité qui est accordé aux gens du peuple. Les trois mesures qui ont eu les effets les plus néfastes sont la contre-réforme foncière qui permet la privatisation des terres publiques ou communales, l’approbation de l’ALENA qui accorde aux grandes entreprises un système de réglementation complètement différent et favorise leurs intérêts, et le refus d’inscrire les droits des peuples indigènes dans la Constitution. Ce n’est pas une coïncidence si, juste quelques mois après la légalisation par le gouvernement mexicain de la culture expérimentale en plein champ du maïs GM (ce qui a mis fin, en pratique, au moratoire en place depuis 1998), L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (la FAO) a décidé de se rendre au Mexique pour y tenir une « réunion technique » pour promouvoir les biotechnologies comme solution au problème de la faim dans le monde. Cette décision fait, à tout le moins, preuve d’un manque de sensibilité éhonté face aux luttes acharnées que mènent les Mexicains pour sauver le maïs. Les communautés indigènes vont même plus loin : Pour elles, ce meeting était quasiment une provocation de la part de la FAO comme du gouvernement mexicain. En effet, la FAO soutenait officiellement les autorités mexicaines dans leurs efforts pour introduire les cultures GM, et la décision d’ organiser la réunion au Mexique était pour le gouvernement un aveu public de son soutien à la politique de la FAO concernant les biotechnologies. Ainsi, la conférence publique destinée à enquêter sur la situation a été conçue comme une forme de contre-attaque vis-à-vis de la FAO pour avoir organisé un meeting qui avait pour but de promouvoir les OGM et de favoriser les intérêts des multinationales. L’engagement dont fait preuve la FAO pour défendre les biotechnologies est évident, comme le montrent trois citations tirées des documents préparatoires officiels : Garantir la sécurité alimentaire sans détruire la base des ressources environnementales, c’est le grand défi auquel nous sommes confrontés et les biotechnologies agricoles nous offrent l’opportunité de le relever. [Résumé] L'accent comme les activités ont davantage porté sur le développement de politiques et de réglementations liées à la prévention des risques découlant des OGM qu'à la facilitation de l'utilisation des biotechnologies agricoles au bénéfice des pauvres producteurs ruraux. [p.11-12, 2.7, 42] L'exagération et la polarisation sur “le débat des OGM” ont distrait et ont détourné des ressources scientifiques et politiques au détriment des besoins des pauvres producteurs ruraux. La controverse sur les OGM dans l'alimentation et l'agriculture au cours de la décennie passée a influé notablement le ralentissement, la réduction et la réorientation de certains efforts de la recherche du secteur public dans les biotechnologies agricoles, y compris des biotechnologies non OGM, délaissant les besoins des petits exploitants ruraux, en plus de détourner d’importantes ressources scientifiques de la recherche vers la réglementation …[p.12, 2.7, 43] 1 Dans un contexte penchant si manifestement en faveur des multinationales, Pat Mooney, le directeur général de l’ETC Group, vétéran de la société civile participant au comité de pilotage de la FAO et activiste connu opposé aux OGM depuis le début, a décidé, dans un geste de protestation public, de donner sa démission. Dans l’ensemble, les documents de référence pour le meeting sont indéniablement biaisés en faveur des biotechnologies et tournés de façon à persuader les pays en développement qu’ils n’ont pas d’autre choix que de prendre eux aussi le train des biotechnologies. Il est absolument inacceptable qu’une instance intergouvernementale censément neutre comme la FAO se laisse transformer en vitrine publicitaire pour les géants de la biotechnologie. a expliqué M. Mooney. 2 Le communiqué de presse d’ETC Group enfonce le clou : Avoir choisi le Mexique pour y organiser la conférence sur les biotechnologies est déjà en soi sujet à controverse. Le gouvernement mexicain a récemment interrompu un moratoire de 10 ans sur la plantation de maïs GM. Répondant à une lettre contre ces essais de maïs GM, qui lui avait été envoyée par 1 500 organisations issues de 67 pays, le Secrétariat de la FAO n’a pas trouvé mieux que de dire qu’il s’agissait d’une “question d’intérêt national” pour le Mexique, et non pour la FAO. 3 Beaucoup de communautés, d’organisations, de centres de recherche et de groupes de militants de la société civile, du Mexique et d’ailleurs, tous liés à l’un des trois groupes organisateurs, ont participé à la conférence publique et contribué à l’élaboration d’une stratégie judiciaire qui permettrait de monter un dossier de preuves présentable sur la scène internationale. Durant les différentes sessions, des voix très différentes de celles qu’on pouvait entendre au meeting de la FAO se sont fait entendre. Un état des lieux concernant les OGM a été dressé, des exemples des mensonges utilisés pour les promouvoir ont été donnés et des stratégies pour monter un dossier en vue de poursuites judiciaires sur la scène internationale ont été proposées. Tous les participants ont reconnu que les OGM interfèrent avec les procédés de sélection et avec la sélection naturelle, et qu’on n’en connaît pas encore toutes les conséquences. Au départ, les OGM ont permis aux multinationales de contrôler qui pouvait ou non faire des cultures alimentaires, avec quelles méthodes et quelles semences. Cependant, plus récemment, les OGM servent de plus en plus à menacer les processus naturels et sociaux, car les entreprises fabriquent des OGM qui sont, en fait, des petites usines à carburants, à toxines, à hormones, à produits pharmaceutiques et autres substances dangereuses. Alors que la contamination GM a affecté rapidement et de façon extensive les plantes natives dans bien des pays, l’offensive GM a clairement rencontré partout au Mexique une forte résistance paysanne et indigène. Quoique le gouvernement et les multinationales aient tenté de polluer le pays tout entier avec des semences OGM clandestines, cette résistance a réussi à limiter l’ampleur de la contamination. Le gouvernement a bien essayé de mettre en œuvre toute une série de lois, de réglementations, de certifications et d’enregistrements obligatoires pour criminaliser le comportement traditionnel des communautés paysannes et indigènes. Mais la résistance de ces communautés repose sur une détermination difficilement ébranlable : une détermination fondée sur l’exercice quotidien des savoir-faire traditionnels pour prévenir la contamination, continuer à échanger les anciennes semences natives et planter du maïs natif avec ses plantes associées, de saison en saison. Voici la déclaration d’un comunero [un rebelle], Eutimio Díaz, du peuple Wixárika : Nous n’avons pas l’intention de laisser quelques scientifiques et politiciens (qui ne connaissent rien de nos relations avec la terre, avec le maïs) nous imposer leur maïs “détérioré”. Le maïs veut et nécessite une attention particulière. Plutôt que de dire que nous allons abandonner notre maïs, nous devons au contraire trouver des moyens de nous occuper encore mieux d’elle. 4 Au cours de notre histoire, nous avons subi beaucoup de pertes : nos danses, notre musique, nos fêtes, nos vêtements, nos savoir-faire. Et c’est pour cette raison qu’avec notre maïs, il nous faut être plus prudents. Si nous la perdons, ce sera la fin de notre communauté. Avec le maïs, nous pouvons partager. Nous avons donc déclaré : Nous n’allons pas accepter le maïs transgénique. Si le Mexique perd ses semences, les conséquences dans d’autres domaines peuvent être encore pires. Nous n’allons donc pas abandonner nos semences. Jamais. Nos assemblées ont déclaré : Nous ne respecterons aucune loi qui soit dirigée contre nos peuples, nous n’avons pas l’intention de laisser entrer du maïs étranger. Nous n’avons pas l’intention d’accepter des lois qui affecteraient notre maïs. Ce qu’ils veulent nous imposer ne peut que nous amener bien des maux. 5 Les preuves et les témoignages assemblés à la conférence constituent une base juridique solide pour accuser le gouvernement mexicain d’abus de pouvoir dans une cour de justice internationale. Mais pour les communautés, le dossier à charge est important également pour une autre raison : il les aide à mieux comprendre la situation et à renforcer leur organisation. Après tout, l’avenir n’est pas encore écrit. Lectures complémentaires : 1. La conférence publique “Los transgénicos nos roban el futuro”, est téléchargeable en espagnol dans son intégralité à : http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/54866 2. “In Defense of Maize (and the Future)”, Americas Program, August 2004, http://americas.irc-online.org/citizen-action/series/13-maiz.html 3. Diario Oficial de la Federación, 6 March 2009; La Jornada, 10 March 2009; “México da luz verde a maíz transgénico”, La Jornada, 15 October 2009. 4. Ana de Ita and Pilar López Sierra: “La cultura maicera mexicana frente al libre comercio”, in Maíz, sustento y culturas en América Latina. Los impactos destructivos de la globalización. REDES–AT Uruguay, Biodiversidad-sustento y culturas, Montevideo, 2004, p. 28. 5. Conférence technique internationale de la FAO, document ABCD-10/9 : Les Biotechnologies agricoles au service de la sécurité alimentaire et du développement durable: Options pour les pays en voie de développement et Priorités d’action de la communauté internationale, janvier 2010 http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/abdc/documents/optpriorf.pdf 6. ETC Group, “FAO’s Biotech Meeting Dubbed ‘Biased for Business’ as Steering Committee Member Resigns in Protest”, 26 February 2010. 7. Camila Montecinos, GRAIN, “Las mentiras de los transgénicos”, March 2010. 8. GRAIN, “La lutte contre la contamination par les OGM dans le mondeFighting”, Seedling, janvier 2009, http://www.grain.org/seedling/?id=587 1 Conférence technique internationale de la FAO, “Biotechnologies agricoles dans les pays en développement: choix et perspectives pour les cultures, les forêts, l’élevage, les pêches et l’agro-industrie face aux défis de l’insécurité alimentaire et du changement climatique” (ABDC-10), Guadalajara (Mexique), 1-4 mars 2010, document ABCD-10/9 : Les Biotechnologies agricoles au service de la sécurité alimentaire et du développement durable: Options pour les pays en voie de développement et Priorités d’action de la communauté internationale, janvier 2010http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/abdc/documents/optpriorf.pdf 2 ETC Group, “FAO’s Biotech Meeting Dubbed ‘Biased for Business’ as Steering Committee Member Resigns”, 26 February 2010, http://www.etcgroup.org/en/node/5078 3 Ibid. 4 Pour les Wixárika, le maïs est une jeune fille. 5 Présentation par Eutimio Díaz Bautista à l’audience publique, sous le titre “Los Transgénicos nos Roban el Futuro” (“Les cultures GM nous volent notre avenir”), 2 mars 2010, http://www.biodiversidadla.org/content/view/full/54866 (en espagnol).