Sandy Gauntlett est un activiste écologiste d’origine Maori. Il donne des cours de gestion des ressources indigènes à l’Université indigène de Te Wanaga O Aotearoa en Nouvelle-Zélande. Il est aussi président de la Coalition environnementale des peuples autochtones du Pacifique (Pacific Indigenous Peoples’ Environment Coalition) et du point focal régional du Pacifique (PacificRegional Focal Point) pour la Coalition mondiale des forêts. Entretien avec Sandy Gauntlett Comment la crise climatique affecte-t-elle la vie dans votre région du monde ? Dans la région Pacifique, les effets du dérèglement climatique varient selon les pays, mais les îles basses sont particulièrement touchées. Dans certaines des communautés les plus affectées, l’eau douce devient de plus en plus rare, au fur et à mesure de la salinisation des ressources locales suite aux infiltration d’eau de mer dans les systèmes aquifères. Sur les îles de Kiribas [Kiribati] et Tuvalu, les marées de printemps envahissent désormais les maisons et les terres de la population et il est assez courant à cette période de voir les routes ou même la piste d’atterrissage de l’aéroport complètement inondés. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’îles allongées et extrêmement étroites, et dont l’altitude maximale n’est que de deux ou trois mètres au-dessus du niveau de la mer. Elles n’ont pas de protection naturelle contre les ravages de la nature, si ce n’est les récifs de corail qui les entourent, et ces derniers sont en train de se dégrader sous la pression du changement climatique. Dans d’autres endroits (comme en Nouvelle-Zélande), l’impact du changement climatique est nettement moins évident, mais ce qu’est en train de vivre notre région dans son ensemble est désastreux. Comment les communautés indigènes du Pacifique réagissent-elles à la crise climatique ? Les gouvernements de Kiribas et Tuvalu ont tous deux réclamé des réductions des émissions de gaz à effet de serre bien plus radicales que celles qui sont envisagées dans la convention sur le climat. Ces réductions sont absolument indispensables si nous voulons éviter l’équivalent d’un génocide culturel. Suggérer aux gens d’abandonner leurs terres, leur territoire, leur culture et leur pays, afin que les pays riches puissent continuer à bénéficier d’un style de vie fondé sur l’exploitation de la planète, est une violation inacceptable des droits humains. Et pourtant, c’est exactement ce que nous suggérons quand nous acceptons le principe que les nations développées peuvent continuer à échapper à leurs responsabilités vis-à-vis du reste du monde en achetant des droits à polluer. Beaucoup de petites communautés isolées ne comprennent pas pourquoi les tempêtes augmentent en sévérité ou en fréquence, et il va falloir investir pour ces nations dans des programmes de renforcement des capacités, si l’on veut que les décisions puissent reposer sur une complète compréhension. Je voudrais préciser que ceci n’est pas une critique des gouvernants des petites îles. Leurs représentants à la convention sur le climat ont fait preuve d’héroïsme par moments quand ils essayaient de parler de justice climatique. Ce n’est qu’une simple constatation qu’on dépense plus d’argent à garantir la place du marché qu’à réduire en termes réels et à la source les émissions qui créent le problème. Quelle est l’opinion des Maori sur cette question ? On ne peut pas dire qu’il y ait un point de vue maori unique sur le changement climatique, mais les Maori qui sont engagés au niveau international sont extrêmement préoccupés par ce qui se passe dans notre région. Pour l’instant, il est encore difficile de comprendre vraiment ce qui se passe : ceci est dû, d’une part, au fait qu’en tant que pays, nous ne sommes pas encore si sévèrement affectés. D’autre part, la réalité de ce qui se passe dans notre région est tout simplement trop horrible à envisager. Certains Maori s’efforcent de convaincre les nations développées d’accepter leur part de responsabilité en termes d’émissions climatiques ; d’autres de faire admettre que nous partageons des ancêtres communs avec les communautés du Pacifique et que nous devons donc coopérer étroitement avec elles. Actuellement les discussions sur la conférence de Copenhague prévue en décembre vont bon train. A votre avis, quelle importance peuvent avoir ses conséquences et ses débats pour les groupes de terrain ? Je peux difficilement répondre à cette question tant que j’ignore quelles seront les conséquences. Si, comme beaucoup d’entre nous le craignent, la conférence n’est pas suivie d’un engagement réel pour réduire massivement les émissions, cela constituera littéralement une sentence de mort pour certains peuples, et nous serons amenés à considérer les nations consuméristes comme responsables. Si, comme nous l’espérons tous, on parvient à un accord sur des réductions d’émissions substantielles et à grande échelle, alors il sera peut-être possible de sauvegarder l’avenir des communautés les plus affectées. Copenhague est bien sûr d’une importance cruciale pour obtenir un engagement de changement réel de la part de tous, mais pour ces communautés qui vivent sur des petites îles vulnérables, le temps est compté et elles n’ont pas d’échappatoire en cas de désastre. Quelles véritables solutions peut-on envisager pour résoudre le problème ? Il faut mettre fin, de façon généralisée, à l’exploitation des forêts indigènes. Il faut, dans toutes les grandes villes du monde, s’engager à interdire tout parking au centre-ville et introduire des systèmes de transport efficaces d’un point de vue énergétique et respectueux de l’environnement. Il faut annuler la dette du tiers-monde de façon à ce que les nations en développement soient en mesure de financer de véritables réductions de leurs propres émissions. Il faut réduire le gaspillage et l’exploitation dans les projets de développement, surtout dans les nations consuméristes du Nord . Quant aux hommes politiques, ils doivent absolument rendre des comptes sur toutes les décisions qu’ils prennent ; ces décisions pourraient en effet provoquer des désastres climatiques qui résulteraient en un nombre de morts considérable. Pour ceux de nos lecteurs qui ne connaissent peut-être pas très bien votre région du monde, avez-vous quelques exemples d’adaptation dans les communautés que vous aimeriez partager avec nous ? Pour les petites nations insulaires, l’adaptation n’est pas une chose facile à réaliser, car leurs émissions ne contribuent pas de façon majeure à la crise climatique. Il s’agit plutôt pour ces nations de s’adapter à la cupidité des autres pays. Mais parmi les nations plus importantes, on observe que ce sont quelquefois les peuples qui mènent leur gouvernement. En Nouvelle-Zélande, nous sommes dans une certaine mesure en train d’adapter notre style de vie : nous encourageons ainsi la marche et les pistes cyclables pour offrir une alternative à l’automobile. La Nouvelle-Zélande possède en effet plus de voitures par tête d’habitant que la Californie et il y a fort à faire en termes de transport et de politique énergétique pour réduire nos émissions. Mais, répétons-le, si nous voulons que ces améliorations aient un impact notable, nos gouvernements doivent montrer le chemin, en augmentant véritablement le degré et la nature de la participation et de la prise de décision publiques ; ils doivent aussi investir largement pour faire comprendre la situation aux gens. Un incident récent illustre parfaitement ce que je viens de dire : Une de nos célébrités demande au premier ministre de s’engager à réduire nos émissions de 40 % . On lui répond qu’elle ferait mieux de continuer à faire du cinéma. Ce genre d’arrogance n’est vraiment plus acceptable de la part de nos politiques et s’il existe un grand manque de compréhension du changement climatique – et c’est un fait – notre gouvernement a la responsabilité d’améliorer les programmes de renforcement de capacités dans le pays, comme il s’y était d’ailleurs engagé dans la Convention sur la diversité biologique. Les ONG doivent être assurées d’un soutien financier suffisant, pour que l’information sur le dérèglement climatique destinée au public soit assurée de provenir d’une grande diversité de sources.