Tout commença un bon matin d’août 2011, quand trois communautés villageoises situées dans le centre-est de la Côte d’Ivoire apprirent qu’une société belge nommée SIAT allait s’installer sur leurs terres. Peu après, un projet d’agrobusiness venait s’installer pour la monoculture d’hévéa sur 11 000 hectares de terres que les communautés n’avaient jamais ni vendues, ni cédées, et que SIAT n’était pas en droit d’exploiter. Aujourd’hui, en parcourant les villages touchés, Famienkro, Koffessou-Groumania et Timbo, la tristesse s’impose et les greniers vides sont le quotidien des communautés. Il faut désormais acheter la nourriture, mais avec quel argent ? Ainsi, de nombreux paysans et paysannes sans terres dépendent de SIAT pour être en mesure de nourrir leurs familles. La famine et l’insécurité alimentaire qui se profilent à l’horizon doivent interpeller les autorités nationales et leurs partenaires internationaux. Ce rapport cherche à décrire la situation que vivent les communautés face à l’État de Côte d’Ivoire et à la multinationale belge SIAT. Il souhaite relancer le débat quant à l’autorisation du gouvernement ivoirien à exploiter les terres revendiquées par les communautés de Famienkro. Les zones d’ombre légales entretenues par l’État, démontrent-elles une volonté de spoliation des terres communautaires au profit de cette multinationale engagée dans l’hévéa ? L’agriculture familiale sacrifiée sur l’autel de l’agrobusiness En Côte d’Ivoire, l’année 2014 a été activement célébrée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de nombreuses ONG nationales comme l’Année internationale de l’agriculture familiale. [1] Plusieurs projets visant à protéger les petits agriculteurs ont été réalisés et la promotion de l’agriculture familiale a été au cœur de nombreux débats et rencontres. Par la suite, en 2015, le pays s’est même doté d’une Loi d’orientation agricole pour contribuer entre autres à la Souveraineté Alimentaire des populations. [2] Malgré ces avancées, aujourd’hui la volonté des autorités politiques ivoiriennes reste contrainte par les intérêts de l’agrobusiness. Le fait que le projet d’agrobusiness de SIAT ait primé sur l’agriculture familiale et paysanne en est la preuve. Les paysans et paysannes de Famienkro se sont retrouvés face aux machines et engins d’une SIAT qui les a dépossédés de leurs terres et qui se montre décidée à les transformer en ouvriers agricoles. L’hévéa, qui entraine des conséquences désastreuses pour la biodiversité, prend ainsi la place de cultures servant auparavant à l’alimentation des populations. SIAT s’en passe du droit au consentement libre, informé et préalable C’est en août 2011 que les communautés de Famienkro, Koffessou-Groumania et Timbo, situées à environ 300 km d’Abidjan, apprennent de manière informelle qu’une société va s’installer sur leurs terres. Un mois plus tard, le 15 septembre, les représentants des trois villages sont informés qu’une concession de terres couvrant une surface totale d’11 000 hectares a été octroyée par le gouvernement à la Compagnie hévéicole de Prikro (CHP), filiale ivoirienne de la société anonyme belge Société d’investissement pour l’agriculture tropicale (SIAT) pour la création d’une plantation industrielle d’hévéa. Une partie des terres en question avait été exploitée entre 1979 et 1982 par la Société d’État pour le développement de plantations de canne à sucre (SODESUCRE). Depuis la fin du projet sucrier, les paysans et paysannes avaient repris leurs activités agricoles sur le site de l’ex-complexe. Les communautés n’en reviennent pas. L’ex-complexe sucrier avait occupé pour ses activités 5 500 hectares de terre, or l’État en a attribué 11 000 à la CHP. En outre, le consentement libre, informé et préalable (CLIP) des populations est toujours requis dans ces cas, surtout quand il s’agit d’octroyer des terres cultivables à des entreprises, qu’elles soient nationales ou étrangères. Cette règle a été instituée par le premier Président de la République de Côte d’Ivoire quand il négociait l’installation de la SODESUCRE et aujourd’hui les villageois se demandent pourquoi l’on doit déroger à la règle. Le Roi des Andoh, sa Majesté Nanan Akou Moro II, par la voix son porte parole Sinan Ouattara, le confirme « Nous n’avons pas donné notre consentement à ce projet dont l’impact sur nos terres ancestrales, territoires et ressources naturelles est dévastateur, et nous refusons de nous laisser voler nos terres. » Chef depuis 39 ans, le roi des Andoh règne sur la tribu Coblossi qui regroupe sept villages en proximité de Famienkro : Koffessou-Groumania, Sérébou, Kamélésso, Assouadiè, Morokro, Lendoukro et Kouakoukro. SIAT s’en passe du cadre légal de la Côte d’Ivoire Le Code de l’environnement de Côte d’Ivoire, en son article 39, prescrit que le projet de SIAT, étant un projet important susceptible d'avoir un impact sur l'environnement et la société, doit faire l'objet d'une étude d'impact environnementale et sociale préalable. [3] Mais à ce jour, SIAT n’a pas réalisé une telle étude. En 2015, alors que les travaux de plantation d’hévéas ont déjà commencé, la CHP saisit l’Agence nationale de l’environnement (ANDE), organisme public chargé de proposer la procédure d’étude d’impact. L’Agence décide de proposer des mesures de correction de l’impact du projet. Les termes de référence (TDR) de l’étude d’impact environnemental et social sont rédigés et transmis à SIAT qui devrait sélectionner un cabinet pour la réalisation de l’étude. Ces TDR qui, selon la réglementation, ont une durée de validité d’une année, n’avaient toujours pas été présentés il y a un an, quand nous enquêtions pour la rédaction de ce rapport. À ce jour, selon les informations disponibles à l’ANDE, l’étude a été réalisée et déposée et est en attente de validation. En l’absence de l’étude d’impact environnemental et social préalable, l’exploitation de ces terres et la mise en œuvre du projet entrent en violation du Code de l’environnement de la Côte d’Ivoire. Les affaires de SIAT dans le monde SIAT est une multinationale Belge qui se dit « spécialisée » dans l’agriculture tropicale. [4] Présente en Afrique, en Asie et en Europe, elle totalisait en juin 2013 en Afrique environ 175 000 hectares de surfaces cultivées. [5] Cette puissante multinationale au capital de 31 millions d’euros et au chiffre d’affaires de presque 200 millions d’euros évolue dans le palmier à huile, l’hévéa et l’élevage extensif. SIAT a son siège à Bruxelles et est active en Belgique, au Nigeria, au Ghana, au Gabon, au Cambodge et en Côte d’Ivoire. Au Nigeria SIAT détient 60 pour cent des parts de Presco Pic, compagnie inscrite au Lagos Stock Exchange. Presco est une entreprise totalement intégrée de production d’huile de palme. Elle possède 20 000 hectares de palmier à huile, un moulin à huile, une station de broyage de cosses et une usine de raffinerie/fractionnement. En outre, SIAT détient 100 pour cent des parts de capital de SIAT Nigeria Ltd (SNL). SNL a acquis du Gouvernement de River State ses possessions de Risopalm comprenant 16 000 hectares de plantations de palmiers à huile âgés avec la totalité de l’infrastructure sociale et industrielle associée à un complexe huile de palme industrielle de ce type. Les plantations sont à renouveler au cours des 10 années à venir. Au Ghana, SIAT détient 100 pour cent des parts de capital de GOPDC, une entreprise qui cultive environ 7 800 hectares de palmier à huile industrielle d’une concession de 14 000 hectares et assure un soutien financier et technique à 7 000 fermiers cultivant un total de 13 700 hectares. GOPDC dispose d’une station de raffinerie/fractionnement d’une capacité de 100 tonnes par jour et dispose d’une zone de stockage pour un total de 16 000 tonnes. Au Gabon, SIAT détient 99 pour cent des parts de SIAT Gabon qui possède 12 000 hectares de plantations d’hévéa et un élevage bovin de 5 000 têtes. En Côte d’Ivoire, SIAT détient 100 pour cent de la Compagnie Hevéicole de Cavally (CHC) qui cultive 5 400 hectares d’une concession totale de 7 700 hectares. La compagnie fait aussi de l'agriculture contractuelle avec environ 1 200 cultivateurs sur 13 500 hectares d’hévéa. Une usine de traitement du caoutchouc est installée sur la plantation avec une capacité de production de 3500 t/m de miettes de caoutchouc. Le domaine se trouve dans la zone de culture de l’hévéa près de la frontière avec le Liberia. La CHP est une nouvelle concession dans laquelle SIAT a prévu de créer 5 000 hectares de plantation de caoutchouc industriel, 8 000 hectares de plantation en sous-traitance et une usine de traitement pour un investissement de 50 millions d’euros sur 10 ans. Outre l’hévéa, le projet prévoit aussi des cultures adaptées aux besoins de la population. En Belgique, SIAT NV possède 81 pour cent des actions de Deroose Plants, compagnie belge d’horticulture reconnue. Avec des branches aux États-Unis et en Chine, Deroose crée et cultive une ligne complète de plantes d’appartement. Au Cambodge, SIAT détient 100 pour cent de SIAT Cambodgia qui traite des opérations de joint-venture au Cambodge, directement gérées par SIAT NV. Développement et émergence par la force et sans consentement Ainsi, SIAT ambitionne de poursuivre son extension et d’accroître ses profits dans le monde et en Afrique plus particulièrement, au détriment des communautés qui ne possèdent que leurs terres pour se nourrir et vivre décemment par leurs activités agricoles. Pour cela elle n’hésite pas à être sourde aux citoyens et citoyennes qui contestent ses projets en Afrique sous le slogan « non hévéa ». C’est aux « non hévéa » que l’on a attribué l’incendie de tracteurs et la destruction de cultures de SIAT pendant l’été 2015. Quelques jours après les incidents, la Gendarmerie nationale répond par une intervention très musclée qui dégénère en affrontement. Le bilan est lourd : deux personnes tuées par balle à Famienkro. Il s’agit d’Assué Amara de Koffessou, décédé sur le champ d’une balle dans le cou, et d’Ali Amadou de Timbo, atteint à l’abdomen qui succombera le lendemain ; sans compter de nombreux blessés. Des affrontements opposeront également les « oui hévéa » et les « non hévéa ». Par la suite, de nombreuses habitations sont incendiées à Famienkro. Plusieurs opposants au projet prennent la fuite pour éviter les représailles. 71 personnes, dont le roi de Famienkro, le chef du village de Koffessou et Sinan Ouattara, sont arrêtées et détenues à la prison de M’Bahiakro après avoir été retenues quelques jours à Prikro, chef-lieu de commune. Daouda Mahaman, qui n’était pas sur les lieux de la manifestation, est inculpé le 28 juillet 2015 d’incendie volontaire d’immeubles à usage d’habitation, d’incendie de huit engins, de destruction de plants et d’arbres « faits de main d’homme », de coups et blessures volontaires, d’outrage à un agent dans l’exercice de ses fonctions, d’atteinte à l’ordre public et de détention illégale d’armes à feu. Siriki Koffi Abdoulaye (originaire de Famienkro) décède le 3 janvier 2016 en détention à la prison de M’Bahiakro faute de soins appropriés, portant à trois le nombre des morts. 38 personnes seront libérées le 1er décembre 2015 après presque cinq mois de détention sans jugement. Parmi eux se trouvait N'Djoré Yao Kassoum, chef du village de Koffessou. À sa sortie de prison après une détention dans des conditions pénibles et dégradantes, il déclare : « Quand les machines sont venues débroussailler, tous mes bananiers, tarots, riz, maniocs, maïs et anacardes ont été détruits. C’est ainsi que j’ai demandé aux populations d’aller les déguerpir. Je suis aveugle, je dois manger. Vous avez détruit mes champs. Qu’est-ce que je vais manger ? On m’a injustement emprisonné à cause de ma propre terre ! » [6] À 87 ans, aveugle, il décédera peu après sa sortie de prison le 26 mai 2016. SIAT, un amour pour les forêts sacrées et classées Alors même que le dossier de Famienkro reste brûlant, SIAT a entrepris de prendre le contrôle d’autres terres à l’ouest du pays, ou elle exploite déjà une vaste superficie d’hévéaculture à travers la CHC. En effet, après une rencontre en septembre 2017 avec le Vice-président de la République, le PDG de SIAT, Pierre Vandebeeck, a confié à la presse qu’il avait eu des échanges « très encourageants sur le projet de conservation de la forêt classée de Goin-Debé ». [7] Visiblement, SIAT ambitionne de contrôler cette forêt classée de 133 000 hectares, qui constitue le deuxième plus grand massif forestier du pays. Pour y faire planter de l’hévéa ? Du palmier à huile ? On n’en sait pas grande chose pour le moment, hormis le fait qu’aujourd’hui il reste encore environ 10 000 hectares de forêt vierge à Goin-Débé. Human Rights Watch (HRW) et de nombreuses organisations attirent l’attention sur une révision de la loi forestière ivoirienne visant à introduire la notion d’« agro-forêt » qui propose de concilier monoculture et foresterie. [8] Cette révision du cadre légal signifie le transfert de la gestion des forêts classées des mains du gouvernement ivoirien vers celles des entreprises privées. Selon HRW, « la décision d'attribuer à des entreprises privées la gestion de la catégorie des agro-forêts comporte des risques importants pour les droits des occupants des forêts classées et pour les forêts elles-mêmes. » Tout comme le foncier, la question forestière est une source fréquente de conflits dramatiques en Côte d’Ivoire. Négliger ces réalités et continuer à permettre aux entreprises de générer des revenus même au prix de la survie des populations et de la biodiversité serait lourd de conséquences. SIAT devrait faire sienne l’interpellation récente de nombreux bailleurs de fonds qui ont appelé les autorités ivoiriennes à repenser de manière radicale la politique et la stratégie forestière de la Côte d’Ivoire et son impact sur la vie des populations du pays. [9] Accaparement des terres par l’État au profit de SIAT Le gouvernement réclame la propriété des terres sous prétexte qu’elles ont été mises à la disposition du ministère de l’agriculture en 1979 lors de l’installation du complexe sucrier. Faux, affirment les communautés qui soutiennent qu’elles ne les ont jamais vendues à l’État, sinon cédées à la SODESUCRE jusqu’au démantèlement de son exploitation en 1982. À ce jour, le gouvernement n’a pas produit de documents prouvant que les terres lui ont été concédées par les communautés autochtones, pas plus qu’il n’a fait la preuve d’une purge effective des droits coutumiers des propriétaires fonciers qui s’estiment lésés. La purge des droits coutumiers est le seul acte administratif qui pourrait donner raison à la revendication du gouvernement. La perte du droit coutumier sur des terres entraine une indemnisation au profit des détenteurs ; mais à Famienkro, aucun détenteur de droits fonciers coutumiers n’a été indemnisé pour la perte du droit sur ses terres en 1979. L’État, par des arrêtés successifs, s’est contenté d’indemniser les paysans et paysannes dont les cultures avaient été détruites pour la réalisation du projet de complexe sucrier. Bataille judiciaire sur fond de tensions En 2013, dans un nouvel acte de résistance, les villageois et villageoises opposés au projet assignent SIAT devant le tribunal du chef-lieu de département, M’Bahiakro, pour demander son expulsion des terres faisant objet du litige. Au tribunal, SIAT répond que l’accord-cadre qu’elle a signé en 2013 avec l’État de Côte d’Ivoire (représenté par le ministre de l’agriculture) lui permet de mettre ces terres en valeur. L’entreprise brandit également une demande d’immatriculation foncière au livre de la circonscription de la région du Baoulé des 11 000 hectares de terres, demande qui avait été introduite le 24 avril 2014 par le ministère de l’agriculture. Les communautés de Famienkro s’opposent aussitôt à cette immatriculation. En octobre 2014, le tribunal de M’Bahiakro ordonne la tenue d’une série d’audiences pour déterminer la nature du contrat qui a existé sur la terre litigieuse et l’existence ou non de la purge des droits coutumiers. Le mois suivant, le ministère de l’agriculture, représenté par le directeur du foncier rural Delbé Zirignon Constant, soutient devant le juge que « la purge ou non des droits coutumiers ne saurait nullement invalider cette cession. » Il soutient aussi qu’au moment de l’installation de la SODESUCRE, l’État a indemnisé les paysans pour les cultures détruites. En outre, le directeur du foncier rural déclare que « l’État étant propriétaire de l’espace querellé, il n’y a pas lieu à purge de droit coutumier. » Il dira également que les terres vacantes et sans maître appartiennent à l’État. Pourtant la terre querellée n’est pas une terre vacante et sans maître puisque les communautés y sont établies et l’exploitent depuis très longtemps. Ensuite, il y a lieu de faire la distinction entre la purge des droits coutumiers sur une parcelle et les indemnisations pour cultures détruites : celles-ci n’impliquent pas que les détenteurs perdent leur droit sur les terres. [10] En s’appropriant les terres des populations de Famienkro, l’État viole également la loi de 1998 sur le domaine foncier rural qui accorde aux communautés un délai de dix ans, c’est-à-dire jusqu’en 2023, pour faire constater les droits coutumiers sur leurs terres. En outre, les directives volontaires de la FAO pour une gouvernance responsable des régimes fonciers ne semblent faire ni chaud ni froid à l’État ivoirien, qui s’est pourtant engagé à les mettre en œuvre en 2014. [11] [12] Second épisode juridique dans un silence coupable Quand la mise en état ordonnée par le tribunal de M’Bahiakro touche à sa fin, le juge se retrouve sans preuves d’une purge foncière ou d’un contrat avec les communautés qui matérialise la cession de ces terres. Il décide de lancer une seconde audience. Alors qu’elles n’ont pas été invitées à la seconde audience, les communautés apprennent bien plus tard qu’une décision de justice les déboutant a été rendue le 24 novembre 2016. Statuant sur la demande d’expulsion formulée par la communauté, le juge prononce que les communautés ne contestent pas « avoir cédé la parcelle litigieuse pour les besoins de l’implantation d’un complexe sucrier. » Il ajoute que les populations de Famienkro ne produisent pas « non plus de contrat de location avec l’État dont le terme coïnciderait avec la cessation des activités du complexe sucrier qui justifierait le retour immédiat de ladite parcelle dans [leur] patrimoine. » Selon notre analyse, les communautés détiennent des droits coutumiers sur ces terres. Ce n’est pas à elles de faire la preuve de leur qualité de propriétaire mais plutôt à l’État de prouver qu’il y a eu cession à son profit et qu’il est désormais le propriétaire définitif de ces terres. En 2015, malgré l’inexistence d’un acte de concession qui attribue les terres exploitées par la SODESUCRE à l’État, ce dernier parvient à immatriculer la parcelle d’environ 11 000 hectares située à Famienkro à son nom. SIAT, à l’instar d’autres multinationales en Côte d’Ivoire, évolue sur des terres conflictuelles. Le rouleau compresseur de l’agrobusiness encouragé par certaines institutions internationales comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou AGRA continue à se déployer en Côte d’Ivoire comme partout en Afrique. Les communautés sont forcées à laisser leurs terres en mains des multinationales dont le prétexte est de « nourrir l’Afrique » et lutter contre la faim. [13] La faim ? Il n’en était pas question autrefois, pour les courageux paysans et paysannes des sept villages touchés par le projet d’hévéaculture. Annexe : Les partenariats public-privé dans le domaine de l’agriculture, partenariats de dupes Dans le cadre de son partenariat avec l’État, SIAT affirme qu’elle va créer 8 000 emplois directs. L’objectif est peut-être noble mais SIAT ne mentionne pas les autres milliers d’emplois qui seront détruits dans ces villages. Estimée à environ 40 000 habitants, toute la population locale trouvera-t-elle un emploi auprès de SIAT ? Généralement les multinationales du secteur agricole aiment à dire ce qu’elles pensent créer comme emplois mais jamais elles ne veulent reconnaitre que leurs investissements détruisent très souvent tout un corps de métier, à savoir l’agriculture. Ce projet de SIAT s’inscrit dans le cadre du Programme national d’investissement agricole 2012-2015 de la Côte d’Ivoire qui privilégie les partenariats public-privé (PPP). Dans un entretien qu’il a donné à la presse de Côte d’Ivoire à Abidjan en avril 2016 lors de la 29e Conférence régionale de la FAO, Ibrahim Coulibaly, Vice-président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA) disait, en parlant des PPP, qu’il faut créer des mesures de cohérence car on ne peut pas faire des politiques agricoles qui sont une cacophonie. De nombreux acteurs constatent que les PPP ne bénéficient qu’aux entreprises privées non nationales. Ces dernières bénéficient de nombreux avantages dont des subventions de leurs pays et il n’est pas possible pour les nationaux de les concurrencer. « Nous sommes les dindons d’une farce » poursuivait le leader du ROPPA. Comme le souligne Oxfam, ces PPP renforcent l’inégalité et menacent les droits fonciers des populations africaines. [14] [15] À Famienkro, hormis le petit personnel stable de l’entreprise, entre 800 et 1 000 journaliers travailleraient dans les plantations de SIAT. Des chiffres qui auraient baissé au moment de la rédaction du présent rapport. Un travailleur expliquait que « Par mois, moins les dimanches, on peut avoir 39 000 francs CFA (environ 60 euros). Moi par exemple, je suis à l’irrigation, donc je travaille tous les jours. Et puis je peux avoir la chance d’avoir des heures supplémentaires. C’est ce qui fait je puisse arriver à gagner 50 ou 60 000 francs CFA (entre 77 et 92 euros). Si tu n’as pas de supplémentaires, en tout cas, ton salaire à la fin du mois fait 39 000 ». À qui profitent vraiment ces partenariats ? Au vu des salaires, pas aux populations. Des partenariats à véritablement questionner si l’on veut vraiment réduire la pauvreté et lutter contre la faim tel que l’affirment les initiatives comme la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition et GROW Africa. Références [1] B. Kouamé, « Agriculture familiale: La société civile prépare la célébration de l’année internationale », Akody, 6 juillet 2013. Disponible sur : https://www.akody.com/cote-divoire/news/agriculture-familiale-la-societe-civile-prepare-la-celebration-de-l-annee-internationale-3202 [2] Loi no. 20/5-537 du 20 juillet 2015 d'orientation agricole de Côte d’Ivoire. Parue dans le Journal officiel de Côte d’Ivoire le 19 août 2015. Disponible sur : http://extwprlegs1.fao.org/docs/pdf/ivc155706.pdf [3] Loi n. 96-766 du 3 octobre 1996 portant Code de l’Environnement. Disponible sur : http://www.droit-afrique.com/upload/doc/cote-divoire/RCI-Code-1996-environnement.pdf [4] Site internet de SIAT: http://www.siat-group.com/ [5] CNCD, 11.11.11, AEFJN, Entraide et Fraternité, FIAN Belgium, Oxfam-Solidarité, SOS Faim, « Ruées vers les terres? Quelles complicités belges dans le nouveau Far West mondial ? » juin 2013, Bruxelles. Disponible sur : https://www.cncd.be/IMG/pdf/Etude_Accaparements.pdf [6] Enquête de terrain en 2016 [7] Présidence de Côte d’Ivoire, « Le vice-Président de la République a reçu en audience le PDG du groupe belge SIAT ». Disponible sur : http://www.presidence.ci/le-vice-president-de-la-republique-a-recu-en-audience-le-pdg-du-groupe-belge-siat/ [8] « Lettre concernant l'impact sur les droits humains de la déclaration de politique de préservation et de réhabilitation des forêts » Human Rights Watch, 26 octobre 2017. Disponible sur : https://www.hrw.org/fr/news/2017/10/26/cote-divoire-lettre-concernant-limpact-sur-les-droits-humains-de-la-declaration-de [9] Anderson Diédri, « Gouvernance forestière : des diplomates mettent en garde Amadou Gon » Eburnie Today, 25 avril 2017, http://eburnietoday.com/gouvernance-forestiere-diplomates-mettent-garde-amadou-gon/ [10] Loi N° 2013-655 du 13 septembre 2013 relative au délai accordé pour la constatation des droits coutumiers sur les les terres du domaines coutumier et portant modification de l'article 6 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au Domaine Foncier Rural. Disponible sur : http://www.foncierural.ci/index.php/reglementation-fonciere-rurale/21-la-loi/58-la-loi-n-2013-655-du-13-septembre-2013-relative-au-delai-accorde-pour-la-constatation-des-droits-coutumiers-sur-les-les-terres-du-domaines-coutumier-et-portant-modification-de-l-article-6-de-la-loi-n-98-750-du-23-decembre-1998-relative-au-domaine-fonci [11] Selon l’Article 5.3, Partie 2 des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale : « Les États devraient faire en sorte que les cadres politique, juridique et organisationnel relatifs à la gouvernance des régimes fonciers reconnaissent et respectent, conformément à la législation nationale, les droits fonciers légitimes, y compris les droits fonciers coutumiers légitimes qui ne sont pas actuellement protégés par la loi; ils devraient par ailleurs faciliter, promouvoir et protéger l’exercice des droits fonciers. » FAO, Rome, 2012. Disponible sur : http://www.fao.org/docrep/016/i2801f/i2801f.pdf [12] GRAIN et AFSA, « Remise en cause des lois foncières et semencières : qui tire les ficelles des changements en Afrique ? », 21 janvier 2015. Disponible sur : https://www.grain.org/e/5122 [13 Ossène Ouattara « Les solutions de la BAD pour « nourrir l’Afrique », Info du Zanzan, 26 juin 2016, disponible sur : http://infoduzanzan.com/les-solutions-de-la-bad-pour-nourrir-lafrique/ [14] Robin Willoughby, « Un aléa moral ? Les méga-partenariats public-privé dans l'agriculture africaine », OXFAM, 1 septembre 2014, disponible sur : https://www.francophonie.org/IMG/pdf/oxfam_bp188-public-private-partnerships-agriculture-africa-010914-summ-fr-2.pdf [15] Jeune Afrique, « Agriculture : les partenariats public-privé géants menacent les droits fonciers des populations africaines », 5 septembre 2014, disponible sur : http://www.jeuneafrique.com/6957/economie/agriculture-les-partenariats-public-priv-g-ants-menacent-les-droits-fonciers-des-populations-africaines/