Présent à Abidjan pour la 29ème Conférence régionale du Fonds des Nations pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui se tient du 4 au 8 avril à l’Hôtel Ivoire, Ibrahima Coulibaly, vice-président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’ouest (Roppa), se prononce sur la question des Organismes génétiquement modifiés. Qu’est-ce qu’il faut faire pour garantir la sécurité alimentaire en Afrique ? Il n’y a pas de recette miracle. Tous les pays qui ont pu assurer leur alimentation sont passés par un certain nombre de chemin. Pour le moment, l’Afrique ne suit pas ce chemin. Le premier moteur pour que quelqu’un continue à bien travailler, c’est qu’il gagne sa vie. Le paysan africain a toujours été celui qui nourrit les villes mais il a toujours vendu ses productions en dessous du coût de production. Il ne gagne pas ce qu’il investit. C’est-à-dire que tout ce qui a été fait a été construit sur la pauvreté du paysan. Il faut qu’on arrête cela. En plus, depuis les années 80, quand nos pays ont adhéré au Programme d’ajustement structurel de la Banque mondiale, ils ont ouvert nos marchés. Donc aujourd’hui, c’est très difficile de voir un produit alimentaire transformé africain sur leurs propres marchés, dans nos boutiques. On ne fait qu’importer les produits des autres. Comment pourrions-nous développer les nôtres ? Ce n’est pas possible ! Parce que ce qui rentre est moins cher que ce qui se produit localement. Donc il faut que nos gouvernements comprennent cet enjeu, sortent de ce piège-là, trouvent les mécanismes pour protéger un temps soit peu nos productions. Parce que quand on emmène nos produits alimentaires en Europe, il y a des normes qui nous empêchent de les vendre. Ils font tout pour les bloquer parce que justement c’est un moyen pour eux de protéger [leurs produits]. Quand ce ne sont pas les droits de douanes, ce sont les mesures phytosanitaires ou autres choses. Il faut que nous ayons la possibilité de pouvoir appliquer les mêmes règles dans les mêmes conditions. Donc si on fait ça, la transformation alimentaire pourra se développer et les gens vont consommer local. Ça ne veut pas dire que ce qui est importé ne sera pas sur le marché mais il sera vendu à son vrai prix. Parce que la plupart de ces produits sont subventionnés. Donc, nous sommes une sorte de dindon d’une farce parce que nos experts passent le temps à faire des réunions, à dire les mêmes choses tout le temps, mais rien ne bouge. Au contraire, ça s’aggrave. Les partenariats public-privé peuvent-ils changer la donne ? Ce sont des concepts qui sont très pompeux mais en réalité, les Etats ont toujours travaillé avec tout le monde, y compris avec les paysans, le secteur privé. Mais ce qui a manqué en Afrique, c’est de créer des mesures de cohérence. C’est-à-dire qu’on ne peut pas faire des politiques agricoles qui sont une cacophonie. Si on veut que la production augmente, il faut qu’on crée les conditions pour que les paysans continuent à produire. Il faut mettre en place un système de crédit qui n’est pas usurier, avec un taux qui permet aux paysans de travailler, il faut créer les infrastructures de marché, il faut aussi créer les possibilités pour que le paysan puisse amener sa production et la vendre ; donc il faut structurer la commercialisation. Tout ça n’existe pas dans la plupart de nos productions. Donc il faut soutenir maintenant le deuxième niveau qui est la transformation qui donne de la valeur, qui permet aux produits alimentaires de ne pas être détériorés par les prédateurs, le climat… Mais ça ne suffit plus. La partie la plus difficile et la plus grave, on nous a fait croire qu’aujourd’hui on est dans un monde qu’il faut libéraliser, qu’il ne faut plus de frontière. Mais nous, on ne peut pas aller en Europe, on ne peut pas aller aux Etats-Unis. Mais eux, ils veulent venir vendre leurs produits chez nous. Si c’est le vrai libéralisme qu’on crée, qu’on laisse tout le monde se déplacer aussi. Donc nous devons comprendre qu’on est exclut de tout. Il faut aussi qu’on développe des politiques de promotion de ce que nous avons, qu’on arrive à faire que les Africains aiment ce qui est produit en Afrique. Et je pense que les africains aiment mais ils ne le trouvent pas dans les formes facilement consommables. La plupart des femmes dans les villes ont un travail salarié. Et quand elle rentre [à la maison], c’est plus facile d’ouvrir un paquet de spaghetti que de faire le foutou ou le « cabato » de mil ou de sorgho. Ce sont des questions pratiques que nos experts doivent discuter. Mais ils ne discutent jamais de ces questions-là. Donc pour moi, ils sont complètement à côté. Et ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de faire beaucoup de mal à l’Afrique en n’abordant pas les vraies questions, en tournant toujours, en faisant de bons documents pour les ministres qui font de bons documents pour les chefs d’Etat. Toujours Maputo… On est là, on tourne en rond, rien ne bouge, rien n’avance et ça devient dangereux parce que les jeunes sont nombreux, de plus en plus ils ne veulent pas faire l’agriculture parce que c’est trop de boulot, ils sont recrutés par tous les Pensez-vous que les organismes génétiquement modifiés sont une solution à la sécurité alimentaire ? Mais les OGM, c’est la plus grande escroquerie qui n’est jamais existée. C’est tout sauf une solution. On nous dit : on met un gène dans un coton pour que ce coton se protège lui-même des insectes. Mais il y n’a pas un seul coton OGM qu’il ne faut pas traiter encore avec des pesticides. Donc qui on a trompé ? Pourquoi le Burkina est aujourd’hui en train de sortir ? C’est le seul pays qui avait adhéré à cette technologie. Mais ils sont en train de revenir en arrière pour la simple raison qu’ils se sont rendus compte que ça n’a aucun intérêt pour le pays ni pour les producteurs. Donc il faut qu’on ait conscience que les solutions sont chez nous. C’est notre responsabilité de nous nourrir. On ne peut pas déléguer à d’autres la responsabilité de nous nourrir. Le Burkina est en train de sortir mais la Côte d’Ivoire vient d’adopter un projet de loi sur l’utilisation des OGM. Est-ce une bonne mesure ? C’est la responsabilité de la Côte d’Ivoire si elle veut aller dedans. Mais je suis sûr que les paysans n’en tireront rien. Ce n’est pas la Côte d’Ivoire qui va produire les OGM. Ça va venir de l’extérieur. Ça veut dire que vous allez encore être dans une nouvelle dépendance. Comme le Burkina l’a dit, les fibres de coton qu’il produisait ont été rabaissées. Il n’avait même plus de place sur le marché mondial. Donc vous risquez de prendre des risques inutiles. Le Burkina a perdu dix ans. Maintenant il retourne à la case départ avec les variétés de coton qu’ils avaient déjà. Si c’est ça que la Côte d’Ivoire veut faire, c’est sa responsabilité. L’Afrique doit faire face à ses responsabilités aujourd’hui. On ne peut plus continuer à pleurnicher, à dire toujours donnez-nous de l’argent. Non ! On est riche, on n’est pas pauvre. Seulement, tout est dilapidé. C’est pourquoi j’ai posé le problème de Maputo. Dans mon pays, le gouvernement dit que 15% du budget est consacré à l’agriculture. C’est 10% qui est demandé dans Maputo. Mais depuis qu’il y a eu 15%, il n’y a eu aucune avancée. Donc il y a un problème. Si on a augmenté le budget de 7% à 15%, on doit voire l’impact au niveau des petits producteurs. Mais on ne voit rien du tout. Il faut créer des critères d’évaluation pour voir ce que nous mettons comme ressources propres et internes dans l’agriculture car on doit voir l’impact en termes d’augmentation concrète, en termes de changement de la vie des petits producteurs à la base. Sinon, on fait du surplace encore là et on se trompe soi-même. Il faut donc créer un fonds pour soutenir l’agriculture ? Ce n’est pas une question de fonds. Si vous prenez le nombre de projets qu’il y a en Côte d’voire, ce sont des centaines de milliards francs Cfa. Au Mali, on a 100 projets pour plus de 800 milliards francs Cfa. Mais ça ne sert à rien du tout. Le problème, c’est la cohérence et savoir où est-ce qu’on va. Sinon, si vous avez tout l’argent du monde, si vous n’avez pas une politique cohérente, vous n’irez nulle part et c’est ça qui arrive à tous nos pays. Ce n’est pas l’argent qui manque. Vous allez dans tous nos ministères du développement rural dans nos pays, vous allez trouver qu’il y a extrêmement d’argent mais cet argent ne sert à rien. Interview réalisée par Anderson Diédri, Le Nouveau Courrier N°1419, 6 avril 2016 Pour lire la deuxième partie, cliquez ici.