Il y a cinquante ans, vous auriez eu de la peine à trouver des aliments à base d'huile de palme, à moins d'habiter en Afrique de l'Ouest ou du Centre. Aujourd'hui, il est difficile de l'éviter. L'huile de palme est partout, surtout dans les aliments transformés. Des études suggèrent qu'elle est présente dans environ la moitié des denrées alimentaires emballées sur les étagères des supermarchés, que vous fassiez vos emplettes à Shanghai, à Durban ou à Santiago.1 Vous la trouverez également dans la plupart des savons, des cosmétiques et des lotions. La demande en huile de palme est insatiable. La consommation a augmenté d'environ 1,5 million de tonnes par an depuis le milieu des années 1980, et elle est passée de quelques millions de tonnes à plus de 50 millions aujourd'hui. L'huile de palme représente désormais plus de la moitié de la consommation mondiale totale des huiles et des graisses.2 Cet essor spectaculaire s'explique très simplement : l'huile de palme est bon marché. Parmi les grandes cultures oléagineuses (palmier à huile, soja, colza et tournesol), l'huile de palme est la moins chère.3 C'est pourquoi, partout où l'on veut une huile végétale bon marché, l'huile de palme tend à l'emporter.4 Cela n'a pas toujours été le cas. Il n'y a pas si longtemps, les marchés nationaux de l'huile végétale étaient dominés par des sources de matières grasses locales et les politiques et réglementations nationales protégeaient les producteurs d'huile végétale contre les importations bon marché. Mais, au cours des 15 dernières années, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et une série d'accords bilatéraux de libre-échange ont éliminé la plupart de ces mesures de protection en ouvrant largement la voie aux importations d'huile végétale. Les entreprises malaisiennes d'huile de palme ont sauté sur cette occasion. Elles ont augmenté leur production, d'abord en Malaisie, puis en Indonésie. D'autres sociétés leur ont emboîté le pas. Aujourd'hui, les forêts et les terres agricoles de Malaisie sont tapissées de plantations de palmier à huile, tout comme plusieurs îles de l'archipel indonésien. Ces deux géants de l'huile de palme représentent maintenant environ 90 % de la production mondiale et des exportations de ce produit, un chiffre énorme si l'on tient compte du fait que l'huile de palme représente près des deux tiers du total des exportations d'huile végétale au niveau mondial. La poussée des exportations d'huile de palme a frappé durement les agriculteurs dans des pays importateurs, comme l'Inde. Au cours des années 1980 et au début des années 1990, le gouvernement indien a eu recours à des restrictions sur les importations et à des programmes gouvernementaux pour maintenir l'autosuffisance nationale en matière de production d'huile végétale. Des prix décents ont encouragé les agriculteurs à développer les oléagineux, ce qui a stimulé la production des cultures traditionnelles d'huile végétale, comme la noix de coco, dont la production a doublé dans la première moitié des années 1990. La transformation locale des huiles a aussi permis la création de milliers d'emplois dans ce pays. Cependant, en 1994, sous la pression de la Banque mondiale et dans le cadre de ses obligations vis-à-vis de l'OMC, l'Inde a commencé à supprimer les restrictions sur les importations d'huiles végétales. Le pays a été immédiatement submergé par de l’huile de palme importée, tandis que la production des oléagineux traditionnels a fondu. Aujourd'hui, avec des droits de douane sur l'huile de palme qui fluctuent autour de zéro, l'Inde est le plus grand importateur et le plus grand consommateur d'huile de palme dans le monde.5. Les producteurs indiens de noix de coco paient le prix fort pour l'huile de palme bon marché Shanmugam est un producteur de noix de coco de Talavady, dans le Tamil Nadu. L'afflux massif de l'huile de palme importée en Inde a entraîné une baisse du prix payé pour la noix de coco à Shanmugam et aux autres agriculteurs, ce qui pèse lourdement sur leurs moyens de subsistance. « Les agriculteurs croulent sous les dettes, et nous essayons de survivre comme nous le pouvons », explique Shanmugam. « Le prix de la noix de coco n'est que 4 à 5 roupies par noix, ce qu'il était il y a 20 ans. On ne peut même pas se permettre de récolter ou d'enlever des cocotiers pour passer ensuite à d'autres cultures parce que c'est trop cher. » Cette année Shanmugam a mis en vente sa cocoteraie de 7 hectares pour rembourser une partie de sa dette. La Chine a suivi une voie similaire. Ses importations d'huile de palme ont oscillé autour de 1 million de tonnes par an, jusqu'à ce que le pays réduise considérablement les restrictions à l'importation en 2000, dans le cadre des obligations liées à son entrée dans l'OMC. Les importations ont explosé, pour atteindre 5 millions de tonnes par an en 2005. Cette année-là, la Chine a commencé à appliquer un accord de libre-échange avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, auquel les industriels malaisiens de l'huile de palme attribuent une nouvelle augmentation de 34 % des importations d'huile de palme entre 2005 et 2010.6 Le quatrième importateur du monde pour l'huile de palme, le Pakistan, est aussi un produit du libre-échange. L'industrie de l'huile de palme malaisienne indique que l'accord de libre-échange de 2008 entre la Malaisie et le Pakistan est à l'origine du doublement des importations d'huile de palme au Pakistan entre 2007 et 2010..7 Il y a vingt ans, la Chine, l'Inde et le Pakistan n'étaient que des consommateurs marginaux d'huile de palme. Aujourd'hui, ils représentent plus de 40 % du total des importations mondiales, et un tiers de la consommation mondiale8. Toutefois, les politiques commerciales ne sont pas seules en cause. La poussée des importations d'huile de palme en Inde et en Chine, et dans de nombreux autres pays du Sud comme le Venezuela et le Bangladesh, coïncide aussi avec des transformations majeures de leurs systèmes alimentaires. Les multinationales agroalimentaires, les chaînes de restaurants et les supermarchés se développent rapidement dans le Sud, ce qui accroît la consommation d'aliments transformés. La croissance annuelle des ventes de produits alimentaires transformés est d'environ 29 % dans les pays à revenu faible et moyen, contre seulement 7 % dans les pays à revenu élevé.9 L'augmentation de la consommation d'aliments transformés s'accompagne d'une augmentation de la consommation de graisses, et donc d'huile de palme, actuellement la source de matières grasses la plus économique dans le monde. On estime que l'huile de palme est présente dans la moitié des aliments emballés dans les rayons des supermarchés.10 En Chine, où les supermarchés progressent plus rapidement que partout ailleurs dans le monde, la consommation annuelle par habitant d'huiles végétales est passée de 3 kg en 1980 à 23 kg en 2009, soit environ 64 grammes par jour, près de deux fois la consommation de graisses nécessaire pour répondre aux besoins nutritionnels d'une personne. L'huile de palme représente désormais un tiers de l'huile végétale consommée en Chine, soit près de trois fois ce qu'elle était en 1996.11 Au Mexique, les ventes d'aliments transformés ont augmenté de 5 à 10 % par an depuis que le pays a commencé à appliquer l'Accord de libre-échange nord-américain avec les États-Unis et le Canada, qui a ouvert la voie à une augmentation des investissements étrangers par les multinationales de l'agroalimentaire.12 Les taux d'obésité montent en flèche, le pourcentage de personnes obèses au Mexique est maintenant plus élevé qu'aux États-Unis. Et la consommation d'huile de palme monte également en flèche. La consommation moyenne d'huile de palme par habitant a doublé entre 1996, où elle représentait 11 % des huiles végétales dans le régime alimentaire d'un Mexicain, et 2009, quand elle représentait 28 %.13 Même aux États-Unis, les entreprises agroalimentaires sont récemment passées à l'utilisation de l'huile de palme, en partie pour répondre aux préoccupations portant sur les acides gras trans. Depuis 2000, la consommation d'huile de palme aux États-Unis a été pratiquement multipliée par six.14. La consommation américaine reste encore très inférieure à celle de l'Europe, où elle s'élevait à 5,8 millions de tonnes en 2012, le double de ce qu'elle était en 2000. La croissance de la consommation d'huile de palme en Europe est moins le résultat des changements dans le système alimentaire que celui des politiques en matière d’agrocarburants. Au cours de la dernière décennie, la mise en œuvre des quotas des pays européens en matière d’agrocarburants a renforcé la demande en huile de palme, qui est utilisée comme matière première pour le biodiesel et comme huile végétale pour remplacer les oléagineux européens qui sont maintenant utilisés pour la production d'agrocarburants. Les importations d'huile de palme pourraient encore augmenter fortement si une suite est donnée à une proposition de la Commission européenne qui obligerait la totalité des 27 membres de l'Union européenne à couvrir au moins 5 % de leur consommation nationale de carburant par des agrocarburants à base de cultures vivrières. La législation exigerait 21 Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) de agrocarburants en plus d'ici 2020. Mesuré en huile de palme, cela équivaut à environ 5,5 millions d'hectares de nouvelles plantations de palmier à huile.15 Notes 1 RSPO, « Why palm oil matters in your everyday life », 2013 2 IEA Bioenergy, « A global overview of vegetable oils, with reference to biodiesel », 2009; Sime Darby, « Palm oil facts & figures », 2013 3 Sime Darby, « Palm oil facts & figures », 2013 4 GRAIN remercie le Pr Firmin Adjahossou, personne ressource béninoise en palmier à huile, pour sa contribution. 5 Afsar Jafri, « Trade Liberalisation's Impact on Edible Oil Sector in India », Focus on the Global South, 6 juillet 2011 6 N Balu and Nazlin Ismail, « Free Trade Agreement –The Way Forward for the Malaysian Palm Oil Industry », Oil Palm Industry Economic Journal (11.2) 7 Ibid 8 Lipid Library 9 Corinna Hawkes, « Globalization and the Nutrition Transition : A Case Study », dans Per Pinstrup-Andersen et Fuzhi Cheng (éditeurs), « Food Policy for Developing Countries : Case Studies. » 2007 10 Rainforest Action Network, « Conflict palm oil », septembre 2013 11 Dinesh C. Sharma, « Rise in oil consumption by Indians sets off alarm », India Today, 2 avril 2012; FAOSTAT 12 Corinna Hawkes, « Globalization and the Nutrition Transition : A Case Study », dans Per Pinstrup-Andersen et Fuzhi Cheng (éditeurs), « Food Policy for Developing Countries : Case Studies. » 2007 13 FAOSTAT 14 Rainforest Action Network, « Conflict palm oil », September 2013 15 GRAIN, « Il faut arrêter d’accaparer les terres pour produire des biocarburants », mars 2013