GRAIN Un des aspects intéressants de l’épidémie de grippe porcine est la rapidité avec laquelle le lien avec l’élevage industriel s’est imposé. La pression est surtout venue de la population locale de La Gloria, un village de la commune de Perote, au Mexique. Comme les autres communautés, en Roumanie (Europe) comme en Caroline du Nord (États-Unis), les habitants de La Gloria se battent depuis des années pour faire reconnaître les conséquences sociales, environnementales et sanitaires des grands élevages porcins installés dans le cadre de partenariats près de leur village par Smithfield, le premier producteur mondial de porcs. De fait, bien avant l’épidémie, certains leaders de La Gloria avaient été arrêtés ou passés à tabac pour avoir exprimé leur opposition. Quand, en 2008, les gens ont commencé à souffrir d’une étrange infection respiratoire, ils ont eu dès le début la conviction que la maladie provenait des déchets qui s’accumulent dans les fermes. La communauté a tenté à maintes reprises d’exiger une enquête des autorités. Quand celles-ci se sont enfin décidées à envoyer une équipe médicale pour mener des tests sur place, il s’est avéré que 60% des 3 000 habitants souffraient d’une maladie respiratoire non-diagnostiquée. Ce n’est que plusieurs semaines plus tard, le 27 avril 2009, alors que le pays se trouvait au beau milieu d’une épidémie de grippe porcine touchant des milliers de personnes, que le gouvernement mexicain a annoncé que le seul échantillon prélevé à La Gloria (sur un garçon de cinq ans) et envoyé à un laboratoire capable de diagnostiquer la grippe porcine humaine, contenait le virus H1 N1 : C’était le premier cas avéré de grippe porcine dans le pays. Cette révélation a alors – mais seulement alors – déclenché l’intérêt des autorités et des médias pour la communauté de La Gloria. Quand les journalistes sont arrivés, les habitants ont refusé de se laisser intimider par l’entreprise ou par le gouvernement : ils ont accusé directement les élevages industriels, en particulier les bassins de déchets à proximité des porcheries, d’être à la source de l’épidémie. Pour une fois, la nature mensongère de la “biosécurité” moderne, tant vantée par la propagande de l’industrie de la viande, a été démasquée aux yeux du monde entier. Deux éléments ont permis de désigner clairement le coupable : La communauté avait déjà fait l’expérience des effets nocifs sur la santé et l’environnement de la proximité d’une ferme industrielle ; de surcroît, les résultats des enquêtes et des analyses démontraient de façon plus en plus indéniable que les élevages industriels créaient des conditions parfaites pour qu’émergent de nouvelles variantes de grippe chez les humains. Les communautés comme celle de La Gloria ont beau être le fer de lance des mouvements de résistance aux pandémies, elles sont totalement exclues des réponses et des stratégies officielles. Ce n’est que par hasard, en effet, que le seul échantillon prélevé dans la communauté a été correctement testé. Nous ne saurons jamais combien d’autres habitants de La Gloria ont été touchés par le virus. Il est également fort peu probable qu’on obtienne jamais de preuves concluantes que la maladie est venue de l’usine de Smithfield, étant donné que c’est l’entreprise elle-même qui est chargée de l’enquête. Cependant, même sans preuve irréfutable, les habitants de La Gloria savent désormais quels risques sévères ce genre d’élevage représente pour la santé (et l’économie !) mondiales : la nature même de l’élevage industriel est de produire de dangereux agents pathogènes et beaucoup de gens sont maintenant capables de faire le lien entre les deux. Le Mexique n’a fermé aucun élevage industriel ; aucun n’a même fait l’objet d’une enquête approfondie ou indépendante. Bien loin de là, les autorités égyptiennes, elles, ont profité de cette épidémie de grippe porcine pour ordonner le massacre “en gros” des 300 000 porcs élevés par des petits producteurs. Cette mesure a été prise, alors qu’on sait pertinemment que la grippe porcine se transmet par l’intermédiaire des humains, et non des porcs., et qu’aucun cas de la maladie n’avait été déclaré dans le pays. En Égypte, pays à prédominance musulmane, l’élevage et la consommation de porc sont principalement réservés à la minorité chrétienne, soit environ 10 % de la population. La majorité des éleveurs de porcs sont surtout des chiffonniers chrétiens qui vivent dans le bidonville de Manishyet Nars, dans la banlieue du Caire. Isaac Mikhail, chef de leur association , explique qu’ils élevaient environ 65 000 porcs dans le bidonville et que cette activité était la principale source de revenus de 55 000 personnes. Quand le massacre a commencé, des éleveurs en colère ont bloqué les routes, lancé des pierres et des bouteilles sur la police et celle-ci a répondu en chargeant dans la foule des manifestants avec ses voitures blindées. Aux critiques étrangères – même l’OIE (l’Organisation mondiale de la santé animale) et la FAO (l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture) ont exprimé leur désaccord – les autorités égyptiennes ont répondu qu’il s’agissait d’une mesure d’hygiène destinée à débarrasser le pays de « conditions d’élevage non conformes aux normes sanitaires » et de préparer le terrain pour des fermes industrielles à l’européenne « plus propres ». Des responsables du ministère de l’Agriculture ont parlé de redémarrer l’élevage porcin dans deux ans, en utilisant des animaux d’importation dans des fermes appropriées qui seraient installées à la campagne. Quand la grippe aviaire s’est déclarée en Asie en 2003, les grandes entreprises de volaille ont nié en être la cause. A l’époque, il était difficile de mettre en lumière le rôle des fermes industrielles, alors que les entreprises avec la complicité active des autorités et des médias, avaient réussi à détourner l’attention publique sur les oiseaux sauvages et les pratiques d’élevage artisanales. Mais les choses sont en train de changer, malgré les événements égyptiens. Le lien entre l’élevage industriel et la menace croissante de pandémies humaines est devenu indéniable. Même si les gouvernements et les agences internationales continuent à reprendre comme des perroquets les propos de l’industrie, les luttes locales contre les fermes industrielles ont pris la place qui leur revient au centre de la réponse mondiale aux maladies émergentes. Le rôle tenu par les habitants de La Gloria à l’importante réunion de l’Asamblea de Afectados Ambiantales (l’assemblée des victimes environnementales), qui a eu lieu à la fin mai à Jalisko, au Mexique, reflète nettement cette évolution. S’il fut un temps où les habitants de La Gloria se sentaient complètement isolés dans leur lutte contre le géant agroalimentaire, ils se trouvent désormais à la pointe d’un mouvement de plus en plus puissant, visant à contrer tous les projets qui n’amènent que pollution, poisons, maladies, contamination OGM et autres problèmes aux populations locales. En effet, la prochaine réunion de l’Asamblea doit se tenir à la fin de 2009 à La Gloria. Publications de GRAIN sur la grippe porcine et autres maladies animales A contre-courant : “Un système alimentaire qui tue : La peste porcine, dernier fléau de l’industrie de la viande” http://www.grain.org/articles/?id=50 Edward Hammond : “L’Indonésie s’efforce de faire changer les règles de l’OMS sur les vaccins contre la grippe”, Seedling, avril 2009. http://www.grain.org/seedling/?id=620 Patrice Sagbo : “Gestion de la grippe aviaire au Bénin” http://www.grain.org/semences/?id=7 A contre-courant, “La grippe aviaire dans l’Est de l’Inde : l’absurdité d’un massacre” http://www.grain.org/articles/?id=51 En janvier 2008, GRAIN a publié un numéro spécial de Seedling sur les animaux, en particulier plusieurs articles sur l’élevage industriel et les maladies animales. http://www.grain.org/seedling/?type=71&l=2 Beaucoup de ces articles ont été traduits en français. A contre-courant, “La grippe aviaire: une aubaine pour "Big Chicken” http://www.grain.org/articles/?id=24 Rapports, “Qui est le dindon de la farce ?” http://www.grain.org/briefings/?id=195