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Les leçons de 30 ans de GRAIN

by GRAIN | 17 Dec 2020
L'équipe, le conseil d'administration et les amis de GRAIN aux Philippines, 1997


30 ans de GRAIN : Cliquer ici pour une chronologie et pour vous plonger dans l’histoire de GRAIN

Depuis sa création en 1990, GRAIN s’est beaucoup développé, sans pour autant changer fondamentalement. Ce qui fut au départ une initiative passionnée et déterminée de quelques activistes en Europe a mûri et s'est transformé en une organisation internationale solide, diverse et décentralisée. Durant toute cette période, la politique et la philosophie de GRAIN n’ont pas vacillé et n’ont fait que s’affirmer davantage. Nous présentons ici quelques-unes des leçons tirées de notre évolution et les changements entrepris sur cette période de 30 ans, dans l’espoir que notre expérience puisse servir à d’autres.

Notre attention, concentrée jusqu’alors sur le secteur public, se tourne vers les grandes entreprises

Pendant les dix premières années, une grande partie du travail de GRAIN a consisté en des débats politiques au niveau international : il s’agissait pour nous de faire de la sensibilisation, du plaidoyer et du lobbying dans les organisations des Nations unies et autres forums gouvernementaux. Toutefois, nous avons vite réalisé qu’il y avait un décalage énorme entre les décisions prises au sein de ces instances lointaines et ce qui se passait sur le terrain. Cette prise de conscience a coïncidé avec le processus de décentralisation qui a permis à GRAIN de s’étendre et de s’enraciner dans les pays du Sud, afin de mieux y travailler avec la société civile et les associations de petits paysans.

Dans le même temps, nous avons compris que les politiques publiques étaient très largement dictées par les grandes entreprises. C’était évident dans les forums internationaux où règnent les lobbies, et tout aussi vrai au niveau national où les dollars de l’aide humanitaire étaient liés à des objectifs commerciaux et où les accords commerciaux visaient principalement à promouvoir le rôle des grandes entreprises. En outre, la recherche agricole publique – sujet auquel GRAIN avait, dans les premières années, consacré beaucoup d’études et de discussions - était en train de s’effondrer et de se privatiser. Au début du siècle, GRAIN a commencé à s’intéresser davantage au rôle et à l’impact des grandes entreprises, afin d’essayer de comprendre et d’expliquer leur fonctionnement et de développer avec nos partenaires des stratégies destinées à leur faire face. Nous sommes très heureux d’avoir pris ce tournant, car nous avons le sentiment de vraiment faire œuvre utile.


Des semences au système alimentaire mondial

Initialement, GRAIN se préoccupait surtout des questions de semences, de biodiversité agricole et des luttes spécifiques à ce domaine. Mais après l’émergence des crises alimentaire et financière mondiales de 2007, nous avons élargi notre programme pour y ajouter les crises liées aux terres, à l’eau et au climat. Forts de nos années de travail sur l’agrobusiness et le commerce, nous avons commencé à organiser notre travail autour des systèmes alimentaires, ce qui nous permis d’avoir une vision de la situation beaucoup plus complète. Nous avons ainsi pu mieux comprendre/appréhender le rôle dominant joué par les marchés quand il s’agit de définir quelle forme donner à la production alimentaire et mieux analyser le lien entre le système alimentaire et la crise climatique, pour ne citer que quelques exemples.

Apprendre à travailler avec les mouvements sociaux

Pendant de nombreuses années, GRAIN s’est efforcé de se désengager des circuits des lobbies et des ONG pour travailler directement avec les mouvements sociaux. Ce n’est pas une critique des ONG ; après tout, nous sommes nous-mêmes une ONG. Mais nous avons choisi de travailler avec les mouvements populaires parce qu’ils sont les moteurs du changement.

Une des conséquences importantes de ce choix a été d’apprendre à travailler avec La Via Campesina (LVC), un réseau mondial d’organisations de petits producteurs. GRAIN est devenu un allié de LVC ; depuis des années, nous accompagnons ce mouvement et un certain nombre de ses membres. Grâce à cette coopération, nous avons appris que ce sont les mouvements qui doivent être les leaders et clairement le rester, tandis que le rôle de groupes tels que GRAIN est de les soutenir et via ce soutien, de les renforcer. C’est LVC qui a conçu le concept de la souveraineté alimentaire. Ce concept est devenu un cadre essentiel pour GRAIN et beaucoup d’autres et nous a aidés à rester clairs sur nos objectifs et à décider des priorités. Nous avons également commencé à tisser des liens avec les mouvements de lutte contre les accords commerciaux et la crise climatique, en y apportant la contribution de nos analyses et de notre expertise des systèmes alimentaires. La recherche de GRAIN, qui fait notre réputation, a pour but d’être utile à toutes sortes de mouvements sociaux. GRAIN a donc appris à devenir un groupe de soutien et c’est bien ainsi que nous nous voyons aujourd’hui.

Équipe de GRAIN aux Philippines, 1996

Une volonté de rester petits et de garder les pieds sur terre

Nous avons toujours voulu rester petits et flexibles, Pour nous une limite de 15 personnes était la taille idéale pour notre équipe. Aller au-delà nous semblait prendre le risque d’un surplus de structure et de bureaucratie. Nous préférons fonctionner comme une équipe de personnes autonomes, fiables et ayant la liberté d’être créatives, car cela nous permet de passer rapidement à de nouveaux sujets, de garder une longueur d’avance, de répondre à de nouveaux besoins et de nouveaux problèmes et de rester adaptables dans le rôle que nous pouvons jouer. C’est pour nous un élément essentiel pour rester pertinents. C’est donc en ce sens que GRAIN est organisé : nous sommes une organisation horizontale, transparente, qui fonctionne comme un collectif en interne. Nous plaçons une grande valeur sur le fait d’avoir une équipe programme composée d’activistes locaux, étroitement liés aux communautés, aux partenaires et aux luttes dans leur région. Pour nous, avoir, outre un solide système de coordination, une combinaison de collègues dont certains ont la mission plus globale de surveiller et de couvrir les tendances internationales et d’autres une mission régionale pour pouvoir travailler directement avec les partenaires locaux, favorise un enrichissement mutuel et nous permet de garder les pieds sur terre.

Focalisés sur l’accaparement des terres

Quand la crise mondiale des prix alimentaires a éclaté en 2007, et qu’une nouvelle vague d’accaparement des terres a éclaté dans le monde entier, GRAIN a rapidement réagi et fut l’un des premiers à rendre compte de ce qui se passait. Nous avons cependant choisi de restreindre notre recherche et notre surveillance aux projets qui déplaçaient les paysans pour des projets de production alimentaire censés répondre à la crise alimentaire. Ce qui signifie que les projets visant à installer des infrastructures, creuser des mines, construire des barrages, concevoir des initiatives en matière de conservation ou mettre en place des centrales de production d’énergie sont souvent restés en dehors de notre champ d’action. Nous nous sommes dit que pour une petite équipe comme la nôtre il était parfaitement logique et plus gérable de se concentrer sur les accaparements de terres perpétrés au nom de la production alimentaire. Nous n’avons pas non plus essayé de relier notre travail aux processus historiques d’accaparement des terres qui n’étaient pas provoqués par la crise alimentaire. En ne tenant pas compte de ces situations, nous avons dû occulter une part importante de la réalité de l’accaparement des terres, ce qui a pu réduire la pertinence de notre travail pour certains groupes. Toutefois les conclusions de nos recherches nous ont permis, avec nos partenaires du mouvement pour la souveraineté alimentaire, d’entreprendre toute une série de grandes campagnes auxquelles nous continuons à participer activement aujourd’hui encore.

Faire le lien entre le climat et les mouvements pour l’alimentation

Nos premières tentatives pour démontrer le lien entre le système alimentaire industriel et le changement climatique datent de 2009 et ont été publiées dans un numéro spécial de notre magazine Seedling. Avant cette date, rares étaient les études exposant clairement le rôle du système alimentaire dans les émissions de gaz à effet de serre. Les études de GRAIN ont réussi à montrer combien le système alimentaire industriel contribue à la crise climatique, notamment via les émissions émanant des principales entreprises de production de viande et de produits laitiers. Récemment nous avons aussi commencé à évaluer l’impact sur le climat des éléments concernant l’alimentation et l’agriculture contenus dans les nouveaux accords de libre-échange. Nous opposons ces conclusions avec les études qui montrent comment l’agroécologie gérée par les paysans et la souveraineté alimentaire peuvent « refroidir la planète », dès aujourd’hui et si la crise s'exacerbe. Pourtant, le débat sur le climat continue principalement à considérer les combustibles fossiles et l’énergie comme la source du problème, même chez les activistes. Nous n’avons pas été suffisamment actifs pour aider les mouvements pour la souveraineté alimentaire et les mouvements pour le climat à se rejoindre. C’est une tâche que nous considérons comme cruciale pour faire émerger un vaste mouvement de lutte qui pourra trouver des solutions à la crise climatique. Il faut donc poursuivre le travail sur ce sujet.

Trouver des ressources

L’une de nos difficultés récurrentes est de nous assurer que nous ne soyons pas considérés comme une agence de financement, parce que nous n’en sommes pas une ! À GRAIN nous avions l’habitude de nous appuyer sur quelques ONG de développement européennes pour soutenir notre travail. Mais après la crise financière de 2009, les choses ont changé. Nous avons commencé à diversifier notre base de financement et nous n’avons plus arrêté depuis. Cela a permis à GRAIN de se maintenir à flot, mais nous a également exposés à un plus grand éventail de bailleurs de fonds. Nous passons beaucoup de temps à introduire les bailleurs à nos partenaires et à mettre en place des projets communs avec toutes sortes de groupes et nous pensons que nous jouons là un rôle utile.
Réunion de l'équipe de GRAIN, Sénégal 2019 (Alexandra Toledo, membre de l'équipe absente sur la photo)


Regarder derrière nous et devant nous

Cet anniversaire nous a fait réaliser que dans les dix années à venir, un certain nombre de nos collègues “plus âgés”, en particulier nos deux fondateurs, vont devoir peu à peu quitter l’organisation. Il va nous falloir évoluer de manière à permettre aux membres restants de « réinventer » GRAIN et d’assurer sa solidité. Nous devons attirer une nouvelle génération d’activistes. De nombreuses organisations doivent à un moment ou à un autre faire face à ce processus de transition et à GRAIN, nous avons commencé à discuter de la manière de procéder. Nous sommes preneurs de toute expérience réussie et de toute idée intéressante sur la question !

Retour sur 30 ans

Raconter notre histoire nous relie au contexte plus vaste de l’histoire de la lutte pour la souveraineté alimentaire. Dans l’historique suivant vous pourrez voir comment GRAIN a évolué, à partir d’un minuscule groupe européen spécialisé dans le lobbying sur les semences au sein d’agences des Nations unies, pour devenir un collectif international de soutien aux mouvements populaires. Tout a démarré à la fin des années 1980 quand Henk Hobbelink et Renée Vellvé travaillaient ensemble dans une campagne d’ONG principalement européennes qui soutenait la diversité des semences à la ferme. Ils s’opposaient alors à la prise de contrôle des petites entreprises semencières familiales par les grandes sociétés agrochimiques et faisaient campagne contre l’extension des droits de propriété intellectuelle sur les semences. Avec d’autres activistes, ils ont décidé que ce travail nécessitait une base plus autonome et institutionnelle et en 1990, ont fondé GRAIN. Au fil des ans, GRAIN a étendu la portée de son action tout en préservant son essence.

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30 publications pour 30 ans

Pour commémorer le trentième anniversaire de GRAIN, nous avons organisé un compendium de 30 de nos publications les plus intéressantes qui ont eu le plus d’influence. Les sujets traités vont des lois semencières à l’accaparement des terres, aux accords de libre-échange, en passant par l’impact de l’élevage industriel sur la crise climatique. Pour beaucoup de ces publications, la recherche et la production ont été faites en collaboration avec nos partenaires de terrain dans le monde entier. (certaines publications ne sont pas disponibles en français)

(2015)


Author: GRAIN
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  • [20] https://grain.org/fr/article/5312-ensemble-nous-pouvons-refroidir-la-planete
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  • [30] https://grain.org/fr/article/6501-voyage-a-travers-30-ans-de-soutien-a-la-lutte-pour-la-souverainete-alimentaire
  • [31] https://grain.org/fr/article/6466-des-millions-de-personnes-forcees-de-choisir-entre-la-faim-ou-le-covid-19