Neuf communautés de la République démocratique du Congo ont accompli un geste historique cette semaine en déposant une plainte auprès du mécanisme de plaintes* de la banque de développement allemande (Deutsche Investitions- und Entwicklungsgesellschaft, DEG). Les communautés veulent une solution à ce conflit foncier qui remonte à la période coloniale belge avec une société d’huile de palme que finance actuellement un consortium de banques de développement européennes dirigé par DEG. En 1911, l’administration coloniale belge avait unilatéralement octroyé au Lord Leverhulme de Grande-Bretagne une concession foncière gigantesque d’un million d’hectares couvrant les territoires de ces communautés et de nombreux autres. Leverhulme, avec le soutien de l’armée belge, utilisa le travail forcé et la répression violente pour extraire l’huile de palme des forêts pour ses usines de savon Sunlight au Royaume-Uni et avec le temps construisit plusieurs plantations de palmier à huile dans la zone de concession qui par la suite passerait sous le contrôle du géant multinational de l’alimentation Unilever. En 2009, Unilever a vendu sa filiale de plantations de palmiers à huile en RDC, Plantations et Huileries du Congo (PHC), ainsi qu’un portefeuille de contrats de concession contestés d’une superficie totale de plus de 100 000 hectares, à Feronia Inc., une société canadienne sans expérience avec les plantations. Les neuf communautés ont déposé leur plainte auprès du mécanisme de plaintes de DEG le lundi 5 novembre 2018. Ils affirment que le vol illégal de leurs terres et forêts traditionnelles les a privés des moyens de nourrir et d’héberger leurs familles et de gagner leur subsistance. Certaines personnes venant de ces communautés travaillent sur les plantations, mais la grande majorité des emplois sont des postes de journaliers dont les salaires ne couvrent même pas le coût de la vie. La pauvreté et la malnutrition dans les communautés sont généralisées et sévères et les communautés affirment que les conditions se sont détériorées depuis que Feronia a pris le contrôle des plantations d’Unilever. Avec les années, les communautés situées dans le territoire des concessions dont PHC prétend être le propriétaire ont cherché à reprendre le contrôle de leurs terres et ont demandé à négocier avec la société et les autorités gouvernementales pour définir les conditions que la société serait tenue de respecter pour pouvoir continuer ses activités. Ces communautés ont publié de nombreuses lettres, notes et déclarations adressées ou transmises aux autorités gouvernementales, aux représentants de l’entreprise et aux banques de développement qui financent Feronia et PHC. Pleinement conscientes de ce problème foncier ancien, la DEG et d’autres banques de développement du Royaume-Uni, de la France, de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Espagne et des États-Unis ont, depuis 2013, fourni à Feronia Inc. et à sa filiale PHC plus de 180 millions de dollars US d’aide financière. Les fonds de développement du Royaume-Uni, de l’Espagne, de la France et des États-Unis détiennent des actions de Feronia Inc. alors que PHC a reçu 49 millions de dollars US en prêts d’un consortium de bailleurs de fonds que dirige DEG et qui inclut les banques de développement de la Belgique et des Pays-Bas. Étant donné leur participation significative et le lien direct entre le refus d’accès à la terre et la faim et la pauvreté dans les communautés, les banques de développement sont responsables des violations de droits humains continuels et l’absence de résolution des conflits auxquels ces deux sociétés sont mêlées. Les neuf villages ont déposé cette plainte auprès du mécanisme de plaintes de la DEG dans l’espoir que le consortium de bailleurs de fonds que dirige la DEG forcera finalement la société à entamer un processus de règlement de différends et de médiation avec les communautés qui réglera finalement le conflit foncier en délimitant la zone de terres dans laquelle PHC peut mener ses activités et les conditions qu’elle devra respecter. Toutes les banques de développement ont justifié leurs investissements dans Feronia ou PHC en invoquant leur mandat d’appuyer le développement en Afrique, lequel dans le cas qui nous intéresse, ne peut être atteint sans une résolution du conflit foncier. L’ONG congolaise RIAO-RDC représente les neuf villages qu’appuie également une alliance d’organisations internationales et d’ONG des pays dont les banques de développement sont impliquées dans le financement de Feronia. On trouvera la liste de ces organisations à la fin du présent communiqué. RIAO-RDC et ses partenaires internationaux veulent une résolution équitable et urgente de ce conflit foncier. Il s’agit d’un cas type qui permettra de voir si les mécanismes de plaintes établis par les banques de développement peuvent effectivement répondre aux préoccupations que soulèvent les communautés touchées par les activités des sociétés d’agrobusiness que financent la DEG et les autres banques de développement. Ce cas établira aussi un précédent en ce qui concerne les conflits fonciers anciens. La DEG et la CDC du Royaume-Uni, qui a investi dans Feronia plus que toute autre banque de développement, ont récemment établi une politique pour orienter leurs clients aux prises avec d’anciens problèmes fonciers. Nous surveillerons de près pour voir si cette politique est plus que de simples mots. Pour en savoir plus, veuillez consulter le document d’information à l’adresse suivante : https://farmlandgrab.org/28543 (disponible en anglais) * Le mécanisme de plaintes est une initiative conjointe de la DEG et de la banque de développement néerlandaise FMO. En juillet 2018, Proparco, l’institution financière de développement française, a adhéré au mécanisme. Toutes ces banques ont financé les activités de plantation de Feronia Inc. en RDC. Signé : RIAO-RDC, GRAIN, WRM, FIAN Allemagne, urgewald, CCFD-Terre Solidaire, CNCD-11.11.11, FIAN Belgique, SOS Faim, Oxfam Solidarité/teit, Entraide et Fraternité, AEFJN (Belgique), The Corner House (Grande-Bretagne), Global Legal Action Network