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Les dernières incertitudes pesant sur l'Engagement international : Une vue d'ensemble

by GRAIN | 3 Jul 2001

 

: Une vue d'ensemble

GRAIN - Genetic Ressources Action International

Juillet 2001

Un nouveau traité mondial qui a pour but de garantir la sécurité alimentaire grâce la conservation, l'échange et l'utilisation durable des ressources phytogénétiques a été accepté dans ses grandes lignes le 1er juillet 2001 au siège de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) à Rome. Cependant, des questions fondamentales ne sont toujours pas résolues. Une solution devra être trouvée en novembre lors d'une réunion d'experts chargés d'évaluer les progrès réalisés depuis le Sommet mondial de l'alimentation tenu il y a cinq ans. Il s'agit de déterminer si la biodiversité agricole mondiale doit être préservée pour assurer des profits privés à quelques uns ou la sécurité alimentaire de tous.

Les négociations sur l'Engagement international sur les ressources phytogénétiques alimentaire et agricole (Engagement) durent depuis sept ans. Une première version volontariste de l'Engagement a été acceptée par les Etats membres de la FAO en 1981, définissant les ressources génétiques comme l'héritage commun de l'humanité à préserver alors qu'elles sont menacées par l'érosion et l'extinction. Cependant, cet accord a été dépassé par la nouvelle réalité politique de la Convention sur la diversité biologique, qui considère que les ressources génétiques tiennent de la souveraineté nationale et qui lie leur accès au partage juste et équitable des bénéfices retirés. L'objectif sous-jacent de l'Engagement (préserver la disponibilité des ressources génétiques alimentaires et agricoles) n'a pas changé en vingt ans. Il est simplement devenu plus urgent.

Le nouvel Engagement sera un traité légalement contraignant doté de son propre organe exécutif. Son objectif général englobe toutes les ressources phytogénétiques alimentaires et agricoles. Mais le centre de ses dispositions, " l'accès " et le " partage des bénéfices ", s'appliquera à une liste spécifique de cultures dont les ressources génétiques seront intégrées dans un " système multilatéral " qui fonctionnera selon les règles de l'Engagement.

Bien que le texte du nouvel Engagement a été finalisé dans ses grandes lignes la semaine dernière, certaines questions fondamentales restent en suspens, ne sont pas résolues. Les plus importantes d'entre elles sont les suivantes : premièrement, les Droits de propriété intellectuelle (DPI) s'appliqueront-ils aux boutures obtenues grâce au système multilatéral et si oui, dans quelle mesure ? Deuxièmement, quelles seront les relations entre l'Engagement et les autres accords internationaux, en particulier l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les Aspects des Droits de propriété intellectuelle liés au commerce ?

Les principes de base

Le nouvel Engagement établit les principes de base suivants :
· Les parties contractantes s'attacheront à conserver et promouvoir l'utilisation raisonnable des ressources génétiques alimentaires et agricoles. Il s'agit notamment de mettre en place des politiques agricoles qui ne mettent pas en danger la biodiversité et soutiennent le rôle des agriculteurs.
· L'Engagement offre un système multilatéral qui établit des règles communes pour l'accès et le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques cultivées. Ce système s'applique seulement à un certain nombre de cultures, environ 35 aujourd'hui. Cette liste peut être élargie si les parties le désirent. Les plantes qui n'en font pas partie seront traitées bilatéralement, au cas par cas selon les dispositions de la Convention sur la biodiversité.
· L'accès aux ressources génétiques dans le cadre de l'Engagement sera multilatéral. En d'autres termes, chaque pays confie tous les éléments constitutifs des plantes concernées dans un pot commun que les parties pourront ensuite prélever selon des règles identiques.
· Les bénéfices financiers tirés de l'utilisation des ressources génétiques régies par l'Engagement seront partagés grâce à un mécanisme contraignant de prélèvements des revenus de leur commercialisation.
· On ne sais pas encore si le système multilatéral autorisera les Droits de propriété intellectuelle sur le matériel génétique tiré du pot commun. Le texte actuel est mis entre parenthèses, laissant la possibilité grande ouverte.

En attendant, les droits des agriculteurs seront promus internationalement mais soumis à la loi nationale (notamment à l'interdiction de conserver des semences si celle-ci sont protégées nationalement par des Droits de propriété intellectuelle).


Un projet édulcoré

Comme souvent au cours de telles négociations, certains pays de l'OCDE conduits par les Etats-Unis, ont réussi à introduire des changements de dernière minute dans le texte. Ces modifications pourraient rendre l'Engagement moins efficace et moins complet :
· Seules les ressources génétiques qui sont dans le domaine public seront soumises aux règles du système multilatéral. Les compagnies et autres détenteurs privés de boutures sont simplement " invités " à contribuer. En fait, cela permettra aux entités privées de parasiter le système.
· L'obligation de partager les bénéfices financiers ne s'applique que si le détenteur de bouture limite l'utilisation du matériel génétique qu'il ou elle vend. De plus, ce partage peut être effectué par le biais d'accords contractuels individuels, pas nécessairement basés sur la nouvelle législation nationale, qui pourraient conduire à un système ingérable et indécelable.
· La liste actuelle des cultures concernées par le système multilatéral est ridiculement limitée. Si le traité doit véritablement favoriser la sécurité alimentaire, il doit s'appliquer à bien d'autres plantes et non aux principaux produits de base seulement.
· L'application de l'Engagement, ainsi que toute action ultérieure que les différents pays voudraient appliquer par la suite, devra faire l'objet d'un consensus. En pratique, cela signifie qu'un seul pays peut opposer son veto à toute proposition et bloquer de fait la bonne exécution du traité.

Malgré les tentatives réussies pour affaiblir le texte pendant les derniers jours de la négociation la semaine dernière, la mise en place de ce nouveau traité et de son organe exécutif est semble-t-il une bonne chose. Comme le système multilatéral a pour but de faciliter un large échange des boutures (et de partager équitablement les bénéfices qui en découlent), il devrait permettre la mise en place d'une " jungle " où les magouilles bilatérales règnent en maître. L'organe exécutif chargé de gérer l'Engagement et le système multilatéral, devrait offrir une plate-forme politique où les questions liées aux ressources phytogénétiques peuvent être étudiées ouvertement au niveau international. Tout le monde, et en premier les agriculteurs locaux qui doivent conserver l'accès à la biodiversité agricole, devrait gagner avec un tel système.

Cependant, ces fonctions louables ne pourront se réaliser qu'à deux conditions. La première c'est que le traité permette réellement d'enrayer la privatisation des ressources génétiques à travers les Droits de propriété intellectuelle. La seconde c'est que l'Engagement réussisse à faire valoir son propre point de vue face aux autres règles et accords, tels que ceux de l'OMC, qui donne implacablement la priorité aux intérêts mercantiles et ceux du commerce international au détriment de l'agriculture et de la sécurité alimentaire. Ce sont précisément ces deux questions qui sont encore en suspens et laissés entre parenthèses.


Le combat final prévu pour Sommet sur la sécurité alimentaire en novembre

Patrick Mulvany, de l'Intermediate Technology Development Group (ITGD) du Royaume Uni a déclaré à la fin de la session de négociation le week-end dernier que " le traité est insuffisant sur de nombreux points ". " Il n'est pas juste : bien que les droits des agriculteurs sont reconnus, ils seront soumis aux lois nationales qui protègent l'industrie d'obtention. Il n'est pas équitable : les bénéfices qui doivent obligatoirement être redistribués aux agriculteurs des pays en voie de développement d'après le traité, ne représenteront qu'une infime partie du chiffre d'affaires de l'industrie alimentaire évaluée à 200 milliards de dollars par an. Il est incomplet : il ne s'appliquera qu'à seulement 34 cultures alimentaires et à 29 plantes fourragères, c'est dérisoire ".

Nous sommes d'accord. L'Engagement international ne répond que faiblement les attentes et les demandes que 400 organisations de la société civile de 60 pays avaient mis sur la table. Mais le véritable test du traité est encore à venir.

Les pays doivent maintenant décider si l'Engagement interdira la propriété intellectuelle sur " les parties et composants " du matériel partagé dans le pot commun. Dans l'affirmative, le traité permettra d'assurer que les ressources génétiques restent disponibles et accessibles aux obtenteurs et il marquera un jalon dans le combat en faveur de l'agriculture durable et biodiversifiée. Dans le cas contraire, l'Engagement contribuera au processus de privatisation de la biodiversité et il sera plutôt considéré comme le " fossoyeur " international des ressources phytogénétiques, parce qu'il créerait alors un système légalement contraignant qui éloigne encore plus le contrôle des agriculteurs eux-mêmes sur la biodiversité. Il permettrait à de puissantes corporations de privatiser les boutures et les semences partagées et favoriserait l'érosion génétique. Aucun pays en voie de développement ne voudra offrir ses ressources génétiques à un mécanisme qui permet d'alimenter l'exclusivité intellectuelle du Nord. Ce serait à la fois destructeur et mal.

Le combat final se déroulera la première semaine de novembre à Rome quand la Conférence de la FAO se rencontrera pour évaluer comment les choses ont évolué cinq ans après le Sommet mondial de l'alimentation de 1996. Lors de cette réunion, la version finale de l'Engagement doit être négociée, adoptée et signée. Si la pression populaire pour faire pencher l'Engagement dans la bonne direction n'est pas assez forte, il est fort à craindre que les intérêts commerciaux poussant dans la direction opposée pourraient prévaloir.

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Author: GRAIN