https://grain.org/e/785

La crise alimentaire en Guadeloupe

by Pamela Obertan | 23 Jan 2009

Auteur : Pamela Obertan*

En 2008, de nombreux pays en développement ont été sévèrement touchés par la crise alimentaire, avec pour conséquence une augmentation importante du prix des denrées alimentaire de base. Des habitants et des organisations ont examiné la situation depuis leurs pays, remettant en question les politiques de leurs gouvernements. Dans cet article, une activiste de la petite île de Guadeloupe, située dans les Caraïbes et rattachée administrativement à la France, explique comment la crise a affecté son pays.

Lorsque les images des émeutes de la faim sont apparues sur les millions de téléviseurs du monde entier au milieu de l'année passée, de nombreux Guadeloupéens ont eu des frissons dans le dos. Certains de nos voisins des Caraïbes, comme par exemple à Haïti, ont été sérieusement touchés  par la crise. Nous avons vu des milliers d'haïtiens marcher dans les rues en criant « Nous avons faim !» Est-ce que cela peut nous arriver ici, en Guadeloupe ? Ces évènements ont incité les gens à s'arrêter et réfléchir, et c'est ainsi que nous avons organisé des débats sur la crise alimentaire.

La Guadeloupe a toutes les raisons de s'inquiéter de la crise alimentaire. Après des siècles de domination coloniale, ce département français d'outre-mer importe toujours près de 80 % de son alimentation. Il reste donc fortement dépendant du marché mondial et vulnérable aux fluctuations des prix. Cependant, des organisations paysannes locales telle que l'Union des Paysans Guadeloupéens (UPG), ainsi que certains personnalités reconnues comme le pharmacologue Henry Joseph, pensent que cette situation est absurde. La Guadeloupe a de nombreux atouts. Elle a, par exemple, des sols de bonne qualité (qui ont malheureusement été pollués trop souvent), un climat tropical qui permet de faire des cultures toute l'année, et une grande variété d'espèces végétales et animales (220 espèces comestibles, dont 130 fruits et 60 légumes). De plus, les produits locaux sont riches en anti-oxydants et contiennent des vitamines A, C et E.[1] Ces produits sont très bons pour la santé et aident les gens à combattre les principales causes de mort prématurée en Guadeloupe – le diabète et les maladies cardio-vasculaires. Il y a donc de très bonnes raisons pour les Guadeloupéens de manger des produits locaux plutôt que des produits importés, qui sont généralement transformés et ont une faible valeur nutritionnelle.

Cependant, il est très difficile pour les paysans de faire des cultures destinées au marché local et de diversifier leur production. L'agriculture de subsistance a été négligée par les autorités au profit des cultures d'exportation, telles que la canne à sucre et la banane, qui à elles seules recouvrent la moitié des terres arables de l'île. Cette situation paradoxale trouve son origine dans certaines formes d'organisations inéquitables imposées à l'île au cours de l'histoire. La Guadeloupe, en tant que colonie française, devait envoyer une grande part de sa production agricole à la France et à d'autres marchés. Bien peu de terre furent laissées pour la production locale, et l'île fut donc obligée d'importer sa nourriture de France. Ce système, très désavantageux pour la Guadeloupe, se maintient encore aujourd'hui. Il perpétue une tradition vieille de 400 ans, qui consiste à exporter des produits à faible valeur ajoutée, et à importer des denrées transformées beaucoup plus chères. Il en résulte un grand déficit commercial.

De plus, les goûts de la population se sont clairement occidentalisés. Les gens préfèrent souvent consommer des produits importés, que l'on trouve généralement  à moins cher que les produits locaux. Un fait alarmant est que de nombreux jeunes Guadeloupéens ne connaissent plus les noms des fruits et légumes locaux, et ont développé une phobie concernant la nourriture qu'ils ne connaissent pas. [2] Il en résulte que les Guadeloupéens mangent très peu de leurs produits locaux et que, si la crise alimentaire venait à toucher la Guadeloupe, nous pourrions mourir de faim au pied d'un manguier chargé de fruits. Dans le but de prévenir une telle situation, des groupes locaux appellent les guadeloupéens à consommer des produits locaux. Cet été, plusieurs personnes et organisations, dont l'UPG, se sont rejoints pour informer la population sur cette problématique. Dans un contexte de crise alimentaire, manger local est devenu un véritable acte citoyen.

Cependant, encourager les citoyens à manger local n'est pas suffisant. Nous devons aussi changer les politiques d'aide aux agriculteurs du gouvernement. Nous avons besoin d'une restructuration complète du secteur.[3] L'agriculture de l'île est trop spécialisée dans un nombre de cultures réduit, et le marché intérieur est dominé par quelques compagnies faisant de gros profits. Pour être à la hauteur, le gouvernement devra s'assurer que les paysans aient un revenu décent, qui reflète le rôle majeur que joue l'agriculture dans la préservation des campagnes et la gestion de la ressource en eau. L'UPG estime qu'une nouvelle politique est nécessaire, basée sur les idées du développement durable,[4] qui favorise une agriculture respectueuse de l'environnement et bénéficie à tous. [5] L'agriculture devrait préserver et enrichir la biodiversité locale en se servant à la fois des savoirs traditionnels et scientifiques. Elle devrait également respecter les hommes et la terre en évitant l'utilisation de pesticides.

Plusieurs idées telle la souveraineté alimentaire sont discutées en Guadeloupe, et des efforts sont faits pour informer la population et les autorités sur l'importance de l'agriculture à petite échelle. Ce travail commence à porter ses fruits et les guadeloupéens sont de plus en plus conscients et informés sur la situation. On voit apparaître des manifestations culturelles sur les produits locaux, ainsi qu'un nombre grandissant de marchés de producteurs, comme le marché du « ti bourg » organisé par la commune du Petit Bourg.

De vieilles traditions comme les jardins créoles font leur retour. Les jardins créoles datent de l'époque de l'esclavage, quand les propriétaires autorisaient les familles d'esclaves à cultiver un lopin de terre pour ne pas avoir à les nourrir, car cette nourriture était principalement importée et très chère. Le jardin créole était intimement lié à l'environnement tropical qui l'entoure. Les voyages depuis l'Europe étant long, très peu de plantes cultivées étaient importées de France. Par conséquent, les gens utilisaient les plantes des forêts environnantes ainsi que des régions tropicales voisines. La prolifération de ces jardins dans toute l'île a permit de préserver, d'améliorer et de diversifier de nombreuses espèces potagères.

Les jardins sont devenus de vrais temples de biodiversité. Ils étaient utilisés pour produire des légumes (comme la patate douce et le fruit à pain), des fruits (la banane, le corossol et la mangue) et des épices utilisées dans la cuisine locale (comme les piments, le thym et l'oignon). Ils étaient aussi une pharmacie pour les pauvres, qui y cultivaient toutes sortes de plantes médicinales. Les pratiques culturales étaient respectueuses de la nature, sans engrais ni pesticides. Tout le travail était fait à la main. Les gens écoutaient la terre et comprenaient les cycles de vie. Quand un jardin était, créé, il n'était jamais abandonné.

Quand l'esclavage fut aboli, les jardins créoles continuèrent d'être cultivés de nombreuses années, passant de génération en génération, principalement à la campagne. Bien que les gens aient eu généralement de grandes familles, ils préféraient construire de petites maisons afin de restant de la terre pour faire de l'agriculture. Mais avec la modernisation, l'urbanisation et le développement de la société de consommation, cette ancienne tradition a quasiment disparu. Plus récemment, cependant, des initiatives ont été prises pour encourager la population à faire revivre et à protéger cette contribution importante à l'autonomie alimentaire. Le Conseil Régional de Guadeloupe, principale structure politique du pays, a reconnu le potentiel que représentent ces jardins. La lutte pour la souveraineté alimentaire vient juste de commencer ici, et elle peut compter sur l'énergie et la créativité des Guadeloupéens


* Pamela Obertan est Guadeloupéenne, elle est doctorante en droit au Canada. Elle mène des recherches sur les mouvements sociaux qui résistent aux OGM et au brevetage du vivant.

1 - Carib Créole, “Nutrition : un régime diététique caribéen”, 27 August 2008, at http://tinyurl.com/9zgq29.

2 – Voir la thèse de Nathalie Rigal et les explications de Dr Henry Joseph, “Henry Joseph: la patate douce a démontré ses vertus santé”, dans le magazine en ligne LaNutrition.fr,  http://tinyurl.com/a3h9oh

3 - Marc Mardivirin, “Les évolutions de l’agriculture en Guadeloupe: caractéristiques et enjeux”, Actes du séminaire, 21-24 novembre 2000, Bouillante, Guadeloupe, http://tinyurl.com/94fjbm

4 - Alain Galladine, “Agriculture paysanne et contrat durable: la vision de l’UPG”, 18 August 2004, http://tinyurl.com/9ox7w8

5 - UPG, “Accueil”, 2008, http://tinyurl.com/74xluz

Author: Pamela Obertan
Links in this article:
  • [1] http://tinyurl.com/9zgq29
  • [2] http://tinyurl.com/a3h9oh
  • [3] http://tinyurl.com/94fjbm
  • [4] http://tinyurl.com/9ox7w8
  • [5] http://tinyurl.com/74xluz