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La loi minière en Équateur est anti-constitutionnelle

by Gloria Chicaiza | 21 Jul 2009

L’Équateur a fondé toute son économie sur l’extraction des ressources naturelles. Cette politique a exploité l’environnement de manière arbitraire, a provoqué abus et pollution et établi un modèle économique qui repose sur la dépendance vis-à-vis de l’étranger, la croissance des dettes intérieure et extérieure, et la destruction des écosystèmes. La récente adoption de la loi minière équatorienne inaugure un nouveau chapitre dans une histoire absolument typique de l’Équateur depuis sa création : le fondement de son développement économique sur une seule matière première, sur fond de dégradation des ressources naturelles.

Gloria Chicaiza

La nouvelle Constitution de 2009 reflète un certain nombre d’avancées obtenues par les peuples de ce pays. La loi minière qui a été adoptée elle aussi en 2009 suffit à en neutraliser une bonne partie. Parmi les dispositions constitutionnelles violées par la nouvelle loi, on trouve : les droits de la nature (Article 72), le caractère plurinational du pays et le concept du bien-vivre, le sumak kawsay, c’est-à-dire vivre en harmonie avec soi-même, la société et la nature (Article 275), les droits collectifs (Article 57), le devoir du gouvernement de garantir la souveraineté alimentaire (Article 281), les responsabilités de l’État en matière de ressources naturelles non renouvelables (Article 313), le droit humain à l’eau (Artcile 12), la priorité de l’eau (Article 318), le principe de précaution (articles 73 et 397), l’obligation de donner précédence à la protection de l’environnement en cas de doute (Article 395), le droit du peuple à participer et à être consulté (Article 400), le droit de résister (Article 98), et beaucoup d’autres encore.

Ces violations de la Constitution ont créé une loi qui favorise systématiquement les entreprises minières à plusieurs niveaux :

• Le traitement national La loi accorde aux personnes et aux entreprises étrangères “le même traitement que celui qui est accordé à tout ressortissant ou entreprise nationale ». C’est ce que réclament les multinationales dans tous les accords de libre-échange. Tout avantage accordé à une entreprise nationale doit l’être également aux entreprises étrangères.

• Utilité publique Les droits humains fondamentaux, comme le droit à l’alimentation et à l’eau, peuvent être ignorés si le gouvernement déclare qu’une terre est d’utilité publique. Ceci permet d’exproprier, sans demander le consentement des propriétaires, même si ceux-ci vivent à cet endroit depuis très longtemps.

• Servidumbres1 Les servitudes violent les droits collectifs des nationalités, des peuples et des communautés reconnus par la Constitution. La loi ignore les droits ancestraux des propriétaires et des occupants de la terre, des territoires et des bâtiments ; ceux-ci peuvent être expropriés sans qu’on leur demande leur consentement, afin de garantir droits et accès aux compagnies minières. La loi rend même optionnelle pour elles la nécessité de demander l’accord des propriétaires de la terre et du territoire. Les entreprises ne sont pas obligées de le faire et peuvent donc expulser les propriétaires à partir du moment où cela les arrange.

• Participation et consultation n’ont lieu qu’une fois les concessions accordées pour les projets miniers.

Il ne s’agit donc pas d’une réelle consultation, puisque les gens sont mis devant le fait accompli. Selon la loi, les demandes d’une communauté seront prises en compte, dans les projets miniers durables, mais aucune place n’est prévue pour les désaccords . Ceci n’est pas conforme aux dispositions de la Constitution qui, sans obliger les entreprises à accepter les résultats d’une consultation, les force tout de même à mener une consultation avant la mise en œuvre d’un projet.

• Traitement spécifique pour les populations indigènes La nouvelle loi viole non seulement la Constitution mais aussi les accords internationaux sur les droits collectifs signés et ratifiés par l’Équateur. Le “traitement spécifique” fait référence aux droits des communautés, des peuples et des nations à être consultés, conformément à l’article 398 de la Constitution, mais il ignore l’article 57 de la Constitution, qui garantit les droits collectifs des communautés, peuples et nations.

• Criminalisation La loi établit un système de protection pour les entreprises minières et introduit diverses sanctions contre « toute perturbation pouvant empêcher les activités minières ». Les entreprises ont le droit de définir ce qu’elles entendent par “perturbation”, ce qui permet de criminaliser les individus, les communautés ou même les autorités qui s’opposent, critiquent ou dénoncent les entreprises minières ou prennent toute initiative qui pourrait être interprétée par les entreprises comme une “perturbation”.

• Liberté de prospection La loi donne aux compagnies minières le droit de prospecter sur des terrains qui appartiennent à des individus ou des communautés sans demander l’autorisation de ces derniers.. Cet article retire en fait aux populations rurales toute protection et est une attaque contre le droit de propriété et les droits collectifs garantis par la Constitution.

• Un retour en arrière pour l’environnement La loi ignore les progrès qui avaient été accomplis par la législation équatorienne sur le terrain environnemental. La Loi minière ne requiert qu’une étude d’impact sur l’environnement (EIE), alors que la Loi de gestion environnementale stipulait que les licences ne seraient accordées qu’aux projets incluant un système de gestion environnementale dont l’EIE n’est qu’un élément.

Toutes ces violations, venant s’ajouter aux dispositions entourant la façon d’accorder les concessions, à l’absence de restrictions imposées à ces concessions et au manque d’indépendance des organismes de réglementation, montrent bien que la loi minière équatorienne est semée de dispositions anti-constitutionnelles.

Julian Alcayaga, économiste et juriste chilien bien connu, exprimait ainsi son opinion de la loi minière équatorienne:

« L’attitude très accommodante de la loi envers les activités minières et les libertés accordées aux investisseurs étrangers me laissent à penser que cette loi a été rédigée par ceux qui sont aussi à l’origine de la loi minière chilienne, que nous avons héritée de Pinochet et de son ministre des Mines José Piñera ; j’ai nommé : les multinationales minières. »

Nous avions toutes les richesses du monde, mais tout ce qui les intéressait, c’était l’or.”
El Pais de la canela de William Ospina

La campagne des mouvements indigènes d’Équateur contre la nouvelle loi minière

GRAIN

La Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur (la CONAIE), qui représente 90 % des peuples indigènes équatoriens, est radicalement opposée à la nouvelle loi minière. La confédération estime que la loi concerne l’extraction à grande échelle et ne bénéficiera qu’aux entreprises minières étrangères, tout en causant des dégâts environnementaux, en polluant les ressources en eau et en pillant la richesse naturelle du pays. « Du point de vue des mouvements sociaux, et du mouvement indigène en particulier », explique Marlon Santi, président de la CONAIE, « le socialisme de Correa n’a rien de socialiste… Il brandit le drapeau du socialisme, mais il agit sans s’en soucier ».

En janvier 2009, les mouvements indigènes ont organisé des protestations contre la nouvelle loi dans tout le pays. Des organisations indigènes, écologistes, paysannes et des groupes de défense des droits de l’homme ont pris part à de nombreuses manifestations dans onze provinces. La participation a été particulièrement forte dans les hautes terres centrales, où 9 000 Indiens ont bloqué l’autoroute Pan-American. Humberto Cholango, d’Ecuanari, une association de populations quechuas des hautes terres des Andes, qui constitue le groupe le plus important en nombre de la CONAIE, a affirmé à cette occasion que le président Rafael Correa avait soulevé bien des espoirs quand il a pris ses fonctions en 2006, mais qu’il avait été incapable de comprendre les peuples indigènes de son pays. « Nous ne pouvons accepter, explique-t-il, qu’un gouvernement qui se dit en faveur des populations marginalisées ne tienne pas compte de leur opinion quand il fait les lois. Il est absolument inconcevable que des lois aussi importantes que les lois sur l’exploitation minière ou la souveraineté alimentaire puissent être adoptées sans débat public, ou qu’elles incluent des articles qui sont en contradiction avec la Constitution elle-même, constitution qui garantit les droits de la nature. » La mobilisation a provoqué la colère du président Correa : « Où se trouve donc le plus grand danger pour la révolution citoyenne ? Dans cette gauche infantile, dans ce mouvement pro-indien infantile et dans ce mouvement écologiste infantile qui ont repris leurs actions et essaient avec leurs meetings de susciter un soulèvement contre l’exploitation minière. »

Ivonne Ramos, présidente de l’une des plus grandes ONG du pays, Acción Ecológica, que Correa a tenté en vain d’interdire il y a quelques mois, estime que les défenseurs de l’environnement et des droits humains sont victimes d’une nouvelle vague de criminalisation à travers le pays. Selon elle, beaucoup de ceux qui sont accusés avaient été amnistiés par l’Assemblée constituante nationale en mars 2008. Ce sont précisément les leaders des communautés liés à des organisations opposées à l’exploitation minière à grande échelle qui sont visés, dit-elle. Certains sont accusés d’organiser le terrorisme. Ramos pressent que la liberté des groupes tels que le sien risque d’être beaucoup plus restreinte dans les années qui viennent.

Ramos prend la nouvelle loi sur la souveraineté alimentaire comme preuve de la manière dont la politique de Correa encourage la concentration du pouvoir économique. Pour elle, la législation, approuvée en avril 2009 après un veto de la part du président, favorise l’agro-industrie et les groupes économiques puissants. Elle ouvre aussi la porte aux graines Terminator, aux agrocarburants et à la légalisation de l’élevage de crevettes dans les mangroves côtières. Même les bons de solidarité fournis aux pauvres vont donner l’avantage aux groupes monopolistiques qui contrôlent presque entièrement la chaîne alimentaire dans le pays. « Quand ils recevront leurs bons », explique-elle, « les gens pourront acheter à prix réduit dans les grands supermarchés. En fin de compte, ce seront donc les grands groupes qui en tireront bénéfice. »  


1Terme légal qui désigne un droit sur une personne ou sur une chose, par exemple un droit de passage. Une servitude est aussi une restriction de propriété pour une raison d’utilité publique.

* Gloria Chicaiza fait partie de l’ONG équatorienne Acción Ecológica.

Author: Gloria Chicaiza