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Vedanta en Orissa : attention, terrain miné !

by Kanchi Kohli | 23 Jul 2009

Kanchi Kohli*

L’exploitation minière dans le Niyamgiri est une longue histoire de vérité populaire, de mensonges de la bureaucratie et d’échec de la justice. Elle est inextricablement mêlée au programme de développement de l’Inde et est le reflet d’un monde qui mise tout sur l’expansion industrielle, dût-elle dévaster les vies, les cultures, les moyens de subsistance et les espaces naturels.

Le 22 septembre 2004, Vedanta Alumina Ltd (VAL) a obtenu la licence environnementale (obligatoire en Inde selon la Notification d’évaluation d’impact environnemental de 2006) pour construire une raffinerie d’alumine à Lanjigahr dans le district de Kalahandi, dans l’état d’Orissa. Un protocole d’accord avait été signé au préalable par le gouvernement fédéral d’Orissa et la filiale de Vedanta, Sterlite Industries India Ldt (SIIL). Le lien entre les activités de la raffinerie et la mine de bauxite extraite des collines de Niyamgiri avoisinantes était tout à fait clair, et l’exploitation minière était au départ considérée comme faisant partie des activités de Vedanta dans la région. Avant de pouvoir démarrer les activités de la raffinerie, VAL avait besoin d’autorisations officielles supplémentaires : il lui fallait entre autres obtenir une licence forestière qui couvre à la fois la raffinerie et les zones d’extraction ; cette autorisation est rendue obligatoire par le Forest Conservation Act de 1980 qui s’applique chaque fois qu’une zone forestière est consacrée à un usage autre que forestier. En septembre 2004, quand la licence environnementale a été accordée, une proposition de mettre de côté 58 943 hectares (ha) de forêt pour la raffinerie d’alumine se trouvait en instance au ministère de l’Environnement et des Forêts. Ce projet a été ensuite approuvé.

La surface totale de forêt à réserver pour les activités minières dans les collines de Niyamgiri était de 672 018 ha (660 749 pour l’exploitation même, et 11 269 pour la zone de sécurité). Cependant, VAL a commencé a construire la raffinerie, avant d’avoir rempli toutes les conditions requises. Dans un dépôt de plainte à la Commission centrale - la CEC a été constituée par le ministère de l’Environnement ,à la suite d’une décision des juges de la Cour suprême indienne sur le cas Godavaraman.Voir www.forestcaseindia.org - les plaignants, R.Sreedhar, Biswajit Mohanty et Prafulla Samantara, ont exposé les manquements de VAL et souligné que l’exploitation minière prévue dans les collines de Niyamgiri risquait d’avoir des effets dévastateurs sur la forêt, la faune et la flore sauvages et sur la communauté des Dongria Kondh, qui sont profondément liés – de par leur religion et pour leur subsistance – à leur montagne sacrée.

Alors que le cas était examiné par la Commission centrale, le défenseur du projet est intervenu et a prétendu que la partie minière ne faisait pas partie intégrante du projet, qu’il s’agissait en fait d’un projet séparé, pour lequel il fallait certes faire des demandes de licence. Si l’entreprise n’avait pas agi de la sorte, la construction de la raffinerie aurait été déclarée illégale, car les autorisations d’exploitation n’avaient pas été accordées. Mais si les deux projets étaient distincts, comme l’avait déclaré l’entreprise, les activités minières requerraient à la fois une licence environnementale et une licence forestière.

Après la présentation des faits devant la Commission, une série de discussions s’en est suivie et la CEC a fait passer ses recommandations à ceux qu’on appelle les “juges de la forêt” (forest bench) de la Cour suprême le 21 septembre 2005. L’avis de la CEC était nettement opposé à la délivrance d’une licence forestière pour les activités minières, en raison des effets néfastes que pourrait avoir la mine sur l’environnement et sur la vie de la communauté des Dongria Kondh. La Commission notait également que la région en question relevait de l’Annexe V de la Constitution indienne, qui interdit le transfert d’une zone tribale à un groupe non-tribal.

A la Cour suprême toutefois, les discussions ont continué. Les avocats de l’entreprise et le gouvernement d’Orissa ont soudainement fait volte-face, arguant que la partie minière était essentielle pour la raffinerie et que si les autorisations n’étaient pas délivrées rapidement, l’entreprise subirait des pertes importantes. Face à ces arguments, la Cour a demandé à la CEC de revoir ses premières recommandations, mais celle-ci est restée ferme dans son refus d’accorder la licence.

En octobre-novembre 2007, s’est déroulé, en parallèle, un événement intéressant : Le Conseil éthique du gouvernement norvégien a retiré son financement à Vedanta, en raison des pratiques irrégulières et des agissements de cette dernière. Cette décision n’était pas seulement une réponse aux événements du Niyamgiri, mais tenait compte également des activités des filiales de Vedanta dans d’autres régions de l’Inde. Cette nouvelle s’étant répandue comme une traînée de poudre dans les médias étrangers et indiens, la Cour pouvait difficilement ignorer la chose.

Le 23 novembre 2007, la Cour suprême de l’Inde a prononcé son jugement : Elle déclarait d’une part que la Cour ne pouvait prendre le risque de laisser Vedanta exploiter sa mine, mais reconnaissait d’autre part qu’il était « indiscutable que l’exploitation des dépôts de bauxite devait avoir lieu au sommet des collines de Niyamgiri. » Ce jugement ignorait totalement le rapport de la CEC et l’ illégalité des procédures d’autorisation ; il a ouvert au contraire un vide juridique bien utile à l’entreprise. Le jugement a en effet permis à SILL et à l’Orissa Mining Corporation (MOC) de faire une demande de licence pour poursuivre leur projet, en promettant à la Cour un ensemble de “mesures de réparation”. Ce lot comprenait, en particulier, les conditions suivantes :

L’état d’Orissa s’engageait à monter un fonds commun de créances (FCC , encore appelé “véhicule de conduit”) pour le développement de la zone classée du projet de Lanjigahr. L’état d’Orissa, l’OMC et SILL en seraient les actionnaires.

SILL s’engageait à déposer dans ce FFC 5 % des bénéfices annuels générés par le projet de Lanjigahr avant imposition et intérêts, ou 100 millions de roupies (2 millions de dollars US), le montant le plus élevé étant applicable, pour le développement de la zone classée.

SILL s’engageait à verser la valeur actuelle nette (valeur économique de la forêt réservée pour le projet) de 550 millions de roupies (11 millions de dollars US), soit 505,30 millions de roupies (10,12 millions de dollars US) pour contribuer au Plan de gestion de la vie sauvage autour de la mine de Lanjigahr, et 122 millions de roupies (2,44 millions de dollars US) au développement tribal.

L’état d’Orissa s’engageait à mettre en œuvre seize mesures comprenant entre autres : la démarcation de la zone du bail, l’identification d’une zone de boisement compensatoire, la réhabilitation, la remise en état par étapes de la zone minière, des projets spécifiques et complets de gestion de la vie sauvage et de développement des communautés tribales.

Il n’est donc pas très surprenant que SILL, l’état d’Orissa et l’OMC Ltd aient accepté dans réserve ce lot de réparation. Depuis, la CEC a déposé le 24 avril 2008 un autre rapport suggérant des alternatives aux propositions contenues dans le jugement de la Cour suprême. Dans une décision datée du 8 août 2008, la Cour suprême a rejeté la plupart des recommandations de la CEC, au prétexte qu’elle ne les juge pas viables. Elle a confirmé les suggestions qui avaient été faites en novembre 2007 et approuvé l’abattage de 660 749 ha de forêt pour extraire la bauxite des collines de Niyamgiri.

Une enquête publique concernant l’expansion de la capacité de la raffinerie de Lanjigahr s’est tenue le 25 avril 2009, au milieu de protestations véhémentes. Puis, à la mi-mai, SILL a obtenu sa licence environnementale pour activités minières. Mais la mine de Nijamgiri n’a pas encore ouvert ses portes.


* Kanchi Kohli fait partie de Kalpavriksh (Groupe d’action indien en faveur de l’environnement) et est basée à New Delhi, en Inde. Elle travaille depuis 11 ans sur des campagnes liées aux autorisations environnementales des projets de développement.


Lectures complémentaires :

Living Farms propose des mises à jour régulières sur les Dongria Kondh.
Voir http://www.living-farms.org

Survival International, l’organisation internationale qui soutient les populations tribales dans le monde entier, mène actuellement une campagne en faveur des Dongria Kondh. Pour plus de détails, voir son site Internet :
http://www.survival-international.org/tribes/dongria

Author: Kanchi Kohli
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