https://grain.org/e/77

Pour un réexamen total de l'article 27.3(b) des ADPIC

by GRAIN | 15 Mar 2000

POUR UN RÉEXAMEN TOTAL DE L'ARTICLE 27.3(b) DES ADPIC

Une mise à jour de la position des pays en voie de développement sous la pression de l'OMC pour breveter le vivant

Mars 2000

www.grain.org/fr/publications/tripsmar00-fr.cfm

 

 

Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)

Article 27: Objet brevetable

3. Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité:

(b) les végétaux et animaux autres que les micro-organismes, et les procédés essentiellement biologiques d'obtention de végétaux ou d'animaux, autres que les procédés non biologiques et microbiologiques. Toutefois, les Membres prévoiront la protection des variétés végétales par des brevets, par un système sui generis efficace, ou par une combinaison de ces deux moyens. Les dispositions du présent alinéa seront réexaminées quatre ans après la date d'entrée en vigueur de l'Accord sur l'OMC.

 

INTRODUCTION

Les ADPIC du GATT sont l'un des piliers du régime du commerce global sur lequel veille l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les ADPIC définissent des standards minimum de protection des droits de propriété intellectuelle (DPI) dans les 135 Etats Membres de l'OMC. La Section Cinq, consacrée aux brevets, établit que les inventions dans tout domaine technologique devraient être brevetables. Ceci inclut le vivant. Ce qui est hautement contestable.

Conformément aux ADPIC, les Etats Membres de l'OMC sont tenus de fournir une protection juridique par brevet aux micro-organismes et aux procédés microbiologiques, tels que ceux utilisés en biotechnologie aujourd'hui. Les Etats sont libres d'exclure les plantes et animaux de leur législation sur les brevets. Cependant, toutes les nations ont l'obligation de fournir des titres de propriété intellectuelle sur les variétés végétales, soit par brevet, soit par le biais d'un "système sui generis efficace". L'Article 27.3(b), au sein duquel ces règles sont énoncées, devait être réexaminé en 1999.

Le présent document résume ce qu'il est advenu du réexamen de l'Article 27.3(b) des ADPIC en 1999. Il fait le point sur le chemin parcouru par les pays en voie de développement dans le processus de mise en oeuvre obligatoire de protection juridique sur les variétés végétales par les droits de propriété intellectuelle. Et il s'achève par un appel à la mise en oeuvre des propositions avancées par de nombreux gouvernements du Sud, à savoir un réexamen approfondi des dispositions de l'Article 27.3(b), l'extension des périodes de transition et la résolution de problèmes pendants tels que l'appel visant à établir la non-brevetabilité du vivant.

1. QU'EST-IL ARRIVÉ AU RÉEXAMEN DE L'ARTICLE 27.3(b), PRÉVU EN 1999?

Les ADPIC sont le fruit du dernier round des négociations du GATT, lesquelles ont nécessité huit ans pour être conclues (1986-1994). Les droits de propriété intellectuelle y étaient un sujet entièrement nouveau. Ce sont les Etats-Unis qui ont poussé pour leur introduction, sous la pression de l'industrie pharmaceutique dont les représentants ont rédigé le texte de base en vue des négociations. Les pays en voie de développement se sont opposés à l'introduction des droits de propriété intellectuelle dans les discussions sur le commerce mondial. Ils ont invoqué le fait que des économies différentes nécessitent des instruments différents pour stimuler l'innovation et que l'imposition de règles uniformes pour protéger des droits de monopole, sous forme de droits de propriété intellectuelle, profiterait davantage aux multinationales étrangères qu'à leurs propres industries. Par raison ou par coercition, les USA l'ont emporté et les ADPIC sont devenus le troisième pilier du régime du commerce mondial, au même titre que les biens et les services.

La question de l'exercice des droits de propriété intellectuelle sur le vivant était particulièrement controversée. Les USA voulaient une protection par brevets pour tous les domaines technologiques, mais les Européens ont prohibé, par la Convention Européenne sur les Brevets, les brevets portant sur des variétés végétales et races animales, ainsi que sur les procédés essentiellement biologiques utilisés pour leur production. Un compromis fut atteint: les ADPIC utiliseraient le langage de la législation européenne comme point de départ. Ce langage est intégré maintenant dans les ADPIC, Article 27.3(b), avec la réserve formelle que les pays réexamineraient cette disposition quatre années après l'entrée en vigueur de l'Accord, c'est-à-dire en 1999.

Les pays en voie de développement mettaient de sérieux espoirs dans le réexamen de l'Article 27.3(b) en 1999. L'exercice prenait place un an avant qu'ils ne soient obligés d'appliquer cette disposition, facteur important car cette dernière était source d'énormes incertitudes pour le Sud (voir cadre 1). Nombreux étaient ceux qui espéraient la possible clarification des ADPIC lors de ce réexamen et, si possible, leur amendement afin de mieux répondre aux intérêts de développement du Sud, tout spécialement parce que les pays du Tiers-Monde avaient difficilement été entendus durant les négociations du GATT elles-même.

Cadre 1: Problèmes soulevés par l'Article 27.3(b)

L'Article 27.3(b) des ADPIC soulève des problèmes très sérieux:

* Absence de paramètres pour définir à quoi peut correspondre un système "sui generis".

* Absence de paramètres pour qualifier ce qui est "efficace".

* De nombreux Membres de l'OMC considèrent que les gènes et processus microbiologiques ne sont pas des inventions et qu'ils ne peuvent dès lors faire l'objet d'un brevet.

* En l'absence de mécanisme de partage de bénéfices, les ADPIC n'offrent aucun remède contre la vague actuelle de biopiratage et sont perçus comme facteur aggravant.

* Il y a un biais inhérent aux ADPIC à protéger les sélectionneurs et les biotechnologistes aux dépens des agriculteurs et des communautés locales.

* Beaucoup de pays perçoivent un conflit entre les ADPIC et les droits et obligations qu'ils ont acquis précédemment sous le régime de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB).

De surcroît, l'expérience montre que les lois sur l'obtention végétale inspirées par l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) n'ont aucun impact positif sur la sécurité alimentaire dans le Sud 1, problème qui n'a pas été abordé par le Conseil des ADPIC.

Un an après le lancement du réexamen, que peut-on en dire? Pour l'essentiel, c'est une déception. Le réexamen a connu un début, mais pas d'achèvement. Les pays en voie de développement ont proposé des recommendations concrêtes pour une clarification les ADPIC, mais elles n'ont pas été poursuivies. Finalement, la date butoir pour la mise en vigueur de l'Article 27.3(b) dans les pays en voie de développement, soit le 1er janvier 2000, est arrivée avant qu'aucune conclusion ne puisse être tirée du réexamen mandaté du texte. En somme, quoique le réexamen n'ait pas été un échec, il ne parait pas avoir été très efficace.

Retraçons le débat

Décembre 1998: On peut dire que le réexamen commença durant la session du Conseil des ADPIC en décembre 1998, lors de la définition de l'agenda. Les pays industrialisés y tirèrent les premiers, en faisant passer une motion focalisant le réexamen sur la façon dont les Membres mettaient déjà en oeuvre l'Article 27.3(b). Le Sud objecta, arguant que l'Article donnait mandat pour un réexamen des dispositions, ou du contenu même, de l'alinéa, et non pas uniquement pour sa mise en application. De plus, étant donné que seuls, jusqu'alors, les pays développés étaient tenus de mettre cet alinéa en vigueur, la portée du réexamen serait fort limitée. En dépit de ceci, la session fut close avec mandat donné au Secrétariat de rassembler des informations sur la façon dont les Membres mettaient cet Article 27.3(b) en application.

Février 1999: A la session suivante du Conseil des ADPIC, le Secrétariat livra les informations qu'il avait pu rassembler sur la mise en application dudit article. Douze Etats avaient répondu à un questionnaire, dont un seul informateur du Sud, la Zambie. La discussion dura vingt minutes, avant que les Membres ne demandent au Secrétariat de revoir la présentation des informations reçues pour la prochaine séance, de façon à les rendre plus compréhensibles.

Avril 1999: A cette date, 30 Membres avaient rendu compte de la mise en application de l'Article chez eux. Au cours de la discussion, les USA et l'Europe ont insisté que l'éxamen devait se focaliser sur la mise en application de l'Article et qu'il devait être achevé dans la cours de l'année. Ils mentionnèrent également, dit-on, qu'ils avaient l'esprit ouvert à un réexamen de la disposition elle-même. 3

Juillet 1999: Pendant cette séance, une discussion portant sur la substance elle-même de la disposition a finalement eu lieu. L'Inde présenta un papier soulignant son analyse de base de l'Article 27.3(b) et des problèmes posés aux pays en voie de développement. Selon l'Inde, il y aurait deux dimensions à aborder: le besoin de réexaminer l'acceptabilité de la brevetabilité du vivant en termes d'éthique; et le besoin de reconnaître non seulement les systèmes formels d'innovation, mais également les systèmes informels, surtout dans le domaine de la biodiversité. En particulier, l'Inde insista sur le besoin de réconcilier les ADPIC du GATT avec la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). Les pays en voie de développement apportèrent leur soutien à l'Inde. Les pays développés ignorèrent l'Inde. La Malaysie entraîna la discussion un pas plus avant en demandant au Secrétariat de préparer une liste des options sui generis autres que celle de l'UPOV.

Il est important de signaler que dans le même temps, les préparatifs de la troisième Conférence Ministérielle de l'OMC qui devait se tenir à Seattle, du 30 novembre au 3 décembre, entrèrent dans une phase critique. Entre les sessions de juillet et d'octobre du Conseil des ADIPC, presque 100 pays en voie de développement signèrent une douzaine de propositions de réforme des ADIPC, dans la mesure où la biodiversité et le savoir indigène étaient concernés (voir tableau 2, en annexe). Ces propositions furent déposées au Conseil Général de l'OMC pour négociation au niveau ministériel. La position du Groupe Africain fut la première et la plus substantielle venant du Sud 4. Le Groupe proposait une extension de la date limite pour la mise en oeuvre de l'Article 27.3(b) des ADPIC dans les pays en voie de développement, de façon à ce que le réexamen puisse avancer et se conclure correctement. Il précisait aussi les clarifications souhaitées par le Groupe Africain à travers le réexamen: l'interdiction de la brevetabilité du vivant, y compris les procédés microbiologiques. Les pays les moins avancés (PMA) déclarèrent qu'ils souhaitaient parvenir à la même clarification dans l'Accord. La demande d'une extension de la période de transition, plus un réajustement de ce que les ADPIC pourraient autoriser dans la sphère de la brevetabilité, aboutissaient, aux yeux de beaucoup, à une proposition de moratoire sur la mise en application du texte actuel.

Octobre 1999: De retour au Conseil des ADPIC, le Sud continua très activement à centrer la discussion sur les dispositions mêmes de l'Article 27.3(b), tandis que le Nord plongeait lui aussi aussi dans les questions de substance. L'Inde et le Groupe Africain présentèrent de nouveaux documents, reprenant et élaborant sur leurs positions antérieures. De plus, le Groupe Africain soumettait officiellement sa position pour Seattle à la délibération du Conseil des ADPIC 5. Les Etats-Unis affirmèrent que la brevetabilité du vivant présentait d'énormes avantages, que l'Acte de 1991 de l'UPOV correspondait à ce que Washington considère comme un système sui generis efficace, et qu'il n'y avait pas de conflit entre les ADPIC et la CDB 6. L'Europe supporta la perspective américaine, bien qu'elle indiqua qu'elle serait prête à accommoder quelques aspects d'éthique soulevés par les ADPIC et, à titre d'exemple, inclure des règles pour la protection des systèmes traditionnels de savoir. De plus, l'Union Européenne demanda instamment à tous les Membres de l'OMC d'adopter une législation sui generis conforme à la Convention UPOV de 1991. La Norvège annonça qu'elle choisissait une approche intermédiaire, en considérant les biotechnologies et les droits de propriété intellectuelle comme importants, mais pas aux dépens de l'éthique quant à la brevetabilité du vivant, ni aux dépens du besoin d'assurer un partage de bénéfices ou de la nécessité d'établir la compatibilité des ADPIC avec la CDB. L'Australie affirma que le réexamen de l'Article 27.3(b) devrait prendre place suite à la mise en application de celui-ci par les pays en voie de développement et non pas avant!

Seattle et l'après-Seattle

Alors arriva Seattle. Derrière les tirs de gaz lacrimogènes, un texte de négociation, reflétant les propositions du Groupe Africain et des pays en voie de développement d'opinion similaire ("Like-Minded Group"), était mis sur la table. Une session "de la chambre verte", impliquant un nombre limité de participants, se consacra au chapitre relatif aux ADPIC mais ne parvint à aucune conclusion. Etant donné que la Conférence fut "suspendue" sans arriver à un accord sur le stade des négociations et sur la façon dont elles procédéraient, le statut de toutes ces idées et demandes demeure incertain. Il est clair cependant qu'elles ont été officiellement portées à la table des discussions et qu'elles n'ont pas été discutées sérieusement, ni qu'aucune décision n'a été prise à leur égard.

A la réunion du Conseil Général, en décembre 1999, deux semaines après Seattle, le Président du Conseil a annoncé que les consultations sur les questions évoquées à Seattle – y compris sur les ADPIC – continueraient après la Nouvelle Année et a lancé un appel en faveur du conservatisme face aux échéances – contestées – de la mise en oeuvre des accords. 7

Voici où en est actuellement le réexamen de l'Article 27.3(b):

* La discussion n'a pas atteint son terme au Conseil des ADPIC. En fait, elle figure à l'agenda du Conseil pour la session prochaine, soit pour les 21-22 mars 2000.

* Les propositions de clarification de l'Article 27.3(b), relayées par le Conseil Général en vue de la réunion de Seattle, n'ont connu ni discussion réelle, ni décisions, alors que de telles décisions auraient eu un impact profond sur ce que les pays en voie de développement auraient mis en oeuvre au 1er janvier 2000, l'échéance originelle.

* La plupart des pays en voie de développement n'ont pas rempli leur obligation de mise en oeuvre cet alinéa, comme nous le détaillons plus bas.

En résumé, le processus de réexamen n'a généré jusqu'à présent aucune clarification, aucune réponse aux propositions précises du Sud. Il a au contraire donné lieu à des retards importants dans la considération de la substance de la discussion et à une confusion générale quant aux obligations et aux opportunités.

2. MISE EN OEUVRE DE L'ARTICLE 27.3(b) DANS LE SUD: ÉTAT DES LIEUX

La vaste majorité des pays en voie de développement membres de l'OMC ont abordé leur obligation d'attribuer des droits de propriété intellectuelle sur des variétés végétales à travers un "système sui generis efficace" – quelle que soit sa signification – et non pas à travers l'attribution de brevets 8. La date butoir pour mettre en place 9 une telle législation était, pour les pays en voie de développement, le 1er janvier 2000.

Néanmoins, malgré la menace de possibles sanctions commerciales, seuls quelques-uns sont parvenus à adopter une telle législation au terme fixé. Nous avons connaissance de seulement 21 pays en voie de développement, Membres de l'OMC, ayant déjà mis en place une législation sur les droits d'obtention végétale (DOV); ils sont cités au tableau 1. Cela laisserait 76 Membres de l'OMC dans le Sud toujours sans système de protection juridique des variétés végétales. Etant donné que 29 de ces 76 pays sont classés parmi les pays "les moins avancés" (PMA) et qu'ils bénéficient d'une période transitoire plus longue s'achevant au 1er janvier 2006, nous sommes néanmoins confrontés à une situation où 47 pays du Tiers-Monde pourraient actuellement être pris pour cibles dans le cadre d'un règlement de différends à Genève, au motif du non respect par eux de l'Article 27.3(b) des ADIPC.

Tableau 1: Pays en voie de développement, Membres de l'OMC, qui ont établi des lois de protection des variétés végétales avant le 1er  janvier 2000

Afrique et Moyen-Orient Asie-Pacifique Amérique Latine et Caraïbes
Kenya*, Maroc, Afrique du Sud*, Zimbabwé Hong Kong, Corée, Thaïlande Argentine*, Bolivie*, Brésil, Chili*, Colombie*, Equateur*, Mexique, Nicaragua, Panama*, Paraguay*, Pérou*, Trinidad et Tobago*, Uruguay*, Venezuela*

* Membre de l'Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV, Genève), Convention de 1978.
Source: Information rassemblée par GRAIN à partir de sources diverses, février 2000.

En Afrique, le Kenya, l'Afrique du Sud et le Zimbabwé ont adopté le système des droits sur l'obtention végétale (DOV) depuis les années soixante-dix. Le Maroc est l'unique pays africain que nous connaissons à avoir mis en oeuvre une sorte de loi sui generis sur les variétés végétales en 1999 en raison des ADPIC. Ainsi, puisque selon l'OMC, il y aurait 24 pays parmi les moins avancés en Afrique, les 21 Membres restant étant qualifiés de pays en développement, 80% des pays africains qui auraient dû, à ce jour, mettre en application l'Article 27.3(b), ne l'ont pas fait.

En Asie, les choses avancent tout aussi lentement. La Corée et le Hong Kong ont tous deux adopté les DOV depuis quelques années, dans le cadre des ADPIC. La Chine a fait de même, et est allée jusqu'à rejoindre l'UPOV l'année dernière, bien qu'elle ne soit pas Membre de l'OMC. Pour le reste, seule la Thaïlande a établi un système sui generis l'année dernière. Avec le Bangladesh, les Maldives, le Myanmar et les Iles Salomon classifiés parmi les pays les moins avancés dans les registres de l'OMC, il s'avère que dans la région Asie-Pacifique également, 80% des pays qui auaient dû mettre en application l'Article 27.3(b) des ADPIC, ne l'ont pas fait.

La situation en Amérique Latine est quelque peu différente. Les pays de la zone Sud, tels que l'Argentine et le Chili ont mis en place des régimes juridiques de protection des variétés végétales depuis plusieurs années. Le Mexique a institué une loi sur les DOV, ce qui constituait une condition à son adhésion à l'ALENA (Accord de Libre Echange Nord Américain). Les cinq pays de la Communauté Andine ont adopté un régime régional, inspiré de celui de l'UPOV, dans le cadre du Pacte Andin: la Décision 345. Suite à différents débats et avec beaucoup d'incertitude, le Brésil a passé une loi nationale en 1997 et a rejoint l'UPOV l'année dernière. Dans les derniers instants de la course au terme fixé par les ADPIC eux-mêmes, seuls le Panama et le Nicaragua ont adopté une nouvelle législation. En tenant compte d'Haïti qui bénéficie de la plus longue période de transition en tant que pays parmi les moins avancés, nous pouvons néanmoins conclure que 56% des Etats d'Amérique Latine et des Caraïbes qui auraient dû mettre en application l'Article 27.3(b) des ADPIC, ne l'ont pas encore fait.

Cumulativement, cela signifie que 70% des pays en voie de développement, autres que les pays les moins avancés, qui participent au système de l'OMC, sont actuellement en retard quant à leurs obligations vis-à-vis de l'Article 27.3(b) des ADPIC.

Le graphique qui suit donne une image d'ensemble de la situation actuelle dans le Sud, y compris pour les pays les moins avancés.


Source: Information rassemblée par GRAIN à partir de nombreuses sources, février 2000.

Cela ne signifie pas que ces pays soient inactifs sur le front législatif. Loin de là. A l'heure actuelle, l'Inde, l'Egypte et les Philippines ont soumis des projets définitifs à leurs Assemblées Nationales. Le Costa Rica, la Malaisie, le Pakistan et l'Egypte discutent de projets ou sont dans l'attente de l'approbation d'un ministre, ou d'un cabinet ministériel, pour soumettre ceux-ci à leurs Parlements. Beaucoup d'autres pays sont en phase de rédaction de projets. Ainsi, la plupart des Etats Membres de l'Organisation de l'Unité Africaine sont profondément engagés dans un processus de développement de leur législation nationale, basé sur une Loi Régionale Modèle qui fut finalisée en Novembre dernier seulement. Le modèle de loi OUA aborde non seulement les droits des sélectionneurs, mais aussi les droits des agriculteurs, le partage de bénéfices et les règles d'accès aux ressources génétiques. En Afrique francophone, les 15 Membres de l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle ont révisé l'Accord de Bangui de février 1999, y incorporant un système de droits de propriété intellectuelle pour des variétés végétales inspiré du modèle UPOV. Mais à notre connaissance, les lois nationales sur les obtentions végétales, issues de l'accord révisé de Bangui, ne sont pas encore en vigueur dans les Etats-Membres. 10

Pendant ce temps, l'UPOV apparait désespérée. Anxieux d'envelopper davantage de pays au sein de l'Union, et ainsi d'accroître nettement sa crédibilité, le Conseil de l'UPOV a décidé en octobre dernier d'adresser une invitation ouverte à l'Inde, au Nicaragua et au Zimbabwé pour accéder à la Convention de 1978, bien que cette convention ait été officiellement close à des accessions ultérieures en 1998. Au cas où cette soudaine largesse ne parlerait pas suffisamment d'elle-même, le Secrétaire-Général de l'UPOV a annoncé à ses collègues sa retraite anticipée cette année. L'UPOV commence même à changer de discours et concède que les Etats peuvent développer des législations sui generis efficaces qui ne seraient pas "essentiellement dérivées" du régime UPOV. Tout ceci pourrait être le signe que la croyance en une solution toute faite envers l'énigme de l'Article 27.3(b) des ADPIC s'effrite.

Que pouvons-nous retirer de tout ceci? Le message est que malgré quatre années de période de transition, malgré les meilleures intentions de supporter le coût de l'introduction au sein du système commercial de l'OMC et malgré toutes les pressions et les innombrables ateliers organisés par le monde industriel, y compris par l'UPOV, les pays en voie de développement ne sont pas prêts à mettre en oeuvre l'Article 27.3(b) des ADPIC. Et ils ont une bonne raison pour être dans cet état de fait. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, ils ont été soumis à des pressions intenses, souvent unilatérales de la part des pays industrialisés, pour suivre le modèle UPOV de protection des obtentions végétales comme moyen de mise en oeuvre de l'Article 27.3(b) des ADPIC – ce que de nombreux pays en voie de développement ressentent fortement comme contraire à leur intérêt. L'OMC elle-même s'est jointe à la campagne en sponsorisant, pour les pays en voie de développement, une série d'ateliers sur l'UPOV-en-tant-que-solution-sui-generis, alors que dans le même temps elle accueillait un réexamen pour modification de la disposition visée. Puis, les propositions émanant de pays en voie de développement dans le but de clarifier la signification de l'Article, portées non seulement devant le Conseil des ADPIC lors d'une revue, mais aussi devant une Conférence Ministérielle, n'ont pas été prises en considération. Finalement, leur engagement envers d'autres traités avec lesquels les ADPIC n'étaient pas en harmonie, tels que la CDB et l'Engagement International de la FAO, en association avec une grande sensibilité vis-à-vis de l'impact des ADPIC sur la biodiversité, ont conduit beaucoup de pays en voie de développement à vouloir s'assurer que les droits de leurs communautés et de leurs paysans ne soient pas foulés aux pieds par une législation construite hâtivement, favorisant les sélectionneurs industriels. Ce dernier facteur a rendu la rédaction des textes plus complexe et plus lente pour les pays en voie de développement, mais potentiellement moins inamicale envers les intérêts de leurs citoyens que ce que l'UPOV, l'OMC et le reste du monde industrialisé n'auraient, semble-t'il, préféré.

Les pays en voie de développement qui ont adopté des lois sur l'obtention végétale fondées sur le modèle UPOV ont réagi de façon compréhensible à toutes ces pressions conflictuelles. Ils ont cependant agi ainsi en l'absence, dans la plupart des cas – mais non pas dans tous – de consultation sensée ou de débat avec les premiers affectés: les communautés agricoles et indigènes. Ils n'ont certainement pas, de toute façon, résolu les conflits sous-jacents.

3. POUR UNE REVISION EN PROFONDEUR

Il paraît évident qu'un réexamen complet et sérieux de l'Article 27.3(b) soit impératif. Comme mentionné auparavant, le texte actuel est le résultat d'un compromis entre l'Europe et les USA, sans considération particulière pour les intérêts des pays en voie de développement ou pour les principes inscrits à la CDB, ou au sein d'autres accords internationaux. De surcroît, le texte tel qu'il est rédigé, comporte de dangereuses ambiguités. Au lieu de fermer les yeux et d'imposer par la force une législation inappropriée aux pays en voie de développement et à leurs agriculteurs, il apparaît important de réviser sérieusement cet article, comme il était convenu à l'origine, et de clarifier sa portée, son sens et ses objectifs, en tenant compte de tous ces intérêts et inquiétudes.

Dans ce contexte, le Groupe Africain a offert la proposition la plus complète sur la manière d'avancer et celle-ci mérite un soutien total – et une mise en oeuvre active – sans délais supplémentaires. Cela peut être considéré comme conduisant à un moratoire en raison de l'exigence d'un réexamen total, d'une extension des périodes de transition, et de clarifications spécifiques qui mèneraient à l'amendement du traité. Cependant, comme il l'a été dit, cela ne signifie pas que, dans l'intervalle, les Etats doivent abandonner leurs efforts pour développer des systèmes juridiques equilibrés et appropriés. Au contraire, mettre en action la proposition du Groupe Africain accorderait aux pays en voie de développement le temps et l'espace nécessaires pour élaborer, de façon plus intégrative et plus consultative, une législation qui corresponde réllement à leurs besoins. Protéger la biodiversité, promouvoir son utilisation durable, et assurer une juste reconnaissance des droits et intérêts des communautés locales et indigènes ne peut être mis de côté dans l'application des ADPIC. Effectivement, ce sont des objectifs et des questions qui vont bien au-delà de l'étendue de n'importe quel système de commerce mondial. Ils se situent, néanmoins, comme un obstacle à la mise en oeuvre du présent Accord sur les ADPIC de l'OMC.

En conclusion, la mise en application immédiate des propositions du Groupe Africain se défend sur les points suivants:

1. Le réexamen de la substance de l'Article 27.3(b) n'a pas abouti.

Lorsque les ADPIC ont été adoptés en 1994, il était convenu que le réexamen des dispositions de l'Article 27.3(b) prendrait place avant sa mise en application par le Sud. Le réexamen commença en 1999 et les pays en voie de développement élevèrent des interrogations substantielles sur le texte, dans la rédaction duquel ils avaient été peu impliqués. Quatre réunions du Conseil des ADPIC, en 1999, n'ont pas suffi pour achever la discussion et l'année s'est terminée avec la demande d'une extension du terme de mise en oeuvre, émanant de nombreux pays, ainsi qu'avec des préoccupations sérieuses laissées sur la table des négociations.

2. Des demandes spécifiques visant l'amendement de l'Article 27.3(b), élaborées pour Seattle, n'ont pas été traitées.

Les demandes spécifiques de près de 100 pays en développement, relatives à l'Article 27.3(b) des ADPIC ont été rédigées sous la forme d'une série de propositions. Ces propositions ont été soumises au Conseil Général au cours du deuxième semestre de 1999, et transposées dans un texte de négociation au niveau ministériel, mais elles n'ont été ni réellement discutées à Seattle, ni traitées par le Conseil des ADPIC. Elles attendent encore une écoute objective, une discussion et une réponse à l'OMC.

3. Il existe un soutien populaire fort en faveur de la position du Groupe Africain.

Les mouvements populaires et les ONGs, sans parler des parlements, des juristes et des académies de science de par le monde, ont insisté auprès de leurs gouvernements pour qu'ils apportent leur soutien à la position du Groupe Africain. Cela démontre une forte mobilisation du public qui ne devrait pas être ignorée, en particulier sur une question aussi sensible que l'établissement de droits de monopole sur la base de la sécurité alimentaire.

4. A la fois, la baisse de légitimité de l'OMC après Seattle et l'état actuel du réexamen de l'Article 27.3(b) laissent la possibilité aux pays en développement d'être pro-actifs.

L'effondrement du processus de Seattle pourrait très bien marquer le début d'une ère nouvelle dans laquelle les pays en voie de développement, de façon croissante et avec succès, défieraient l'emprise démesurée et le fonctionnement non démocratique de l'OMC, ainsi que la façon dont il sert les intérêts du monde industrialisé et de ses méga-groupes commerciaux. Dans ce contexte, il est temps de réviser et de reconstruire – et non pas de s'empresser d'aller de l'avant et d'adopter des lois inappropriées portant sur des droits de propriété intellectuelle.

 

Références:

1. Grain (1999). La protection des obtentions végétales pour nourrir l'Afrique? Rhétorique contre réalité, Barcelone, octobre, www.grain.org/fr/publications/pvp.htm

2. A part ce qui est indiqué autrement, l'information sur les débats du Conseil des ADPIC fut fournie à GRAIN par la Division Information et Média de l'OMC pendant les quinze derniers mois.

3. Selon le Centre International pour le Commerce et le Développement Durables, "Le Conseil des ADPIC discute de la brevetabilité des végétaux", BRIDGES Weekly Trade News Digest, Vol 3, N° 15 et 16, Genève, 26 avril 1999.

4. Préparatifs pour la Conférence Ministérielle de 1999: Les ADPIC. Communication du Kenya pour le compte du Groupe Africain. OMC, Genève, WT/GC/W/302, 6 août 1999.

5. Déclaration du Kenya pour le compte du Groupe Africain: Article 27.3(b) des ADPIC, papier présenté au Conseil des ADPIC, OMC, Genève, 20 octobre 1999, 2 pp.

6. Article 27.3(b): Point de vue des Etats-Unis d'Amérique, papier présenté au Conseil des ADPIC, OMC, Genève, 20 octobre 1999, 7 pp.

7. Secrétariat de l'Organisation Mondiale du Commerce, "Le Conseil Général diffère la discussion post-Seattle jusqu'au début de l'an 2000", OMC, Genève, 17 décembre 1999.

8. Actuellement, seuls les Etats-Unis et la République de Corée octroient une protection par brevet aux variétés végétales.

9. Certains interprêtent cette date butoir comme imposant que le processus soit entamé, mais pas nécessairement achevé.

10. Le Cameroun ratifia cet accord révisé – sans discussion parlementaire – mais il n'y pas encore à ce jour de loi nationale en vigueur pour son application. Dans les autres Etats, le processus de ratification est en discussion.

11. Voir par exemple, sur l'Internet, http:/www.twnside.org.sg/title/273bst-cn.htm

 

ANNEXE

Tableau 2: Propositions officielles des pays en développement pour le réexamen ou la renégociation des ADPIC en ce qui concerne la biodiversité et le savoir qui y est associé (1999)

Pays concerné Brevetabilité

(formes de vie et procédés biologiques)

Système sui generis

(variétés végétales)

Kenya a - A besoin d'une extension de la période de transition de cinq ans

- Harmoniser les ADPIC avec la CDB

- A besoin d'une extension de la période de transition sur cinq ans

- Etendre la portée de l'Article 27.3(b) pour y inclure la protection du savoir indigène et des droits des agriculteurs

- Harmoniser les ADPIC avec la CDB

Venezuela b En l'an 2000, introduire un système obligatoire de protection par les droits de propriété intellectuelle du savoir indigène des communautés locales, fondé sur la nécessité de reconnaître les droits collectifs.
Groupe Africainc - Le réexamen devrait être allongé + suivi d'une période transitoire supplémentaire de cinq ans

- Le réexamen devrait clarifier que les plantes, les animaux, les micro-organismes, leurs parties et les procédés naturels ne peuvent être brevetés

- Le réexamen devrait être allongé + suivi d'une période transitoire supplémentaire de cinq ans

- Les lois sui generis devraient permettre la protection des droits des communautés, la poursuite des pratiques des paysans et la prévention contre les pratiques anti-concurrentielles qui menacent la souveraineté alimentaire

- Harmoniser les ADPIC avec la CDB et la FAO

Groupes des Pays les Moins Avancés (PMA) d - Il devrait y avoir une clarification formelle sur le fait que les plantes et animaux non modifiés, aussi bien que leurs parties [séquences génetiques], ainsi que les procédés essentiellement biologiques, ne sont pas brevetables.

- Incorporer la disposition selon laquelle les brevets ne peuvent être délivrés sans le consentement préalable du pays d'origine

- Les brevets incompatibles avec l'Art.15 [sur l'accès] de la CDB ne devraient pas être délivrés

- Nécessité d'un allongement de la période transitoire

- Les dispositions sui generis doivent être suffisamment flexibles pour s'adapter au système d'approvisionnement en semences de chaque pays

- Nécessité d'un allongement de la période transitoire

Jamaïque, Sri Lanka, Tanzanie, Ouganda, Zambie e Pas de brevetabilité de plantes sans le consentement préalable du gouvernement et des communautés du pays d'origine  
SAARC f Nécessité d'éviter le piratage du savoir traditionnel relatif à la biodiversité et de chercher l'harmonisation des ADPIC avec la Convention des Nations-Unies sur la Diversité Biologique, de façon à assurer des retombées appropriées aux communautés traditionnelles.
SADC g - La période transitoire pour la mise en oeuvre de l'Article 27.3(b) doit être allongée et le réexamen de l'an 2000 devrait être retardé.

- Le réexamen de l'Article 27.3(b) devrait harmoniser les ADPIC avec la CDB.

- L'exclusion de procédés essentiellement biologiques de la brevetabilité devrait être étendue aux processus microbiologiques

- La période de transition pour la mise en oeuvre de l'Article 27.3(b) devrait être allongée et le réexamen de l'an 2000 devrait être retardé.

- Le réexamen de l'Article 27.3(b) devrait retenir l'option sui generis

G77 h Des négociations futures doivent rendre opérationnelles les dispositions relatives au transfert de technologie, à l'avantage mutuel des producteurs et des usagers du savoir technologique, rechercher les mécanismes pour une protection équilibrée des ressources biologiques et instituer une discipline pour protéger le savoir traditionnel.
Bolivie, Colombie, Equateur, Nicaragua, et Pérou i La Conférence Ministérielle de Seattle devrait adopter un mandat pour: (a) mener des études de façon à faire des recommendations sur les moyens les plus appropriés de reconnaître et de protéger le savoir traditionnel (ST) par des droits de propriété intellectuelle; (b) initier des négociations en vue d'établir un cadre multilatéral qui procurera une protection efficace aux expressions et manifestations du ST; (c) compléter le cadre légal envisagé au paragraphe (b) ci-dessus à temps pour qu'il soit inclu comme partie intégrale des résultats des nouveaux tours de négociations.

a. WT/GC/W/23 du 5 juillet 1999
b. WT/GC/W/282 du 6 août 1999
c. WT/GC/W/302 du 6 août 1999
d. WT/GC/W/251 du 13 juillet 1999
e. www.foe.org/international/wto/govt.html du 2 septembre 1999
f. WT/L/326 du 22 octobre 1999
g. WT/L/317 du 1er octobre 1999
h. WT/MIN(99)/3 du 2 novembre 1999
i. WT/GC/W/362 du 12 octobre 1999

 

ACRONYMES

ADPIC Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce
ALENA Accord de Libre Echange Nord-Américain
CDB Convention des Nations Unies sur la Diversité Biologique
DPI Droits de Propriété Intellectuelle
FAO United Nations Food and Agriculture Organisation
G77 Groupe des 77 (pays en développement) aux Nations-Unies
GATT General Agreement on Tariffs and Trade
OMC Organisation Mondiale du Commerce
PMA Pays les Moins Avancés
SAARC Association de l'Asie du Sud pour la Coopération Régionales
SADC Coopération de l'Afrique Australe pour le Développement
ST  savoir traditionnel
UE Union Européenne
UPOV Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales

 

 

Pour de plus amples informations, contactez:

GRAIN
Girona 25, pral.
08010 Barcelone, Espagne
Tel: (34-93) 301 13 81 | Fax: (34-93) 301 16 27
Email: | Website: www.grain.org

Versions en Anglais et en Espagnol disponibles.

Cette traduction a été assurée par Nathalie Whitfield-Pimbert.

Author: GRAIN
Links in this article:
  • [1] http:/www.twnside.org.sg/title/273bst-cn.htm
  • [2] http://www.foe.org/international/wto/govt.html
  • [3] mailto:'