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Roger Moody

by Interview de GRAIN | 19 Jul 2009

Interview de GRAIN

Roger Moody est un expert sur l’exploitation minière et ses transnationales. Il a passé des années à démasquer les façons d’agir des compagnies minières. Il est l’éditeur du site Internet Mines and Communities, qui expose les conséquences sociales, économiques et environnementales de l’exploitation minière, et en particulier la façon dont celle-ci affecte les communautés indigènes et traditionnelles.

En Équateur et en Inde, on assiste à une très forte mobilisation des communautés indigènes qui tentent d’arrêter les projets miniers qu’elles considèrent comme préjudiciables à leur mode de vie et à leurs croyances. Peut-on parler ici d’évolution mondiale ? Les communautés locales sont elles récemment devenues plus actives dans la lutte pour la défense du territoire ?

RM: C’est indéniable. En 1990, quand j’ai commencé avec Minewatch à travailler avec un réseau mondial de communautés affectées par les mines, nous avions alors affaire à une trentaine de conflits majeurs par an. Ce petit nombre s’explique en partie par le fait qu’à l’époque nous ne connaissions pas les communautés isolées, car elles n’avaient pas encore “internationalisé” leur expérience. Le changement est venu entre 1990 et 1995, quand Minewatch et d’autres organisations plus importantes (Amnesty International, le WWF, Human Rights Watch etc.) se sont rendu compte, relativement tard, que l’exploitation minière restait le grand problème mondial auquel elles ne s’étaient pas vraiment attaquées. En 1996, le Conseil Mondial des Églises a tenu une conférence sur les peuples indigènes et les mines qui accueillit 50 délégués. La conférence suivante, dédiée aux mêmes objectifs, eut lieu à Manille en mars 2009 ; on y comptait 85 délégués et il y aurait pu en avoir plus. En tant qu’éditeur du site de Mines and Communities qui a été créé en 2001, je reçois chaque jour autant de plaintes émanant de communautés touchées par l’exploitation minière que j’en recevais par semaine il y a dix ans.

Vedanta est l’entreprise à laquelle les Dongria ont à faire face. Que savez-vous de la réputation de Vedanta dans le reste du monde ?

Comme je surveille les activités de nombreuses compagnies minières depuis le début des années 1990, on me demande souvent de dénoncer “la pire”. Jusqu’en 2007, j’ai refusé de le faire. Par certains aspects, les grandes multinationales minières sont souvent meilleures que leurs homologues plus petits, en particulier dans leurs relations avec certaines – mais je souligne, certaines seulement – communautés. Elles ont fini par apprendre comment convaincre les partenaires, en sonnant l’air du “développement durable”, et en offrant des accords de compensation assez généreux et l’accès aux infrastructures. D’un autre côté, plus l’entreprise est grande, plus les dégâts environnementaux qu’elle risque de provoquer sont graves. Ainsi, une étude des effondrements de barrages de stériles (déchets de minerai) incluse dans mon livre Rocks and Hard Places, [1] montre clairement que les pires désastres concernaient en majorité des mines exploitées par de grandes entreprises américaines et européennes.

Toutefois, quand Vedanta a fait son entrée à la bourse de Londres à la fin de 2003, je me suis senti obligé de surveiller cette entreprise de plus près. Et aujourd’hui, je n’ai aucune hésitation à décrire Vedanta comme la compagnie minière la plus destructrice du monde. Je ne parle pas seulement de dégâts physiques, mais de toute la panoplie des agissements mafieux (mensonges, abus de confiance et surtout violations des réglementations) auxquels la compagnie n’a pas hésité à recourir durant les cinq dernières années. Le conflit avec les Dongria Kondh et la mine de bauxite du Niyamgiri a été très médiatisé (et ce n’est que justice), mais je regrette que peu de gens soient conscients des activités condamnables de Vedanta autre part en Inde (au Tamil Nadu ou au Chhattisgarh, en particulier) ou de sa sinistre réputation en Zambie ou en Arménie. En 2007, Anil Agarwal, le président de Vedanta, qui détient avec sa famille quelque 54 % des capitaux de l’entreprise, a décidé de faire de Vedanta une « force mondiale ». Et c’est bien ce qu’il a fait : Il a pris, en 2007, le contrôle de Sesa Goa, le plus gros exportateur de minerai de fer de l’Inde. Puis plus récemment, il a acquis des parts dans une autre entreprise de minerai de fer au Brésil et pris une participation significative dans la plus grosse (et la plus polluante !) des compagnies de zinc et plomb canadiennes ; finalement en mai dernier, il a annoncé la construction d’une nouvelle usine de cuivre dans les Émirats arabes unis. Parmi les plans actuels de Vedanta, celui qui comporte le plus de risques potentiels est la reprise d’Asarco, la troisième entreprise d’exploitation de cuivre américaine, qui jouit de la pire réputation dans le secteur aux États-Unis. Agarwal est un génie malfaisant : Vedanta recherche les entreprises en bout de course qui peuvent être acquises à bas prix pour engranger des bénéfices rapides, même si cela implique de rogner un maximum sur les coûts et de fouler aux pieds les réglementations. C’est justement l’un des aspects du jeu de Vedanta que le Conseil éthique du gouvernement norvégien a exposé l’an dernier : après une enquête exhaustive de deux ans, ce Conseil est arrivé à la conclusion que Vedanta était intrinsèquement incapable d’observer même les plus fondamentales des règles de bonne gouvernance et que le fonds de pension du gouvernement devait par conséquent retirer à l’entreprise son financement. Ce qui fut fait.

Les compagnies minières prétendent toujours qu’elles peuvent mener leurs activités sans endommager la diversité ni les pratiques agricoles locales. En sont-elles vraiment capables ?

Ne généralisons pas. Il nous a fallu des années, nous qui travaillons pour limiter les déprédations de l’industrie, avant d’obtenir quelques réactions positives de la part de certaines compagnies minières. Et nous avons été quelquefois heureusement surpris : Ainsi, la plus grande entreprise mondiale de “ressources naturelles”, PHP Billiton, a promis, il y a quelques années, de ne plus jamais déverser ses déchets dans des rivières ou au fond de l’océan. Or, jusqu’à présent, la promesse a été tenue. En revanche, Rio Tinto, le plus grand concurrent mondial de BHP Billiton, ne s’est pas engagé sur cette voie. Et pourtant, on peut dire que Rio Tinto fait preuve de davantage de conscience en ce qui concerne les conséquences de l’exploitation minière dans les forêts primaires : la compagnie a ainsi conclu avec certaines communautés quelques accords, dont ces dernières sont satisfaites. Fondamentalement, ne l’oublions pas, nous avons affaire à une industrie dont la raison d’être est de s’installer là où se trouve le minerai - quelles que soient les conséquences sur les usages qui étaient faits jusqu’alors des terres et de l’eau - et d’extraire des bénéfices de ressources irremplaçables. Elle n’encourage pas non plus activement le recyclage et la réutilisation des métaux extraits, ce qui menacerait sa mission essentielle. Si j’en juge par le flot incessant de plaintes légitimes qui arrivent chaque jour sur mon bureau, il est en fin de compte impossible de dire que les pratiques minières se sont beaucoup améliorées au cours des vingt dernières années. En réalité, certaines pratiques, particulièrement celles qui sont utilisées dans l’expansion des mines à ciel ouvert de cuivre, de nickel et d’or, ont indéniablement empiré.

Il est un peu tôt pour pouvoir dire si les luttes des communautés de l’Équateur et de l’Inde se solderont par un succès. En revanche, d’autres communautés ont-elles réussi à arrêter des projets miniers ou à faire fermer des mines ? Avez-vous des exemples à nous donner ?

Oui, cela arrive, mais il est difficile actuellement de faire la distinction entre les projets qui sont mis en attente par manque de financement des dettes et ceux qui ont été abandonnés, peut-être même pour de bon, parce que les compagnies savent qu’elles vont avoir à affronter une résistance continue, qui pourrait même aller en s’accélérant. En 2002, PricewaterhouseCoopers enquêta auprès d’une trentaine de grandes compagnies minières, en leur demandant si elles avaient été obligées d’interrompre des projets à la suite d’une opposition externe, et si oui, quel genre d’opposition. Les résultats furent surprenants : plus de vingt d’entre elles avaient mis en attente des projets, et le facteur principal était effectivement l’opposition communautaire. L’an passé, BHP Billiton, a dû abandonner certains projets; Rio Tinto en a pour sa part revendu quelques-uns. Dans la plupart des cas, nous ne pouvons pas affirmer que la compagnie a laissé tomber le projet parce qu’elle a reconnu la légitimité des critiques; presque toujours, on accuse à la place les “contraintes économiques”. Toutefois, nous pouvons affirmer avec certitude que les risques engendrés pour les entreprises par les critiques et une résistance active de la base sont pris en compte dans l’évaluation de la viabilité d’un projet. Nous le savons, car les entreprises nous le disent.

Dans le monde entier, on prend de plus en plus conscience de la sévérité de la crise climatique. Les façons de percevoir le monde sont-elles en train de changer ? Peut-être le “programme pour le développement”, qui place au tout premier plan le progrès économique, va-t-il être remis en question ? D’une façon générale, les gens ont-ils davantage conscience de l’énormité des coûts environnementaux et sociaux engendrés par les projets de développement destructeurs ?

Nous avons plusieurs étapes devant nous, avant que l’idée que l’exploitation minière contribue aux émissions de gaz à effet de serre (GES) ne soit largement admise. Ce n’est que dans les deux dernières années que même les militants britanniques du changement climatique ont fini par reconnaître que le charbon, pris individuellement, est le plus grand coupable. La sidérurgie occupe peut-être la deuxième place parmi les facteurs du réchauffement global (entre 3 et 7%, selon les estimations); elle est suivie de près par la production de ciment. Si on calcule – ce qui a très rarement été fait – les émissions de GES provenant de la combustion de l’uranium, qu’on s’obstine à présenter comme un carburant “propre”, l’utilisation des minéraux exploités, est alors, dans son ensemble, le plus grand responsable du dérèglement climatique. Et ce sans même tenir compte de part de responsabilité, qui est loin d’être négligeable, que représente la construction des nouvelles mines et des centrales qui leurs sont associées. On a aussi beaucoup de mal à admettre – en tout cas au niveau des décideurs politiques – que les espoirs investis dans la capture et le stockage du carbone émis par les centrales au charbon actuelles et futures sont illusoires.

Le monde est aux prises avec des tendances contradictoires : Nous avons d’un côté des entreprises de plus en plus grandes, qui exigent des surfaces croissantes pour la production alimentaire industrielle et l’exploitation minière, et de l’autre des mouvements de résistance de plus en plus puissants face aux projets locaux. Que faut-il pour conférer à cette résistance une plus grande efficacité ?

Tout d’abord, les OGN, qui sont le plus souvent basées dans les pays du Nord, doivent arrêter de décider ce qui doit être fait. Quand les stratégies sont choisies par les communautés en résistance au “développement” elles-mêmes, leur analyse et leur mise en oeuvre surpassent largement ce qu’on peut attendre d’autorités en la matière qui n’ont jamais quitté leur bureau. En s’opposant à certains projets (que ce soit une mine de charbon, une plantation d’agrocarburants ou une réserve sauvage), ces communautés transforment en effet notre vision du “développement”. M’est avis que nous devrions les laisser faire et nous contenter de rester disponibles si elles ont besoin de soutien; quand il s’agit par exemple de mettre un terme aux investissements dans des entreprises comme Vedanta, puisque ceux-ci proviennent principalement de banques européennes et américaines. Autant que je sache, ce n’est pas l’établissement de la meilleure stratégie qui pose problème aux communautés “qui sont devant la paroi rocheuse ”: l’histoire de la résistance aux mines dangereuses s’appuie sur plusieurs centaines d’années d’expérience concrète et ré-utilisable, en particulier en Amérique latine. J’ai de plus en plus le sentiment que c’est ceux d’entre nous qui sont loin du champ de bataille qui ne savent pas ce qu’il faut faire.


Lectures complémentaires

Le site Internet de Mines and Communities peut être consulté ici :
http://www.minesandcommunities.org

[1] Roger Moody, Rocks and Hard Places – the Globalisation of Mining, Zed Books, London, 2007


Author: Interview de GRAIN
Links in this article:
  • [1] http://www.minesandcommunities.org/
  • [2] http://www.minesandcommunities.org
  • [3] http://books.google.co.uk/books?id=h0oo-aXhS4QC&lpg=PP1&ots=K2MXYRR7aW&dq=Rocks%20and%20Hard%20Places%20–%20the%20Globalisation%20of%20Mining&pg=PP1