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L'aide en semences, l'agrobusiness et la crise alimentaire

by GRAIN | 27 Oct 2008

GRAIN

La crise alimentaire mondiale, hâtivement définie par ceux qui sont au pouvoir comme un problème de production insuffisante, est devenue le Cheval de Troie par lequel les semences industrielles, les engrais et, subrepticement, les mécanismes du marché, pénètrent dans les pays pauvres. Comme l’expérience passée le montre, ce qui semble être une « aide en semences » à court terme peut masquer ce qui est en fait une « aide en agrobusiness » à long terme. Nous faisons le point ici sur ce qui est en train de se passer.

Au début de l’année, les leaders politiques et économiques, soutenus par les médias privés, se sont dépêchés d’expliquer l’actuelle crise alimentaire comme une « véritable tempête » issue de plusieurs facteurs : problèmes climatiques, détournement des cultures pour les agrocarburants, augmentation du prix du pétrole, et des populations pauvres devenant moins pauvres qui se mettent à manger plus de produits animaux. En bref, ils ont voulu nous faire croire que la crise alimentaire était un problème de production. Beaucoup ont démonté cet argument et – tout en reconnaissant que la production devrait être améliorée - ont montré au contraire comment les politiques économiques actuelles axées sur le commerce international et la dérégulation sont les réels coupables. 1 Déjà les fournisseurs s’empressent de promouvoir leur solution au faux problème : stimuler la production, principalement en apportant des semences à plus haut rendement aux agriculteurs.

Quelles semences ? Provenant d’où ? Avec quel impact sur les communautés et la biodiversité locales ? Il est difficile de trouver des données fiables, mais le risque est réel que cette réponse simpliste à la crise alimentaire, centrée sur la production, et qui évite de se poser les véritables questions remettant en question les politiques, entraîne une nouvelle vague d’érosion génétique et d’insécurité pour les moyens d’existence en foulant au pied les systèmes de semences des communautés locales. Les conséquences pour la survie des familles rurales dans le monde, et donc pour la production alimentaire, pourraient être extrêmement préjudiciables.

Un « chœur parfait »

Des sommes importantes ont été engagées ces derniers mois pour envoyer des semences et des engrais en urgence dans les pays du Sud gravement touchés par la crise alimentaire. En mai, la Banque mondiale a lancé un financement d’urgence de 1,2 milliards US$ pour fournir des fonds pour que les « agriculteurs soient rapidement approvisionnés en semences et en engrais. » Dans un discours au Sommet du G8 (Groupe des 8 pays les plus riches du monde) qui s’est tenu début juillet au Japon, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a déclaré à ces puissants que l’une des principales priorités dans la lutte pour résoudre la crise alimentaire mondiale était « de donner aux petits agriculteurs, en particulier en Afrique, accès aux semences, aux engrais et aux autres intrants de base. » A la veille de cette réunion, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a offert 1 milliard d’euros pour acheter des « engrais et des semences pour aider les agriculteurs pauvres dans les pays en développement. » Pour ne pas être en reste, le Président des Etats-Unis George Bush a annoncé 1 milliard US$ en argent pour la crise alimentaire et a déclaré à la presse qu’il allait convaincre les autres chefs d’Etat du monde qu’ils doivent faire des changements pour soulager la faim en « augmentant les livraisons de produits alimentaires, d’engrais et de semences aux pays dans le besoin. » Deux semaines plus tard, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a adressé le message suivant à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York : « Nous devons agir immédiatement pour stimuler la production agricole cette année. Nous allons le faire en fournissant en urgence des semences et des engrais pour les prochains cycles de plantation, en particulier aux 450 millions de petits agriculteurs du monde. »2 Imaginez ! Des milliards de dollars déboursés soudainement pour distribuer des semences aux agriculteurs les plus pauvres sur la planète - un groupe dont les besoins n’ont auparavant jamais été prioritaires dans les préoccupations de ces dirigeants.

Plus tôt, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a lancé sa propre « Initiative sur la flambée des prix des denrées alimentaires », destinée à « démontrer qu’en augmentant l’approvisionnement en intrants agricoles clé, comme les semences et les engrais, les petits agriculteurs seront en mesure d’augmenter rapidement la production alimentaire. » L’initiative de la FAO couvre déjà 35 pays, pour un montant de 21 millions US$, pendant que 54 autres pays sont soutenus de la même façon par son Programme de Coopération technique d’un coût de 24 millions US$. En plus de garantir un approvisionnement immédiat en semences et en engrais, l’Initiative vise aussi à « encourager les donateurs, les institutions financières et les gouvernements nationaux à soutenir l’approvisionnement en intrants sur une plus large échelle. »3 Cela semble fonctionner, car des organisations allant de la Bill & Melinda Gates Foundation à la Croix Rouge se mettent les unes après les autres à établir des programmes pour fournir des semences et des engrais aux agriculteurs afin de répondre à la crise alimentaire actuelle (voir tableau).


Tableau : L’aide en semences pour combattre la crise alimentaire : quelques exemples

Pays / organisation

Observations

Union européenne

Lors du Sommet du G8 en juillet, l’Union européenne a offert 1,6 milliards d’euros pris sur « les subventions inutilisées. » La majeure partie de cette somme est destinée à l’achat d’engrais et de semences, ou à d’autres mesures pour augmenter la production, à crédit. L’argent doit être géré par des organisations de développement internationales et régionales.

Etats Unis

Lors de la préparation de la réunion du G8, Bush a annoncé une somme de 1 milliard de dollars US pour combattre la crise alimentaire mondiale. On rapporte que Bush a déclaré: « Je demanderai aussi aux dirigeants du G8 d'effectuer d'autres changements stratégiques importants pour soulager la faim, comme d'augmenter les livraisons de produits alimentaires, d'engrais et de semences aux pays dans le besoin. » (1)

Banque mondiale

En mai, la Banque mondiale a lancé des "mesures accélérées" pour répondre aux besoins immédiats incluant la «  fourniture rapide de semences aux petits agriculteurs. » (2) Les premières subventions ont été octroyées à Haïti (10 millions US$), Djibouti (5 millions US$) et au Liberia (10 millions US$). En juin, la Banque a commencé à s'occuper des subventions pour le Tadjikistan, le Togo, et le Yémen. Au Burkina-Faso, « le programme d'urgence a aidé à distribuer 3500 tonnes de semences de mil amélioré, de sorgho, de maïs, de haricots et de riz à 140 000 foyers dans 302 communautés rurales du pays. » (3)

Fonds international pour le développement agricole (FIDA)

En avril, le FIDA a lancé une initiative de 200 millions de dollars US, et donne les exemples suivants (parmi d'autres) sur la manière dont ces fonds seront utilisés: En Côté d'Ivoire, 3 millions US$ vont permettre de fournir des semences et des engrais à 10 000 petits agriculteurs dans le cadre du Programme national sur le riz du gouvernement; en Mauritanie, 315 000 US$ ont été alloués pour l'achat et la distribution de semences et la création de banques de céréales dans les zones rurales pauvres; à Haïti, 10 à 15 millions US$ servent à distribuer des semences et à renforcer les programmes de multiplication de semences, principalement pour les petits producteurs des coteaux.

En Syrie, les fonds doivent être réalloués à partir d'un prêt précédent pour fournir des semences améliorées, des engrais et de l'alimentation pour les animaux.

FAO

La FAO a annoncé en juillet que l'organisation travaillait déjà dans 54 pays en « fournissant des semences, des engrais et autres denrées aux petits agriculteurs dans le cadre d'une initiative destinée à aider les foyers vulnérables à s'en sortir avec la hausse considérable des prix des produits alimentaires. » (5) Par exemple:

« Distribution intensive de semences de mil, de sorgho, de maïs, de niébé et d'arachide à 33 000 agriculteurs du Burkina Faso. Pour la saison de plantation actuelle, près de 600 tonnes de semences de variétés améliorées et 432 tonnes d'engrais ont été mises à disposition d'agriculteurs pauvres au Burkina. » (6)

A Haïti, «des semences sont distribuées pour le maïs, les pois, les haricots noirs locaux, ainsi que des boutures pour cultiver des patates douces et des engrais. » (7) En août, la FAO a distribué 600 tonnes de semences de sorgho, de maïs et de haricot à 70 000 familles cibles.

En Mauritanie, plus de 500 tonnes de semences de sorgho, de millet, de maïs et de haricot dolique ont été distribuées. (8)

Fondation Gates

La Bill & Melinda Gates Foundation donne un ensemble de dons d'un montant de 17,5 millions US$ pour répondre à la crise alimentaire mondiale. Parmi ces dons, 10 millions US$ vont au Programme alimentaire mondial et le reste, soit 7,5 millions, a été alloué à Mercy Corps, Oxfam Amérique et au Catholic Relief Services. Une partie de ces 7,5 millions sera utilisée pour la distribution de semences à Haïti, en République démocratique du Congo, en Somalie et au Sri Lanka. (9)

Croix rouge

La Croix rouge est engagée dans des programmes de distribution de semences dans plusieurs pays:

En Côte d'Ivoire, elle a distribué des semences et des engrais à près de 21 000 agriculteurs dans le Nord et le centre du pays (10);

En Guinée-Bissau, des denrées alimentaires et des semences de riz et d'arachide ont été distribuées à plus de 20 000 personnes (11);

Au Soudan, des semences ont été distribuées à plus de 36000 foyers agricoles traditionnels. (12)

Catholic Relief Services (CRS)

CRS, une branche de l'église catholique des Etats-Unis, a reçu 10 millions US$ de l'USAID et a engagé 1 million de fonds privés pour s'occuper de la crise alimentaire mondiale. Entre autres actions, ils fournissent du riz aux agriculteurs du Burkina Faso, avec des « variétés plus productives . » Le CRS déclare qu'il soutient les bons en semences et les foires car ce sont des mécanismes de distribution adaptés.

Concern

Dans le cadre de son programme « Semences pour les affamés », le groupe d'aide irlandais Concern a acheté plus de 70 tonnes de semences, dont des semences de haricots et des boutures de patate douce, pour les distribuer aux agriculteurs éthiopiens.

Tearfund

Avec un financement initial de £200 000, l'organisme de secours du Royaume Uni fournit des semences aux agriculteurs d'Ethiopie, où non seulement les prix des denrées alimentaires de base ont été multipliés par trois ou quatre mais où la sécheresse rend la situation insupportable aux populations. Les semences sont distribuées par un « plan de distribution de semences sous forme de prêt », où les agriculteurs remboursent les prêts. (13)

(1) Anne Davies, “Bush offers $1bn to fight global food crisis”, The Age, 4 July 2008. http://tinyurl.com/3te4f8
(2) Communiqué de presse de la banque mondiale, “La Banque mondiale lance un mécanisme d'intervention rapide d’un montant de 1,2 milliard de dollars face à la crise alimentaire”, 29 mai 2008. http://tinyurl.com/bm2008-05-28
(3) Banque mondiale, “Des semences pour affronter la crise alimentaire au Burkina Faso”, 2 juillet 2008, http://tinyurl.com/bm2008-07-02
(4) Communiqué de presse du FIDA, “Developing countries make use of $US200 million initiative to increase food production quickly”, 3 juillet 2008, http://www.ifad.org/media/press/advisory/2008/07.htm
(5) Centre d'information des Nations Unies, “Poor farmers in 48 countries receive UN aid to cope with high food prices”, http://tinyurl.com/3ufark
(6) FAO Salle de presse, “ Au Burkina Faso, la campagne agricole bat son plein ”, 11 juillet 2008, http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2008/1000881/index.html
(7) FAO Initiative on Soaring Food Prices, country information on Haiti, July 2008.
(8) FAO Salle de presse, “Distribution de semences en Mauritanie”, 13 juin 2008, http://tinyurl.com/3l3yb2
(9) Bill & Melinda Gates Foundation, “Emergency grants to help people most affected by global food crisis”, 14 août 2008, http://tinyurl.com/FG-2008-08-14
(10) ICRC news release no. 08/106, “Côte d’Ivoire: Seed and fertilizer for 21,000 farmers”, 20 June 2008, http://tinyurl.com/4rx9zf
(11) Communiqué de presse de l' ICRC N° 08/95, “Guinée-Bissau : Semences et vivres pour les populations rurales du nord-ouest”, 5 juin 2008, http://tinyurl.com/ICRC-2008-06-05
(12) ICRC operational update, “Soudan : faire face aux besoins humanitaires au Darfour et à Abyei”, 8 avril 2008, http://tinyurl.com/ICRC-2008-04-08
(13) Ed Beavan, “African food crisis is part of a ‘silent tsunami’”, Church Times, 22 août 2008, http://tinyurl.com/4p4kn; Tear Fund, “East Africa food crisis”, http://tinyurl.com/4jwzvy


Leçons à tirer de l'expérience de l'aide en semences

Les conséquences de l'aide en semences – qui signifie, essentiellement, la distribution de semences à des zones en crise – fait l'objet d'un sérieux débat au sein des organismes d'aide depuis déjà plusieurs années. Il est souvent arrivé dans le passé que des programmes de développement s'attachent à remplacer ce qu'ils considéraient comme des variétés locales à faible rendement par seulement quelques semences de soi-disant haut rendement sorties des laboratoires. Les organismes d'aide qui distribuent une aide en semences dans des situations d'urgence ont souvent suivi le même exemple. Très peu d'efforts ont été faits pour comprendre l'importance des variétés locales: pourquoi les agriculteurs les avaient choisies et pourquoi ils continuaient à les utiliser. Aujourd'hui cependant, les avantages des variétés locales sont plus largement reconnus. Il a été admis qu'elles peuvent, entre autres, mieux réussir dans des conditions de faible apport en intrants, résister aux stress locaux, fournir d'autres produits (comme la paille pour le fourrage animal) aussi bien que du grain, avoir des rendements stables à moindre risque dans la durée et avoir meilleur goût ou être meilleures pour la cuisine. En d'autres termes, elles sont adaptées à la fois culturellement et agronomiquement.

Le consensus va aussi croissant sur les inconvénients à apporter des semences qui viennent de sources extérieures. Il y a quelques mois, lors d'un atelier sur l'aide en semences qui a rassemblé les principaux acteurs qui y sont impliqués, un rapport a été présenté soulignant les critiques qui sont faites depuis des années4:

Apporter des semences de l'extérieur n'est souvent pas nécessaire, car les semences restent souvent disponibles dans les systèmes de semences locaux, même en période de crise;

•  La distribution directe de semences n'est pas très efficace, car les agriculteurs préfèrent en général leurs propres sources de semences;

•  Si elle se répète, l'aide en semences peut entraîner de la dépendance, détruire les systèmes de semences locaux, et éroder la diversité des semences locales.

Il y a quelques temps, ce changement d'optique a amené une modification de politique en Afghanistan où un code de conduite relatif aux semences pour les opérations de secours a été adopté par plusieurs des principales organisations d'aide. Il impose que les semences soient fournies localement, que toute fourniture de semences en urgence n'altère pas les systèmes locaux de semences, et que les semences soient adaptées à l'environnement local.5 Il n'y a pas de raison de douter que les petites organisations ou les ONG indépendantes actuellement engagées dans des projets d'aide en semences adoptent cette approche. Cela peut être une toute autre histoire cependant pour les plus grosses organisations de secours, en particulier celles qui sont payées pour se charger du travail pour les gouvernements.

Les responsables de la FAO ont assuré GRAIN que les projets d'aide en semences qu'ils ont monté en réponse à l'actuelle crise alimentaire mondiale visent à rechercher des semences locales dans les marchés et auprès des fournisseurs locaux, et qu'ils évitent les hybrides et les OGM. Mais les communiqués de presse émanant de cette même FAO font passer un message bien différent et plus effrayant. Ils parlent de « camions chargés de plus de 500 tonnes de semences » quittant la capitale mauritanienne pour la campagne6 et de « 600 tonnes de semences de variétés améliorées distribuées aux agriculteurs pauvres du Burkina . »7 A tout le moins, il y a une divergence entre le discours officiel et ce qui se passe sur le terrain dans certaines zones. Et à plus long terme, la situation sera plus inquiétante. Avec les milliards de dollars balancés aux organisations humanitaires pour qu'elles fournissent en urgence des semences et des engrais aux agriculteurs au nom de la crise alimentaire, avec la FAO qui demande la « fourniture d'intrants à une bien plus large échelle », et avec des messages en provenance des dirigeants du monde entier et des institutions financières disant qu'il est temps de mettre les nouvelles technologies à disposition des petits agriculteurs pour augmenter leur production, il semble que les systèmes locaux de semences des agriculteurs soient vraiment menacés dans de nombreux endroits dans le monde.

Inquiétudes pour la souveraineté sur les semences au Bénin (1)

Le Bénin dépense 7 millions de dollars US en subventions pour fournir des semences améliorées en urgence aux agriculteurs selon Jinukun, un réseau de la société civile composé d'organisations paysannes, de chercheurs indépendants, d'ONG et de militants. Le programme déployé par le gouvernement s'appelle le PUASA (Programme d'urgence d'appui à la sécurité alimentaire). Il a pour objectif d'aider 1850 agriculteurs à produire 48 000 tonnes de céréales (21 000 tonnes de riz et 26 250 tonnes de maïs) sur 15 000 hectares du Nord au Sud du pays. Les semences de maïs distribuées aux agriculteurs proviennent de variétés hybrides comme les variétés DMR, Congo S, QPM Faaba TZPB-SR et les semences de riz sont les variétés de NERICA 1, 2, 3, 4, 5 et 6, IITA 128, WARB 32 et des variétés de ce type. Il n'y a pas de soutien pour la multiplication et la distribution des variétés locales ou traditionnelles, ni pour le matériel de reproduction des agriculteurs, seulement pour ces variétés dites "améliorées" qui sortent de quelques laboratoires de recherche.

Les groupes locaux comme Jinukun n'ont jusqu'à présent pas trouvé de preuve que des semences GM seraient distribuées sous couvert de l'actuelle crise alimentaire, mais ils continuent à surveiller cela de près. En attendant, on peut se poser des questions concernant les livraisons de riz en provenance des Etats Unis et du Japon, car elles pourraient contenir des OGM. De plus, la population s'inquiète de la décision annoncée le 18 juillet 2008 par le gouvernement du Burkina Faso, juste au nord du Bénin, permettant officiellement la production et la commercialisation de deux variétés de coton Bt appartenant à Monsanto et brevetées par la firme. Les autorités burkinabaises ont assigné 15 000 hectares de terres à la multiplication des semences du coton Bt de Monsanto pour la prochaine saison de culture. Ces semences pourraient facilement traverser la frontière et se répandre au Bénin, malgré la récente reconduite du moratoire – unique dans la région - du Bénin sur les OGM.

Même si les groupes locaux comprennent le besoin urgent de monter des programmes pour faire face à l'actuelle crise sur les marchés alimentaires, la véritable urgence, disent-ils, est que le Bénin regagne sa souveraineté alimentaire, en particulier pour le riz, pour lequel le Bénin est dépendant à 90% des importations. Cela demande de mettre en place de nouvelles politiques agricoles qui soutiennent une agriculture développant la biodiversité, tiennent compte de l'héritage de la population, et garantissent des prix convenables pour les millions de petits producteurs du Bénin.

Source: Tiré d'une présentation de René Ségbenou à la conférence publique du Jinukun: "L'actuelle crise alimentaire va-t-elle ouvrir la porte aux OGM au Bénin et en Afrique?", qui s'est tenue à Cotonou le 10 juin 2008.

Distribution au secteur privé

Tout ceci a lieu dans le contexte de la récente transformation radicale de la manière avec laquelle l'agriculture est organisée et soutenue. Il y a vingt ans, l'aide en semences aurait largement reposé sur le secteur public: les semences seraient provenues de la sélection des plantes, de la production et des systèmes de distribution publiques, en général fournies gratuitement, et les agriculteurs bénéficiaires auraient eu la possibilité de les conserver à partir de leurs cultures et de les partager avec leurs voisins. Mais depuis, le secteur public a été divisé, fermé et privatisé. Aujourd'hui, une poignée de multinationales de l'industrie des pesticides contrôle plus de la moitié du marché mondial des semences, et leur contrôle s'étend par le biais d'un réseau de fournisseurs privés et de plus petites entreprises de semences nationales avec des connections politiques. Les semences représentent désormais un marché lucratif important.

Ces organismes internationaux qui réclament toujours un mandat "public", comme l'Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et le Groupe consultatif pour une recherche agricole internationale (GCRAI), sont de plus en plus des coalitions public-privé avec des liens directs avec les multinationales. Leurs programmes de recherche alimentent les stratégies de croissance des compagnies et elles adoptent de plus en plus des éléments des modèles d'entreprise de ces mêmes compagnies. C'est pourquoi tout discours sur les semences aujourd'hui, s'il ne porte pas spécifiquement sur les semences locales ou fermières, implique les semences privées, semences que les agriculteurs ont à acheter et qui sont fournies avec des restrictions strictes sur leur utilisation.

Au niveau national, où la dynamique de l'aide en semences se traduit par de nouveaux programmes gouvernementaux, le lien entre les réponses officielles à la crise alimentaire et le programme de l'agrobusiness est évident. Par exemple, les initiatives pour accroître la production alimentaire au Bénin et aux Philippines en réponse à la crise alimentaire mondiale ne sont rien moins que des mécanismes de subvention pour les compagnies de semences et d'engrais (voir encadrés.) L'Indonésie aussi mise sur les semences hybrides du secteur privé pour résoudre ses besoins en riz à long terme. Malgré les années d'échec du riz hybride dans le pays et le fait qu'aucune étude crédible ne confirme les affirmations concernant des rendements plus élevés, le gouvernement subventionne l'importation et la vente de semences de riz hybride, et utilise même les programmes de ses écoles d'agriculture au champ pour en faire la promotion. Les quelques gros hommes d'affaire locaux et les compagnies étrangères qui contrôlent le marché des semences de riz hybride dans le pays sont les seuls pour lesquels les profits sont garantis.8

Au Sénégal, le Président Abdoulaye Wade a lancé sa "Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance", ou GOANA, en réponse à l'actuelle crise alimentaire. Elle a pour objectif de rendre le pays autosuffisant en alimentation d'ici 2015, principalement en accroissant la production de denrées alimentaires de base et d'aliments pour les animaux. Sur les 792 millions de dollars US que le gouvernement dit vouloir mettre dans le projet, 443 serviront à subventionner l'achat d'engrais, 120 à subventionner l'achat de semences et 30 à l'achat de pesticides. Les compagnies qui participeront à la production et à la distribution de ces intrants, dont beaucoup sont étrangères, seront les premières à profiter ce de dispositif, étant donné en particulier l'excellent investissement et les dérégulations fiscales qui accompagnent le GOANA.9 La principale organisation d'agriculteurs du Sénégal, le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR), qui n'a pas été consultée concernant l'Offensive, déclare que les agriculteurs courront le risque de ne pas pouvoir rembourser les crédits pour l'achat des intrants, même avec les subventions, car le projet n'a rien fait pour traiter les problèmes structuraux qui existent depuis longtemps et qui empêchent les agriculteurs d'obtenir un prix équitable pour leurs produits sur le marché.10

Au Mali, la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) déclare qu'elle aussi a été exclue de l'élaboration de la réponse du gouvernement à la crise alimentaire mondiale, l'Initiative-Riz (à l'origine surnommée "Opération commando riz", qui a pour objectif de doubler la production de riz en quelques années. Comme au Sénégal voisin, l'Initiative-Riz du Mali se focalise sur la subvention des semences dites de haut rendement et sur les engrais, et la CNOP s'élève contre cette initiative en disant que cela va canaliser tous les profits vers les poches des fournisseurs d'intrants.11 Dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest, l'accent est mis sur la production et la distribution rapide des semences de riz Nerica™, développé par le GCRAI et non sur les variétés des agriculteurs.

En Afrique, les programmes nationaux de lutte contre la crise alimentaire sont conçus pour une diffusion de nouvelles semences et de produits phytosanitaires aux agriculteurs, ce qui concorde parfaitement avec la stratégie de l'AGRA et du GCRAI pour le continent. Ces groupes se sont placés au centre du dispositif et se présentent comme des sauveurs ayant la bonne solution pour accroître la production alimentaire. Dans les coulisses du sommet de la FAO sur la crise alimentaire, un accord a été signé entre l'AGRA et tous les organismes s'occupant d'alimentation installés à Rome, dans lequel l'AGRA aura un rôle central dans le développement et la promotion des nouvelles semences et dans l'établissement d'un secteur de commercialisation des semences en Afrique.12 Une semaine après, l'AGRA a signé un autre accord, cette fois avec l'entreprise du Défi du Millénaire du gouvernement des Etats Unis, pour « fournir les agriculteurs africains en technologies, infrastructures et financements . »13 Dans le même style, FARM, une initiative de plusieurs millions d'euros de la Présidence française et de certaines entreprises françaises, comprenant le géant de la semence Vilmorin et la chaîne mondiale de supermarchés Casino, a lancé des projets au Burkina Faso et au Mali qui visent à contrer les effets de la crise alimentaire en aidant les organisations d'agriculteurs à financer l'achat d'engrais et de semences.14 FARM est en particulier mandaté pour aider les pays pauvres à avoir accès aux "avantages" de la technologie agricole européenne, comme les semences.15

FIELDS - l'or pour le secteur privé aux Philippines

La principale réponse du gouvernement des Philippines à la crise alimentaire est un programme d'autosuffisance en riz appelé "FIELDS" (acronyme anglais pour "engrais, irrigation, éducation et formation des agriculteurs, prêts, séchoirs et autres services d'après-récolte, et semences de variétés hybrides de haut-rendement".) Il s'agit de fournir plusieurs prêts et subventions aux agriculteurs afin d'augmenter la production totale de paddy à 19,8 millions de tonnes d'ici 2010. Près de 44 PHP (1 million de dollars US) ont été affectés au programme, dont une grosse partie va être consacrée à la production et la distribution de semences subventionnées et certifiées de riz hybride pour les agriculteurs. La provenance du financement est toujours en débat. Le gouvernement veut que le programme récupère les taxes à la valeur ajoutée et les royalties prélevées sur l'utilisation de l'énergie, alors que les transporteurs et les mouvements de la société civile réclament que le gouvernement abandonne complètement la TVA sur le fuel, qui est déjà extrêmement cher.

Les semences promues par ce programme sont une combinaison de quelques semences hybrides développées dans le secteur public et de plusieurs développées dans le secteur privé. Parmi les compagnies semencières qui fourniront les semences, on trouve SL Agritech, une firme philippine qui a déjà mis la main sur la majeure partie du marché des semences de riz hybride avec les précédents programmes du gouvernement sur le riz hybride. L'entreprise allemande Bayer est un autre des acteurs principaux. Plusieurs groupes sont très en colère contre l'ensemble de ce programme aux Philippines.

Selon leConseil des Agriculteurs, un réseau national de groupes d'agriculteurs, le projet qui est proposé de subventionner les semences « reviendra tout simplement à subventionner les grosses entreprises de semences comme SL-Agritech, Bayer et Monsanto. » Au début de l'année, le Conseil des agriculteurs a estimé que SL-Agritech pouvait avoir déjà empoché quelques 208 millions de PHP (4,3 millions de dollars US) avec la promotion que le gouvernement fait pour les semences subventionnées de riz hybride. « Les interventions de FIELDS vont en fait rendre le programme sur le riz dépendant des compagnies privées sans qu'elles aient à rendre de comptes à la population », a déclaré le responsable du Conseil des agriculteurs et militant paysan bien-connu Jaime Tadeo.

« Nous nous inquiétons de cette évolution », renchérit Wilhelmina Pelegrina de SEARICE, une ONG qui travaille à la conservation et au développement des semences locales avec les communautés rurales aux Philippines. « Apporter une contribution en subventions pour le riz hybride n'est pas une façon durable de parvenir à l'autosuffisance en riz et de traiter la crise alimentaire », dit-elle.

Centro Saka, un groupe de recherche paysan sur les politiques agricoles, enrage parce que le programme du FIELDS va « simplement perpétuer les stratégies erronées qui ont transformé les Philippines en plus gros importateur de riz du monde », donnant en exemple les faibles performances du programme actuel du gouvernement sur le riz hybride et les problèmes de corruption qui lui nuisent.

Cependant le gouvernement est contraint à donner plus de contrôle aux compagnies de semences. Lors d'un récent atelier national sur le riz hybride, l'administration Arroyo a dit clairement que son objectif était que le secteur privé soit chargé de la commercialisation du riz hybride d'ici 2010. Cette opinion est partagée par la marque du nouveau Consortium de recherche et développement du riz hybride (Hybrid Rice Research and Development Consortium) que l'Institut international de recherche sur le riz (IRRI), un institut du GCRAI installé aux Philippines, coordonne. Le Consortium ne donne pas seulement aux compagnies privées un accès privilégié aux ressources génétiques détenues par le secteur public mais aussi les droits exclusifs de commercialiser les lignées de riz hybride développées par des programmes de recherche publics. Dès que la crise alimentaire a éclaté aux Philippines, et que les prix du riz qui se sont envolés, le Ministère de l'Agriculture a signé un accord de coopération avec l'IRRI pour renforcer la recherche, la production et l'utilisation de nouvelles variétés de riz à haut rendement pour le programme du FIELDS. Cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques sur la souveraineté alimentaire locale.

Quand le développement agricole devient un développement de l'agrobusiness

Pour bien comprendre comment les efforts actuels qui sont fait au sommet pour fournir des semences aux paysans déroulent un tapis rouge à l'entrée des milieux d'affaires de l'agrobusiness dans les pays en développement et qu'ils empochent les bénéfices, il n'y a qu'à examiner le changement du paysage des activités des entreprises dans le système alimentaire. La montée des produits agricoles de base a déclenché une ruée correspondante des milieux d'affaire pour prendre un plus grand contrôle sur l'ensemble de la chaîne alimentaire. Les multinationales de l'alimentation et les détaillants s'engagent plus profondément dans la production alimentaire, en particulier par des contrats agricoles, afin de réduire les coûts et de garantir l'approvisionnement. Inquiets des conséquences à long terme des prix élevés des produits alimentaires sur la sécurité alimentaire de leurs pays, les gouvernements de pays disposant de liquidités comme la Chine ou l'Arabie saoudite travaillent main dans la main avec leurs milieux d'affaires locaux et des instruments d'investissements récemment créés pour externaliser la production alimentaire. Et les capitaux spéculatifs concentrés dans les centres mondiaux de la finance, chancelant sous l'impact de la situation critique du crédit, se tournent vers les matières premières agricoles et les terres cultivées qui représentent des opportunités de retours sur investissement rapides. Tout ceci signifie que le contrôle de l'agriculture est en train d'échapper très rapidement aux agriculteurs pour entrer dans les conseils d'administration. Et les membres des conseils d'administration des entreprises de l'agrobusiness ont des priorités très différentes de celles des agriculteurs: ils veulent le contrôle sur un approvisionnement en semences uniforme pour produire des cultures qui alimentent les marchés mondiaux des produits agricoles de base; ils ne s'intéressent pas aux semences locales ni à la préservation des systèmes alimentaires favorisant la biodiversité.

Deux des plus grosses entreprises alimentaires d'Asie, Sime Darby en Malaisie et Charoen Pokphand en Thaïlande, s'occupent désormais de production de riz dans le cadre des réponses apportées par leur pays à la crise alimentaire mondiale. Ils commencent leurs programmes avec la production et la commercialisation de leurs propres semences de riz hybride, développées avec le soutien du secteur public.16 De la même manière, les investissements extérieurs chinois dans la production de riz, que ce soit au Laos ou au Cameroun, concernent invariablement des variétés chinoises de riz hybride, qui ont souvent été testées et introduites par des accords d'aide bilatéraux.17 L'Afrique sub-saharienne a soudainement beaucoup attiré les milieux de l'agrobusiness (voir encadré 3). Mais près de 90% des semences utilisées en Afrique sont des variétés locales fournies par les agriculteurs, et qui ne conviennent pas à l'agrobusiness. Les investissements des entreprises s'organisent par conséquent autour de l'introduction et la diffusion des variétés qui conviennent aux besoins des entreprises – comme cela s'est passé pour le soja Roundup ready qui a ouvert la voie à la colonisation rapide du cône sud de l'Amérique latine par l'agrobusiness. Or, les systèmes alimentaires locaux reposent sur le contraire: la diversité. C'est pourquoi les semences et les programmes d'aide en semences qui émergent aujourd'hui de la situation de crise alimentaire sont au cœur d'une bataille fondamentale entre deux modèles de production alimentaire contradictoires: un système alimentaire industriel mondialisé contrôlé par les entreprises et l'autre qui, par tout un ensemble de pratiques diversifiées, veut maintenir, développer et étendre la souveraineté alimentaire. Au vu des signes apparents, en particulier au niveau national, il semble que la majeure partie de l'aide en semences retombe du côté de l'agrobusiness.

Tous les yeux sont tournés vers l'Afrique

Avec la récente envolée des prix des produits agricoles de base et la situation critique du crédit, l'agriculture africaine est soudainement devenue une cible majeure pour les fonds d'investissement à la recherche de retours rapides. Des accords privés sont négociés à travers les gouvernements. Le gouvernement chinois et les gouvernements des Etats du Golfe riches en pétrodollars facilitent activement la diffusion non seulement des prêts du secteur public mais aussi d'importants apports de nouveaux capitaux privés dans l'agriculture africaine. Les entrepreneurs chinois montent différentes affaires, de la culture du riz au Mozambique à la production de sésame au Sénégal, souvent avec le soutien de l'état pour la phase préliminaire. De la même manière, les Etats du Golfe cherchent à diversifier et investir leurs revenus tirés du pétrole dans la production agricole en Afrique, Asie et Amérique latine.

De même, en synchronisation parfaite avec la crise alimentaire mondiale, une nouvelle armada de groupes de fonds d'actions privés et de gestion d'actifs se met sur les rangs pour faire de bonnes affaires en Afrique. C'est précisément parce que la grande majorité des agriculteurs du continent sont des petits paysans sans l'infrastructure dont l'agrobusiness industriel a besoin. Des fonds spécialisés, comme Agri-Vie Fund (1) (qui est un nouveau fond d'actions privé de 90 millions de dollars US), Africa Invest (2) (qui promet des retours aux investisseurs de 40%) et Emergent (3) (un fond spéculatif ciblant des retours de 400 % sur une agriculture sans labours), ont été créés cette année pour tirer profit du développement de l'agrobusiness en Afrique. Trois importantes sociétés d'investissement du Golfe viennent de créer AgriCapital, un fond conforme à la charia qui va investir au moins 1 milliard de dollars US du trop-plein de liquidités financières de la région dans les biotechnologies et la production alimentaire à l'étranger, y compris dans le nord et le sud de l'Afrique. (4) La Ratobank néerlandaise a aussi ouvert un nouveau fond de 75 millions de dollars US pour investir dans l'agriculture africaine, pendant que les banques françaises BNP Paribas et Crédit Agricole font de même. Alors que la moitié des actions privées d'Afrique viennent de diverses sources aux Etats Unis, les gouvernements d'Allemagne, du Royaume uni, de Belgique et des Pays Bas s'y mettent aussi avec des dizaines et même des centaines de millions de dollars chacun. (5)

De diverses manières, ces fonds vont travailler avec les gouvernements à renforcer des fermes, à construire des routes et autres infrastructures, pour introduire la technologie (y compris les biotechnologies), pour les relier aux marchés mondiaux et mettre en place des chaînes d'approvisionnement des supermarchés vraiment fonctionnelles – à un prix plus bas qu'ailleurs, d'où les bénéfices potentiels. Comme l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) le déclare, sans beaucoup de subtilité, « La malédiction de cette augmentation des prix alimentaires pourrait en fait devenir une bénédiction si l’agriculture africaine arrivait enfin à devenir rentable. » (6)


1) Julie Bekker, “New private equity fund launched to invest in agribusiness in sub-Saharan Africa”, ITI News, South Africa,13 August 2008. http://tinyurl.com/4nwo3j
2) Voir leur site web http://www.cruim.com/africa/africa-invest-home2
3) David Stevenson, “Buy into Africa”, Investors Chronicle, UK, 15 August 2008. http://tinyurl.com/47qdcb
4) Pratap John, “Gulf banks launch 3 major Islamic investment projects”, Gulf Times, 28 August 2008,http://tinyurl.com/5ywkuh
5) “Escalating food prices lure investors to Africa’s agriculture sector”, Press Trust of India, 3 July 2008,http://tinyurl.com/4s84vu
6) Denise Wolter, "L’augmentation du prix des denrées alimentaires : un bienfait caché pour l’Afrique ?", Repères No. 66, OCDE Centre de développement, Paris, mai 2008. http://www.oecd.org/dataoecd/19/59/40788961.pdf

Polariser les opportunités

Dans les conseils d'administration des ministères de l'agriculture à la Banque mondiale, cette lutte fondamentale pour le contrôle de l'alimentation est masquée par un discours ignorant qui dit : (a)que les agriculteurs n'ont pas de semences – ou pas les "bonnes" semences; (b) que pour fournir les agriculteurs en "bonnes" semences, les gouvernements doivent adopter de meilleures structures de marché, comprenant des systèmes de certification, des règles de biosécurité souples et des régimes de propriété intellectuelle. L'accent qui est sans cesse mis sur la supériorité des "bonnes" semences a un relent quasi-eugéniste: les "bonnes" semences sont des hybrides, des OGM, des variétés certifiées ou améliorées, et toutes sont les "seules" assurées de donner de hauts rendements et sont donc la "seule" manière de sortir de la crise alimentaire actuelle; les "mauvaises" semences – ou semences "imparfaites", comme les appellent les aspirants leaders de l'industrie au Ghana18 – sont les semences des agriculteurs, des semences non certifiées, des variétés paysannes, toutes les semences qui ne sont pas passées par les laboratoires de recherche et n'ont pas reçu le cachet du gouvernement les autorisant. En fin de compte, la réponse à la crise alimentaire mondiale qui dit que « nous avons besoin d'accroître la production! » entraîne le monde loin du débat politique de fond qu'il est urgent d'avoir concernant le gâchis dans lequel nous sommes et comment nous en sommes arrivés là. Il conduit à des réponses réflexes, comme quand les plus grandes puissances du monde versent des millions de dollars dans la distribution de nouvelles semences "améliorées" à des centaines de millions de petits agriculteurs. Ces réponses permettent au capital privé, y compris à des investissements purement spéculatifs, de prendre le pouvoir sur ce qu'on avait l'habitude d'appeler le développement agricole et de le transformer en simple développement de l'agrobusiness. Il est d'ors et déjà tout à fait clair que, à moins que cette invasion ne soit stoppée, les bénéficiaires supposés – les petits agriculteurs – n'en soient en fait les victimes.


1 Voir "Crise alimentaire, le commerce de la faim", GRAIN, A contre-courant, mai 2008 http://www.grain.org/articles/?id=41

2 BBC News, “UN warns on biofuel crop reliance”, 18 juillet 2008, http://tinyurl.com/3qrujx

3 FAO Salle de presse, “L’Initiative contre la flambée des prix alimentaires couvre 54 pays pour l’instant”, 9 juillet 2008, http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2008/1000877/index.html

4 Louise Sperling, David Cooper and Tom Remington, “Moving towards more effective seed aid”, Journal of Development Studies, Vol. 44, 2008, http://tinyurl.com/4gl5rx

Voir aussi Louise Sperling, “When disaster strikes: A guide to assessing seed system security”, Centro Internacional de Agricultura Tropical, Catholic Relief Services and US Agency for International Development, August 2008, 64 pp, http://tinyurl.com/45qoht

5 FAO sale de presse, “Code de conduite sur les semences pour l'Afghanistan”, 30 mai 2002, http://www.fao.org/french/newsroom/news/2002/5280-fr.html

6 FAO sale de presse, “Distribution de semences en Mauritanie”, 13 juin 2008, http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2008/1000865/index.html

7 FAO Salle de presse, “Au Burkina Faso, la campagne agricole bat son plein”, 11 juillet 2008, http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2008/1000881/index.html

8 GRAIN, “The food crisis and the hybrid rice surge,” 12 mai 2008, grain.org/hybridrice/?lid=202; Biotani et GRAIN, “Indonesia: more hype than hope on hybrid rice”, 26 octobre 2007, grain.org/hybridrice/?lid=196

9 Cinq guides destinés à ceux qui investissent dans le GOANA ont été publiés par le Ministère de l'agriculture et APIX SA. Ces cinq guides sont disponibles en français (avec un résume en espagnol fait par l'Ambassade d'Espagne) http://tinyurl.com/3ttewu; Pour faciliter l'entrée des investissements privés, le gouvernement sénégalais a institué des suspensions spéciales de taxes, des dispenses de droits de douane et de TVA et la suppression des contrôles sur le change.

10 CNCR, “Déclaration sur la GOANA et le Programme Agricole 2008/2009”, Dakar, 30 mai 2008, http://tinyurl.com/3s7ojo

11 CNOP, “Forum des riziculteurs sur l’Initiative Riz”, juin 2008, http://tinyurl.com/47fmfa

12 FAO Salle de presse, “Accroître la production alimentaire dans les greniers à blé de l'Afrique”, http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2008/1000855/index.html

13 AGRA, “Lancement d’une collaboration historique pour offrir aux exploitants africains des technologies, une infrastructure et un financement”, http://www.agra-alliance.org/section/fr/pr061108

14 La Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde, http://www.fondation-farm.org/

15 La Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde. Voir http://tinyurl.com/4rzu5l

16 GRAIN, “Malaysia: Nestlé, Sime Darby lead corporate push into padi”, 1er février 2008, grain.org/hybridrice/?lid=198; Kamol Sukin, “Farmers add hybrid grains to their list of fears,” The Nation, 20 juin 2008, http://tinyurl.com/538mfk

17 GRAIN, “The food crisis and the hybrid rice surge,” 12 mai 2008, grain.org/hybridrice/?lid=202

18 Ghana News Agency, “Seed producers worry about poor use of improved seeds”, 21 août 2008, http://tinyurl.com/4ubz73


La crise alimentaire en chiffres

Le 18 septembre 2008, l'Organisation des nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a annoncé que cette année l'envolée des prix des produits alimentaires au niveau mondial avait accru le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde qui s'élève à plus de 1 milliard. Voici quelques statistiques qui mettent la crise alimentaire mondiale actuelle en perspective. Gardez à l'esprit que ces chiffres sont de 2007, quand les prix des produits alimentaires mondiaux avaient augmenté de 24%. Les choses sont bien plus dures en 2008, la FAO établissant que les prix des produits alimentaires ont explosé avec 52% d'augmentation depuis le début de l'année, alors que les entreprises de l'agrobusiness annoncent de jour en jour de nouveaux profits en hausse dépassant les chiffres records de ces dernières années. En 2000, les leaders mondiaux se sont engagés à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde, soit à 400 millions. C'était l'un des objectifs centraux des Objectifs de développement du Millénaire. Aujourd'hui, cet engagement est devenu bien embarrassant.

Augmentation des profits des trois plus grosses compagnies d'engrais du monde (Potash Corp, Mosaic, Yara) en 2007:
+139% (profits totaux pour 2007 = 2,9 milliards de dollars US)

Augmentation des profits des trois plus grosses compagnies céréalières du monde (Cargill, ADM, Bunge) en 2007:
+103% (profits totaux pour 2007 = 5,3 milliards de dollars US)

Augmentation des profits des trois plus grosses compagnies de semences et de pesticides du monde (Monsanto, Syngenta, DuPont) en 2007:
+91% (profits totaux pour 2007 = 3 milliards de dollars US)

Augmentation du nombre de personne en-dessous du seuil de famine en 2007:
+10% (augmentation de 75 millions pour atteindre les 923 millions)

Montant des fonds destinés à l'agriculture estimés par la FAO sur une base annuelle pour résoudre la crise alimentaire actuelle:
30 milliards de dollars US

Montant des fonds alloués par le gouvernement des Etats-Unis, payés par les contribuables, pour se porter garant du système bancaire des Etats-Unis en 2008:
1,015 milliards de dollars US (au 22 septembre 2008).

 

Author: GRAIN
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