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En l'honneur de Meriem

by Bob Brac de la Perrière et al. | 14 Apr 2022
Meriem Louanchi : Parcours d’une enseignante-chercheuse militante africaine

par Bob Brac de la Perrière, Coordinateur de 1999 à 2020 de l’association BEDE -Biodiversité échanges et diffusion d’expériences, [email protected]:

Meriem Louanchi nous a quittés le 19 avril 2021 à l’âge de 55 ans. C’était une amie. Nous habitions le même quartier à Alger, nos familles se connaissaient.

La première fois que j’ai retrouvé Meriem Louanchi dans un cadre professionnel et associatif, c’est au Cameroun en novembre 1999. Cette rencontre sera le point de départ de nombreuses actions que nous avons menées en collaboration. Je rappelle ci-dessous certaines étapes de son parcours militant quand il a croisé celui qui nous animait dans l'association BEDE.

Mbalmayo, une rencontre fondatrice du réseau africain

Nous étions au tout début des cultures commerciales de plantes OGM. Le débat de fond sur la dissémination massive des nouvelles variétés de plantes n’avait pas encore percé en Afrique francophone. Dans le reste du monde commençait l’ébullition des esprits : des secteurs toujours plus larges de la société (consommateurs, écologistes, agriculteurs…) prenant peu à peu conscience des impacts négatifs des plantes transgéniques pour la santé et l’environnement, associés à l’exorbitant droit des brevets promu par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) accordé aux producteurs de semences OGM.

Avec un collectif d’organisations, nous venions de créer quelques mois auparavant en France la plateforme d’information citoyenne : Inf’OGM. En Afrique, sous couvert de l’Organisation de l’Union Africaine (OUA), une initiative remarquable d’experts anglophones élaborait le cadre législatif d’une position commune pour tous les états africains contre le brevet du vivant et pour des règles fortes de biosécurité. Des organisations internationales comme GRAIN alertaient sur les agissements des multinationales et des lobbies européens pour torpiller l’initiative de l’OUA et imposer aux pays africains la convention UPOV favorable aux semenciers industriels, seule alternative aux brevets.

J’avais suggéré l’organisation d’un atelier panafricain pour croiser l’expertise des Africains anglophones avec celle des francophones : le Cameroun, pays bilingue, était le pays approprié pour abriter cette rencontre. C’est pour cela que, soutenus par la Fondation FPH, accueillis par le Réseau Agriculture paysanne et modernisation en Afrique (APM), nous avons pu amorcer un processus de travail entre société civile et institutions de recherche africaines sur l’impact des OGM et des droits de propriété intellectuelle sur les agricultures paysannes du continent.

Meriem était invitée comme scientifique algérienne et experte en biotechnologie végétale. Jeune maître-assistante à l’Institut National Agronomique (INA) d’Alger, à 33 ans elle était encore l’une des rares spécialistes dans le domaine. Elle exerçait son métier dans les conditions difficiles et dangereuses de la décennie noire du terrorisme. Elle était heureuse de cette invitation et a été très active dans les débats tout le long de la rencontre. Sur les nombreux points d’action qui avaient été décidés à la fin des échanges, Meriem s’était engagée à en suivre plusieurs : notamment l’introduction auprès de l’agence africaine de biotechnologie dont le siège était à Alger, d’une proposition pour qu’elle abrite un groupe de travail sur la mise en place d’une stratégie africaine de biotechnologie consistante et en conformité avec les réalités sociales et économiques des systèmes agraires du continent ; l’installation d’un réseau panafricain de veille et de vigilance sur les OGM et les droits de propriété intellectuelle; et de demander aux États de mettre en place une législation nationale sur la biosécurité en associant les organisations paysannes et les ONG.

Son intervention de Mbalmayo qui traitait des aspects scientifiques des organismes génétiquement modifiés et des questions posées par leur application en agriculture allie la rigueur intellectuelle de la biologiste avec une analyse politique mesurant les enjeux pour les pays africains. Elle conclut son propos en disant « il est temps d’assoir une stratégie en matière de biotechnologie, permettant de favoriser la formation et l’éducation des générations dans un contexte plus large de la conservation de la nature et de réfléchir aux applications rationnelles de ces méthodes pour le développement durable de nos pays. »

En quelques mots, elle trace l’essentiel de ce qui va orienter son action pendant les vingt années qui vont suivre dans un engagement remarquable d’enseignante, de chercheuse, de militante pour les droits des communautés agricoles des pays africains.

C’est à Mbalmayo que Meriem va aussi tisser les premiers liens avec des personnalités qui deviendront des compagnes de route. Tout d’abord, Jeanne Zoundjihékpon. Généticienne des plantes béninoise qui vivait alors à Abidjan, Jeanne avait été écartée des postes académiques à cause de l’ivoirisation des personnels et avait accepté un poste de chargée de mission au WWF en Côte d’Ivoire, où elle suivait la mise en œuvre de la Convention sur la diversité biologique, dont elle deviendra une experte reconnue. Jeanne et son mari, René Segbénou, regagneront quelques années plus tard le Bénin où ils fonderont à Cotonou, un institut de formation privé, puis une ONG, Jinukun, très active dans la lutte contre les OGM et par la suite dans la promotion de l’agroécologie. A partir de 2007, Jinukun organisera un cours régional pour l'Afrique francophone sur « Les fondements holistiques pour l’évaluation et la régulation du Génie Génétique et des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) en Afrique ». Après quelques années, Jinukun a orienté les formations sur l’agroécologie, dans une approche de recherche – action en impliquant à toutes les étapes les principaux acteurs, capables d’opter pour une autre agriculture. Meriem interviendra régulièrement chaque année pendant presque 10 ans dans ce cours régional. Elle en revenait nourrie par les échanges avec une diversité d’experts engagés venant d’Afrique mais aussi du monde entier.

C’est aussi à Mbalmayo que Meriem rencontre Renée Vellvé de l'équipe de GRAIN. Cette petite ONG internationale d’une dizaine de salariés est déjà très reconnue pour ses analyses critiques des politiques internationales pour l’agriculture et l’alimentation, défendant l’entretien de la biodiversité cultivée sous le contrôle des communautés paysannes dans les pays du Sud. L’équipe de GRAIN a été honorée du prix Nobel alternatif - Right Livelyhood Award - en 2011 pour son travail remarquable de dénonciation de l’accaparement massif des terres cultivées à travers le monde. GRAIN proposera à Meriem de rejoindre son Conseil (Board) en 2007. Meriem y restera pendant 6 ans, acquérant une expérience du fonctionnement d’une organisation internationale dans la promotion de la souveraineté alimentaire.

C’est toujours à Mbalmayo qu’ensemble nous avons décidé de faire venir à Alger l’infatigable expert de l’OUA, Johnson A. Ekperé. Ce scientifique nigérian portait la coordination de projet d’une loi modèle pour toute l’Afrique comme un système sui generis pour le continent, qui devrait être reconnu par l’OMC. La législation modèle africaine ne reconnait aucune forme de brevetage sur les formes vivantes, et exige la reconnaissance des droits des agriculteurs de continuer leurs pratiques traditionnelles incluant le droit de sauvegarder, échanger et vendre les semences récoltées. Pour que les pays francophones africains adhèrent à cette loi modèle, il était important que le texte soit revu et approprié par des experts francophones. Ce que nous proposions c’était d’organiser cet atelier à Alger pendant le semestre suivant (janvier-juin 2000) période pendant laquelle l’Algérie assurait la présidence de l’OUA. Cet atelier a été rendu possible grâce à Meriem qui à travers son réseau de connaissances a pu obtenir du secrétariat de la présidence d’Algérie les moyens pour accueillir cet atelier dès l’année suivante à Alger.

Promouvoir la biosécurité comme scientifique et citoyenne

En 1999, Meriem a décidé de rejoindre l’Association de réflexion d’échange et d’action pour l’environnement et le développement (AREA-ED) pour y apporter son expertise sur les questions de biosécurité dans la société. L’AREA-ED avait été créée en Algérie au début de la décennie noire (1992-1993) par un réseau d’étudiants et d’enseignants et certains de ses membres exilés en France ont aidé à créer l’association BEDE (1994). Les actions communes des deux associations s’étaient davantage mobilisées les premières années sur l’échange de documentation et des projets de recyclage des eaux usées. BEDE commençait à réfléchir à un cycle de cours itinérants sur les enjeux des plantes transgéniques en Afrique.

En janvier 2000, le protocole de Cartagena sur la Biosécurité a été adopté réglementant au niveau international le transfert, le conditionnement et l’utilisation des organismes génétiquement modifiés. Meriem pensait que l’Algérie devait exercer son droit souverain de réglementer les OGM et les produits issus d’OGM au niveau national. Cela impliquait que le pays mette en œuvre des lois et réglementations de biosécurité et se donne les moyens de contrôler, de tracer et d’évaluer les OGM importés. La loi modèle de Union Africaine sur la biosécurité en matière de biotechnologie était pour elle le cadre qu’il fallait investir. En Algérie, un arrêté du Ministère de l’agriculture promulgué en décembre 2000 avait interdit l’importation, la distribution, la commercialisation et l’utilisation du matériel végétal génétiquement modifié en appliquant le principe de précaution. Pour Meriem, la mise en œuvre de cet arrêté obligeait à la traçabilité et l’étiquetage rigoureux des OGM, ce qui présentait de nombreuses contraintes techniques, législatives et économiques que le pays devait surmonter.

Meriem va s’investir dans l’AREA-ED pour mieux s’impliquer dans les réseaux d’échanges à l’échelle nationale, et continentale sur la biosécurité, à la fois comme scientifique et citoyenne. Elle s’engagea au niveau institutionnel sur le développement du cadre national de biosécurité en Algérie à travers le comité national de coordination du projet MATE-PNUE/FEM, tout en renforçant les capacités de son laboratoire de phytopathologie et de biologie moléculaire. Elle souhaitait assurer la traçabilité des OGM importés en Algérie et chercha des collaborations avec le réseau des laboratoires de référence européens. Parallèlement elle se formait aux projets de sensibilisation de la société civile au processus de biosécurité en participant à différents ateliers en Éthiopie (2001) et au Sénégal (2003), avant de dynamiser en Algérie un espace de formation et de débat citoyen unique au Maghreb.

C’est ainsi que son laboratoire de phytopathologie et de biologie moléculaire de l’INA, en collaboration avec l’AREA-ED, présidé par Mounir Bencharif, a pu organiser un premier atelier de formation à Alger en décembre 2003 avec le soutien de la coopération technique allemande GTZ sur la « participation du public à la biosécurité : information et traçabilité ». Regroupant une trentaine de personnes, enseignants, chercheurs et membres de la société civile algérienne.

Cet atelier sera suivi de trois autres ateliers internationaux co-organisés avec BEDE. Le premier aura lieu en décembre 2004 à Ghardaïa, accueilli par l’association pour la protection de l’environnement de Béni-Isguen APEB. La thématique portait sur l’impact des OGM sur les agricultures paysannes et la participation du public dans le processus de biosécurité et la protection des ressources génétiques. Un large panel d’acteurs du secteur agricole algérien était invité (organisations paysannes, apiculteurs, techniciens des institutions agricoles, ingénieurs et chercheurs) ainsi que du milieu associatif algérien (femmes rurales, protection de l’environnement), et tunisien (ADD). Du côté international, les contributions étaient allemande, avec Hartmut Meyer qui suivait le protocole de Cartagena pour la GTZ, et italienne avec Luca Colombo qui dirigeait l’ONG Conseil des droits génétiques, et Antonio Onorati, président de l’ONG Crocevia très influente à Rome pour défendre la souveraineté alimentaire dans les agences des nations unies, notamment la FAO. A noter le témoignage à cet atelier d’ Ibrahim Coulibaly, président de la Coordination nationale des organisations paysannes (CNOP) du Mali, organisation déjà très mobilisée dans l’organisation de l’opposition massive des paysans africains contre les OGM.

Moins d’un an plus tard, en avril 2005, en second atelier international fut de nouveau co-organisé par l’AREA-ED et BEDE en Algérie (Tipaza) sous la responsabilité de Meriem. Intitulé « Options pour la mise en place de cadres réglementaires de contrôle des OGM et de protection des ressources génétiques », il avait pour but de réunir une expertise internationale pour aider à bâtir une proposition de loi cohérente, soutenir la législation modèle de OUA et préparer les bases d’une initiative régionale. Pour animer cette réflexion collective d’une trentaine de cadres associatifs et institutionnels, avait été invités la juriste militante sud-africaine Meriem Mayet de l’African center of biodiversity (ACB), Antonio Onorati de Crocevia, Maryam Ramanian de l’ONG iranienne CENESTA, Guy Kastler, coordinateur du Réseau semences paysannes français, et Christophe Noisette, directeur d’Infogm. Toutes ces personnes resteront des amis et croiseront la route de Meriem au cours des années qui suivront.

Un quatrième et dernier atelier a eu lieu à Alger en 2016 pour ouvrir les débats au niveau de la région du Maghreb. Les cadres réglementaires nationaux sur les semences et les plantes du Maroc, de la Tunisie et de l’Algérie ont été passés en revue et comparés aux réglementations mises en place dans les pays du Nord et dans ceux du Sud. Les associations maghrébines présentes à cette réunion ont insisté sur le fait que les États devaient rester souverains en ce qui concerne leurs ressources génétiques. Des recommandations à l’adresse des pouvoirs publics ont été émises pour maintenir les moratoires contre l’introduction des OGM. En outre, l’atelier a recommandé que la traçabilité des produits soit clairement établie en imposant l’étiquetage et la responsabilité totale de l’importateur en cas de dommage. Meriem, une nouvelle fois, a insisté dans ces recommandations pour que les pays maghrébins disposent de leur propres laboratoires d’expertise.

L’AREA-ED a publié les comptes rendus de ces ateliers et Meriem avait pris soin de coordonner leur édition pour en faire des contributions rigoureuses à la réflexion de la société algérienne sur les enjeux de la biosécurité des cultures des semences OGM.

En juin 2006 Meriem nous a rejoint au Cun du Larzac pour l’assemblée générale de BEDE. Sensibilisés par l’expérience du Board international de GRAIN, nous testions la possibilité d’ouvrir le conseil d’administration à un panel de collaborateurs internationaux, et nous avions invité Meriem à rejoindre le CA. Cette expérience ne pourra être prolongée faute de capacité financière de BEDE.

Cependant Meriem me succèdera l’année suivante comme référente pour l’Afrique francophone dans le Board de GRAIN. Nous resterons en lien régulièrement sur le suivi des actions internationales de nos organisations.

A partir de 2013, après avoir assumé plusieurs responsabilités au sein du Bureau d’AREA-ED, Meriem eut la charge de la présidence de l’ONG. Depuis quelques temps elle avait volontairement diminué ses voyages internationaux pour se consacrer à ses activités d’enseignante-chercheuse à l’École nationale supérieure d’agronomie d’Alger, encadrant toujours plus d’étudiants en master et en thèse ; et surtout pour consacrer davantage de temps à l’éducation de ses deux filles : Anna, née en 2002, et Lisa, née en 2003.

Réorienter la recherche avec et pour les paysans

Nous allons retravailler ensemble de manière plus régulière à partir de 2017, suite à un évènement tragique provoqué par la chute d’un ami grimpeur de palmier. En effet, ces dernières années, AREA-ED et BEDE s’étaient investies dans des projets de soutien aux organisations paysannes en Algérie sur des territoires distincts. AREA-ED était plus mobilisée dans les parcs nationaux de montagne et, de son côté, BEDE était engagée depuis plusieurs années avec les phœniciculteurs de la wilaya de Ghardaïa sur la sécurisation des grimpeurs de palmiers dattiers par la conceptualisation d’un harnais spécialisé. Cependant des évènements politiques majeurs qui se sont produits au Mzab en 2015 ont empêché les échanges sur les dernières mises au point du prototype de harnais. La chute mortelle de Mustapha Cherifi, très actif dans Tazdaït, nous obligea à trouver rapidement des solutions au sort des paysans sans terre des oasis sans aucun statut reconnu qui risquent leur vie et l’avenir de leurs familles dans la culture du dattier. Cela concerne en Algérie entre 50. 000 et 100.000 personnes. Meriem fut facilement convaincue qu’il fallait mobiliser large, au niveau national, sur la cause des grimpeurs. Avec le soutien de Salah Chouaki, à ce moment-là directeur adjoint de l’INRAA, l’AREA-ED s’est impliquée avec BEDE dans l’organisation d’une rencontre multi-acteurs sur le statut juridique des grimpeurs qui a eu lieu à Touggourt en avril 2017. Les recommandations de la rencontre portaient sur la professionnalisation des travailleurs du palmier et furent fondatrices d’un programme soutenu par l’Union européenne qui mobilisera BEDE et AREA-ED pendant trois ans (projet PGP, Professionnalisation des grimpeurs de palmiers 2018-2020). Parmi les différentes actions, nous suivions ensemble avec Meriem, celles plus spécifiques relatives aux nouveaux cadres de collaboration entre agriculteurs et chercheurs. Comment des recherches-actions sur le palmier pouvaient-elles mieux répondre aux besoins de terrain ? Meriem a su une nouvelle fois convaincre la direction de son institut, l’ENSA, d’accueillir des échanges d’un type nouveau en Algérie impliquant réellement les cultivateurs afin de définir les recherches à partir de leurs priorités. Plusieurs axes prioritaires ont été choisis par les agriculteurs au cours de ces ateliers, ce qui a permis d’élaborer concrètement avec l’aide de son ami Hocine Irekti, chercheur de l’INRAA et membre de l’AREA-ED, quatre projets de recherche à impact socio-économiques. Meriem s’était impliquée plus particulièrement sur un projet portant sur le développement de luttes biologiques et de pratiques agroécologiques pour le contrôle du Boufaroua, acarien principal ravageur identifié actuellement par les cultivateurs de palmier dattier.

Durant les derniers mois de sa vie, alors qu’elle était très affaiblie par la maladie, Meriem a continué à échanger sur les projets de recherche en cours. Sa tête a toujours fonctionné juste. Et bien. Elle me manque, comme amie, et elle nous manque, comme militante, active, avisée et responsable.

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Contributions collectés dans les réseaux

Par Mariam Mayet, Directrice de African Center for Biodiversity (Afrique du Sud):
Meriem Louanchi est morte jeune, dans la force de l'âge, en tant que mère, amie et militante. Je l'aimais, l'admirais et la respectais profondément, non seulement en raison des points communs que nous avions dans notre vision du monde et nos valeurs politiques, dans le cadre de notre militantisme commun sur le continent africain pour protéger les droits des paysans et s'opposer à l'assaut des OGM, mais aussi parce qu'elle était une personne merveilleuse et une grande humanitaire.

Elle et moi avons partagé un lien spécial qui s'est enflammé lorsque je me suis rendue à Alger en 2005 et que j'ai participé à une conférence internationale qu'elle avait si habilement organisée. Avec Antonio Onarati et Maryam Rahmaniam, nous avons séjourné chez elle et avons eu le plaisir de rencontrer ses jeunes filles de l'époque. Elle était une hôtesse gracieuse et généreuse ; nous avons eu de longues conversations et nous avons beaucoup ri.
Nous avons maintenu nos liens au fil des ans, en nous rencontrant lors de réunions internationales, la dernière en date en novembre 2019, lorsqu'elle a assisté à une réunion africaine sur les nouvelles technologies de sélection que le Centre africain pour la biodiversité a organisée. Meriem est venue avec de nombreux cadeaux pour moi car elle était une âme généreuse et nous avons eu le plaisir de profiter à nouveau de la compagnie l’une de l'autre. J'ai été profondément attristée par sa maladie et son décès. Nous sommes de tout cœur avec ses jeunes filles et son mari, Rashid, à qui nous présentons une fois de plus nos plus sincères condoléances. Qu'elle repose dans la paix éternelle. Les derniers mots que Meriem m'a adressés, par l'intermédiaire de sa fille, étaient de continuer la lutte.

Aluta Continua Meriem, que ton esprit de combat vive longtemps en chacun de nous.

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Par Mounir Bencharif, Coordinateur de l’ Association de réflexion d’étude et d’action pour l’environnement et le développement (AREA-ED, Algérie):
Meriem n’est plus là. Dur de le croire, de l’accepter. On savait que sa maladie était compliquée mais nous croyons fortement, nous comme elle, que sa vitalité, son enthousiasme et son courage lui donneraient la force de combattre et de triompher du mal.

Meriem a rejoint notre équipe au début des années 2000. Elle venait de terminer ses études à Paris pour se consacrer à ce noble métier d’enseignante chercheure à l’Institut national d’agronomie, dans un domaine très nouveau en Algérie, la biotechnologie. Un métier qu’elle chérissait avant tout et pour lequel elle a beaucoup donné, participant à la formation de plusieurs dizaines d’étudiants. Elle peut en être fière car beaucoup sont aujourd’hui de brillants cadres dans divers domaines.

A l’AREA-ED elle se chargera du dossier de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. Et dirigera, de 2003 à 2006, le projet « Participation de la société civile au protocole de biosécurité », qui lui a permis de sensibiliser et de former des dizaines d’étudiants, de cadres, de personnel d’association, de journalistes, etc. sur les enjeux de la souveraineté alimentaire et des OGM. Elle sera la spécialiste reconnue et appréciée que ce soit en Algérie ou au-delà des frontières.

Meriem a toujours vu son action dans AREA-ED comme un prolongement de sa profession d’enseignante chercheure. Dans ce sens, Meriem est une chercheure citoyenne, qui n’a ménagé aucun effort pour démocratiser les questions liées à la souveraineté alimentaire et à prodiguer ses connaissances et son savoir au-delà des campus universitaires et de nos frontières. Elle contribuera ainsi aux formations organisées par son amie Jeanne Zoundjihekpon (ONG GRAIN) au Bénin et à la mise en place du réseau maghrébin de développement local.

Elle aimait se projeter dans de nouveaux défis dont le dernier en date concernait la conservation et l’amélioration des semences paysannes. Ces derniers mois, elle avait commencé à mettre en place sa collection de semences locales. Elle n’hésitait pas à chacune de mes visites à me faire découvrir fièrement sa précieuse collection et à m’entretenir de ses projets de multiplication et d’amélioration des semences locales et de création d’une ferme école pour diffuser le savoir et la connaissance. On réfléchissait ensemble au montage à faire pour donner naissance à ces projets ambitieux. A peine quelques semaines avant son décès elle préparait, avec ses homologues en Algérie et d’autres universités européennes un nouveau projet de recherche-action en collaboration avec des paysans qui portait notamment sur la diversité génétique des variétés cultivées locales.

Depuis 2013, après avoir assumé plusieurs responsabilités au sein du Bureau d’AREA-ED, Meriem présidait aux destinés de l’AREA-ED, alors que moi-même étais en charge de la préparation et de la mise en œuvre du programme d’action. Les rôles que nous occupions chacun nous ont amenés à une franche collaboration qui parfois, face à la pression de nos responsabilités pouvait être tendus. Mais les divergences professionnelles qui pouvaient naitre n’ont jamais pu déteindre sur notre relation. Bien au contraire, ces tensions nous ont permis de mieux nous connaitre et nous apprécier et ont renforcé l’amitié profonde qui nous rapprochait. Elle assumait son rôle de Présidente avec le tact nécessaire. Son appui indéfectible m’a été précieux et nous a permis de réaliser et de réussir tant de belles choses.

De Meriem je garderais aussi la grande générosité qui se dégageait de sa personne. Meriem est une alchimiste de l’amour, elle savait tisser les liens et faire éclore les amitiés. Elle m’a permis de connaitre et d’apprécier les membres de sa famille : ses filles Anna et Lisa, son mari Rachid, sa sœur Ferial et ses frères Mourad et Farid. Nous avons partagé des moments forts et uniques. En ces moments douloureux, c’est vers eux que vont mes pensées.

Repose en paix Meriem.

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Meriem et René nous ont quittés
par Christophe NOISETTE de Inf'OGM:

Une épidémie plus sournoise que la Covid fait rage depuis quelques temps déjà… et emporte avec elle nos amis, nos proches. Le cancer, ou plutôt les cancers, font des ravages importants… Récemment, au mois de mai, deux partenaires d’Inf’OGM sont partis : Meriem Louanchi et René Segbedou.

Deux personnes admirables, qui se sont battues respectivement en Algérie et au Bénin, mais plus largement encore, internationalement, pour protéger la biodiversité.

Chercheurs indépendants, ils ont su argumenter auprès des autorités et porter la voix des paysans et des citoyens… et ont ainsi tous deux été les artisans d’un moratoire sur les OGM dans leur pays respectif.

Inf’OGM a co-organisé avec eux des ateliers d’information sur les OGM à plusieurs reprises, notamment à Cotonou en 2002 et dans plusieurs villes d’Algérie lors de la tournée OGM.dz qui alliait théâtre, expositions pédagogiques et conférences.

Au-delà des OGM, et de cette collaboration, ce sont des personnes que j’ai appréciées, pour leur joie, leur finesse, leur énergie.

Je pense à leur famille, à Rachid et à Jeanne, à leurs filles tout particulièrement.

Toute l’association Inf’OGM partage cette tristesse et à nous tous, ils nous manqueront.


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Adieu à Meriem Louanchi
par GRAIN:
C’est le cœur bien lourd, à peine une semaine après avoir dit au-revoir à notre camarade René Segbènou, que GRAIN fait ses adieux à une autre amie et camarade très chère, Meriem Louanchi. Meriem était une agronome algérienne qui a consacré sa vie à lutter pour les droits des paysans et la souveraineté alimentaire. Elle travaillait dans la recherche publique mais était très impliquée parallèlement avec des organisations paysannes, des groupes de femmes, des ONG et d’autres défenseurs de la justice, de l’autonomisation des peuples et de l’amélioration des systèmes alimentaires.

Nous avons rencontré Meriem pour la première fois en 1999 à Mbalmayo, au Cameroun, lors d’un atelier organisé pour les leaders des mouvements ruraux africains sur les technologies génétiques et les lois de propriété intellectuelles alors émergentes. Cette rencontre a marqué pour de nombreux activistes le point de départ de toute une série de collaborations durant les décennies suivantes.

Capable de démêler les problèmes les plus complexes par étapes et adepte de l’analyse critique, Meriem a fait preuve d’un engagement inébranlable en faveur de l’autonomisation des peuples. Elle est devenue une personne ressource qu’on retrouvait régulièrement à l’occasion des formations, ateliers et réunions stratégiques visant à aider les gens à devenir des acteurs à part entière quand il s’agit de décider la direction à prendre pour l’agriculture et les systèmes alimentaires et les moyens d’y parvenir. Une manière efficace de renforcer les capacités pour que les gens puissent faire entendre leur voix dans les débats sur les politiques publiques. Elle a travaillé avec des ONG et des chercheurs pour élaborer des lois-types progressistes sur la biosécurité et les ressources génétiques pour l’Organisation de l’Unité africaine. Elle a fait partie du Conseil d’administration de GRAIN de 2007 à 2013 et a travaillé avec nous sur de nombreux projets de recherche et des publications, comme ce rapport approfondi que nous avons réalisé sur la sécurité sanitaire des aliments. Elle nous a poussés aussi à combler le fossé entre l’Afrique du Nord et le reste de l’Afrique et a accompagné de nombreuses coalitions partenaires à travers le continent.

Merci, Meriem, pour ton courage, ton grand cœur, ton amitié, ton esprit remarquable et ton refus de te laisser faire. Tu nous as inspirés, tu nous as ouvert l’esprit et tu nous as aidés à devenir plus pertinents et plus forts dans notre travail.


Photos : BEDE
Author: Bob Brac de la Perrière et al.