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Les géants de l’alimentation en Afrique : La santé des populations en danger

by AFSA & GRAIN | 21 Sep 2021

Près de 33 millions de ménages sur le continent africain pratiquent une agriculture paysanne. Les petits exploitants fournissent depuis longtemps aux Africains des aliments sûrs et sains et font de l'alimentation africaine l'une des plus saines de la planète.1 La situation est cependant en train de changer. Les sociétés multinationales tentent énergiquement de s'emparer des systèmes alimentaires en Afrique (et dans le monde) par le dumping de produits agricoles bon marché et de mauvaise qualité (tels que le lait écrémé en poudre et les brisures de riz) et par la promotion de produits hautement transformés (ou ultra-transformés) qui sont à l'origine de l'augmentation du diabète et d'autres problèmes de santé liés à l'alimentation.2

Paradoxalement, ces grandes entreprises vantent souvent la plus grande sécurité de ces aliments par rapport aux aliments locaux, qui sont décrits comme non hygiéniques. En réalité, cependant, l'industrialisation des aliments en Afrique augmente les risques d'incidents dangereux et parfois mortels en matière de sécurité sanitaire alimentaire.

En revanche, les pratiques de culture agroécologiques traditionnelles et les systèmes alimentaires locaux africains ont fourni et peuvent continuer à fournir aux populations une abondance d'aliments sains et nutritifs.

Zoom sur les chaînes alimentaires toxiques

Les partisans de l'agriculture et de la production industrielles soutiennent que ce modèle est la « solution magique » qui permettra de lutter contre l'insécurité alimentaire et la pauvreté sur le continent africain.

Cependant, la production alimentaire industrielle ne tient aucun compte des valeurs de santé et de nutrition, y compris des normes connues et appréciées. Il existe de nombreuses affaires dans lesquelles des produits périmés ou contaminés se sont retrouvés sur le marché et ont entraîné des maladies. Et même parfois des décès.

La carte ci-dessous présente quelques exemples récents de scandales de sécurité sanitaire alimentaire en Afrique et montre les dangers que la production alimentaire industrielle et l'éviction des aliments locaux représentent pour la santé des populations. Ces cas permettent de révéler comment les aliments industriels génèrent de nouveaux risques (avec les OGM par exemple), augmentent le potentiel de contamination transfrontalière et exposent les consommateurs à des actions frauduleuses qui nuisent à la sécurité sanitaire des aliments.

En 2018, par exemple, une entreprise sud-africaine – Enterprise Foods – a rappelé tous ses produits carnés transformés présents dans les rayons des supermarchés, après qu'il a été établi que des viandes contaminées provenant de son usine de Polokwane avaient causé ce qui a été présenté comme la pire épidémie de listériose au monde. En un an seulement, 218 personnes ont perdu la vie et 1 065 sont tombées malades à cause de ces produits carnés. Comme ce rappel n'a eu lieu qu'à l'intérieur des frontières de l'Afrique du Sud, on ne connaîtra jamais les effets sur les personnes vivant dans d'autres pays africains où ces produits ont été livrés.

Les bébés ont également été touchés par cette production alimentaire industrielle axée sur le profit. En 2017, le groupe français Lactalis a rappelé 12 millions de boîtes de lait infantile après qu'il a été déterminé que l'une de ses usines en France était à l'origine d'une épidémie de salmonellose à Salmonella Agona. Bien que les autorités soient intervenues pour suspendre l'exportation de ces produits, le produit avait malheureusement déjà été expédié et distribué dans 30 pays africains.

Vous pouvez télécharger une version PDF à plus haute résolution ici. Réalisation : Mabel M. Valenzuela


Ce n'est un secret pour personne que la production alimentaire industrielle fait passer le profit et la quantité avant la qualité et la santé. Mais de nombreux groupes travaillent de façon proactive au rétablissement de systèmes alimentaires qui ne sont pas seulement sains, mais qui respectent également la diversité, le contexte, la célébration et la culture du continent. L'un de ces groupes est Nous sommes la solution, basé en Casamance, au Sénégal.


Nous sommes la solution - Entretien avec Mariama Sonko

« Nos ancêtres utilisaient des épices naturelles pour le bouillon, et avec ces épices naturelles, ils étaient en bonne santé et vivaient longtemps. Pourquoi utilisons-nous maintenant des bouillons qui nous rendent malades ? » Face à l'augmentation du diabète et d'autres problèmes de santé liés aux cubes de bouillon industriel, Mariama et d'autres femmes de sa communauté en Casamance, au Sénégal, ont décidé d'agir. Elles ont créé Nous sommes la solution. « Nous avons compris que nous devions offrir une alternative aux gens. Pour cela, nous avons pensé qu'il nous fallait revenir à nos épices traditionnelles, celles que nos ancêtres utilisaient pour relever le goût. Nous avons donc créé Nous sommes la solution et nous avons commencé à expérimenter », raconte Mariama. Les membres ont consulté des nutritionnistes pour s'assurer que leurs bouillons étaient équilibrés sur le plan nutritionnel, puis elles ont mélangé les bonnes épices pour que le goût se rapproche de celui du bouillon industriel auquel elles s'étaient habituées. Jusqu'à présent, Nous sommes la solution a créé deux types de bouillons : un pour les recettes de crevettes et un autre appelé « très bon » dans la langue locale Layola.

« Nos bouillons ne permettent pas seulement d'améliorer la santé de la communauté, ils aident également les femmes à disposer de revenus un peu plus importants. Ce sont ces femmes qui amènent le bouillon sur les marchés et font le travail pour récolter et conserver les plantes traditionnelles que nous utilisons. » Ce projet soutient également la biodiversité, puisque l'un des principaux ingrédients provient d'un arbre local qui apporte plusieurs bienfaits pour la santé. Cet arbre était sur le point de disparaître, mais maintenant, grâce au bouillon, les communautés collaborent pour aider à sa conservation. Ce système alimentaire local profite désormais à toute la population.

Mariama Sonko

Mais aussi positive que soit leur contribution à la communauté, l'avenir est incertain pour Nous sommes la solution. Une série de procédures administratives nationales, de réglementations et de normes adaptées à l'agro-industrie empêche leur reconnaissance légale et leur certification.

D'autres initiatives communautaires à travers l'Afrique (et le monde) qui s'opposent aux filières alimentaires industrielles sont également confrontées à des difficultés similaires. Quand les États ne refusent pas activement leur soutien pour assurer la viabilité des projets de ce type, ils multiplient les obstacles tout en prêtant main-forte aux entreprises agro-industrielles. C'est un prix élevé à payer, non seulement en termes de santé publique, mais aussi pour la protection de l'environnement et le bien-être collectif.

Les données recueillies à travers tout le continent montrent que le système alimentaire industriel ne se préoccupe pas de la santé et de la nutrition des populations africaines. Tant que l'industrie dispose d'un marché pour ses produits et maximise ses profits, tout le reste a tendance à passer à la trappe. En revanche, l'agroécologie et la souveraineté alimentaire visent avant tout à garantir la santé et la nutrition dans tout le réseau de production, de transformation et de commercialisation des aliments – non seulement pour les individus, mais pour les communautés et l'environnement.


1 « Dietary quality among men and women in 187 countries in 1990 and 2010: a systematic assessment », Fumiaki Imamura et al., The Lancet, mars 2015 : https://doi.org/10.1016/S2214-109X(14)70381-X
2 Andrew Jacobs et Matt Richetl, « How Big Business Got Brazil Hooked on Junk Food », NY Times, 16 septembre 2017 : https://www.nytimes.com/interactive/2017/09/16/health/brazil-obesity-nestle.html
Author: AFSA & GRAIN
Links in this article:
  • [1] https://grain.org/system/attachments/sources/000/006/603/original/FSAfinalFRok-1.pdf
  • [2] https://doi.org/10.1016/S2214-109X(14)70381-X
  • [3] https://www.nytimes.com/interactive/2017/09/16/health/brazil-obesity-nestle.html