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Les investisseurs de l’huile de palme industrielle peinent à s’implanter en Afrique

by Ashoka Mukpo | 25 Sep 2019
Graine de palmier à huile : des éléments indiquent que les promesses de bénéfices des monocultures ne sont qu’un mirage pour la plupart des personnes affectées par l’expansion des plantations. Photo: Carsten Ten Brink/Flickr (CC-ND 2.0)

La source: https://fr.mongabay.com/2019/09/les-investisseurs-de-lhuile-de-palme-industrielle-peinent-a-simplanter-en-afrique/

  • Ces dix dernières années, vingt-sept concessions agricoles destinées aux plantations de palmiers à huile en Afrique occidentale et centrale ont fait faillite ou ont été abandonnées.
  • Sur les 49 plantations restantes, moins de 20 % des terres allouées à la production ont été réellement exploitées.
  • Sime Darby, géant malaisien de l’industrie de l’huile de palme, a récemment exprimé son intention de se retirer du Libéria après plusieurs années de conflits avec les communautés locales et les organisations environnementales.
Il s’agissait d’un « nouvel horizon» pour le marché de l’huile de palme. Des « rapports commerciaux mutuellement bénéfiques » desquels sortiraient gagnants d’une part les états africains en difficulté et, d’autre part, les multinationales bientôt à court de terres exploitables en Asie du Sud-est. Plusieurs dirigeants de sociétés productrices d’huile de palme ont déclaré que « le temps était venu pour le continent africain ». D’autres ont mentionné un retour aux origines africaines de ce business lucratif et, pendant un certain temps, tout le monde voulait sa place sur ce nouveau marché.

Mais d’après un nouveau rapport issu du travail collectif d’organisations locales et internationales engagées aux côtés des communautés(1), le retour au pays de l’industrie de l’huile de palme ne s’est pas fait tout en douceur, contrairement aux prévisions des investisseurs. Des années de résistance acharnée de la part des communautés qui habitent sur les territoires destinés aux plantations ont entrainé la faillite ou l’abandon d’au moins 29 nouvelles exploitations. Sur les 49 exploitations restantes en Afrique occidentale et centrale, moins de 20% des 2,74 millions d’hectares de terres destinées à la production se sont vus être réellement exploités.

« La plupart des grands industriels de l’huile de palme n’avaient aucune expérience en Afrique » a déclaré Devlin Kuyek, l’un des auteurs de ce rapport. « C’est un environnement différent de celui auquel ils sont habitués ».

Depuis des décennies, les plantations industrielles de palmiers à huile représentent un moteur important de l’économie – et de la déforestation – malaisiennes et indonésiennes. Mais après des années d’expansion, les producteurs sont bientôt à court de terres exploitables. À la fin des années 2000 et au début des années 2010, plusieurs gouvernements africains se sont empressés de leur proposer leurs régions boisées afin de subvenir aux besoins des industriels. Surnommé « la grande ruée vers l’Afrique », ce phénomène a vu les plus grandes multinationales de l’huile de palme conclure des accords commerciaux aux quatre coins du continent. Nombre de ces accords étaient démesurés : au Libéria par exemple, des contrats de concession, conclus entre deux entreprises uniquement, couvraient presque 600 000 hectares.

Les investisseurs ont promis aux gouvernements africains les rentrées d’argents dont ils ont désespérément besoin, ainsi que de nombreux autres avantages à l’échelle locale tels que des emplois, des services de santé, des logements pour les employés et bien d’autres services. Les opposants à ces exploitations ont dénoncé cette vague d’investissement comme étant une « mainmise sur les terres » et souligné que les plantations de palmiers à huile à grande échelle représentent une menace envers les espèces en voie de disparition de la région, notamment envers les primates.

Dix ans plus tard, le rapport collaboratif révèle que, suite à ces contestations, nombre de ces accords commerciaux se sont effondrés ou n’ont jamais pris forme. Une partie des investisseurs a cédé ses terres à des entreprises dans l’incapacité de développer leurs propres plantations, alors qu’ils auraient espéré vendre leurs concessions à des producteurs plus importants et mieux implantés.

Mais d’après le rapport, le facteur clé de cet échec est l’opposition des communautés locales affectées par les projets de plantations industrielles.
Quelques unes des entreprises productrices souhaitant s’implanter en Afrique disposaient, elles, d’une solution à un problème fondamental, à savoir les dizaines de milliers de personnes qui habitent sur les terres qu’ils ont acquises. Il n’est pas rare que les accords d’exploitation des terres soient négociés dans une confidentialité quasi-totale ; en effet, peu de communautés locales ont été consultées par leur gouvernement avant que leurs terres ne soient proposées aux investisseurs. Puis les bulldozers sont arrivés, et les ennuis ont commencé.

Au Cameroun, les villageois ont organisé des manifestations contre les projets d’expansion de la plantation Herakles, une entreprise cotée à Wall Street, lors desquelles des activistes locaux engagés à leurs côtés se sont vus arrêtés par la police militaire. Suite à ce véritable « nettoyage des terres » organisé par les géants Sime Darby et Golden Veroleum au Libéria, des plaintes ont été déposées par les communautés auprès de la Table Ronde pour l’Huile de Palme durable, un organisme professionnel. En 2015, les personnes habitant sur les terres d’exploitation de Golden Veroleum furent à l’origine d’une émeute lors de laquelle se produisirent des dizaines d’arrestations ainsi que des passages à tabac perpétrés par la police paramilitaire envers les villageois, alors impliqués dans une marche contre une autre plantation des environs.

Bien qu’initialement enjouées à l’idée que les plantations de palmiers à huile soient source de développement et d’emplois, les communautés se tournent maintenant vers des organisations de la société civile pour obtenir de l’aide, à l’heure où se révèlent les réelles conséquences des plantations.

Selon James Otto, chef de projet à l’Institut du Développement durable basé au Libéria, certains investisseurs ont fait de lourdes promesses aux communautés dans le but d’obtenir leurs terres ; celles-ci se sont révélées source de mécontentements lorsqu’elles n’ont pas été respectées. [Note de l’éditeur : l’auteur de cet article a été membre de l’Institut du Développement Durable de 2012 à 2014.]
« Ils ont créé des attentes qu’ils n’ont pas pu satisfaire » explique-t-il, « montrant alors aux communautés que ces exploitations n’étaient pas durables et c’est pour cette raison que les locaux ont décidé d’exiger l’arrêt de l’expansion jusqu’à ce que ces promesses soient tenues. »

Des éléments indiquent que les bénéfices promis ne sont qu’un mirage pour la plupart des personnes affectées par l’expansion des plantations de palmiers à huile. Une évaluation des immenses propriétés de Golden Veroleum dans le sud-est du Libéria a révélé que la plupart des 14 000 personnes qui résident sur le territoire de la concession risquent de se voir interdire l’accès aux terres agricoles et aux forêts qui représentent pour eux une source additionnelle de nourriture, de carburant de matériaux de construction ; et cela en échange d’environ 1 650 emplois destinés aux membres des communautés locales. Tentant de définir la valeur monétaire estimée du profit des industriels, les calculs des consultants démontrent une perte nette de 7,3 millions de dollars par an pour les communautés.

Des études sur les impacts à long terme des plantations en Indonésie confirment ces chiffres. Les chercheurs ont démontré que de nombreuses communautés déjà fortement intégrées aux économies de marchés ont, de manière globale, effectivement tiré avantage de l’expansion des plantations industrielles de palmiers à huile ; toutefois, des communautés dont le mode de vie relève de la subsistance, souffrent d’un déclin en terme de santé, de nutrition et de niveau de vie.
Author: Ashoka Mukpo
Links in this article:
  • [1] https://fr.mongabay.com/2019/09/les-investisseurs-de-lhuile-de-palme-industrielle-peinent-a-simplanter-en-afrique/
  • [2] https://www.businessinsider.com/palm-oil-2013-5
  • [3] http://www.simedarbyplantation.com/media/press-releases/sime-darby-set-roots-liberia
  • [4] https://www.ft.com/content/4f0fd998-e6bf-11e1-965b-00144feab49a
  • [5] https://www.reuters.com/article/uk-palmoil-africa-firms-factbox/factbox-major-and-emerging-palm-oil-players-in-africa-idUKTRE73S27020110429
  • [6] https://www.theatlantic.com/international/archive/2011/04/the-great-african-land-rush/237260/
  • [7] https://theecologist.org/2011/mar/25/palm-oil-giants-target-africa-land-grab-following-indonesia-deforestation-ban
  • [8] https://www.pnas.org/content/115/35/8811
  • [9] https://www.reuters.com/article/us-africa-palm/special-report-africa-palm-oil-plan-pits-activists-vs-n-y-investors-idUSBRE86H09320120718
  • [10] https://rightsandresources.org/en/blog/ced-director-of-an-ngo-opposed-to-the-herakles-farms-project-in-cameroon-arrested-with-3-of-his-colleagues/#.XYOXJy5KiUk
  • [11] https://www.oxfam.org/es/node/1086
  • [12] http://projects.aljazeera.com/2015/10/liberia-palm-oil/
  • [13] https://www.globalwitness.org/en/archive/communities-protest-uks-equatorial-palm-oil-poised-seize-land-liberia/
  • [14] https://www.globalwitness.org/en/press-releases/will-big-plantations-help-liberia-economic-study/%20
  • [15] https://news.mongabay.com/2019/05/most-communities-not-seeing-promised-oil-palm-payoff-in-borneo-study-finds/