Lilabai Virkar en train de traire sa bufflonne à Satara, dans le Maharashtra (Inde), en février 2019. (Photo : Medha Kale, People's Archive of Rural India)
Les 150 millions de petits producteurs laitiers, les coopératives locales et les réseaux de petits vendeurs indiens ont fait du pays le premier producteur mondial de lait et en ont assuré l’autosuffisance. Les quelques multinationales qui dominent l’industrie laitière mondiale ne sont encore que des acteurs marginaux en Inde et seule une infime fraction des produits laitiers est importée dans le pays ou exportée. Toutefois, plusieurs nouveaux accords commerciaux qui répondent aux intérêts des multinationales, tels que le Partenariat économique global régional (RCEP) ou les accords proposés avec l’Europe, risquent de modifier radicalement le paysage et d’éliminer les petits producteurs laitiers indiens. Ce dossier actualisé de GRAIN évalue les enjeux des négociations commerciales en cours pour les producteurs et les vendeurs de produits laitiers indiens, et les consommateurs auxquels ils fournissent ces produits.
« Il faut une génération pour qu’une famille d’agriculteurs mette en place une petite exploitation laitière, mais la signature de l’accord RCEP par le gouvernement entraînera l’arrêt de mort immédiat de ces exploitations et la dévastation du secteur laitier indien. »
– Ajit Nawale, dirigeant de producteurs laitiers et militant du CPIM qui a pris la tête des manifestations au Maharashtra, en Inde, en 2017 et 2018 [1]
« L’Inde reste une énorme opportunité pour [nous], pour le jour où elle deviendra inévitablement importatrice de produits laitiers. »
– Fonterra, premier exportateur mondial de produits laitiers [2]
Le secteur laitier indien est plus vaste et probablement plus important pour son pays que tout autre dans le monde. Aujourd’hui, les 150 millions de producteurs laitiers indiens produisent plus de lait que n’importe quel autre pays (en combinant le lait de toutes les espèces). La grande majorité de ces agriculteurs sont de petits propriétaires terriens qui ne possèdent que deux ou trois vaches ou buffles. Bien que la production moyenne de lait par animal soit très faible (3 litres/animal/jour) par rapport aux pays industrialisés (30 litres/animal/jour), les producteurs laitiers indiens ont néanmoins réussi à garantir à une population indienne en croissance démographique constante l’accès à un aliment nutritif et bon marché. La quantité de lait disponible par habitant en Inde est passée de 130 grammes par jour en 1950 à 374 grammes par jour en 2018, ce qui est nettement supérieur à la moyenne mondiale de 294 grammes par jour.
[3]
Le lait est un élément vital essentiel pour la majeure partie des zones rurales en Inde. Il s’agit du produit agricole numéro un en valeur et il génère 100 milliards USD par an. Et la moitié du lait indien est soit consommé par ses producteurs, soit vendu à des non-producteurs en zone rurale. Le reste est un excédent commercialisable, livré à des coopératives publiques ou à des laiteries privées, ou vendu directement aux ménages. Grâce au vaste réseau indien de coopératives laitières puissantes et de petits vendeurs, une grande partie de l’argent versé par les consommateurs va aux producteurs primaires de lait. En moyenne, les agriculteurs reçoivent plus de 70 % de ce que paient les consommateurs. Pour les producteurs affiliés à une coopérative, dans laquelle les agriculteurs contrôlent une part importante de la production, de la transformation et de la commercialisation, cette part atteint 80 %.
[4]Aujourd’hui, environ 17 millions d’agriculteurs sont rattachés à 186 000 coopératives villageoises en Inde, et plus de 32 000 d’entre elles sont dirigées par des femmes.
[5]
Les produits laitiers constituent une source de revenus particulièrement importante pour les agriculteurs indiens disposant d’un accès limité à la terre. Près du quart des ménages agricoles indiens disposant de très petites exploitations (moins de 0,01 hectare) considèrent le bétail comme leur principale source de revenus.
[6]
En outre, au-delà de l’agriculture, les produits laitiers constituent le moyen de subsistance de millions d’autres personnes en Inde, qui apportent le lait des agriculteurs aux consommateurs ou le transforment en yaourts, fromages et autres aliments destinés à la vente. Ces petits opérateurs, qu’on appelle souvent le « secteur informel », traitent plus de 80 % de la production laitière indienne et commercialisent près de deux fois plus de lait que le secteur privé et les coopératives.
[7]
Encadré 1 : Un scénario similaire dans toute l’Asie du Sud
Le secteur des produits laitiers au Pakistan, au Bangladesh, au Sri Lanka et au Népal est plus ou moins similaire à celui qui existe en Inde et est en grande partie aux mains des petits exploitants et vendeurs. Au Pakistan, cinquième pays producteur de lait au monde, plus de 90 % de la production et de la distribution de lait sont traités par de petits vendeurs du secteur dit informel. Au Bangladesh également, les producteurs laitiers vendent moins de 10 % de la totalité du lait qu’ils produisent aux coopératives laitières et le reste du lait est vendu sur les marchés locaux ou directement aux consommateurs. Les petits exploitants dominent le secteur laitier du Bangladesh, avec plus de 70 % des producteurs laitiers qui n’ont que 1 à 3 vaches et produisent environ 70 à 80 % de la totalité du lait dans le pays. L’élevage de bovins laitiers fournit une réserve de trésorerie essentielle et un revenu monétaire pour de nombreux agriculteurs marginaux et sans terre au Bangladesh. Ce sont aussi les petits producteurs qui dominent le secteur laitier népalais. Cependant, contrairement à ce qui est le cas en Inde, au Bangladesh et au Pakistan, au Népal, le lait de bufflonne est plus important pour le secteur laitier du pays que le lait de vache. Le Sri Lanka n’est pas différent en ce qui concerne la prédominance des petits producteurs laitiers, mais, contrairement à ce qui se passe dans les pays voisins de l’Asie du Sud, le secteur laitier sri-lankais connaît une forte présence de sociétés laitières telles que Nestlé et Fonterra.
La production laitière en Inde et dans toute l’Asie du Sud est bien plus qu’une industrie (voir l’Encadré 1 : Un scénario similaire dans toute l’Asie du Sud). C’est la principale source de revenus de centaines de millions de petits exploitants et d’exploitants marginaux, de paysans et de pasteurs sans terre et de dizaines de millions d’autres personnes qui participent à la collecte, à la transformation et à la vente de produits laitiers, dont beaucoup sont des femmes. Jusqu’à présent, l’activité de ces acteurs du système laitier indien est restée largement hors d’atteinte des puissants géants mondiaux du secteur laitier qui ont détruit la production et la transformation laitière à petite échelle dans d’autres grands pays producteurs de produits laitiers. Ils ont pu rester protégés, en grande partie, grâce aux droits de douane et autres barrières commerciales que le gouvernement indien a érigés et maintenus pour bloquer les importations de produits laitiers bon marché.
Mais l’Inde est un trop gros marché inexploité pour que les géants mondiaux de l’industrie laitière abandonnent la partie. Lentement et patiemment, ils ont commencé à faire des percées dans le secteur laitier indien, tout en travaillant en coulisses avec leurs gouvernements respectifs pour amener l’Inde à signer des accords commerciaux qui ouvriraient en grand les portes à une prise de contrôle par les entreprises. Le secteur laitier indien est à la croisée des chemins, et les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire de centaines de millions de personnes sont en jeu.
Les géants mondiaux de l’industrie laitière attendent à la porte
En raison des obstacles tarifaires et non tarifaires appliqués par l’Inde aux importations de produits laitiers, les sociétés laitières étrangères ne peuvent entrer sur ce marché que par le biais de joint-ventures, de fusions ou d’acquisitions de sociétés laitières locales. Même cela, cependant, n’est devenu possible qu’en 1991, lorsque l’interdiction visant les nouvelles entreprises de transformation privées a été levée. Depuis lors, le nombre et la taille des sociétés laitières privées, souvent soutenues par des sociétés étrangères et des groupes de capital-investissement, ont rapidement augmenté et les sociétés privées détiennent désormais une plus grande part du marché des produits laitiers que les coopératives indiennes établies de longue date
(voir l’Encadré 2 :[8] Les entreprises privées s’installent sur le marché laitier indien). Le Conseil national de développement du secteur laitier (NDDB) indique que les laiteries privées ont construit au cours des 15 dernières années une capacité de transformation aussi importante que celle créée par les coopératives en 30 ans.
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Tableau 1 : Principales entreprises laitières privées en Inde (2019)
Britannia Industries | Britannia, une entreprise de biscuiterie établie de longue date en Inde, qui appartient maintenant au groupe indien Wadia, a récemment lancé un important programme d’investissements visant à développer ses activités laitières. |
Creamline Dairy | Creamline a été acquise par le grand groupe agroalimentaire indien Godrej Agrovet en 2015 et s’est depuis rapidement développée pour devenir l’une des plus grandes entreprises laitières du pays. |
Dodla Dairy | Dodla est active dans le sud de l’Inde où elle est l’un des plus grands collecteurs privés de lait. La société est soutenue par la société de capital-investissement américaine TPG et a reçu un financement de 15 millions USD de la part de la SFI de la Banque mondiale en 2019. |
Groupe Lactalis | La société laitière française Lactalis a commencé son expansion en Inde en 2014 avec le rachat de Tirumala Milk Products, basée à Hyderabad, qui avait reçu un financement de Carlyle Group, une société américaine de capital-investissement. Puis, en 2016, elle a racheté les activités laitières d’Anik Industries, basée à Indore, et en 2019, les activités laitières de Prabhat Dairy, une entreprise fortement soutenue par Rabobank et la SFI de la Banque mondiale, faisant de Lactalis l’un des principaux acteurs de l’industrie laitière en Inde. |
Hatsun Agro | Hatsun est une société indienne basée à Chennai qui a commencé comme fabricant de crème glacée et qui s’est rapidement développée au cours des vingt dernières années pour devenir l’une des plus grandes entreprises laitières privées du pays. Elle produit toute une gamme de produits laitiers. |
Heritage Foods | Heritage est l’un des acteurs privés les plus importants de l’industrie laitière du sud de l’Inde, mais il s’est récemment développé vers le nord avec la construction de nouvelles usines et l’acquisition de Vaman Milk Foods et de l’activité laitière de Reliance Retail. |
ITC Limited | ITC est un conglomérat indien dont les activités vont du tabac à l’hôtellerie. Il a récemment commencé à investir dans les produits laitiers, via une grande usine de transformation à Bihar, et envisage d’ouvrir une autre usine dans le Bengale occidental. |
Kwality Ltd | Kwality est l’un des plus importants fournisseurs de lait du nord de l’Inde, avec six usines de transformation. En 2016, il a reçu un investissement de 75 millions USD de la société de capital-investissement américaine KKR. En 2018, KKR a engagé une procédure de faillite contre Kwality, et plusieurs sociétés étrangères et nationales cherchent maintenant à en prendre le contrôle. |
Nestlé Inde | Le géant alimentaire suisse Nestlé est le plus gros acheteur privé de lait en Inde, avec neuf usines de transformation réparties dans tout le pays. |
Parag Milk Foods | Parag est une nouvelle société basée dans le Maharashtra qui a reçu un financement des fonds souverains de Norvège et d’Abou Dhabi ainsi que de la SFI de la Banque mondiale. Elle possède sa propre ferme laitière de 2 000 vaches, la plus grande de l’Inde, et a pris l’année dernière l’importante décision de racheter l’usine de transformation de Danone à Haryana. |
Paras | Paras est la filiale laitière de l’entreprise alimentaire indienne VRS Foods. |
Schreiber Dynamix | Schreiber Dynamix est une coentreprise de la société laitière américaine Schreiber Food (51 %) et de la société indienne Dynamix Dairies. Elle fabrique des produits laitiers sous contrat pour le compte de grandes entreprises du secteur alimentaire. |
Le remplacement de plus en plus fréquent des coopératives par des entreprises privées parmi les acteurs principaux de l’approvisionnement en lait dans le « secteur formel » a des conséquences majeures pour les agriculteurs. Dans le cadre de la forme coopérative en Inde, la fédération des coopératives au niveau de l’État partage ses bénéfices avec les producteurs de lait à la fin de l’année. Mais les nouveaux acteurs privés ne partagent pas leurs bénéfices avec les producteurs de lait et ne fourniront pas de services supplémentaires comme le font les coopératives. En effet, les acteurs privés ne s’approvisionnent en lait auprès des agriculteurs que lorsque les prix de leurs produits finis, de lait écrémé en poudre (SMP) et de beurre clarifié sont élevés et permettent de réaliser de bons bénéfices.
Au cours des deux dernières années, face à la faiblesse des prix mondiaux des produits laitiers, les entreprises laitières privées ont considérablement réduit leur transformation du lait, ce qui a conduit à une surabondance en Inde. Contrairement aux laiteries privées, qui cessent leurs achats et baissent leurs prix dans ce type de situation, les coopératives veillent aux intérêts de leurs agriculteurs, même s’ils subissent parfois des pertes.
L’arrivée de sociétés laitières étrangères entraîne également une plus grande industrialisation de l’élevage et le gouvernement indien a encouragé cette tendance à travers un plan d’action national pour le secteur laitier, qui incite les grandes sociétés laitières telles que Fonterra, Lactalis et Nestlé à importer des technologies de production et de transformation. Ces technologies ne sont pas adaptées aux besoins et aux pratiques traditionnelles des petits agriculteurs indiens, mais à ceux des exploitations industrielles de grande taille, y compris des mégafermes, qui ont commencé à apparaître en Inde.
[10] Dans ces fermes-usines, des milliers d’animaux, gavés d’antibiotiques et d’hormones, sont soumis à un confinement intérieur pendant toute leur vie, en un seul lieu, avec des conséquences dévastatrices pour l’environnement, le climat, le bien-être des animaux, les économies rurales et les travailleurs, sans parler de la santé publique.
Jusqu’ici, les acteurs privés du secteur laitier indien ont concentré leurs efforts sur les produits à valeur ajoutée tels que le fromage et le yaourt ou les aliments transformés. Les entreprises commercialisent ces produits auprès des consommateurs urbains dans des emballages sophistiqués, en faisant valoir que c’est un choix plus hygiénique que le lait généralement vendu dans des bidons métalliques par de petits vendeurs sur leurs vélos ou leurs motos. Beaucoup visent les consommateurs aisés en leur proposant des boissons probiotiques, des glaces et d’autres produits laitiers coûteux, et plusieurs petites entreprises laitières privées vendent même des laits haut de gamme issus de races de vaches indigènes comme Gir, Sahiwal, Tharparker ou Rathi, qu’ils prétendent fabriquer au moyen d’un processus complètement automatisé, sans manipulation humaine directe de la traite à l’emballage. Mais les produits des grandes entreprises laitières ne sont pas nécessairement plus sûrs (voir l’Encadré 3 : Les géants laitiers et la sécurité alimentaire).
Il est évident que les initiatives actuelles des géants du secteur laitier ne sont qu’un prélude, ou une « préparation du terrain » comme le dit Fonterra, pour le moment où l’Inde leur ouvrira totalement son marché. Les entreprises espèrent que cela sera possible lorsque l’Inde cédera à la pression agressive et constante dans les négociations commerciales visant à libéraliser complètement son marché des produits laitiers.
Encadré 2 : Les entreprises privées s’installent sur le marché laitier indien
Les sociétés de capital-investissement jouent un rôle clé dans la prise de contrôle du secteur laitier indien par les entreprises (voir Tableau 2 : Opérations récentes de capital-investissement dans le secteur laitier indien). L’une des premières transactions de capital-investissement a eu lieu en 2010, lorsque le groupe américain Carlyle a acquis une participation de 22 millions de dollars dans Tirumala Milk Products, une entreprise familiale de produits laitiers située dans le sud de l’Inde. Au cours des trois années qui ont suivi, Tirumala a développé sa chaîne d’approvisionnement en ajoutant plus de 100 refroidisseurs de lait, en portant le nombre d’usines de transformation de cinq à sept et en renforçant sa distribution vers le nord. Le groupe Carlyle a ensuite vendu sa participation en 2014 à la société laitière française Lactalis, le troisième transformateur laitier dans le monde, pour un montant de 250 millions USD, soit plus de 10 fois son prix initial.
Tableau 2 : Opérations récentes de capital-investissement dans le secteur laitier indien
Année | Investisseur (pays) | Cible indienne | Valeur de la transaction (millions USD) |
2019 | Danone Manifesto Ventures (France) | Drums Food International (yaourt Epigamia) | 25 |
2017 | TPG (États-Unis) | Dodla Dairy | 50 |
2016 | Motilal Oswal PE (Inde) | Dairy Classic Ice Creams | 15,84 |
2016 | Verlinvest (Belgique), DSG Consumer (Inde) | Drums Food International | 6,39 |
2016 | KKR (États-Unis) | Kwality Limited | 74,90 |
2015 | TVS Capital (Inde) | Prabhat Dairy Ltd. | 12,22 |
2015 | Eight Roads Ventures (États-Unis) | Milk Mantra Dairy Pvt. Ltd. | 12,63 |
2014 | Westbridge Capital (Maurice) | Hatsun Agro Products Ltd. | 5,18 |
2013 | Capvent AG (Suisse) | Hangyo Ice Cream | 4,79 |
2012 | Cargill Ventures (États-Unis) | Dodla Dairy Ltd. | 15,83 |
Depuis, de nombreuses autres sociétés financières se sont implantées dans le secteur à la recherche de solutions similaires, comme le groupe américain de capital-investissement TPG et l’organisme de crédit agricole néerlandais Rabobank, ainsi que des divisions de capital-risque de multinationales du secteur alimentaire et de l’agroalimentaire comme Danone et Cargill. À de nombreuses reprises, les investissements réalisés par ces sociétés ont été engagés en même temps que ceux de banques de développement, telles que la banque française Proparco ou la Société financière internationale (SFI) de la Banque mondiale.[1]
Au cours des dernières années, la société française Lactalis est devenue l’une des plus grandes entreprises laitières en Inde, juste derrière Nestlé, implantée en Inde depuis les années 1960. Après avoir acquis Tirumala en 2014 et la division produits laitiers d’Anik Industries basée à Indore en 2016, la société française a acquis l’activité laitière de Prabhat Dairy ainsi que sa filiale Sunfresh Agro Industries en 2019.[2] La Prabhat Dairy dispose d’un réseau de plus de 75 000 agriculteurs dans le Maharashtra, qui collecte environ 200 000 litres de lait par jour. L’achat de Prabhat donne à Lactalis deux installations supplémentaires en Inde, ce qui porte le total à 13, et un approvisionnement total de 2,3 millions de litres de lait par jour. Lactalis envisage d’acquérir une autre entreprise dans le nord de l’Inde, afin de prendre une part de marché de 10 % dans chaque catégorie de produits laitiers du pays.
Fonterra, le plus grand exportateur de produits laitiers au monde, s’intéresse également au marché indien, soit par le biais d’un accord commercial préférentiel, soit par le biais de projets de collaboration. En août 2018, Fonterra a lancé une coentreprise appelée Fonterra Future Dairy Partners, détenue à parts égales avec Future Consumer, dirigé par le Groupe Kishore Biyani.[3] Cela permettra l’implantation de Fonterra en Inde et l’aidera à réaliser son programme d’expansion. Comme l’explique Lukas Paravicini, le directeur général de Fonterra, « cela nous permettra de préparer le terrain et de tirer le meilleur parti de notre expertise pour entrer sur le marché le plus vaste et le plus dynamique du monde. »[4]
L’objectif de Fonterra est clair. « L’Inde reste une énorme opportunité pour la coopérative néo-zélandaise, pour le jour où elle deviendra inévitablement importatrice de produits laitiers » dit très clairement Teh-han Chow, qui dirige l’activité ingrédients en Chine, et en Asie du Sud et de l’Est. Il ajoute : « L’Inde est actuellement équilibrée en termes d’offre et de demande. […] Comme elle continue de croître et que la production ne suit pas le rythme, il sera finalement nécessaire d’importer des produits laitiers en Inde. La question est de savoir quand cela arrivera. »[5]
[1] La SFI a investi dans Parag Milk Foods Pvt. Ltd, Dodla Dairy et Prabhat Dairy (aux côtés de Proparco), ainsi que dans le Groupe PRAN au Bangladesh.
Encadré 3 : Les géants laitiers et la sécurité alimentaire
Les géants de l’industrie laitière occidentaux ne sont pas tous purs et irréprochables. Une crise sanitaire publique a éclaté en Chine en août 2008, peu après l’achat par Fonterra de 43 % du capital du groupe Sanlu, l’une des plus grandes entreprises laitières de Chine, et la signature d’un accord de libre-échange entre les deux gouvernements. Des teneurs élevées en mélamine ont été détectées dans les produits Sanlu-Fonterra, notamment dans les préparations pour nourrissons. Plus de 300 000 nourrissons sont tombés malades et six sont décédés des suites de lésions rénales. Les sociétés ont rapidement accusé les agriculteurs qui leur ont vendu du lait contaminé. En fait, « alors que Fonterra conseillait Sanlu sur les tests de qualité, la société néo-zélandaise a déclaré qu’elle n’avait jamais contrôlé les produits de son partenaire et qu’elle n’avait appris cette pratique frauduleuse qu’un mois avant l’incident ».
[1] Fonterra a également été liée à d’autres crises de sécurité sanitaire des aliments.
En France, il est bien connu que Lactalis a poussé des agriculteurs au bord du gouffre, refusé de partager des informations sur ses activités et été accusée d’avoir mal géré les problèmes de sécurité alimentaire. En 2017, une importante épidémie de salmonelle dans l’une de ses usines françaises a rendu malades des dizaines de bébés et l’entreprise a mal géré le rappel, provoquant une angoisse chez les consommateurs de nombreuses régions du monde.
[2]
Les accords commerciaux pourraient faire disparaître les petites laiteries indiennes
Le marché international des produits laitiers est depuis longtemps faussé. Fondamentalement, ce qui se passe, c’est que la production excédentaire fortement subventionnée dans un petit nombre de pays industrialisés est déversée sur le marché international et exportée principalement dans les pays en développement. Ce sont les grandes sociétés laitières basées dans ces pays industrialisés, et non les producteurs laitiers qui les approvisionnent, qui sont les principaux bénéficiaires de ce système (voir l’Encadré 4 : Les temps sont durs pour les producteurs laitiers français).
Encadré 4 : Les temps sont durs pour les producteurs laitiers français
Bien que les producteurs laitiers européens continuent de bénéficier de subventions, ils ne sont toutefois pas en mesure de subvenir à leurs besoins en raison de la surproduction et de la chute du prix des produits laitiers. Par exemple, en France, le coût de production total avant déduction des subventions en 2017 s’élevait à 0,56 USD/kg de lait, les producteurs recevant 0,39 USD. L’aide directe de l’UE, à hauteur de 0,05 USD le kilo, couvre une partie du déficit et le reste est porté en dette.
[1] L’endettement croissant des producteurs laitiers se traduit par un sentiment de désespoir et entraîne actuellement une vague de suicides dans les communautés agricoles. Des centaines de producteurs laitiers en France se suicident chaque année. Les producteurs laitiers ont un taux de suicide supérieur de 50 % à la moyenne nationale française.
[2]
Les pays en développement comme l’Inde ne peuvent protéger leur secteur laitier des ravages de ce marché mondial faussé qu’en instituant des barrières tarifaires et non tarifaires élevées. Sans ces mesures, leurs petites laiteries seraient rapidement éliminées et reprises par des géants mondiaux de l’industrie laitière. Même le Premier ministre indien, Narendra Modi, s’est prononcé contre l’ouverture du pays aux importations en 2013, quand il était Premier ministre du Gujarat, alors que le gouvernement central envisageait à l’époque un accord de libre-échange avec l’Union européenne qui ouvrirait le secteur laitier indien à la concurrence avec les exportations subventionnées de l’UE.
[11]
Aujourd’hui, le secteur laitier indien est protégé par une taxe d’importation de 30 à 60 %. Depuis 2003, l’Inde a également imposé diverses conditions sanitaires et phytosanitaires aux importations de produits laitiers, qui ont essentiellement servi à empêcher les produits laitiers américains d’entrer sur le marché indien.
[12] Cependant, Delhi subit actuellement des pressions pour autoriser les importations si les négociants américains peuvent certifier que leurs produits laitiers sont issus d’animaux qui n’ont pas été nourris avec des extraits de bovins.
[13]
Malgré ces barrières aux importations, les entreprises laitières ont trouvé des failles dans le système et ont importé d’Europe et des États-Unis une quantité croissante de composants laitiers, tels que le lactose et le lactosérum, utilisés dans les aliments transformés. Ces importations peuvent avoir des conséquences importantes sur les laiteries coopératives indiennes et les petits systèmes laitiers. Selon la plus grande coopérative laitière indienne, AMUL, « chaque mois, environ 1 500 tonnes de poudre de lactosérum sont importées dans le pays. En conséquence, nous sommes obligés de vendre notre stock à bas prix, car le lactosérum importé est moins cher », malgré des droits d’importation de 40 %.
[14]
Les laiteries indiennes sont également empêtrées dans une situation de surabondance mondiale de lait écrémé en poudre (SMP), qui a pour effet de faire baisser les prix et angoisse les producteurs laitiers du monde entier. Dans l’État de New York, par exemple, l’un des principaux États américains producteurs de produits laitiers, environ un quart des fermes laitières a été acculé à la faillite au cours de la dernière décennie en raison du faible niveau du prix du lait.
[15] L’Inde dispose également d’un stock croissant de lait écrémé en poudre, en raison de l’augmentation de la production de lait et de la baisse de ses exportations puisque le prix du lait écrémé en poudre est déprimé sur le marché mondial.
[16] Cet excédent national de lait écrémé en poudre a eu une incidence sur les prix du lait pour les agriculteurs et les achats. De nombreuses laiteries ont tout simplement cessé de s’approvisionner en lait de vache auprès des agriculteurs et les prix payés aux agriculteurs ont chuté. À la mi-2018, le prix d’un litre de lait dans le Maharashtra, le deuxième État le plus peuplé d’Inde, était inférieur au prix d’un litre d’eau en bouteille, ce qui a amené les agriculteurs à déverser leur lait sur les routes en signe de protestation.
[17] Le gouvernement indien a tenté de résoudre le problème en subventionnant ses exportations de lait écrémé en poudre et en distribuant gratuitement du lait et des produits laitiers des coopératives laitières aux écoles, aux services de développement de l’enfant et au réseau de chemins de fer.
[18] Pendant ce temps, la baisse des prix du lait a fait sortir les petits agriculteurs du marché, ce qui a permis aux entreprises privées et aux grosses exploitations agricoles de profiter de cette opportunité pour se développer.
Les impacts actuellement ressentis par les petites laiteries et les petits agriculteurs indiens du fait des liens limités avec l’industrie mondiale seront bien pires si le gouvernement indien fait des concessions sur de nouvelles ouvertures de son marché des produits laitiers dans le cadre des nombreux accords commerciaux en cours de négociation. Bien que l’Inde n’ait pas encore signé d’accord de libre-échange (ALE) avec un grand pays producteur de lait, comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie, le Canada, l’UE, l’Association européenne de libre-échange (AELE), les États-Unis ou la Chine, elle a engagé des négociations commerciales avec la totalité d’entre eux. Les pourparlers sur le RCEP sont également en cours.
Produits laitiers par pays
(Les pays en cours de négociation d'ALE avec l'Inde sont mis en évidence et ordonnés par volume)
Principaux producteurs mondiaux de lait : Inde, UE, États-Unis, Chine, Pakistan, Brésil, Russie, Nouvelle-Zélande
Principaux exportateurs mondiaux de lait : UE, Nouvelle-Zélande, États-Unis, Biélorussie, Australie, Arabie saoudite
Principaux exportateurs mondiaux de beurre : Nouvelle-Zélande, UE, Biélorussie, États-Unis, Ukraine
Principaux exportateurs mondiaux de fromage : UE, Nouvelle-Zélande, États-Unis, Biélorussie, Australie, Arabie saoudite
Principaux exportateurs mondiaux de lait écrémé en poudre : UE, États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie, Biélorussie
Principaux exportateurs mondiaux de lait entier en poudre : Nouvelle-Zélande, UE, Uruguay, Mexique, Argentine
Notes sur les données : Ce classement pour 2017 est basé sur les données de la FAO.
Notes sur les ALE : L’Inde a exprimé son intérêt pour un ALE avec les États-Unis. Les discussions avec la Nouvelle-Zélande et l’Australie (RCEP) et la Russie (EAEU) se poursuivent. Les discussions avec l’UE sont sur le point de redémarrer. L’Inde a conclu des accords commerciaux avec l’Arabie saoudite (Conseil de coopération du Golfe) et avec l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay (Mercosur).
Dans presque toutes ces négociations sur les ALE, les produits laitiers sont un élément important. Tous ces pays ont des intérêts offensifs dans les produits laitiers et certains s’efforcent depuis plusieurs années d’accéder au marché indien. En ce qui concerne les importations, l’Inde continue d’insister pour que les produits laitiers soient issus d’animaux qui n’ont jamais consommé d’aliment contenant des viscères, de la poudre de sang ou des tissus provenant de ruminants. La plupart des pays exportateurs de produits laitiers, à l’exception des États-Unis, se sont conformés à cette exigence, mais ils n’ont toujours pas réussi à échapper aux droits de douane élevés imposés par l’Inde. C’est pourquoi cette exigence impérative qui s’inscrit dans le respect du patrimoine religieux et culturel de l’Inde, ainsi qu’un taux de droit de douane de 30 à 60 % sur les produits laitiers, continuent de protéger le marché indien du dumping international des produits laitiers.
Pourtant, une fois que l’Inde aura signé un accord de libre-échange avec l’un de ces pays, voire avec le RCEP, il est peu probable que ces mesures restent en place. En 2000, lorsque l’UE avait exporté une grande quantité de lait écrémé en poudre et de beurre clarifié en Inde pour profiter d’une absence totale de tarifs douaniers, entraînant ainsi des conséquences néfastes pour l’industrie laitière locale, l’Inde a réagi en augmentant les droits de douane. Toutefois, dans le cadre d’un accord de libre-échange UE-Inde, ces mesures de flexibilité seront probablement perdues et l’Inde ne sera pas en mesure de protéger ses agriculteurs et ses laiteries contre de futures augmentations des importations.
L’expérience du Pakistan laisse également penser qu’une fois que le RCEP ou un ALE Inde-UE aura été signé, les sociétés laitières d’Europe, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, déjà présentes en Inde, pourront arrêter de s’approvisionner en lait auprès de producteurs indiens et préféreront importer du lait écrémé en poudre pour le transformer et le vendre en Inde
(voir Encadré 5 : Les géants du secteur laitier utilisent les importations de lait en poudre comme un instrument de contrôle au Pakistan). Cela fera baisser les prix pour les agriculteurs, avec des conséquences énormes pour les petits agriculteurs et les coopératives laitières indiennes et les secteurs « informels ». Comme le révèle une étude du Consortium for Trade and Development, les conséquences seront particulièrement graves pour les femmes.
[19]
Encadré 5 : Les géants du secteur laitier utilisent les importations de lait en poudre comme un instrument de contrôle au Pakistan
Le secteur laitier « formel » du Pakistan est fortement contrôlé par deux multinationales : Nestlé Pakistan, une filiale du géant suisse, et Engro Foods, une filiale du géant néerlandais Friesland-Campina. Ils ont divisé entre eux les marchés de la collecte et de la distribution du lait, chassant ainsi les acteurs plus petits hors de leurs secteurs respectifs. Afin de contrôler les prix du lait à leur avantage, ces entreprises vont parfois arrêter complètement la collecte du lait auprès des producteurs laitiers locaux. En remplacement, ils importent du lait en poudre et du lait liquide. À chaque fois que les prix du lait en poudre baissent sur le marché international, les entreprises de transformation du lait pakistanaises en importent des quantités énormes et dépensent moins que ce qu’elles auraient fait si elles avaient collecté du lait sur le marché local.
[1]
Au-delà des simples questions de droits de douane, et comme l’ont montré des fuites sur les projets de négociations, un accord commercial Inde-UE, Inde-AELE ou RCEP devrait inclure une harmonisation des normes, le traitement national des investisseurs des pays partenaires, des réglementations sanitaires et phytosanitaires, des règles relatives aux obstacles techniques au commerce, à la libération des investissements et un chapitre sur les droits de propriété intellectuelle, qui tous auront un impact majeur sur le secteur laitier indien.
[20]
- Une harmonisation de la réglementation relative aux produits laitiers serait tragique pour des millions de petits producteurs laitiers marginaux qui fournissent du lait aux coopératives laitières et aux laiteries privées. Étant donné qu’au moins 70 % du secteur laitier total en Inde est informel, la croissance du secteur privé repose sur la conquête de la part de marché de ce secteur. Pour vaincre la concurrence du secteur informel, les grandes entreprises laitières mondiales, qui sont en train de s’installer en Inde, pourraient exiger une harmonisation avec les normes de leur pays d’origine dans le cadre d’un ALE bilatéral ou du RCEP. Ces normes pourraient concerner le cheptel et les activités agricoles, la santé et le bien-être des animaux, la tenue des registres, l’assainissement, etc.
- Des dispositions sur le traitement national garantiraient aux sociétés laitières étrangères investissant en Inde les mêmes droits et privilèges que les sociétés nationales. Cela signifie que le gouvernement indien ne pourrait pas établir de discrimination en faveur de ses petits producteurs laitiers.
- Les
indications géographiques seraient également utilisées au profit des sociétés laitières étrangères aux dépens des producteurs indiens. Dans le cadre de son accord de libre-échange avec l’Inde, l’UE cherche à protéger 130 produits laitiers.
[21]L’emmental, la feta, le gouda, le gruyère, la mozzarella et le parmesan sont par exemple des fromages originaires de l’UE dont le nom est protégé. Les établissements laitiers indiens qui produisent ces fromages, comme Amul, ne seront plus autorisés à les produire dans le cadre d’un ALE Inde-UE. Selon la manière dont l’accord est négocié, ils pourraient même ne pas avoir la possibilité de les qualifier de fromages de « type mozzarella ».
- Les normes sanitaires et phytosanitaires sont des dispositions importantes des accords commerciaux susceptibles de limiter les exportations de produits laitiers indiens. Par exemple, les normes sanitaires élevées de l’UE empêcheraient les produits laitiers indiens d’entrer sur le marché européen en raison des systèmes de traçabilité et de surveillance du marché prétendument insuffisants de l’Inde dans les coopératives laitières. Le ministère du Commerce recense déjà 26 barrières au commerce des produits agricoles auxquels sont confrontés les exportateurs indiens vers l’UE et qui résultent principalement de différences de normes sanitaires. À l’heure actuelle, l’UE n’autorise pas l’importation de produits laitiers en provenance de l’Inde, faisant valoir que les bovins indiens sont généralement infectés par la fièvre aphteuse et ne sont pas élevés conformément aux normes de l’UE. L’ALE UE-Inde, l’ALE Inde-AELE et le RCEP vont probablement rendre les règles sanitaires plus strictes que celles actuellement en vigueur et pousser des petits producteurs à la faillite, au profit des grands opérateurs.
- La libéralisation de l’investissement et la protection des investisseurs, qui sont censées créer des conditions équitables pour les investisseurs des États signataires, sont au cœur des accords de libre-échange d’aujourd’hui. Ceux-ci comprennent des mesures telles que le « traitement juste et équitable », l’indemnisation en cas d’expropriation, le traitement « national » et la clause de la « nation la plus favorisée » pour les investisseurs étrangers, l’exemption des obligations de résultats locaux, le libre transfert des capitaux et le règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS) qui accorde aux sociétés le droit de réclamer une indemnisation aux gouvernements. La libéralisation des investissements en général permettrait à toutes les grandes multinationales du secteur laitier de s’implanter en Inde. Et, selon la capacité de Delhi à mettre en avant ses propres préférences en matière de règlement des différends, si l’Inde modifiait ses lois dans le domaine de la santé ou de l’environnement d’une manière qui nuirait à ces sociétés, celles-ci seraient en droit de poursuivre le gouvernement indien en justice pour toute perte de profit qui en résulterait.
- La suppression des
mesures à l’exportation est une demande clé de l’UE dans le cadre de l’ALE Inde-UE.
[22] De temps à autre, l’Inde interdit d’exporter des produits alimentaires tels que le riz, le blé, le sucre, etc., afin de préserver la sécurité alimentaire nationale. Si Bruxelles parvient à ses fins, une fois l’ALE Inde-UE signé, l’Inde ne pourra plus restreindre les exportations de produits laitiers afin de privilégier les besoins de sa population.
L’impact possible du programme RCEP sur l’industrie laitière représente une préoccupation majeure pour l’Inde, dans la mesure où la Nouvelle-Zélande et l’Australie ont des intérêts offensifs dans le secteur laitier indien. Alors qu’il y a 150 millions de producteurs laitiers en Inde, il n’y a que 12 000 producteurs laitiers en Nouvelle-Zélande et 6 300 en Australie. Pourtant, la Nouvelle-Zélande exporte environ 19 millions de tonnes sur une production laitière annuelle de 22 millions de tonnes, tandis que l’Australie exporte 4 millions de tonnes sur une production laitière annuelle de 15 millions de tonnes. C’est pourquoi des sociétés laitières comme Fonterra, en Nouvelle-Zélande, et Bega, en Australie, espèrent que le RCEP leur donnera accès au vaste marché laitier indien.
Les coopératives laitières indiennes craignent que, si le RCEP supprime les droits de douane sur l’importation de lait et de produits laitiers, les entreprises et les coopératives laitières en soient gravement affectées, mais aussi les moyens de subsistance d’environ 150 millions de producteurs laitiers. Selon RS Sodhi, le directeur général d’Amul, « aujourd’hui, l’Inde est le seul pays d’Asie qui est autosuffisant en matière de production laitière. L’octroi à la Nouvelle-Zélande d’un libre accès aux marchés va non seulement frapper durement nos agriculteurs, mais également exposer les consommateurs à la volatilité des marchés mondiaux. »
« L’Inde pourrait suivre le chemin de la Chine », a expliqué M. Sodhi. « La croissance du secteur laitier [chinois] a considérablement diminué après la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande en 2008. La croissance du secteur laitier en Chine n’est plus que de 2 %, contre 25 % avant l’accord de libre-échange. »
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Conclusion
L’avenir des laiteries indiennes et des millions de petits producteurs laitiers et de leurs races de bétail indigènes est littéralement exposé à toutes les convoitises. Les petits producteurs laitiers sont soumis à une pression de plus en plus importante, tout comme les coopératives laitières indiennes, en particulier du fait de la présence croissante des investisseurs mondiaux et des normes d’un marché international contrôlé par ces entreprises. Si des ALE tels que RCEP, l’ALE Inde-UE, l’ALE Inde-AELE et autres ne sont pas remis en cause ni arrêtés, nous nous attendons à voir de plus en plus de petits agriculteurs abandonner le secteur laitier dans les années à venir.
Le secteur laitier indien représente une source importante de moyens de subsistance, de nutrition et de durabilité des exploitations agricoles pour plus de 150 millions de personnes. Il est donc crucial de veiller à ce que leurs intérêts soient défendus contre ceux de quelques multinationales du secteur laitier qui sont les seules à tirer parti de ces accords de libre-échange.
Pour en savoir plus
- Rapport de GRAIN et l’Institut pour la politique agricole et commerciale (IATP), 2018 : « Les grandes entreprises du secteur de la viande et des produits laitiers réchauffent la planète », https://www.grain.org/e/6026
- Rapport GRAIN, 2017 : « Pour sauver le climat, il faut prendre le taureau par les cornes : réduisons la consommation de viande et de produits laitiers industriels » https://www.grain.org/e/5654
- GRAIN, 2017 « Highlights from the Peoples’ Summit against FTAs and RCEP », https://www.grain.org/e/5763
- GRAIN, IATP et Fondation Heinrich Böll, 2017 : « L’empreinte climatique démesurée des industries de la viande et des produits laitiers », https://grain.org/e/5827
- Rapport GRAIN 2017 : « How RCEP affects food and farmers », https://grain.org/e/5741
- GRAIN et Ashlesha Khadse, « Le RCEP en Inde : profit garanti pour les transnationales de l’industrie laitière, montée de la résistance paysanne », https://grain.org/e/5860
- Rapport GRAIN, 2014, « Il faut défendre le lait populaire en Inde », https://www.grain.org/e/4875
- Rapport GRAIN 2011, « La grande arnaque du lait : Comment l’agrobusiness vole aux pauvres leurs moyens de subsistance et un aliment vital », https://www.grain.org/e/4419
[1] Communication directe avec Ajit Navle.
[16] « Dairy Quarterly Q2 2018 », Rabobank, juin 2018