Bulletin de veille des supermarchés d’Asie, n°13
Éditorial. Supermarchés et supérettes : la pollution plastique persiste
Dans les dernières années, le problème de plus en plus sévère de la pollution plastique a atteint un point critique dans la conscience du public. La Chine et les États-Unis sont les plus gros générateurs de déchets plastiques du monde. Mais la médiocrité de la gestion des déchets a mis l’Asie sous les projecteurs du combat mondial contre la pollution plastique. Le traitement des déchets dans des décharges à ciel ouvert et incontrôlées est si inadapté que la Chine, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam déversent à eux seuls plus de plastique dans les océans que le reste de la planète.
La pollution plastique provient principalement des emballages, qui représentent plus d’un tiers de l’ensemble de la production du plastique. Selon Our World in Data, en 2015, les déchets plastique issus des emballages ont atteint 140 millions de tonnes. Une grande partie de ces emballages plastique sont utilisés dans l’alimentation, à hauteur de 40 % si l’on en croit certaines estimations.
Plusieurs pays d’Asie ont pris des mesures pour tenter de réduire les déchets plastique dans le système alimentaire en limitant l’usage des sacs plastique dans les magasins. En 2008, la Chine a institué une interdiction sur tous les sacs plastique fins et obligé les commerçants à imposer une taxe sur les sacs plus épais. Au cours des 15 dernières années, le Bangladesh, le Cambodge, l’Indonésie et la Malaisie ont tous interdit les sacs plastique dans les commerces ou bien obligé les supermarchés à les faire payer aux clients. Hong Kong a même imposé une taxe qui impose à tous les commerçants, depuis les vendeurs de rue jusqu’aux grands magasins, de faire payer les sacs plastique aux clients. Mais ces mesures n’ont pas réduit la quantité de déchets plastique générés par le système alimentaire industriel qui continue à croître très rapidement.
Le problème est que la majorité des emballages plastique sont présents avant le passage en caisse. Aujourd’hui presque tous les aliments vendus dans un supermarché sont conditionnés dans un emballage plastique jetable ; même les fruits et les légumes frais sont enveloppés de plastique. Une étude menée par Greenpeace de 2017 à 2018 dans les 10 principaux supermarchés britanniques a montré que ceux-ci, avec leur chaîne d’approvisionnement, produisent 1,1 milliard de sacs plastique à usage unique et 1,2 milliard de sacs pour les fruits et légumes. Peut-être encore plus important, on trouve dans les rayons des supermarchés de plus en plus d’aliments préparés utilisant des emballages plastique à usage unique.
La croissance de la consommation des aliments préparés est une des causes principales de l’augmentation des déchets plastique. Une étude récente de Greenpeace sur les entreprises de biens de consommation a également établi que les sociétés productrices d’aliments préparés et de boissons gazeuses, comme Danone, Nestlé et Coca-Cola, sont les plus grands responsables de la pollution plastique.
Cependant, tout ce gaspillage d’emballage plastique ne contribue guère à réduire le gaspillage alimentaire. Des études montrent que l’augmentation générale des emballages alimentaires plastique a coïncidé en fait avec une augmentation du gaspillage alimentaire.
La pollution plastique est nuisible aussi pour le climat : la transformation des aliments et l’emballage représentent entre 8 et 10 pour cent du total des émissions de gaz à effet de serre provenant du système alimentaire mondial. La plus grande partie de la pollution plastique et des émissions de GES du système alimentaire pourrait être éliminée si la production et la distribution alimentaires étaient réorientées vers les marchés locaux et les aliments frais, au lieu de se concentrer sur les aliments préparés. Mais pour ce faire, la lutte risque d’être rude, car les grandes entreprises et les gouvernements sont profondément convaincus du bien-fondé de l’expansion du commerce en matière d’alimentation.
Les autres articles de ce bulletin décrivent le rôle essentiel des marchés paysans dans les communautés en Australie et en Indonésie, tant pour mettre en place des économies locales où les femmes sont incluses dans le système des marchés de produits frais, que pour créer des espaces collectifs qui permettent une meilleure compréhension entre producteurs et consommateurs.
À travers la région
Le rôle des femmes dans les marchés traditionnels est remis en question par le commerce moderne

Stamford Raffles a bien illustré cette réalité dans son livre célèbre « Histoire de Java ». Il montre comment, dans la culture javanaise, seules les femmes se rendaient au marché et s’en occupaient. Selon lui, les hommes avaient moins de capacités en gestion financière et c’était donc les femmes qui régulaient les dépenses ménagères. Dans un autre livre,“Southeast Asia in Trade Time 1450-1680”[L’Asie du sud-est durant la période commerciale 1450-1680], Anthony Reid a lui aussi écrit sur le rôle des femmes dans les marchés traditionnels. Il cite un commandant de la flotte portugaise qui décrit comment les femmes engagées dans le commerce aux Iles Malaku agissaient à la fois comme acheteuses et vendeuses et avaient développé une culture du marchandage au début du colonialisme en Indonésie.
Ce rôle est resté pratiquement inchangé jusqu’à présent. Aujourd’hui, les femmes ont encore plus la mainmise sur la durabilité des marchés traditionnels. Ce sont elles qui déterminent les prix, le type de marchandises à vendre, où celles-ci doivent être distribuées, et bien d’autres choses encore. Bien qu’il n’existe pas de chiffres précis, il y a une majorité de femmes sur les marchés traditionnels. De la plus modeste à la plus puissante, les femmes sont présentes à tous les niveaux de la structure du marché. Certaines femmes qui produisent des marchandises les commercialisent elles-mêmes en les vendant aux vendeurs du marché.
La différence avec les hommes qui sont moins présents dans les marchés traditionnels et sont davantage des fournisseurs de travail, est claire.

Dans le cadre de la mondialisation et du consumérisme, les marchés modernes ont indéniablement pris une place centrale et leur développement est devenu une priorité. La rapidité de la croissance des marchés modernes est évidente. Selon une étude d’AC Nielsen de 2007, le nombre de marchés traditionnels en Indonésie avait diminué de 8 pour cent par an, tandis que les marchés modernes avaient augmenté de 31,4 pour cent.
De plus, 3.800 marchés traditionnels ont été fermés en Indonésie ente 2007 et 2011 (Ministère du Commerce, 2011). Ils ont été convertis en marchés modernes qui ont été ensuite monopolisés par des entreprises commerciales géantes et d’autres sociétés. Les marchés traditionnels commencent aussi à être abandonnés parce que les supérettes ou épiceries de proximité sont plus proches des consommateurs et se multiplient un peu partout. Si l’on considère les tendances du développement du marché moderne, on peut très probablement s’attendre à une intensification des faillites de marchés traditionnels.
La lutte pour l’espace qui oppose les marchés traditionnels et les marchés modernes est quelque chose d’inévitable. Le gouvernement n’est pas sans savoir l’importance et le rôle essentiel des marchés traditionnels comme moteur économique. Toutefois il ne soutient pas souvent le système, alors qu’il a le pouvoir politique de le faire. La vie de dizaines de millions de personnes, notamment des femmes, dépend des marchés traditionnels. Or les femmes qui s’occupent également, rôle essentiel, de la gestion familiale, sont les plus vulnérables quand elles perdent leurs moyens de subsistance.
Pour faire face à ce problème, le gouvernement doit prendre de vraies mesures de discrimination positive. Il faut immédiatement commencer à réguler et limiter la construction des marchés modernes. En outre, le gouvernement doit améliorer les conditions existant sur les marchés traditionnels pour les aider à attirer les clients. Ces efforts n’auront d’effets que s’ils impliquent de manière active tous les acteurs des marchés traditionnels, dont les femmes.
Article de Suci Fitriah Tanjung ([email protected])
Solidaritas Perempuan, Indonésie
Solidaritas Perempuan, Indonésie