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Avec le rachat de Whole Foods par Amazon, la distribution alimentaire entame une nouvelle phase

by GRAIN | 13 Sep 2017

 

Supermarket watch Asia bulletin (Bulletin de veille des supermarchés d’Asie), No. 7, août 2017

Éditorial: Avec le rachat de Whole Foods par Amazon, la distribution alimentaire entame une nouvelle phase

En juin 2017, Amazon, le troisième web-commerçant mondial, a annoncé avoir acquis Whole Foods Market pour 13,7 milliards de dollars. L’opération d’Amazon semble suivre l’exemple d’Alibaba, le géant du commerce en ligne qui a investi 1, 25 milliard de dollars pour racheter l’entreprise chinoise de livraison de repas à domicile Ele.me à la fin de 2015.

L’incursion croissante du commerce électronique dans la distribution alimentaire est une réalité partout. En effet, au cours des dernières années, les start-ups n’ont pas ménagé leurs efforts pour s’introduire dans ce secteur. Mais que cachent ces investissements ? Pourquoi les web-commerçants investissent-ils autant d’argent dans la distribution alimentaire ? Loin d’être de simples acquisitions par de grandes entreprises, ces investissements marquent le début de la fin pour la distribution que nous connaissons.

Par rapport aux autres achats en ligne, les achats alimentaires sont fréquents et liés à certaines habitudes. Les gens font leurs courses chaque semaine. En moyenne, les Américains passent 53 heures par an dans les rayons des supermarchés. Plus important encore, comme on le voit dans plusieurs analyses, le commerce en ligne permet d’accéder plus facilement aux données et aux habitudes d’achat des consommateurs. Ces données aident les web-commerçants à développer l’intégration verticale pour leurs propres produits de marque, ce qui à long terme aura des conséquences sur la manière et l’endroit où les entreprises vont délocaliser leur production afin d’obtenir le prix le plus bas. 

En outre, les web-commerçants comme Amazon et Alibaba voient dans l’automatisation un avantage stratégique clé pour leur stratégie commerciale globale, ce qui entraîne le risque d’une forte perte d’emplois. Alibaba a déjà commencé à tester la livraison par drone à des centaines de clients dans trois des plus grandes villes de chine, Beijing, Shangaï et Guangzhou. De son côté, après le rachat de Whole Foods Market, Amazon prévoit d’ajouter des robots à la place des employés dans les entrepôts de Whole Foods Market pour réduire les coûts. Amazon utilise déjà des robots dans d’autres secteurs. Un nouveau rapport montre que l’automatisation risque de priver beaucoup de gens de leur emploi, surtout dans les pays en développement. 

À la mi-juillet 2017, un mois après le rachat de Whole Foods Market, le gouvernement indien a approuvé la proposition d’Amazon d’investir 500 millions de dollars dans le commerce de détail des produits alimentaires en Inde. Cette autorisation permet à Amazon d’ouvrir en Inde une succursale détenue à 100 % pour organiser le stockage de produits alimentaires et les vendre en ligne. Pour un pays comme l’Inde dont l’économie dépend encore pour 90 % de l’agriculture et d’un système de distribution alimentaire informel, la distribution en ligne ne peut que rajouter une couche supplémentaire de problèmes pour des millions de personnes. Cela ouvre aussi un nouveau débat parmi les consommateurs : dans les grandes villes d’Asie, les consommateurs à revenus moyens, qui sont en nombre croissant, recherchent la commodité, tandis que les producteurs ruraux à faible revenu cherchent à protéger leurs moyens de subsistance.


INFOS RÉGIONALES

Plus qu’une histoire d’argent : la lutte des vendeurs du marché aux poissons de Noryangjin

Le redéveloppement urbain en Corée suit un modèle assez courant : les développeurs se débarrassent des pauvres, puis redéveloppent le quartier pour empocher de vastes bénéfices. Pour faire partir les résidents et les locataires, ils utilisent les relations publiques pour tromper le public et les locataires, puis déploient des tactiques juridiques et bureaucratiques. Quand ils ont “épuisé” toutes ces ressources, ils embauchent des services de “sécurité” pour harceler et chasser les résidents et locataires qui résistent. C’est exactement ce qui se passe avec la lutte des vendeurs du marché aux poissons de Noryangjin.  

Le marché aux poissons de Noryangjin fut établi il y a 90 ans. La ville de Séoul était à la fois l’opérateur et l’instance chargée de l’installation. Bien que la Fédération nationale des coopératives de pêche (la National Federation of Fisheries Cooperatives ou NFFC) ait racheté le marché il y a 15 ans, la ville de Séoul était censée conserver l’opération et la maintenance. Mais c’est en fait la NFFC qui s’en est occupée. La NFFC est une coopérative initiée par l’État ; elle rassemble les grandes sociétés de pêche coréennes qui se servent d’instruments financiers et de marketing pour influencer la réglementation des prix du poisson, au niveau national comme à l’exportation.

Le marché Noryangjin avait initialement été établi pour stabiliser le prix des produits de la mer et fournir poisson et produits de la mer au public à des prix abordables. Toutefois, durant tout ce temps, la NFFC a maltraité les vendeurs et leur a extorqué de l’argent. Les vendeurs étaient obligés de donner des bonus aux employés de la NFFC pendant les principaux congés et de fournir de la nourriture gratuitement pour les réunions de la fédération. Pendant ce temps, la NFFC faisait entre 6 et 7 milliards de won (5-6 millions de dollars) de bénéfices chaque année. De l’argent qui venait de la poche des consommateurs.

Le nouveau bâtiment “moderne” et la relocation qui a lieu actuellement sous l’égide de la NFFC ont été le prétexte pour réduire la taille du marché de deux tiers et utiliser la partie la plus proche de la station de métro pour en faire un casino et un hôtel. Récemment, il est apparu clairement que ce projet était lié au scandale sans fin d’abus de pouvoir et d’influence indue qui a amené la destitution de l’ancienne Présidente Park Geun-hye. Des associés de Choi Soon-sil, qui a joué un rôle prééminent dans le scandale, sont directement liés aux plans de l’hôtel et du casino. Au lieu d’être consacrés à la construction du bâtiment moderne, les fonds de 1,54 milliards de won de la ville de Séoul ont été versés à la NFFC. On soupçonne que c’est l’influence de Choi Soon-sil sur la Présidente Park qui a permis le détournement des fonds.

Étant donné que l’intention de la NFFC est de nettoyer le quartier, il n’est guère surprenant qu’elle ait construit le bâtiment “moderne” sans discuter et/ou accorder un droit de regard aux vendeurs, et qu’elle ait même bloqué l’accès au chantier de construction. Quand il a été terminé, en mars 2016, le bâtiment était bien davantage un supermarché qu’une installation appropriée pour un marché de gros destiné à la vente de de poisson. Quand des pressions ont été exercées sur les vendeurs pour les faire déménager, la colère et la frustration accumulées depuis 15 ans ont explosé pour se transformer en une véritable lutte. La NFFC n’avait pas imaginé que les marchands qu’ils maltraitaient et exploitaient allaient se regrouper et se battre contre la relocalisation.

Ce mois-là, la NFFC a coupé l’électricité et le gaz pour 20 des restaurants, les forçant à déménager dans le nouveau bâtiment. Un groupe de vendeurs a également été obligé de partir quand la NFFC leur a coupé l’électricité. Pour faire pression sur les vendeurs restants, la NFFC a utilisé 400 agents de sécurité au milieu de la nuit pour bloquer l’accès aux quais de chargement. Les vendeurs se sont battus et ont réussi à enlever les véhicules. La NFFC a alors fait venir 200 agents de sécurité pour bloquer toutes les entrées du marché. Les vendeurs ont riposté mais beaucoup ont aussi été arrêtés.

Le marché aux poissons de Noryangjin est un marché de vente en gros qui a 90 ans. C’est le plus grand de toute l’Asie de l’Est et il est comparable à la Boqueria espagnole, un marché centenaire et au Borough Market britannique. C’est l’un des trois marchés d’alimentation les plus grands et les plus vieux du monde. Pendant les 90 années de son histoire, le marché a été le vecteur d’une culture et une tradition uniques qui sont passées de génération en génération. Il est imprégné d’émotions et de souvenirs du peuple coréen et est devenu aussi une attraction pour les touristes. Les films qui y ont été tournés en ont fait un rendez-vous favori pour tous les fans de Hallyu (la vague de pop culture coréenne).

Si un supermarché modernisé de vente de poissons devait prendre sa place, ce serait une terrible perte. Le marché traditionnel peut être préservé avec des mesures de modernisation pour rénover et améliorer le site existant. En attendant, les vendeurs gardent le marché et organisent un rallye tous les jeudis à 10 h du matin.

Par Dae-Han Song*
email: [email protected]

*Cet article s’appuie sur des entretiens et sur l’article Vendors Opposing the Modernization of the Noryangjin Fisheries Market de Seo Hyo-sung, le secrétaire-général de l’Emergency Task Force Against the Modernization of Noryangjin Fisheries Market.[groupe de travail d’urgence contre la modernisation du marché aux poissons de Noryangjin].


Inde : les vendeurs de rue se battront contre le RCEP jusqu’au bout 

Plus de 90 pour cent de la main d’œuvre indienne travaille dans l’économie informelle et contribue à plus de la moitié du revenu national. Les vendeurs de rue jouent un rôle important : d’un bout à l’autre de l’Inde, plus de 10 millions de vendeurs ambulants vendent toutes sortes de marchandises, en particulier de la nourriture.

Ils illustrent bien la force des systèmes de distribution locaux et leur rôle essentiel dans l’économie. Mais quand apparaissent des accords commerciaux internationaux comme le Partenariat économique régional global (RCEP), sous la pression des intérêts des grandes entreprises, ce n’est pas une bonne nouvelle pour les vendeurs de rue.

Ces vendeurs opèrent au sein de réseaux locaux. Ils travaillent avec des producteurs et des fournisseurs de denrées alimentaires locaux. Ils sont au service des consommateurs locaux via les marchés locaux. Le système dont ils font partie assure l’existence de millions de personnes partout en Inde.

Le RCEP est tout le contraire. Il appartient au secteur de l’agroalimentaire et favoriserait les grands supermarchés et les marchandises importées de n’importe où dans le monde, là où elles se vendent le moins cher possible. Des informations fuitées provenant de la version préliminaire de l’accord montrent que s’il était ratifié, le RCEP empêcherait légalement un gouvernement comme celui de l’Inde, que ce soit le gouvernement central ou le gouvernement d’un État, de mettre en place des mesures obligeant les magasins à acheter un certain pourcentage de produits à des fournisseurs locaux.

Actuellement, parce qu’il doit vendre au moins 30 pour cent de produits provenant d’Inde, aucun supermarché étranger ne fait de distribution multimarque en Inde. Les supermarchés comme Walmart ou Metro n’ont que des magasins de vente de gros qui ne nécessitent pas de s’approvisionner localement. Dans la situation actuelle, ils ne peuvent pas vendre directement aux consommateurs. 

Avec la mise en place du RCEP, les supermarchés auraient le droit de vendre toute une série de produits subventionnés bon marché en provenance du monde entier, sans s’occuper de la saisonnalité, ni de la longueur des trajets parcourus. À elle seule, la Chine, qui est considérée comme une source de dumping agricole dans les pays asiatiques avec lesquels elle a déjà signé des accords commerciaux, pourrait représenter une grave menace. Autrement dit, le RCEP détruirait une part importante de l’économie indienne et des moyens d’existence de la population, pour privilégier les marchés internationaux.

« Nous n’avons pas besoin du RCEP, » déclare Saktiman Ghosh de la Fédération nationale des vendeurs de rue [National Hawkers Federation]. « Nous avons déjà tout ce qu’il nous faut. Nous soutenons l’économie locale, mais avec le RCEP, tout cela disparaîtrait. »

Mais les activités des vendeurs de rue vont en réalité bien au-delà. En effet, elles sont aussi un moyen de garantir la sécurité alimentaire et de résister aux crises alimentaires internationales. Un système fondé sur l’importation de denrées d’autres pays est vulnérable à la volatilité des marchés internationaux, avec leurs hausses et leurs baisses de prix. Un tel système peut être une menace pour la sécurité alimentaire, tandis qu’un solide système de distribution locale permet de garantir la sécurité.

Ainsi, l’Indonésie était auto-suffisante en soja jusqu’au moment où l’Organisation mondiale du commerce fut mise en place. Aujourd’hui, le pays importe 80 pour cent de ses besoins en soja, principalement des États-Unis et du Brésil. Les paysans indonésiens ont pratiquement arrêté de cultiver le soja, parce que ce n’est plus une production viable. Quand la crise alimentaire mondiale de 2008 a éclaté, le pays s’est trouvé en grande difficulté. 

Durant cette récession, les vendeurs de rue et les petits producteurs indiens ont évité au pays une crise alimentaire.

Les vendeurs de rue jouent également un rôle dans la lutte contre la crise climatique actuelle, car les systèmes locaux d’approvisionnement et de distribution sont un moyen important de réduire le réchauffement de la planète. L’empreinte carbone des vendeurs de rue est minimale quand on la compare à celle de structures qui encouragent la consommation de marchandises produites et emballées à l’autre bout du monde, pour être ensuite transportées sur de longues distances. En ce sens, les vendeurs de rue ont un impact certain en Inde, mais ils pourraient également servir d’inspiration à d’autres pays pour repenser leur système alimentaire et se tourner vers le local.

Le RCEP constitue une sévère menace pour tous ces aspects. Mais les vendeurs de rue n’ont pas dit leur dernier mot : ils sont prêts à se battre contre l’accord.

Comme le dit Ghosh, « nous sommes les vendeurs de rue, et nous riposterons, nous vous tiendrons tête où que vous soyez, si vous essayez de nous détruire. »

Bilaterals.org
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Publié initialement sur http://www.bilaterals.org/?india-hawkers-will-fight-rcep


Author: GRAIN
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