Le système alimentaire mondial – c’est-à-dire les procédés et les infrastructures servant à nourrir les populations – est l’une des sources principales du changement climatique. Et pourtant, le sujet est très rarement discuté dans les sommets sur le climat organisés chaque année par les gouvernements. Demandons- nous pourquoi.
Le système alimentaire dépend très largement de l’énergie des combustibles fossiles. Les engrais chimiques, la mécanisation des fermes, le pompage de l’eau pour l’irrigation sont autant d’émetteurs de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il faut y ajouter la déforestation provoquée par l’expansion sans fin des plantations industrielles, l’érosion des sols causée par des pratiques non-durables, le transport, la transformation et la congélation de denrées produites à grande distance et le gigantesque gaspillage d’énergie inhérent à un système de commerce de détail et de supermarchés de plus en plus centralisé. Nos recherches nous ont permis de calculer que le système alimentaire mondial, qui comprend aussi l’agriculture, est responsable de 44 à 57 % du total des émissions de gaz à effet de serre de la planète. [1]
Mais ceci n’est pas une fatalité. En adoptant, au cours des 50 prochaines années, de bonnes pratiques agricoles écologiques qui rendraient au sol la matière organique, on pourrait capter entre 24 et 30 pour cent des émissions de gaz à effet de serre actuelles. Cette transition pourrait également créer un système plus productif et plus durable qui fournirait suffisamment de nourriture pour une population croissante.[2] Donner la priorité aux marchés locaux et aux produits frais réduirait les besoins en matière de transport sur de longues distances, et les besoins de congélation et de transformation. Des réformes agraires axées sur le soutien aux petits producteurs alimentaires rendraient la terre à ceux qui produisent la nourriture, plutôt qu’à ceux qui produisent des matières premières agricoles. Cela permettrait aussi de soutenir les initiatives locales pour récupérer les semences, les savoirs et les systèmes agricoles indigènes, et d’aider aussi les mouvements paysans qui mettent en place de nouvelles pratiques de production alimentaire.
Et pourtant, la question de la production alimentaire est quasiment absente des négociations gouvernementales sur le climat. Les autorités gouvernementales semblent se contenter de parier sur les marchés financiers du carbone et autres soi-disant solutions qui ne peuvent qu’exacerber le problème. Dans les négociations et les séminaires officiels qui ont eu lieu au Sommet de Paris en décembre 2015, les acteurs les plus influents en matière d’agriculture étaient des membres de l’Alliance mondiale pour une agriculture intelligente face au climat. Cette alliance était dirigée par l’industrie des engrais chimiques qui essaie par tous les moyens de faire avancer les choses dans la mauvaise direction. Pendant ce temps, dans les rues de Paris, mouvements sociaux et organisations de petits producteurs se rassemblaient sous le slogan « Nous pouvons nourrir et refroidir la planète ».
Quel peut être le rôle de la philanthropie ?
Tout d’abord, nous devons continuer à démontrer comment le modèle actuel de production alimentaire est un désastre pour notre climat. Ce modèle est étroitement lié aux combustibles fossiles et encouragé par l’agrobusiness, les accords commerciaux et les politiques agricoles actuelles. C’est un système partout destiné à produire des matières premières pour en tirer des bénéfices et non pas pour nourrir les gens. Dans le monde entier, ces ONG et instituts de recherche qui observent cette situation et nous fournissent les preuves ont besoin du soutien des donateurs.
Deuxièmement, les organisations de terrain et les mouvements paysans sont confrontés à l’impact du système alimentaire industriel : destruction de leurs forêts, pollution de leurs ressources en eau et perte de l’accès à leurs terres. Ils ont donc besoin d’un soutien technique. Il s’agit parfois de les aider à nouer le contact avec les réseaux internationaux et la solidarité qu’ils offrent. Ici encore, la philanthropie peut contribuer à faciliter le travail de ces réseaux et de ces contacts.
Finalement, nous devons amplifier le mouvement en faveur des alternatives qui montrent quelle immense contribution on peut attendre d’une transition vers des systèmes alimentaires écologiques, les marchés locaux et l’agriculture à petite échelle ; un changement d’orientation qui permettrait à la fois de résoudre la crise climatique et de nourrir le monde. Dans certains cas, cela implique de défier les agences de développement et les fondations philanthropiques, pour soutenir les démarches ascendantes qui renforcent le pouvoir d’action des communautés locales et respectent les savoirs indigènes, plutôt que de financer dans les pays pauvres des programmes imposés par le haut et définis par les grandes entreprises.
Cette fois encore, dans le monde entier, les populations, les mouvements et les organisations sont à l’œuvre et montrent la voie. Ils ont besoin de nous et méritent notre attention et notre soutien.
Publié initialement dans l’Alliance Magazine du 7 juin 2016 (anglais)
Références :
1. GRAIN, "Alimentation et changement climatique : le lien oublié", À contre-courant, septembre 2011, https://www.grain.org/article/entries/4363-alimentation-et-changement-climatique-le-lien-oublie
2. UNCTAD, "Wake up before it is too late: make agriculture truly sustainable now for food security in a changing climate", Trade and environment review 2013, http://unctad.org/en/pages/PublicationWebflyer.aspx?publicationid=666 (Présentation du rapport de la CNUCED en français : http://unctad.org/fr/Pages/PressRelease.aspx?OriginalVersionID=154 - Le rapport lui-même n’est disponible qu’en anglais)