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Pr. Jeanne Zoundjihekpon : «Les OGM rentrent en Afrique par l’aide alimentaire»

by Anderson Diédri, Le Nouveau Courrier | 20 Jun 2016

 

Alors qu’ils inondent de plus en plus le continent

Pr. Jeanne Zoundjihekpon : «Les OGM rentrent en Afrique par l’aide alimentaire»

Présente à Ouagadougou à l’occasion des Rencontres internationales de résistance aux Organismes génétiquement modifiés (RIR-OGM), le Pr. Jeanne Zoundjihekpon, enseignante en Génétique à l’Université d'Abomey-Calavi à Coton (Benin), se prononce sur la question des OGM. Cette militante de la société civile explique comment la nourriture à base de transgénique inonde les paysans africains.

Est-ce qu’il il y a possibilité de produire plus avec les semences traditionnelles ou améliorer le rendement des semences sans passer par les OGM ?

Absolument ! On a la possibilité de produire plus avec les semences conventionnelles parce que les organismes génétiquement modifiés sont arrivés sur le marché il y a seulement une vingtaine d’années. Donc il y avait les semences conventionnelles qui produisaient très très bien avant. De deux, on peut très bien améliorer ces semences aujourd’hui. La plupart de ces plantes sont des plantes à fleurs. On peut faire des hybridations dans les champs des paysans. On peut faire de l’amélioration des plantes sans passer par le génie génétique. C’est possible. Ça a fait ses preuves partout dans le monde et c’est ce qui se passait avant.

Est-ce qu’il y a des cas concrets de plantes qu’on a améliorées pour multiplier la production ? 

D’abord, je voulais faire une précision. Pourquoi on court tout le temps derrière le rendement, derrière la production ? Courir derrière la productivité ou le rendement est aussi un piège. Parce que le rendement ou productivité ne va pas toujours de pair avec la qualité. Le deuxième point, toutes les plantes que vous prenez, que ce soit le riz, le maïs, le manioc, etc., on les a déjà améliorées par voie conventionnelle jusque-là. Ce qui est important à dire, vous et moi qui sommes de l’Afrique de l’ouest, ce sont les ignames que nous avons chez nous. Ces ignames-là, on ne les a même pas encore améliorées. En ce moment, les meilleures variétés d’ignames que nous avons sont des variétés qui ont été améliorées dans les champs des paysans. Et ces ignames-là, on ne les a même améliorées. Actuellement, les meilleures variétés son des variétés qui ont été améliorées dans les camps de paysans. Les ‘‘Krêglê’’ chez vous, les ‘‘Kponan’’, les Sokpéré’’ chez vous. Tout ça est amélioré dans les champs des paysans. Chez moi au Benin, il y a les ‘‘Labocore’’, en Guinée c’est la même chose, les ‘‘Kponan’’, etc., ça a été amélioré dans les champs des paysans. On peut continuer très bien à le faire. Parlant des ignames, ici au Burkina, il y a une igname particulière, qu’on appelle le ‘‘nio’’. Cette igname n’est même pas encore étudiée. Il y a un travail qui vient d’être fait à l’université de Ouagadougou. Cette igname-là, c’est maintenant qu’on est en train de voir quelle est son identité réelle, quelle est cette caractérisation. A l’université de Ouagadougou, il y a trois semaines où une thèse a été soutenue, on a démontré que c’est une igname qui serait issue d’une espèce sauvage en voie de domestication. C’est seulement dans cette thèse qu’on a montré que cette igname ne fleurit que mâle. Il n’y a pas de fleurs femelles. Alors que chez vous en Côte d’Ivoire il y a des fleurs femelles. Chez moi au Benin il y a des fleurs femelles. Mais ici, dans la région où l’étude a été faite, on n’a pas trouvé de fleurs femelles. C’est vous dire qu’on doit encore faire des travaux scientifiques de base sur nos plantes à nous.

Vous avez lancé un appel aux scientifiques africains. Qu’est-ce que vous leur demandez concrètement ? 

Je veux dire aux scientifiques africains de se mettre au service de ceux qui sont en train de lutter contre les organismes génétiquement modifiés, ceux qui sont en train de résister aux organismes génétiquement modifiés. Il y va de l’avenir de l’Afrique. Il y va de l’avenir de nos plantes en Afrique. Parce que quand les organismes génétiquement modifiés n’existaient pas les scientifiques travaillaient pour l’amélioration des plantes de façon conventionnelle. Donc c’est ce travail conventionnel que je demande aux scientifiques de continuer à faire sans le génie génétique. Il faut se rapprocher de la société civile pour voir ce qui se passe. Ce n’est pas encore le cas des faucheurs volontaires. Eux, ils sont en train de faucher les OGM en France mais ils ne nous demandent pas encore en Afrique de faucher. Mais les faucheurs volontaires ont aidé la société civile au Sénégal. Et qu’est-ce qu’ils ont fait ? Aujourd’hui, il y a toute une commune au Sénégal qui est déclarée commune sans organismes génétiquement modifiés. Ça c’est l’oeuvre des Sénégalais eu mêmes mais les faucheurs volontaires de France aussi les ont appuyés. Donc je voudrais demander aux scientifiques de se rapprocher de nous ou alors d’ouvrir leurs laboratoires aussi aux membres de la société civile qui sont en train de lutter contre les organismes génétiquement modifiés pour les amener à faire de la science de façon conventionnelle sans le génie génétique. 

Vous dites également que les OGM rentrent dans les paysans africains à partir de l’aide alimentaire. Quel doit être la position des Etats à ce propos ?

Les Etats africains doivent prendre leurs responsabilités de nourrir leurs populations à partir des semences de chez eux. L’aide alimentaire n’est pas indispensable. Chaque pays dispose des ressources naturelles pour nourrir ses populations. Il suffit tout simplement que nos Etats, nos gouvernements fassent le nécessaire. Parce que les organismes génétiquement modifiés rentrent en Afrique par l’aide alimentaire. Il y a le programme alimentaire mondial. Nous, au Benin, on a mené une lutte. Et je dis merci au PAM au Benin parce qu’avec nos luttes, ils ont décidé finalement de ne plus importer de l’aide alimentaire mais d’acheter des denrées alimentaires dans les pays avoisinants le Benin. Le responsable nous l’a confirmé. Ça, c’est le programme alimentaire mondial. Deuxièmement, l’aide alimentaire vient aussi par les ONG. Passant par les ONG, il y a la Catholique release services. Eux, ils ne sont pas informés des organismes génétiquement modifiés donc c’est à nous de leur donner l’information. Maintenant, on le leur dit. Il faut qu’ils sachent que les OGM existent et peuvent passer par leur circuit pour rentrer dans nos pays. Qu’est-ce qu’il doivent faire ? C’est de ne pas acheter de l’aide alimentaire des pays qui produisent les OMG. Des pays comme les Etats-Unis, l’Argentine, le Canada… produisent des OGM et si l’aide vient de ces pays-là, c’est sûr que ce sont des OGM. Et l’aide alimentaire, on n’en a pas toujours besoin. En 2004, il y a eu la Zambie. La Zambie avait un problème de famine mais ce n’était pas dans tout le pays. C’était seulement dans une région. Dans les autres régions de la Zambie, il y avait suffisamment de production. Mais le problème qui s’était posé, c’est le transport. En 2004, la Zambie a refusé l’aide alimentaire. Au plan international on lui a donné de l’aide alimentaire sans OGM avec l’appui de certains pays. Donc c’est possible. Que nos Etatsprennent leurs responsabilités.

Source : Le Nouveau Courrier, N°1450 Mercredi 15 Juin 2016

Author: Anderson Diédri, Le Nouveau Courrier