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Quand les semences industrielles envahissent le Sud

by Mathieu Viviani, Alter Mondes | 4 Mar 2016

Semences paysannes en Haiti (photo: Alter Mondes)

Le lobby des semences industrielles est en marche et inquiète grandement les paysans du Sud. Aujourd’hui, les multinationales des graines ne se contentent plus d’installer leur monopole par le biais commercial : elles incitent désormais les gouvernements du Sud à changer leurs réglementations. Au grand dam des paysans locaux.

Producteurs de 70% des matières premières alimentaires mondiales, nombre d’agriculteurs du Sud perpétuent un modèle agricole durable, basé notamment sur l’utilisation des semences paysannes. « Ces graines sont issues de plusieurs décennies, voire de siècles, de sélection, explique Marc Dufumier, agronome et enseignant-chercheur. Cette sélection se base sur un critère majeur, qu’est l’adaptation à l’environnement local ». Libres de droit, réutilisables et échangeables, ces semences sont aussi d’une grande diversité génétique, ce qui les rend adaptables aux changements climatiques actuels.

Le fléau des semences industrielles

Aujourd’hui, les semences paysannes sont menacées par l’avancée des semences industrielles. Les multinationales  qui commercialisent ces graines n’hésitent pas à utiliser tous les leviers pour installer leur monopole au Sud : actions commerciales mais aussi lobby auprès des gouvernement afin d’obtenir des réglementations favorables. L’Organisation mondiale du commerce (OMC) oblige ses pays membres à adopter une loi sur la protection des variétés végétales nouvelles (POV, protection des obtentions végétales).

Obéissant aux règles de la propriété intellectuelle, cette loi POV a pour fonction de protéger les droits des obtenteurs de semences, paysans comme industriels. Ce dispositif a au moins la vertu de fixer des règles dans le cadre de l’action publique des États. Mais étant donné que son application est laissée à l’appréciation de ces derniers et vu la capacité d’influence des lobbies industriels, le risque de voir voter des lois en défaveur des paysans locaux n’est plus à écarter. C’est ce que dénonce notamment Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) :

« Aux yeux de la loi, les paysans qui continueraient à utiliser des semences paysannes pourraient être purement et simplement considérés comme des délinquants. Selon les pays, les peines encourues seraient plus ou moins lourdes. Mais le vrai danger relève surtout de la paupérisation annoncée des communautés paysannes déjà vulnérabilisées, de l’insécurité alimentaire généralisée et de la réduction du patrimoine génétique de notre planète. »

Des accords de libre-échange en défaveur des semences paysannes

A l’échelle internationale, la signature d’accords de libre-échange (ALE) représente un autre risque pour les semences paysannes. Depuis la fin des années 90, les États-Unis et l’Europe cherchent à faire passer des accords de libre-échange bilatéraux en Afrique, un des continents où les graines naturelles sont les plus utilisées. Le but de ces négociations est clair : obtenir le maximum d’atouts commerciaux pour les entreprises américaines et européennes. « Une fois ratifiés, ces accords permettront une augmentation des importations de semences, entraîneront également une réduction des activités de sélection végétale au niveau national, redoute l’ONG. Ils faciliteront la monopolisation des systèmes semenciers locaux par les entreprises étrangères et perturberont les systèmes agricoles traditionnels dont dépendent pour leurs survies des millions de paysans africains. »

Autant de raisons pour lesquelles AVSF a lancé une nouvelle campagne de sensibilisation baptisée Non, au monopole des semences industrielles dans les pays du Sud.

Grains de maïs blancs et jaunes au Togo (Photo: AVSF)

L’illusion de rentabilité des semences industrielles

Profitant de leurs difficultés économiques liées en partie à la spéculation sur les denrées alimentaires et les aléas climatiques (sécheresses, inondations, dérèglements des saisons), des multinationales tentent de monopoliser le marché des graines au Sud. Pris à la gorge financièrement, de nombreux agriculteurs se résolvent à acheter des semences génétiquement modifiées dans l’espoir d’obtenir un meilleur rendement. En effet, ces dernières résistent mieux aux insectes et contingences météorologiques, ce qui donne, à cours terme, des rendements encourageants. Mais les « désillusions » ne tardent pas à venir, comme le déplore Marc Dufumier : « Après un certain temps, les déséquilibres écologiques liés à l’emploi d’engrais de synthèse et surtout de pesticides commencent à intervenir. Par exemple, lorsqu’un insecte résistant aux pesticides commence à proliférer. Pour rétablir ensuite l’écosystème, il va falloir encore plus de temps : c’est très difficile à réinverser. »

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Author: Mathieu Viviani, Alter Mondes
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