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Une faim insatiable de viande

by Silvia Ribeiro | 23 Oct 2014

La production industrielle de viande et de produits carnés est en train de devenir un immense problème, tant en termes de pollution environnementale que de ravages des terres et des eaux. C’est aussi l’une des principales causes du changement climatique et la première destination des cultures OGM à l’échelle internationale. Comme si ce n’était pas suffisant, l’élevage industriel d’animaux dans un espace confiné se caractérise par sa cruauté et du fait de la surpopulation et de la quantité d’antiviraux et d’antibiotiques utilisés, il offre un terrain de choix aux maladies nouvelles, animales et humaines, comme la grippe aviaire et la grippe porcine. C’est cette dernière qu’on a pu détecter par exemple à Perote, dans la province de Veracruz, dans les élevages de porcs de Granjas Carroll.

L'Atlas de la viande, [Atlas de la Carne, non traduit en français] fournit ce genre d’informations et bien d’autres données sur l’industrie de la viande qu’il est bon de connaître parce qu’elles affectent notre vie, la nature et l’environnement de multiples façons. L'Atlas de la viande est une nouvelle publication de la Fondation Heinrich Böll, qui a été écrite en collaboration avec d’autres associations et chercheurs.

Le cas de Granjas Carroll au Mexique est l’illustration même des conséquences de cette industrie et de ses modes de fonctionnement.

L’entreprise a été rachetée en partie en 1994 par Smithfield Foods, une multinationale américaine qui était alors le plus gros producteur mondial de porc et qui, en arrivant au Mexique, a encore intensifié et augmenté sa production.

Smithfield est passée au Mexique dans un effort pour échapper à plusieurs plaintes se montant à des millions de dollars pour la pollution sévère provoquée par ses usines aux États-Unis. Elle est venue dans ce pays pour exploiter le manque de réglementation et de contrôle des comptes offert de facto par le Mexique aux industries polluantes nord-américaines comme un avantage comparatif d’ALENA. Ici, Smithfields n’a pas eu à souffrir des conséquences de la pollution qu’il provoque ni des protestations des habitants des villes voisines affectées par la contamination de leur sol, de leur nappes phréatiques et de leur air. Les gouvernements de Puebla et de Veracruz se sont chargés de criminaliser et de persécuter les victimes qui osaient protester contre la pollution.

En 2013, la plus grande entreprise chinoise de transformation de viande, Shuanghui (Shineway Group), a racheté Smithfield dans une opération qui illustre parfaitement la tendance générale actuelle de l’industrie : de très grosses sociétés de transformation alimentaire du Brésil, d’Inde et de Chine rachètent, partout dans le monde, des entreprises spécialisées dans la production, l’abattage d’animaux et la transformation de la viande, les produits laitiers et les œufs.

JBS S.A, dont le siège est au Brésil, est aujourd’hui le plus grand producteur de bœuf du monde et depuis l’acquisition de Seara Foods en 2013, c’est aussi le plus grand producteur mondial de volaille. JBS fait partie des 10 plus grosses entreprises de transformation alimentaire de la planète et ses revenus annuels dépassent ceux des géants traditionnels de l’industrie alimentaire tels Unilever, Cargill et Danone.

JBS a une capacité journalière d’abattage de 85 000 têtes de bétail, 70 000 porcs et 12 000 000 volailles ; cette capacité est répartie dans 150 pays. En termes de volume, Tyson Foods et Cargill arrivent juste derrière. Cargill, qui détient un quart du marché de la viande américaine, est le plus grand exportateur de viande d’Argentine. La quatrième place est occupée par Brasil Foods (BRF), le résultat de la fusion de deux méga sociétés, Sadia et Perdigão en 2012. Avant son rachat par Shuanghui, Smithfield occupait la septième place mondiale parmi les entreprises de transformation alimentaire.

Avec des conditions comme celles qu’il a accordées à Granjas Carroll, le Mexique est devenu l’un des dix plus grands producteurs de bœuf, de porc et de volaille du monde. Les multinationales qui se sont débarrassées de beaucoup de petits et moyens producteurs dans les vingt dernières années, dominent l’industrie.

L’industrie de la viande ne ralentit pas le rythme et continue à voir toujours plus grand. La concentration s’effectue à deux niveaux : en créant des entreprises de plus en plus grandes par le biais des fusions-acquisitions d’une part ; en intensifiant, d’autre part, la production par une accélération artificielle de la croissance des animaux, une expansion des centres d’élevage, l’augmentation du nombre d’animaux par unité de surface et l’accélération de la vitesse de transformation.

Ce type d’élevage confiné utilise exclusivement des aliments industriels. On a substitué aux diverses plantes utilisées auparavant du soja et du maïs transgéniques. 98 % de la production totale de ces deux céréales transgéniques servent actuellement de fourrage et ont quelques autres usages industriels. Le Mexique ne fait pas exception : Bien que la production de maïs non transgénique soit largement suffisante pour la consommation humaine et d’autres usages, les entreprises importent de toute façon du maïs transgénique pour nourrir les animaux des élevages industriels, une nécessité qu’elles se sont imposée elles-mêmes et qui, non contente d’alimenter cette industrie calamiteuse, risque de contaminer le maïs, dans son pays d’origine.

Les grandes exploitations d’élevage industriel éliminent les sources de revenus de millions de paysans et de petits éleveurs dans le monde. Elles limitent en outre les options des consommateurs. Elles accroissent les bénéfices des multinationales, des actionnaires et des investisseurs, mais les risques sanitaires, la souffrance animale, l’élimination de la diversité des espèces, la destruction de la souveraineté et de la sécurité alimentaires, la contamination et les utilisations abusives de l’eau sont le prix à payer.

Nous continuerons à exposer la réalité de cette industrie et les alternatives à un développement si nocif.

* Silvia Ribeiro, chercheur de l’ETC Group.

 

Author: Silvia Ribeiro
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