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Une résistance bien huilée

by GRAIN | 21 Sep 2014

La course effrénée pour développer des plantations de palmier à huile en Afrique est un double coup dur pour le continent. D'une part, elle s'accompagne d'une opération massive d'accaparement des terres et des ressources alimentaires des populations, et d'autre part elle détruit aussi directement les moyens de subsistance de millions de personnes participant au secteur traditionnel de l'huile de palme en Afrique.

Une pépinière de palmiers à huile au Cameroun. (Photo : Jan-Joseph Stok / Greenpeace)

Ce n'est pas la première fois que des intérêts étrangers poussent à l'expansion du palmier à huile en Afrique. Au cours de l'occupation coloniale du continent, les puissances européennes se sont intéressées à l'huile de palme pour la fabrication de lubrifiants industriels et de bougies. Les familles africaines ont été obligées de payer aux autorités coloniales un impôt, connu sous le nom de « takouè » au Bénin, sous la forme d'huile et de noix de palme. Le roi Léopold II de Belgique a obligé tous les agriculteurs de la province de l'Équateur au Congo à planter 10 palmiers par an.1

Les puissances européennes ont également mis en place leurs propres plantations de palmier à huile à cette époque. Des plantations ont été créées en Afrique centrale et en Asie du Sud-Est et de l'Ouest. Des stations de recherche et des missions de collecte ont été lancées pour développer des variétés de palmier à huile à haut rendement, en croisant des variétés traditionnelles ou sauvages.

Avec l'indépendance, la plupart de ces plantations et stations de recherche ont été nationalisées, et les nouveaux gouvernements africains ont redynamisé le développement de la production nationale. Au Bénin, par exemple, une entreprise publique, la Société nationale du développement rural (SONADER) a développé des plantations de palmier à huile dans le Sud immédiatement après l'indépendance, tandis qu'une autre entreprise d'État, la Société nationale pour l'industrie des corps Gras (SONICOG), a construit de nouvelles raffineries d'huile de palme, et des usines de transformation des noix de palme.

Cependant, à la fin des années 1990, la Banque mondiale et des donateurs ont imposé des programmes d'ajustement structurel et ont forcé les gouvernements africains à privatiser leurs compagnies nationales d'huile de palme et à vendre leurs plantations et leurs huileries. Tandis que de nombreuses entreprises nationales s'effondraient purement et simplement, des entreprises européennes avec d'anciens liens coloniaux s'emparaient des activités les plus lucratives. La SOCFIN, contrôlée par les milliardaires Vincent Bolloré, de France et Hubert Fabri, de Belgique, a repris les entreprises nationales au Cameroun, en RDC, en Guinée et au Nigéria. La SIAT, détenue par la famille du magnat sud-africain du diamant Ernest Oppenheimer et la famille belge Vandebeeck, ont pris le contrôle de plantations au Gabon, au Ghana et au Nigéria, tandis qu'une autre vieille fortune belge, la SIPEF a pris une participation dans les plantations de palmier à huile d'État en Côte d'Ivoire. Unilever, l'une des plus grandes et des plus anciennes sociétés agroalimentaires du monde, a aussi remporté des plantations en RDC, au Ghana et en Côte d'Ivoire.

On assiste aujourd'hui, à une deuxième vague de prises de participation étrangères dans les plantations de palmier à huile en Afrique. Comme il est de plus en plus difficile et coûteux d'acquérir des terres pour des plantations de palmier à huile en Malaisie et en Indonésie, les entreprises et les spéculateurs cherchent à explorer de nouveaux espaces pour la production à l'exportation. Certains capitaux vont en Papouasie et en Amérique latine, mais la principale cible est l'Afrique. Toute une série de sociétés, depuis des géants asiatiques de l'huile de palme jusqu'à des établissements financiers de Wall Street, se bousculent pour obtenir le contrôle sur des terres du continent qui conviennent à la culture du palmier à huile, en particulier dans l'Ouest et le Centre.

Au cours des cinq dernières années, de vastes superficies de terres en Afrique ont été attribuées à des entreprises étrangères pour des plantations de palmier à huile par les gouvernements africains, avec une consultation minimale, voir absente, avec les populations concernées et de nombreuses allégations de corruption. L'Annexe 1 donne une liste de 60 transactions, portant sur près de 4 millions d'hectares au cours des 15 dernières années.

De nombreux acteurs différents sont impliqués. On y trouve des sociétés asiatiques de plantations de longue date, comme Wilmar et Sime Darby, et des multinationales du commerce de l'huile de palme, comme Cargill et Olam, tous deux cherchant à établir en Afrique une nouvelle base pour l'approvisionnement des marchés mondiaux en huile de palme. Mais la plupart des nouveaux venus ne sont en fait que de petites sociétés inconnues, généralement domiciliées dans des paradis fiscaux, dont les propriétaires avaient seulement l'intention de conclure des transactions foncières et ensuite de vendre leurs entreprises dès que possible à des acteurs plus importants disposant de la capacité de développer les plantations. Il est même difficile de savoir qui sont les propriétaires de ces entreprises.

    Résistance à l’accaparement des terres destiné aux plantations de palmier à huile au Cameroun : « Monsieur le Gouverneur, soyez le bienvenu dans la municipalité de Toko. Nous disons Non à SGSOC / Herakles Farms » (Photo : SEFE)

Face à ces sociétés d'huile de palme qui cherchent à s'accaparer leurs terres, les communautés sont soumises à d'énormes pressions des entreprises, du gouvernement, des chefs locaux et même de l'armée et des forces paramilitaires. Celles qui résistent s'exposent à l'arrestation, au harcèlement et à la violence. Et pourtant, les communautés en Afrique et dans le monde, de Papouasie-Nouvelle-Guinée ou du Sarawak, du Cameroun ou du Guatemala, continuent de lutter pour s'opposer à l'arrivée des grandes entreprises d'huile de palme sur leurs terres.

Déjà, il a quelques décennies, des organisations locales de producteurs béninois de palmier à huile se sont franchement opposées à l’accaparement des terres par l’Etat béninois pour la plantation de palmier à huile sélectionné. Cette opposition a donné lieu à des révoltes et a occasionné plusieurs décès. Des coopératives de producteurs de palmier à huile crées dans cette période sont toujours en discorde avec l’Etat béninois jusqu’à ce jour.

Selon M Madafimè, journaliste à la Radio Nationale du Bénin, la crise qui a secoué les CAR (Coopératives d’Aménagement Rural) et URCAR (Union Régionale des Coopératives d’Aménagement Rural) a connu une autre tournure le 29 décembre 2008. Ce jour-là les coopérateurs de LOGOU DJIDAGBA, un village de l’arrondissent de Datonnakon dans la commune d’Adja Ouèrè, devrait tenir une gassemblée générale régulièrement autorisée pour le renouvellent des structures dirigeantes de leur coopérative. Des différents témoignages apportés par les rescapés de cette boucherie humaine, il ressort que ceux qui dirigeaient à l’époque les coopératives, ne voyaient pas d’un bon œil l’organisation de cette rencontre. Il est difficile de dire tout ce qui a été orchestré dans l’ombre, mais ce qu’on a constaté ce jour-là, le Groupement d’Interventions de la Gendarmerie Nationale (GIGN) s’est invité à ce rendez-vous pour empêcher l’assemblée générale. Des éléments de la GIGN ont tiré à balles réelles sur les coopérateurs Jacob AHISSOU, Lucien ZINGBE, Simon Nannonsi AHISSOU, Arnold TONGNI DEDOGBE et Norbert TANGNI sont tombés ce jour-là avec plusieurs blessés et des orphelins à vie.

Plusieurs autres coopérateurs se sont retrouvés à la prison civile de Porto-Novo et celle de Missérété.

Rappelons, qu’aucune poursuite n’a été engagée contre les auteurs et commanditaires jusqu’à ce jour, parce qu’ils bénéficieraient de solides protection au niveau de l’appareil judiciaire et du pouvoir central.

Aujourd'hui, dans le sud-ouest du Cameroun, des communautés participent depuis trois ans à une lutte visant à empêcher la société américaine Herakles Capital de mettre en place une plantation de palmier à huile dans leur région. Malgré le soutien qu'il a obtenu du président du Cameroun, Herakles n'a pu faire avancer son projet, en raison de l'union des communautés dans leur opposition totale à la plantation et des actions créatives qu'elles ont entreprises, avec l'appui de partenaires nationaux et internationaux, pour obliger l'entreprise à partir. L'entreprise et le gouvernement reviennent régulièrement à la charge en présentant de nouvelles modalités, la dernière étant un décret présidentiel qui réduit la terre allouée à Héraclès de 73 000 ha à 20 000 ha, et augmente le loyer que la société doit payer. Les dirigeants communautaires ont été arrêtés et harcelés par des poursuites judiciaires. Pourtant, les communautés s'en tiennent à leur demande fondamentale : pas de plantations de palmier à huile sur leurs terres.

Le Cameroun est également dans le collimateur de la société luxembourgeoise SOCFIN. Au cours des quinze dernières années, la SOCFIN a fait main basse sur des terres destinées à l'huile de palme et à d'autres cultures dans plusieurs pays africains, dont le Cameroun, la RDC, la Guinée, le Nigeria, Sao Tomé et Principe et la Sierra Leone. La société est connue pour les violations des droits de l'homme et les conflits fonciers qui accompagnent ses activités, et pour ses tactiques agressives contre ceux qui s'y opposent. Au cours des dernières années, la société a attaqué en diffamation plusieurs organisations et journalistes en Afrique et en Europe qui s'étaient exprimés contre elle.

Le 5 juin 2013, les communautés visées par les plantations de la SOCFIN dans quatre pays africains ont organisé des actions de protestation simultanées contre la société, tandis qu'une délégation de la diaspora de ces pays soutenue par un groupe français, les Réseaux pour une action collective transnationale (ReACT), a présenté une lettre conjointe des différentes communautés à l'Assemblée générale du groupe Bolloré, qui est un actionnaire important de SOCFIN, à Paris.

« Cette première action internationale n’est que le début. Nous sommes déterminés à faire respecter nos droits et M. Bolloré devra finir par l’entendre » a déclaré Emmanuel Elong, porte-parole du Synaparcam, le syndicat des paysans riverains de la Socapalm au Cameroun.2

    Le clan Jogbahn a convaincu le gouvernement libérien de mettre fin à l’expansion des plantations sur leurs terres. (Photo : Cargo Collective) Une forte résistance de la communauté locale, combinée à une pression nationale et internationale bien ciblée, peut faire reculer les tentatives d'accaparement des terres. Le Clan Jogbahn, au Libéria, fournit un exemple à suivre. Lorsque la société britannique Equatorial Palm Oil a commencé à faire des relevés sur leurs terres dans le cadre d'un accord signé avec le gouvernement libérien, les communautés se sont mobilisées pour stopper les équipes de travail. Elles ont ensuite organisé une marche vers les bureaux locaux des autorités locales pour faire comprendre clairement qu'elles n'avaient jamais été consultées et qu'elles n'abandonneraient jamais leurs terres pour le projet. En chemin, des membres ont été matraqués, arrêtés et jetés en prison. Mais les communautés ont refusé de céder. Des ONG locales et internationales ont rejoint leur combat, et révélé au monde des informations sur la situation. Enfin, en mars 2014, les dirigeants communautaires ont rencontré la présidente libérienne, Ellen Johnson Sirleaf, et ont obtenu d'elle l'engagement d'empêcher la société de s'étendre sur leurs terres. Les groupes libériens espèrent maintenant reproduire ces actions avec d'autres communautés concernées dans le pays.3

Ces nombreux cas de résistance aux accaparements de terres et à l'implantation de palmier sélectionné tant en Afrique, en Asie et en Amérique Latine montrent à quel point les communautés locales sont partout décidées à garder le contrôle social de leurs terres ancestrales et la biodiversité locale pour les générations actuelles et futures.


Notes

2 Synaparcam, SoGB residents committee, Concern Union Citizen, and MALOA, « West African farmers stand up against Bolloré », 5 juin 2013

 

Author: GRAIN
Links in this article:
  • [1] http://wrm.org.uy/fr/livres-et-rapports/le-palmier-a-huile-en-afrique-le-passe-le-present-et-le-futur-2013/
  • [2] http://farmlandgrab.org/post/view/22157#sthash.3jsN06tb.dpuf
  • [3] http://sdiliberia.org/node/263