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La formidable supercherie de la protection: imposer des droits de propriété intellectuelle sur les savoirs traditionnels

by GRAIN | 18 Jan 2004

GRAIN

Au cours des trois dernières années, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) est devenue contre toute attente la scène principale des débats internationaux concernant les savoirs traditionnels et leur protection. Il y a plusieurs années, les pays développés qui en sont membres ont commencé à soulever au sein de l'OMPI les questions relatives à l'utilisation croissante des droits de propriété intellectuelle pour s'approprier à la fois les ressources génétiques (biopiraterie) et les savoirs traditionnels qui y sont liés – exactement comme ils l'avaient déjà fait dans d'autres organisations internationales comme la Convention sur le diversité biologique (CDB), l'Organisation mondiale des Nations Unies pour l'alimentation et l'Agriculture et l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces questions sont devenues tellement dérangeantes pour les autres négociations de l'OMPI qu'une commission séparée a finalement été créée pour s'en occuper, sans doute dans l'espoir d'isoler et de neutraliser ces questions problématiques en les mettant à part au sein de l'organisation.

Une autre question non résolue, celle du folklore, a été ajoutée à cet ensemble, et le résultat a été baptisé 'Comité intergouvernemental sur les ressources génétiques, les savoirs traditionnels et le folklore', intitulé habituellement IGC. Contrairement à ce qu'on pouvait attendre, l'IGC est rapidement devenu un forum très actif avec la plus grosse participation de tous les organismes de l'OMPI, dépassant régulièrement les capacités de la principale salle de réunions plénières. Le caractère transversal des questions abordées attira une série sans précédent d'experts gouvernementaux issus des départements de l'environnement, de l'agriculture, du développement et de la culture, venant s'ajouter à la foule habituelle de bureaucrates chargés des brevets. Et les bancs des observateurs, en général occupés par un groupe restreint d'associations représentant l'industrie et le commerce des brevets, ont commencé à se remplir d'ONG s'occupant d'environnement et de développement et de toute une série d'organisations de communautés autochtones.

La question centrale des savoirs traditionnels

Entre 2001 et 2003, l'IGC a tenu cinq réunions. La question des savoirs traditionnels (ST) est rapidement apparue comme la question principale. La découverte que les systèmes de savoirs traditionnels représentaient en fait un paradigme alternatif complet pour le développement et la gestion des savoirs semble avoir été à la fois très intéressante et dérangeante pour les groupes défendant les droits de propriété intellectuelle. Au court de sa courte existence, la commission a produit un nombre impressionnant de documents détaillant les caractéristiques des systèmes de savoirs traditionnels et en particulier leur lien avec les systèmes de droits de propriété intellectuelle.

Le travail sur les ressources génétiques et les programmes relatifs au folklore a été largement enrichi par l'éclairage apporté par les savoirs traditionnels. La question du folklore se trouvait dans les programmes de l'OMPI depuis des dizaines d'années sans aboutir à des résultats tangibles parce que les pays industriels refusaient de reconnaître que le folklore avait besoin d'être protégé. Mais son association avec les savoirs traditionnels dans un sens plus large semble avoir entraîné une meilleure compréhension du folklore comme étant un aspect des savoirs traditionnels, ce qui est illustré par le changement de terminologie où le terme 'folklore' a été remplacé par celui d' "expressions culturelles traditionnelles". Le travail spécifique sur les ressources génétiques s'est limité à certains aspects plutôt techniques, mais les ressources génétiques ont occupé une position de premier plan comme exemple important de ressource liée étroitement aux savoirs traditionnels. (voir encadré pour une présentation sélective de documents)

Le travail de l'IGC souffre évidemment de la déformation générée par la notion de droits de propriété intellectuelle, car c'est la vision du monde de l'OMPI. Mais, cette façon de voir les choses mise à part, les documents produits fournissent une vision d'ensemble approfondie et assez complète des questions qui se posent. L'IGC dispose d'un secrétariat très compétent, formé de personnes issues de plusieurs disciplines fournissant énormément de travail et les documents qu'ils produisent sont de grande qualité si on les compare par exemple aux documents similaires issus de la Convention sur la biodiversité. Les documents de l'OMPI contribuent à une compréhension plus profonde de certains sujets comme celui des risques qu'il y a à mettre les savoirs traditionnels dans des bases de données informatisées, ou les aspects techniques et juridiques de la demande d'information sur l'origine pour les ressources biologiques et les savoirs traditionnels dans les lois relatives aux brevets.

A la fois pour les gouvernements et pour l'OMPI elle-même, l'IGC a énormément contribué à une prise de conscience et à une compréhension plus grande des savoirs traditionnels. Pour les gouvernements, le fait qu'un certain nombre de ministères différents aient été obligés de se concerter sur cette question a été un avantage supplémentaire. Dans de nombreux cas, cela a représenté le tout premier contact entre, par exemple, les ministères de l'environnement ou de l'agriculture avec les bureaux s'occupant des brevets.

Pour l'OMPI en tant qu'institution, ce processus a aussi représenté une ouverture qui aurait dû se produire depuis longtemps vers les conflits politiques existant dans le monde réel. Jusqu'à très récemment, l'OMPI avait l'allure d'un club privé de gentlemen, comme l'OMC avant Seattle, où seules quelques personnes d'un même bord discutaient et où les pays développés gardaient fermement le contrôle de l'ordre du jour. L'IGC a introduit une dynamique très différente, où les pays en développement prennent le rôle moteur et où, au lieu des représentants des industries, ce sont des organisations de populations autochtones qui apportent de plus en plus leur expertise.

De l'exploration aux politiques

Les deux premières années, le travail de l'IGC a été de nature essentiellement exploratoire, par l'accumulation d'informations et la tenue de discussions couvrant un grand nombre de domaines. Mais lors de sa cinquième réunion en juillet 2003, qui fut aussi la dernière de son mandat de deux ans prévu à l'origine, la commission s'est engagée clairement sur le terrain politique et les conflits latents sont nettement apparus.

Les pays en développement sont passés à l'offensive, soutenant que la prolongation du mandat de l'IGC n'aurait de sens que s'il introduisait un engagement clair sur "l'établissement de normes", en particulier sur les nouvelles mesures à prendre pour une meilleure protection des savoirs traditionnels. Comme on pouvait s'y attendre, les pays développés n'ont pas voulu d'un tel engagement, préférant poursuivre les analyses et les débats. Un compromis en a résulté, qui a laissé la question ouverte, en stipulant explicitement qu'"aucun résultat de ce travail n'est exclu". Cela signifie simplement que le combat se poursuivra lors de la réunion suivante en mars 2004, où il est prévu que la majeure partie du temps sera consacrée à discuter du programme de travail de l'IGC pour les deux années suivantes.

S'il n'y a aucun doute sur l'engagement politique des pays en développement à créer une protection plus solide des savoirs traditionnels, ils n'ont pas de position commune sur la manière d'y parvenir. Il a été fait mention de l'idée de créer un système de droits de propriété intellectuelle sui generis (spécial et unique) pour les savoirs traditionnels mais la plupart des pays sont restés vagues. Seul le groupe africain a fait une demande formelle spécifique, appelant au démarrage immédiat des négociations sur "un instrument juridique international liant les parties en matière de ressources génétiques, de savoirs traditionnels et de folklore". Mais lorsqu'on leur a demandé de développer leur demande, les Africains n'ont pas été en mesure de répondre sur ce que devait contenir un tel accord.

Quel type de protection?

Le problème principal qui est devenu évident au cours des discussions fut la confusion concernant le concept de 'protection', qui signifie des choses très différentes dans la législation des droits de propriété intellectuelle et dans l'usage courant. La notion de 'protection' dans le sens de propriété intellectuelle signifie que le propriétaire d'un brevet, d'un copyright, d'une marque déposée ou de tout autre élément de la propriété intellectuelle a le droit légal d'exclure les autres de l'utiliser ou de le reproduire. C'est cet élément spécifique de propriété qui est protégé, ni plus ni moins.

Dans l'usage courant, la notion de 'protection' a bien sûr un sens beaucoup plus large. Quand les pays en développement parlent du besoin de protéger les savoirs traditionnels, il est assez clair qu'ils envisagent la 'protection' dans le sens de sauvegarde de l'existence et du développement continus des savoirs traditionnels. Comme l'ont fait remarquer à plusieurs reprises les organisations de populations autochtones, cela implique obligatoirement la protection de l'ensemble du contexte social, économique, culturel et spirituel de ces savoirs, ce qui ne peut tout simplement pas être réalisé avec les droits de propriété intellectuelle.

Cette confusion conceptuelle a été explicitement abordée dans les documents de l'IGC (du moins dans ceux qui sont en anglais), et le secrétariat de l'OMPI emploie désormais systématiquement le terme de 'protection' seulement dans le sens de DPI et se réfère au concept plus large en employant les termes 'sauvegarde' ou 'préservation'. Mais cela n'a pas fait beaucoup avancer les choses, car presque tous les autres continuent d'employer 'protection' de manière interchangeable dans les deux sens. Lors de la discussion au sujet du système sui generis de DPI sur les savoirs traditionnels, cette confusion a conduit à un mélange total entre les deux. Même s'il est clair dans les documents produits par l'OMPI que créer des DPI sur les savoirs traditionnels requiert toujours qu'un élément limité de savoir doive être séparé du contexte de la communauté et devenir propriété privée, la discussion au sein de l'IGC continue d'être menée comme si les DPI pouvaient être utilisés de la même manière pour protéger les savoirs traditionnels en même temps que leur contexte.

Une confusion similaire, avec des conséquences similaires, s'est produite avec les termes de mécanismes 'défensifs' opposés à mécanismes 'positifs' pour la protection des savoirs traditionnels. La plupart des gens pourraient penser que vous défendez les savoirs traditionnels contre les DPI. Mais au travers de tonnes de documents et avec une terminologie habile, l'OMPI s'est arrangée pour insinuer l'idée que le droit de propriété intellectuelle est une forme de protection défensive – contre les détenteurs abusifs de DPI!

Un excès d'analyse

Le volume et la complexité de la documentation fournie par l'IGC a fortement contribué à la confusion, s'accumulant au point où elle gène désormais le débat politique plus qu'elle ne le facilite. Lors de la toute dernière réunion, plusieurs pays ont fait remarquer qu'ils n'avaient pas même été capables de lire correctement les centaines de pages de documents, et encore moins de les évaluer. Le représentant de l'UNCTAD en a convenu et a ajouté que selon les règles de procédure qui les régissent, un secrétariat ne devrait même pas être autorisé à présenter une telle somme de documentation sans fournir de courts résumés des questions principales.

En coulisses, il a même été suggéré que cet excès d'analyses pourrait bien être intentionnelle de la part de l'OMPI. En produisant cette masse de documents qui d'une manière ou d'une autre intègrent ou font état de chacun des aspects éventuels de cette question, l'OMPI prévient tout reproche de déformation. Il y a évidemment une orientation pro-DPI. On ne peut pas s'attendre à autre chose de la part d'une institution dont le mandat est de promouvoir les DPI. Et si plupart des contre arguments sont aussi présents, ils sont enfouis ou éparpillés à différents endroits partout dans les documents, ce qui rend la tâche de les trouver extrêmement difficile au lecteur moyen.

Perspectives autochtones

Afin que les gouvernements se rendent compte combien l'image qu'ils perçoivent est faussée, la voix des détenteurs des savoirs traditionnels doit être plus forte et plus claire. Jusqu'à présent, bien qu'un certain nombre d'organisations de populations autochtones aient suivi le déroulement des discussions à Genève, ils n'ont pas vraiment été en mesure de peser sur les débats, en partie parce que l'OMPI est composée de gouvernements et que l'organisation n'était pas prête à financer la participation des populations autochtones, mais aussi parce que c'est une tâche impressionnante de déchiffrer et de remettre en question le double langage de l'OMPI. Comme les autres détenteurs de savoirs traditionnels, tels les guérisseurs ou les pêcheurs, ils ont été très peu représentés. C'est pourquoi, une fois de plus, certains détenteurs de savoirs traditionnels pourraient penser que cela ne vaut pas la peine de s'impliquer dans les processus à Genève…

Il y a actuellement des signes montrant que cela est en train de changer. Au moins au sein des populations autochtones, on constate une capacité croissante à s'attaquer au processus de l'OMPI. Un certain nombre de groupes autochtones, voyant ce que l'OMPI est en train de faire, en viennent à exprimer plus clairement leurs positions sur des points clés comme:

L'héritage indivisible: les savoirs traditionnels font partie de l'héritage autochtone dont on ne peut pas séparer les composantes. On ne peut pas arriver à protéger cet héritage en en séparant des aspects ou des éléments comme les chansons ou la science.

Les droits: l'héritage a son tour est lié aux droits sur les terres et les ressources, qui sont essentiellement des droits humains, et non des droits de propriété, en termes de systèmes juridiques occidentaux (deux concepts vraiment éloignés du droit coutumier des populations autochtones). A la fois les savoirs traditionnels et la biodiversité sont mieux défendus par l'affirmation du droit à l'autodétermination, à la terre et à la culture.

L'incompatibilité existant entre les droits de propriété intellectuelle et les savoirs traditionnels. Les DPI sont des droits de monopole privés et de ce fait incompatibles avec la protection des savoirs traditionnels. Les savoirs traditionnels font partie d'un héritage communautaire qui s'est transmis de génération en génération, sans qu'il soit permis de le privatiser ou de le faire passer dans le "domaine public" (un concept, et une réalité juridique actuelle, que les populations autochtones contestent fermement).

Droit coutumier. Tout travail légitime sur la protection des savoirs traditionnels devrait partir d'un cadre autochtone ancré dans le droit coutumier. S'il y a un besoin de législation sui generis, elle doit se baser là-dessus, et non sur les DPI.

La conclusion de tout cela, c'est que ce sont les DPI qui posent problème – et il est dangereux et faux de déguiser le problème en solution. Si l'OMPI veut faire quelque chose d'utile, elle devrait s'efforcer en premier lieu d'empêcher les DPI de bafouer les droits des populations autochtones.

Quel avenir pour l'IGC ?

L'IGC doit maintenant tirer les conclusions évidentes de la quantité considérable d'analyses qu'il a produite. Les gouvernements ne devraient pas permettre à l'OMPI de continuer à noyer les problèmes dans des documents trop détaillés, mais en exiger d'avance les conclusions clés – même si celles-ci ne conviennent pas à certains états membres ou à l'OMPI elle-même. Sur la base du travail effectué jusqu'à présent, et en y intégrant les messages forts exprimés par les communautés autochtones, les conclusions suivantes peuvent au moins être tirées.

Reconnaître l'inopportunité des DPI

Il ressort clairement de l'analyse déjà effectuée par l'IGC qu'une protection des savoirs traditionnels en tant que tels ne peut pas être atteinte par des systèmes de propriété intellectuelle. Cela concerne les systèmes de DPI existants comme tout DPI sui generis pouvant être créé. De par leur véritable nature, les DPI ne servent qu'à protéger la propriété privée, et non l'héritage. Pour qu'il soit protégé comme propriété intellectuelle, un élément issu des savoirs traditionnels doit tout d'abord être transformé en marchandise, quelque chose qui peut être acheté et vendu, ce que ne peut jamais être l'héritage en tant que tel. Le fait que les DPI sont déjà utilisés de cette manière, non seulement par les acteurs extérieurs mais aussi par des membres des communautés autochtones elles-mêmes, ne prouve pas que c'est le moyen de protéger les savoirs traditionnels.

Abandonner l'idée d'un système sui generis de DPI sur les savoirs traditionnels

Par conséquent, l'idée de créer un système de DPI supplémentaire spécifiquement pour les savoirs traditionnels devrait être abandonnée pour de bon. Quel que soit le système sui generis, celui-ci sera toujours un système de DPI et pour cette raison ne convient pas à la protection des savoirs traditionnels en tant que tels. Au contraire, cela accélèrerait très certainement la marchandisation, la désintégration et la destruction de ces savoirs.

Mettre l'accent sur le contrôle des dommages

L'IGC devrait plutôt mettre l'accent sur l'arrêt des dommages causés par les DPI existants. Le comité a été créé à l'origine principalement pour traiter le problème de l'utilisation croissante des DPI pour la biopiraterie et l'appropriation des savoirs traditionnels, et il devrait revenir à ce programme. Il devrait revoir en particulier les systèmes nationaux de DPI et les traités de DPI internationaux actuels et identifier les changements nécessaires à apporter à la législation et à la pratique des DPI afin d'éliminer ces problèmes. Il devrait aussi s'occuper du rapatriement des ressources déjà appropriées, et examiner comment les systèmes de DPI devraient être amendés pour qu'ils arrêtent d'interférer avec les systèmes de droit coutumier et les droits inhérents des agriculteurs.

Laisser le programme élargi à des instances plus appropriées

Le programme élargi de protection des droits autochtones à tous les aspects relevant de leur héritage, y compris les savoirs traditionnels et les ressources génétiques, échappe complètement au mandat et aux compétences de l'OMPI. Mais il est nécessaire de s'en occuper rapidement. L'IGC devrait le reconnaître explicitement et demander que des instances plus appropriées prennent la relève à l'intérieur du système des Nations unies. Certains groupes autochtones estiment que l'Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones devrait prendre l'initiative de réunir tous les organismes onusiens concernés afin de produire un ensemble cohérent de réglementations sur les droits relatifs à l'héritage. Ce qui est clair c'est que la protection des savoirs traditionnels est une question transversale qui ne peut être traitée par les seuls organismes s'occupant de l'environnement, du commerce, de l'agriculture ou des DPI.

Une guerre de tranchées avant tout

Comme d'habitude, c'est une erreur de croire que le vrai combat se situe dans les salles de conférence conditionnées de Genève ou autres hauts lieux de réunions gouvernementales. Si on veut protéger les savoirs traditionnels, il faut tout d'abord exiger que les communautés aient le droit et le pouvoir de prendre les décisions cruciales sur les ressources et les systèmes de gestion assurant leurs moyens d'existence. Cela reste vrai que l'on parle des agriculteurs paysans, d'autres communautés rurales ou des populations autochtones. Les droits à des systèmes d'existence doivent être garantis et constamment défendus dans le contexte local.

Mais, bien que les accords internationaux ne résoudront jamais les problèmes à la place des communautés, ils peuvent être soit une aide soit une gêne. Ils peuvent mettre certaines limites à l'avidité et à l'exploitation économique, ou ils peuvent les promouvoir. Ils peuvent créer une certaine pression publique sur les gouvernements ou ils peuvent la diminuer. Leur orientation dépend, encore une fois, en grande partie de ce qui se passe aux niveaux local et national. Si les gouvernements sentent qu'ils sont surveillés, s'il y a des mouvements populaires manifestes exprimant des demandes politiques claires concernant les négociations internationales, comme celles qui ont lieu à l'OMPI, ils auront plus de difficultés à aller dans la mauvaise direction. C'est pourquoi les groupes d'agriculteurs et les populations autochtones doivent considérer attentivement la possibilité de s'engager ou non dans des processus comme celui de l'IGC et demander des conclusions reconnaissant leurs droits fondamentaux sur leurs moyens d'existence et leur héritage. Il y a des risques dans les deux cas. Les bonnes idées peuvent mal tourner si elles sont entre de mauvaises mains, comme cela s'est passé avec la Convention sur la biodiversité. Mais une approche totalement non-interventionniste pourrait entraîner les mauvaises idées vraiment loin. Dans les deux cas, ce qui est le plus important est que les groupes d'agriculteurs et les populations autochtones réussissent à imposer leurs approches et les systèmes qui protègent les savoirs traditionnels et les ressources génétiques là où cela compte le plus: au niveau de la base.

Lectures complémentaires

Une bonne introduction générale aux questions relatives à la protection des savoirs traditionnels a été écrite par Carlos Correa pour le Quaker UN Office (organisme des Nations unies représentant les Quakers) à Genève en 2001. Il donne aussi un aperçu des différentes organisations internationales qui ont été impliquées avant l'IGC de l'OMPI. Savoir traditionnels et propriété intellectuelle. Questions et positions autour de la question de la protection des savoirs traditionnels sur le site: www.geneva.quno.info/pdf/tkmono1.pdf

L'IGC de l'OMPI a produit une grande quantité de documents mais ils ne sont pas sans défauts et beaucoup sont de lecture laborieuse. Tous sont accessibles sur le site www.wipo.int/tk et la plupart existent dans les six langues des Nations unies.

Un bon point de départ se trouve dans la propre évaluation faite par l'OMPI du processus de l'IGC jusqu'à présent, contenue dans l'Etude d'ensemble des activités et des résultats du Comité intergouvernemental (WIPO/GRTKF/IC/5/12).

Le principal document de synthèse sur les savoirs traditionnels et les DPI est l'Etude mixte relative à la protection des savoirs traditionnels (WIPO/GRTKF/IC/5/8).

Le principal document sur les ressources génétiques est l'Etude technique concernant les exigences relatives à la divulgation d'informations en rapport avec les ressources génétiques et les savoirs traditionnels (WIPO/GRTKF/IC/5/10). Cela sera l'une des plus importantes contributions lorsque la Convention sur la biodiversité commencera à négocier des réglementations plus spécifiques sur l'accès et le partage des bénéfices en 2004.

Des organisations de populations autochtones ont publié quelques déclarations en anglais sur le processus de l'OMPI:

- Call off the Earth, un nouveau réseau d'organisations autochtones s'occupant en particulier des savoirs traditionnels et des DPI a déposé un exemplaire de la déclaration commune des participants autochtones lors de la dernière réunion de l'IGC de l'OMPI en juillet 2003. voir www.earthcall.org

- Une déclaration sur les savoirs traditionnels et les DPI faite par un représentant de la Fondation Tebtebba au Groupe de travail des nations Unies sur les populations autochtones en juillet 2003 est disponible sur le site www.tebtebba.org/tebtebba_files/ipr/wgipagenda5.rtf

+ La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement a organisé une conférence majeure sur la protection des savoirs traditionnels en 2000 et propose une page sur le web avec un grand nombre de documents relatifs à ce sujet. Voir http://r0.unctad.org/trade_env/traditionalknowledge.htm

+ Le Centre international sur le commerce et le développement durables de Genève (ICTSD) propose une page de ressources avec des listes de ressources régulièrement mises à jour sur le site www.iprsonline.org/resources/tk.htm

+ L'ICTSD a produit un document explorant les moyens de placer le débat sur les savoirs traditionnels en dehors des DPI pour envisager leur protection dans un sens plus large: www.ictsd.org/dlogue/2003-07-11/11-07-03-desc.htm

+ Le South Centre (Centre du Sud) et le Centre pour un droit environnemental international viennent de publier une Etude du comité intergouvernemental sur les ressources génétiques, les savoirs et le folklore traditionnels à l'OMPI sur le site www.south.centre.org

 

Utilisation ou emploi abusif ?

Le piratage des savoirs traditionnels et des ressources génétiques par le biais des DPI s'assimile souvent à un détournement, et à un emploi abusif du système des droits de propriété intellectuelle. Nous pensons que cette façon de parler dénature les faits.

Dans de nombreuses communautés traditionnelles, les savoirs traditionnels et les ressources génétiques sont traditionnellement gérés comme partie intégrante de l'héritage de la communauté, et non comme propriété privée comme ils le sont dans la conception occidentale. Utiliser le terme de détournement implique un changement de propriétaire réalisé de manière incorrecte (par le vol, pour être précis). En réalité, ce qui se met en place c'est la transformation en propriété privée de quelque chose qui ne l'a jamais été, c'est de l'appropriation. Les dommages persistent aussi après l'expiration de la période de protection par les DPI, car le matériel approprié, quel qu'il soit, ne revient pas à la communauté mais passe dans le statut de domaine public, notion qui est aussi éloignée des communautés traditionnelles que celle de propriété privée (en fait, le 'domaine public' peut être difficilement compris dans une culture où il n'y a pas de propriété privée.) Que ce soit comme propriété privée ou comme faisant partie du domaine public, le matériel approprié quel qu'il soit est perdu de manière irréversible pour la communauté concernée, car son statut d'héritage ne peut pas être rétabli. Jusqu'à présent, cela s'est passé la plupart du temps sans le consentement informé préalable explicite et libre des communautés impliquées – que ce soit des populations autochtones ou des paysans.

Pour les mêmes raisons, ce processus ne peut pas être décrit comme un emploi abusif du système de DPI. Distinguer la propriété de la non-propriété est exactement la raison pour laquelle les DPI ont été créés; c'est sa principale utilisation.

Par conséquent, nous avons choisi d'éviter ces termes inappropriés dans cet article et dans les futurs articles traitant de cette question.

Author: GRAIN
Links in this article:
  • [1] http://www.geneva.quno.info/pdf/tkmono1.pdf
  • [2] http://www.wipo.int/tk
  • [3] http://www.earthcall.org/
  • [4] http://www.tebtebba.org/tebtebba_files/ipr/wgipagenda5.rtf
  • [5] http://r0.unctad.org/trade_env/traditionalknowledge.htm
  • [6] http://www.ictsd.org/dlogue/2003-07-11/11-07-03-desc.htm
  • [7] http://www.south.centre.org