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Entretien avec Ibrahim Ouédraogo

by GRAIN | 18 Oct 2004

Ibrahim Ouédraogo est le Secrétaire Général d’INADES-Formation, qui rassemble l’Institut africain pour le développement économique et social et le Centre africain de formation. Il s’agit d’une association panafricaine qui regroupe des organisations nationales partageant des objectifs, des stratégies et des ressources financières et s’occupant principalement de communautés rurales dans dix pays de l’Afrique de l’Ouest, de l’Afrique Centrale et de l’Afrique de l’Est. M. Ouédraogo déclare, « L’INADES n’arrive pas dans les communautés rurales avec un programme prédéterminé. Ce qui nous intéresse, c’est de soutenir la réalisation des projets que les communautés ont pour leur propre société et nous proposons de les aider, particulièrement dans des domaines comme la sécurité alimentaire, la gestion des ressources naturelles, le crédit rural, et les marchés agricoles, et de soutenir les couches les plus vulnérables de la population, notamment les femmes et les jeunes ».

 

GRAIN : Dans quelles conditions vivent les petits agriculteurs et quels principaux défis doivent-ils relever ?

 M. Ouédraogo : La plupart des petits agriculteurs d’Afrique vivent dans une extrême pauvreté et doivent constamment lutter pour leur survie. La gageure pour eux est d’assurer que leur exploitation permettra de nourrir leur propre famille et si possible de dégager un excèdent ou de pratiquer une culture commerciale pouvant être vendue sur les marchés afin de couvrir les frais de santé, les frais scolaires de leurs enfants, etc. Face à cette situation, les agriculteurs cherchent à organiser des syndicats et des associations qui soient suffisamment forts pour défendre leurs intérêts. Les syndicats d’agriculteurs organisent des programmes de formation technique, créent des coopératives, développent des marchés pour les produits locaux et mettent en place des banques au niveau du village, ce qui permet aux agriculteurs d’échapper aux usuriers locaux qui proposent souvent des taux d’intérêt pouvant atteindre 100%. Mais pour l’agriculteur africain, la vie reste une lutte de tous les jours, compliquée par la sécheresse et des pluies irrégulières. C'est sur ces petits agriculteurs que l' INADES-Formation concentre son travail. Nous tentons de les aider à faire entendre leurs voix et à trouver des solutions durables à leurs problèmes.

 Pensez-vous que les cultures génétiquement modifiées peuvent aider à résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs africains ?

Les agriculteurs africains ont mis au point leurs propres semences adaptées à leurs systèmes agricoles. Ils ont mis au point des techniques de récupération de l’eau, des méthodes pour améliorer la fertilité du sol et des pratiques de lutte contre les ravageurs qui sont très efficaces et qui leur permettent de survivre dans des milieux imprévisibles et précaires. On a fait beaucoup de publicité et de dépenses pour promouvoir les cultures d’OGM, mais nous devons être prudents. Les données provenant d’Afrique du Sud et d’Inde ne font pas apparaître d’augmentation significative des rendements et il existe en outre de nombreux risques potentiels.

Je pense que nos scientifiques savent qu’il existe déjà de nombreuses techniques mieux adaptées et plus importantes pour les agriculteurs africains, en particulier en ce qui concerne la fertilité des sols et la gestion de l’eau. Par exemple, si vous allez dans les régions sahéliennes (désertiques) du Burkina Faso, vous verrez que les agriculteurs ont développé des techniques de récupération de l’eau qui leur permettent de cultiver dans des conditions de sécheresse – et de produire assez de légumes pour alimenter les marchés des villes. C’est ce type de techniques qu’il faut soutenir. Les OGM sont porteurs de risques économiques majeurs. Les petits agriculteurs pourraient facilement perdre leur autonomie.

La contamination des semences locales par des cultures génétiquement modifiées pose-t-elle problème actuellement ?

Le Burkina Faso a déjà réalisé des essais en plein champ de coton GM et d’autres pays s’apprêtent à faire de même. Mais les petits agriculteurs et le public n’ont pas été informés des expérimentations, même si elles mettent les populations en danger. En Afrique de l’Ouest, les graines de coton sont utilisées pour nourrir les humains et le bétail, et la pollinisation croisée pose également problème. Une réglementation rigoureuse et une transparence bien plus grande s’imposent. Les essais actuellement en cours ne sont pas ouverts au public et les résultats sont donc susceptibles d’être manipulés pour cacher des défaillances et faire croire que ces cultures sont la solution pour l’agriculture africaine.

Que fait l’INADES pour aider à informer les gens sur les cultures génétiquement modifiées ?

Nous avons aidé à mettre en place une Coalition pour la promotion du patrimoine génétique africain et l’Union africaine a proposé deux lois modèles concernant la biosécurité et les droits des agriculteurs. Je pense qu’en attirant l’attention sur les droits des agriculteurs, nous pouvons montrer, qu’à long terme, les cultures génétiquement modifiées et la pression en faveur des brevets aboutiront à déposséder les agriculteurs africains des semences qu'ils ont mises au point pendant des générations.

Nous effectuons un travail de sensibilisation et de formation. Nous avons organisé des réunions avec des élus et la société civile pour les informer des risques que présentent les organismes génétiquement modifiés (OGM). Nous travaillons actuellement sur une stratégie visant à diffuser l’information au niveau du village, aux petits agriculteurs, afin qu’ils puissent prendre position et faire entendre leur voix.

Nous sommes confrontés à un groupe de pression puissant favorable aux cultures génétiquement modifiées, qui parle directement avec les chefs d’États et les ministres de l’Agriculture. Ce n’est pas une lutte facile, mais nous pensons qu’elle est légitime dans le sens où nous avons intérêt à préserver notre patrimoine, qui a permis à l’Afrique de vivre et de produire depuis des générations. Il est inacceptable de compromettre tout ceci pour des OGM qui peuvent avoir toutes sortes de conséquences néfastes.

En Juin 2004, l’USAID (Agence des États-Unis d’Amérique pour le développement international) a organisé au Burkina Faso une réunion destinée à promouvoir la culture d’OGM, qui a rassemblé de nombreux chefs d’État et hauts fonctionnaires d’Afrique de l’Ouest. Comment expliquer ce souci d’introduire les cultures GM en Afrique de l’Ouest ?

Une part du problème vient du fait que les programmes nationaux de recherche agricole se tournent vers des sources de financement extérieures. Les grandes firmes biotechnologiques s’empressent d’aider la recherche dans le domaine du génie génétique, ce qui a pour effet de pousser la recherche nationale dans cette direction. On s’est également efforcé d’encourager les gouvernements africains à soutenir les cultures d’OGM, comme lors de la réunion au Burkina Faso. L’objectif de cette réunion, qui a duré trois jours, consistait à inciter les gouvernements de la région à accepter la biotechnologie et permettre ainsi aux cultures d’OGM de pénétrer le marché africain.

Nous avons organisé une réunion parallèle pour présenter une autre perspective. Nous avons exposé notre position à toutes les délégations nationales présentes à la réunion et à la presse. Nous avons également organisé une réunion publique à l’université, qui a rassemblé plus de 1000 personnes, dont de nombreux délégués d’ONG rurales, d'organisations d’agriculteurs et d'associations de villages venus de l’intérieur du pays. Je pense que notre message a été compris et nous avons pu constater que les gens n’étaient manifestement pas convaincus des avantages des OGM. Il reste, cependant, toujours beaucoup à faire. Les groupes de la société civile au Burkina Faso se sont rassemblés autour d’un plan d’action et de défense visant à informer les personnes sur ces questions par le biais d’ateliers et de séminaires et par les médias locales. L’idée est de former une masse critique au sein de la population qui puisse prendre une position responsable face aux OGM en toute connaissance de cause.

Préalablement à la réunion ministérielle d’avril 2004, les ONG ACCORD, INADES-formation et GRAIN ont organisé un atelier de travail avec des élus au Burkina Faso pour faire part de nos inquiétudes concernant les OGM et pour montrer les avantages que les pays africains auraient à faire appliquer les lois modèles de l’Union africaine. A la suite de cette réunion, nous avons organisé une conférence similaire avec des organisations de la société civile et une conférence de presse. Immédiatement après la conférence, l’Ambassade des Etats-Unis d’Amérique a réagi en déclarant qu’ils voulaient me rencontrer afin que je leur explique les raisons pour lesquelles nous avions pris une position sur les OGM qui allait à l’encontre de celle du gouvernement. Ils s’inquiétaient de voir que des éléments anti-OGM se mobilisaient déjà car la Conférence ministérielle devait avoir lieu deux mois plus tard.

Il semble que l’USAID veuille organiser une conférence de suivi de la réunion du Burkina-Faso, mais qui, cette fois-ci, se tiendra au Mali en 2005. Les groupes au Mali feront-ils les mêmes efforts pour contrecarrer la propagande en faveur des OGM qui sera faite à l’occasion de cette conférence ?

La coalition au Mali est même mieux préparée que ne l’était celle du Burkina pour la conférence à venir. ACCORD, qui opère au Mali, est un membre actif de la Coalition. Cette association a déjà organisé des ateliers et des conférences sur les OGM. Ils ont contacté les chefs de file des partis et les représentants du gouvernement ainsi que le Ministère de l’Agriculture.

La Coalition a participé à la rédaction d’une lettre ouverte destinée à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) signée par plus de 650 organisations de la société civile et qui dénonce la position pro-biotech de la FAO dans son rapport annuel de 2004. Pouvez-vous nous dire ce que signifie ce rapport du point de vue des petits agriculteurs africains ?

Cette lettre était en fait une pétition envoyée à la FAO en réaction à son rapport, qui préconisait indirectement mais ouvertement l’introduction de cultures d’OGM dans les pays en développement, alors qu’il n’existe aucune preuve que ces cultures GM conviennent aux conditions africaines et aucun résultat fiable. Par contre, il y a des risques importants tels la contamination des cultures locales, le contrôle économique de l’agriculture africaine par des compagnies étrangères, etc. Nous avons été très déçus par le rapport et, en tant qu’Africains, nous nous devions de réagir. Je pense que la lettre n’a pas été inutile. Elle a clairement montré qu’il existe une perspective alternative largement partagée et que la FAO doit engager un vrai dialogue avant d’en arriver à des décisions favorisant l’agriculture génétiquement modifiée.

Avez-vous un message pour les lecteurs de Seedling hors d’Afrique ?

Nous faisons ce que nous pouvons avec le petit espace politique dont dispose désormais la société civile pour agir. Nous nous élevons contre ces efforts unilatéraux destinés à imposer des cultures GM à nos pays en les présentant comme étant la seule solution pour l’agriculture africaine. Les Africains doivent s’organiser entre eux, mais il nous faut également travailler en réseau avec des partenaires internationaux. Nous pouvons beaucoup apprendre de l’expérience des autres pays. Les forces auxquelles nous sommes confrontés ont les moyens et la capacité d’imposer rapidement leurs programmes. Pour leur résister, nous avons besoin de la solidarité internationale. La solidarité que nous avons ressentie lors de la réunion au Burkina nous a beaucoup apporté et nous espérons qu’il en sera de même au Mali.

Author: GRAIN