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Les raisons du maïs

by La Red en Defensa del Maíz, GRAIN. ETC Group, La Vía campesina de Amerique du Nord, le Colectivo Oaxaqueño en Defensa de los Territorios, ainsi que des dizaines d'organisations du Chihuahua, de la Huasteca, de la péninsule du Yucatán, et de bien d'autres | 11 Oct 2012

 

 

Cinq thèses sur la violence faite

à la souveraineté alimentaire et à l'autonomie

 

Il y eut un consensus et il fut décidé que viendraient le maïs violet, le maïs jaune, le maïs rouge et le maïs blanc.

De cela furent faits nos os, notre sang, notre chair.

Popol Vuh

 

Le maïs n'est pas une chose, un produit ; c' est une trame de relations, c' est la vie de millions de paysans dont le centre millénaire de civilisation est la communauté et la vie autour du travail et la culture de la terre. Le Mexique est centre d'origine du maïs, l'un des quatre aliments essentiels pour l'humanité. Aussi, les attaques contre le maïs et contre les peuples qui le cultivent sont une attaque contre les stratégies les plus anciennes, celles qui offrent le plus de possibilités pour le futur de l'humanité.

Le maïs est aussi une culture commerciale importante qui subvient aux besoins de millions de familles d'agriculteurs. Sa rentabilité pourrait renforcer la sécurité et la souveraineté alimentaires du pays si les politiques publiques adéquates étaient mises en place pour y arriver.

La première thèse que nous proposons est la suivante : les négociations de l'Accord de libre échange nord-américain, l'ALÉNA, ont obligé l'État mexicain  à accentuer le démantèlement interminable de toutes les lois qui favorisaient les droits collectifs et protégeaient les biens communaux — en particulier les territoires — des peuple indiens et paysans, leurs terres, leur eau, leurs montagnes et leurs forêts. l'ALENA a également exigé l'intensification du demantèlement de tout le système de programmes, de projets et de politiques publiques qui soutenaient l'activité agricole, et ce au détriment des petits et moyens agriculteurs mexicains, mais au profit de l'agriculture étasunienne, en particulier celle qui cherche à s'emparer des marchés, des procédés et des financements : l'agriculture des transnationales. Ce démantèlement est allé jusqu'à miser sur les importations de maïs, malgré le fait que ce dernier soit un produit de base pour l'alimentation de la population mexicaine et malgré toutes les asymétries qui existent, en matière de productivité et de subventions, entre les producteurs des États-Unis et du Canada, et les producteurs mexicains. Bien que l'on avait accordé un délai de 15 ans pour libéraliser complètement la commercialisation du maïs vers l'extérieur, le gouvernement mexicain a permis l'entrée d'une trop grande quantité d'importations, sans fixer de tarifs douaniers, et sans consulter qui que ce soit. Cela a entraîné la chute de 50 % du prix du maïs au Mexique, ce qui n'a profité qu'aux cartels transnationaux qui contrôlent le grain[1].

La deuxième thèse soutient que le démantèlement juridique et la privatisation ont pour objectif final l'éradication de toute production alimentaire indépendante.

Pour y arriver, les sociétés transnationales ont entrepris, dans le monde entier, de piller, de dégrader, et même de criminaliser l'une des plus anciennes stratégies de l'humanité : la protection et l'échange en toute liberté des semences natives ancestrales. Attenter à l'ensemble des savoirs inhérents à l'agriculture traditionnelle paysanne et agroécologique afin de promouvoir les cultures et la commercialisation de semences de laboratoire (hybrides, OGM et autres), au moyen de lois expresses qui laissent le champ libre aux sociétés transnationales pour arriver à leurs fins, semble peu leur importer. Les deux exemples les plus frappants sont la Loi sur la biosécurité des Organismes génétiquement modifiés, ou “Loi Monsanto”, et la Loi fédérale sur la production, la certification et le commerce de semences.

La troisième thèse soutient que ces lois préconisent une invasion par les organismes génétiquement modifiés — invasion commencée en 2001 —, qui contaminera inéluctablement les 62 espèces et milliers de variétés de maïs existant au Mexique. Les régimes de propriété intellectuelle, les recensements et les certifications finiront par spolier les semences natives de leur diversité.

Notre quatrième thèse est la suivante : attenter aux systèmes d'agriculture paysanne ancestrale et à leurs variantes agroécologiques modernes, attenter à des biens communs aussi vitaux que les semences natives, ravage la vie rurale et fragilise les communautés. Cela exacerbe l'émigration et l'urbanisation sauvage en favorisant l'invasion des territoires paysans et indiens pour la mise en place de mégaprojets : l'exploitation minière, la privatisation de l'eau, les monocultures, la déforestation et l'appropriation de territoires par des programmes qui mercantilisent la nature, comme l'ONU-REDD et les services environnementaux.

La cinquième thèse soutient que l'ensemble du système qui est en toile de fond de ce démantèlement juridique, de cette tentative d'éradiquer la production alimentaire indépendante et de monopoliser la rentabilité d'une culture aussi riche — éliminant ainsi toute la gamme de cultivateurs qui ne font pas partie des transnationales, des peuples indiens jusqu'aux petits et moyens agriculteurs — ; l’ensemble de ce système, qui est à l'origine de la hausse des prix démesurée des aliments et de la crise alimentaire généralisée, est responsable en grande partie de la crise climatique.

Il existe suffisamment de preuves qui montrent que le système agroalimentaire mondial est responsable de 45 à 57 % des émissions de gaz à effet de serre[2]. Cela est dû à son intégration verticale : l'accaparement des terres, de l'eau, les semences de laboratoire hybrides et OGM, la promotion des pesticides qui entraînent l'érosion des sols, la déforestation, les monocultures, les moyens de transport requis, le traitement industriel, l'emballage, le stockage et la réfrigération.

D'un autre côté, nous — les communautés paysannes et indiennes ainsi que les petits agriculteurs —, produisons actuellement la majeure partie des aliments dans le monde[3] malgré le peu de terres que nous possédons sur la planète, et malgré les conditions d'oppression que l'on essaie de nous imposer. Et nous savons qu'avec la préservation de nos cultures ancestrales, avec nos semences traditionnelles, nous pourrions refroidir la planète si seulement il existait une volonté politique de défendre les modes de vie qui reposent sur cette agriculture, pour nous permettre de continuer à cultiver le maïs dans la communauté que nous appelons milpa[4] : aliment varié, généreux, en harmonie avec d'autres aliments, avec des plantes médicinales, des arbres qui protègent, des animaux qui sont également notre force. C'est pourquoi il est crucial que les communautés puissent contrôler les territoires, s'autogouvernent et jouissent d'autonomie. Nous devons freiner l'accaparement des terres et l'invasion des territoires des communautés.

 

La défense du maïs dépasse largement les culturalismes. C'est la défense d'une indépendance matérielle et politique réelle des peuples face au marché et à sa menace de dominer pour toujours. Le maïs n'est pas qu'une  source de subsistance matérielle, c’est aussi une force identitaire et sacrée. Le contaminer avec des OGM, démanteler son économie par le biais de politiques gouvernementales, sous-estimer la milpa, c'est attaquer un processus inédit, unique au monde : la proposition civilisatrice mésoaméricaine. Attaquer le maïs et les peuples qui l'ont cultivé est donc un crime contre l'un des piliers de la civilisation entière. En défendant les peuples du maïs, en défendant l'échange libre et inconditionné de semences paysannes, nous défendons la survie et les possibilités d'épanouissement de l'humanité toute entière.

 

 

[1] Ces conclusions sont le fruit de plus de 15 ans de recherche du Centre d'études pour le changement dans les champs au Mexique (Ceccam). Voir www.ceccam.org.mx

[2] Voir GRAIN, « La terre au secours de la Terre », 28 octobre 2009, http://www.grain.org/e/736 ; « Alimentation et changement climatique : le lien oublié », 28 septembre 2001,  http://www.grain.org/es/article/entries/4364

[3] Groupe ETC : « Qui va nous nourrir? Questions pour l'alimentation et la crise climatique », 14 décembre 2009, http://www.etcgroup.org/en/node/4921

[4] Au Mexique, nous utilisons le terme milpa pour parler d'un système complexe de cultures associées, où le maïs, les haricots noirs, les courges et les piments poussent côte à côte, se complémentant les uns les autres. La milpa peut englober beaucoup d'autres cultures, comme les tomates, les chayottes, les plantes médicinales. On y trouve même des animaux, qui, en s'y alimentant, protègent la milpa des véritables prédateurs qui pourraient la menacer.

 

 

 

Author: La Red en Defensa del Maíz, GRAIN. ETC Group, La Vía campesina de Amerique du Nord, le Colectivo Oaxaqueño en Defensa de los Territorios, ainsi que des dizaines d'organisations du Chihuahua, de la Huasteca, de la péninsule du Yucatán, et de bien d'autres
Links in this article:
  • [1] http://www.ceccam.org.mx/
  • [2] http://www.grain.org/e/736
  • [3] http://www.grain.org/es/article/entries/4364
  • [4] http://www.etcgroup.org/en/node/4921