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Le FMI viole les femmes depuis 1945

by Christine Ahn et Kavita Ramdas | 24 Nov 2011

Foreign Policy in Focus l 19 mai 2011 | traduction de GRAIN

Par Christine Ahn et Kavita Ramdas

Il a fallu que Dominique Strauss-Kahn, chef de l'institution financière la plus puissante du monde, le Fonds Monétaire International (FMI), passe quelques nuits dans la prison de Rikers Island attendant son audition, pour que le monde soit informé de sa façon de se servir des femmes comme des objets sexuels vulgaires. Strauss-Kahn a été accusé de viol et de séquestration d'une femme de chambre guinéenne de 32 ans dans un hôtel de luxe New Yorkais  de 3.000 dollars la nuit.

Pendant que les médias s’évertuent à expliquer et faire la lumière sur la tentative de viol d'une jeune femme africaine et sur des indiscrétions antérieures de Strauss-Kahn, nous ne pouvons nous garder d’analyser cette situation sous un angle féministe où « le personnel est politique ».

Selon beaucoup personnes des pays en développement, le FMI et ses politiques draconiennes d'ajustement structurel ont systématiquement « violé » la terre et les pauvres et ont violé les droits humains des femmes. Il s'avère que le mépris et l'irrévérence personnels pour les femmes affichés au sommet du leadership au sein du FMI rime tout à fait avec le caractère biaisé de l’approche genre inhérent aux politiques institutionnelles et à la pratique en vigueur au FMI.

Violation systématique des droits humains des femmes

Le FMI et la banque mondiale ont été créés au lendemain de la deuxième guerre mondiale pour encourager et promouvoir le commerce international et la coopération monétaire en accordant des emprunts aux États en période de crises budgétaires graves. Bien que comptant 184 pays membres, cinq pays- la France, l’Allemagne, le Japon, la Grande-Bretagne, et les États-Unis- contrôlent à eux seuls 50 pour cent des voix, qui sont affectées selon la contribution de chaque pays.

Le FMI s’est fait cette vilaine réputation dans les pays du sud parce qu'en échange des prêts, les gouvernements doivent accepter une gamme de mesures d'austérité connues sous le nom de Programmes d'Ajustement Structurels (PAS). Un programme d’aide typique du FMI encourage la promotion des produits extérieurs au détriment de la production locale pour la consommation. Il incite également les gouvernements à adopter des tarifs inférieurs et opère des coupes budgétaires dans des programmes gouvernementaux tels que le social et l'éducation. Au lieu de réduire la pauvreté, des milliers de milliard de dollars de prêts alloués par le FMI ont aggravé la pauvreté, particulièrement pour les femmes qui font 70 pour cent des pauvres du monde.

Les réductions des dépenses destinées aux affaires sociales exigées par le FMI ont été souvent réalisées en supprimant les emplois du secteur public, qui de manière disproportionnée a des incidences sur les des femmes. Ces femmes qui ont la plupart les emplois peu qualifiés du secteur public, et elles sont souvent les premières à être éjectées. En outre, étant donné que les emplois tels que ceux des travailleurs sociaux sont réduits, on s'attend à ce que les femmes prennent plus de responsabilités domestiques qui davantage limitent leur accès à l'éducation ou à d'autres emplois.

En échange d’un emprunt de 5,8 milliards de dollars au FMI et à la Banque Mondiale, la Tanzanie a accepté d'imposer des honoraires sur les services de santé, ce qui a conduit à une baisse du nombre de femmes à la quête de services hospitaliers ou de soins post-nataux et naturellement à une augmentation, du taux de mortalité maternelle. En Zambie, la mise en place du Programme d’Ajustement Structurel a conduit à une baisse significative du taux de scolarisation des filles et une hausse dans le « sexe pour la survie ou la subsistance » comme une manière pour les jeunes femmes de continuer leurs études.

Mais les mesures d'austérité du FMI ne s'appliquent pas qu’aux pays pauvres africains. En 1997, la Corée du Sud a obtenu un prêt de 57 milliards de dollars  et en échange, le FMI a posé des conditions qui ont contraint le gouvernement à introduire des mesures de  « flexibilité de marché de l’emploi, » ce qui a exposé les grandes étapes pour que le gouvernement comprime les salaires, licencie « la main d’œuvre excédentaire », et réduise les dépenses destinées aux programmes et infrastructures. Au cœur de la crise financière, sept  coréennes étaient congédiées contre un coréen. En situation difficile, le gouvernement coréen a lancé une campagne "Revigorez vos maris" encourageant les femmes à soutenir leurs époux tandis qu'elles font le ménage, et prennent soin de tous.

Environ 15 ans plus tard, c’est un sinistre pour les travailleurs coréens, en particulier pour les femmes. De tous les pays de l’OCDE, les coréens travaillent les plus longues heures : 90% des hommes et 77% de femmes travaillent plus de 40 heures par semaine. Selon l’économiste Martin Hart-Landsberg, en 2008, 40% des travailleurs coréens étaient en situation  irrégulière ; dans les années 2008, 60% fonctionnaient dans l’informel. L’Académie des femmes travailleuses coréennes rapporte qu'aujourd'hui 70% des travailleuses coréennes sont des occasionnelles.

Vente de la Terre Mère

Les politiques du FMI ont également violé la terre en imposant aux gouvernements la privatisation des ressources naturelles dont dépendent la plupart des personnes pour leur survie : l'eau, la terre, les forêts, et les zones de pêche. Les Programmes d’Ajustement Structurels  ont également contraint les pays en voie de développement à cesser de cultiver les aliments de base  pour leur consommation intérieure et en lieu et place, se concentrer sur les cultures commerciales, comme les fleurs coupées et le café pour l'exportation vers les marchés mondiaux volatiles. Ces politiques ont détruit les vies des petits fermiers qui reposent sur une agriculture de subsistance, dont la majorité est constituée de femmes.

« Les programmes d'adaptation de la FMI ont contraint les pays pauvres à abandonner les politiques de protection de leurs paysans, de leur production agricole et de leurs marchés, » dit Henk Hobbelink de GRAIN, une organisation internationale qui encourage l'agriculture durable et la biodiversité. « Par conséquent, beaucoup de pays sont devenus dépendants des importations de nourriture, car les fermiers locaux ne pourraient concurrencer les produits subventionnés du Nord. C'est l'un des facteurs principaux dans la crise alimentaire actuelle, pour laquelle le FMI est directement à condamner."

En République Démocratique du Congo, les prêts du FMI ont balisé le terrain pour la privatisation des ressources minières du pays par des entreprises transnationales et des élites locales, ce qui a de force déplacé des milliers de congolais dans un contexte où les femmes et les filles sont confrontées indécemment à de l’esclavage sexuel et au viol dans les métropoles Occidentales. Selon Gender Action, la Banque Mondiale et le FMI ont accordé des prêts à la RDC pour restructurer le secteur minier, ce qui s’explique par le licenciement des dizaines de milliers de travailleurs, y compris des femmes et des filles dont la survie dépend des activités minières. En outre, puisque la terre est de plus en plus minée et privatisée, les femmes et les filles en quête d'eau et de bois de chauffage doivent aller à pied encore plus loin, ce qui les expose encore plus aux crimes et violences.

Nous nous en sommes remis

Les activistes des droits des femmes de par le monde sont constamment ahuris par la façon dont de telles violences faites aux femmes sont fréquemment  assimilées à de fautes mineures. Strauss-Kahn, un des politiciens les plus puissants au monde dont les décisions ont impacté des millions de personnes à travers le monde, est reconnu comme un « coureur de jupons » qui s'est souvent imposé à ses jeunes femmes subalternes vulnérables à sa puissance bien plus grande, son influence, et son poids. Pourtant aucun de ses collègues ou ses pairs membres du Parti Socialiste n’ont pris ces rapports au sérieux, s'entendant dans un consensus partagé même par son épouse que la violation de l'intégrité corporelle des femmes n'est en aucun cas une violation véritable des droits de l’homme.

Pourquoi le monde tolérerait-il la lugubre information selon laquelle 48 femmes congolaises sont violées chaque heure avec une inaction assourdissante ? Eve Ensler s’adresse à nous tous quand elle écrit, « Je suis au-dessus d'un monde qui pourrait permettre, a permis, continue de permettre que 400.000 femmes, 2.300 femmes, ou une femme soit violée n'importe où, n'importe quand de tous les jours au Congo. Les femmes du Congo s’en sont remises aussi. »

Nous vivons dans un monde où des millions de femmes ne crachent pas la vérité les concernant, ne racontent pas leurs histoires sombres, ne révèlent pas l’horreur qu’elles vivent au jour le jour juste parce qu'elles sont nées femmes. Elles ne le font pas pour les mêmes raisons articulées par les femmes du Congo : elles ont marre de ne pas être entendues. Elles sont fatiguées des hommes comme Strauss-Kahn, puissant et en costumes, croyant qu'ils peuvent violer une femme noire dans une chambre d'hôtel, juste parce qu'ils en ont envie. Elles sont fatiguées de ne pas être crues ou d’être arrêtées par la police parce qu’elles sont des travailleuses de sexe. Elles sont fatiguées des hôpitaux qui n’ont pas de kits de détection de viol. Elles ont marre de se plaindre de viol pour être accusées d’adultère en Iran, au Pakistan, et en Arabie Saoudite.

La défense

Pour chacune d’elles, et pour celles d’entre nous qui ont passé beaucoup d'années à investir de façon tenace dans des mouvements féminins de par le monde, le courage et la jugeote de la jeune immigrée guinéenne éclaire comme lampe torche tenue par Dame Liberté elle-même. Cette jeune femme vous incite à croire qu’on peut changer cette réalité. Elle a refusé d'être intimidée. Elle s'est levée d’elle-même. Elle s’est battue pour se libérer  — deux fois — de la poigne d’acier violente de l'homme l’agressant. Elle se souciait peu de qui il était — elle su qu'elle a été violée et le rapporta directement au staff de l’hôtel, qui alla directement à la police de New York, qui à son tour se rendit sur le champ à JFK pour éjecter Strauss-Kahn de son siège de première classe d'Air France.

Dans un monde où l’on pense souvent comme si la richesse et la puissance peuvent tout acheter, l’audace de cette jeune femme et des personnes qui la soutenaient nous retint le souffle. Ces comportements déterminants et moraux de la classe ouvrière de New York City nous rappellent que les femmes ont le droit de dire « non ». Il nous est rappelé que le « non » ne signifie pas «  oui » comme la Yale fraternity nous ferait croire et, d'une manière plus importante que personne, quel que soit son rang social ou son genre, ne devrait être au-dessus de la loi. Une femme juge sage au sujet de la façon dont il est très important d'évaluer les coups sur les femmes est allée plus loin quand elle a rejeté la mise en liberté sous caution de Strauss-Kahn racontant sa longue histoire de maltraitance des femmes.


Strauss-Kahn se repose dans sa cellule de Rikers Island. Ce serait une merveille si ce procès réussit à mettre fin à la tolérance du monde à l’égard de ceux qui discriminent et abusent des femmes. Nous ne pouvons plus jamais tolérer une seconde fois. Nous ne pouvons tolérer personnellement, nous devons refuser de fermer les yeux au niveau professionnel, et nous devons contester chaque fois que cela paraît dans les politiques des institutions internationales comme le Fonds Monétaire International.

Christine Ahn écrit pour Foreign Policy in Focus alors qu'elle est une analyste politique au Fonds Global pour les Femmes. Kavita N. Ramdas contribue aussi a Foreign Policy in Focus alors qu'elle est professeur invitée à l'Université de Stanford et fut le président et PDG du Fonds Global pour les Femmes.

Article original : http://www.fpif.org/articles/the_imf_violating_women_since_1945

Author: Christine Ahn et Kavita Ramdas
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