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Des lois pour en finir avec l’agriculture indépendante

by GRAIN | 23 Nov 2011

Du 23 au 27 février 2009, des membres du Protocole international de Carthagène sur la biosécurité se sont réunis au Mexique pour traiter de la « Responsabilité et réparation pour les dommages » occasionnés par les ogm. En réaction, le Réseau de défense du maïs a organisé, aux mêmes dates, le Forum pour la vie des peuples du maïs. Le document suivant retranscrit la conférence présentée par Camila Montecinos au cours de ce forum. Bien que son analyse traite de la situation mexicaine, elle permet en réalité dentrevoir le panorama dune stratégie mondiale qui vise à éradiquer la production alimentaire indépendante et à criminaliser la possession, la protection et léchange en toute liberté de semences locales ancestrales, ce sur quoi repose la stratégie fondamentale des paysans depuis plus de 8000 ans.

 

La dite loi sur la biosécurité au Mexique appartient en réalité à tout un ensemble de lois plus vaste que l’État mexicain est sur le point d’adopter, ainsi que de nombreux pays en développement au niveau international.

Cela fait partie d’une offensive qui implique de nouvelles lois, ou des modifications et des réformes de lois qui existaient déjà. Il ne s’agit pas de changements mineurs : ce sont des changements qui affectent la vie des peuples du monde, et ce sous de multiples aspects. Parmi les secteurs les plus affectés, on compte les communautés rurales, les communautés paysannes, les communautés indiennes. C'est contre les peuples ruraux du monde entier que cette offensive est surtout dirigée.

C’est une offensive coordonnée de façon plutôt efficace principalement par les grandes entreprises transnationales et les grandes corporations, avec la complicité des gouvernements internationaux mais aussi le soutien actif, musclé et agressif d’un grand nombre d’organismes internationaux que nous connaissons tous : la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (fao), une bonne partie de l’appareil de l’onu, ainsi que l’Organisation mondiale du commerce (omc).

Pour pouvoir comprendre ces lois, il faut les observer dans leur ensemble, car elles se renforcent les unes les autres. La loi sur la biosécurité n’agit pas de manière isolée mais en relation étroite avec de nombreuses autres lois, comme les lois sur la certification des semences, sur les ressources génétiques, la propriété intellectuelle, la certification biologique, les lois forestières, celles sur le développement durable, sur l’eau, les lois minières ; la liste est longue. Les règlements de ces lois sont également très importants, tout comme les nombreux décrets et normes complémentaires. Par exemple, on impose aujourd’hui des règles pour les « bonnes pratiques agricoles » et la « traçabilité ».

Pourquoi toutes ces lois ? Pourquoi cette fièvre législative qui nous attaque aujourd’hui au niveau mondial et de manière simultanée ? C’est une véritable épidémie. Si l’on observe comment agissent les normes et les restrictions qu’on nous impose, on se rend parfaitement compte que leur principal objectif est d’en finir avec la production alimentaire indépendante.

La raison en est parfaitement évidente : de nos jours, malgré la mondialisation, malgré la terrible agression que subissent les peuples ruraux, la production d’aliments reste encore majoritairement aux mains des paysans et des peuples indiens. Si l’on commençait à calculer l’éventuelle valeur marchande de tous les aliments que consomme l’humanité, le marché qui pourrait voir le jour s’avérerait bien plus important que n’importe quel marché existant actuellement : plus important que celui du pétrole, que celui de l’industrie automobile, et plus important encore que ces deux marchés réunis. Le capital n’a pas encore totalement la mainmise sur ce marché potentiel et, aujourd’hui, il veut tout d’abord nous forcer à acheter des aliments. Ainsi, quand nous serons tous obligés d’acheter ces aliments, il contrôlera ce marché alimentaire.

Le marché alimentaire est aussi le marché captif parfait. On peut cesser d’acheter des voitures, mais pas de la nourriture. Si on ne la produit pas, il faudra obligatoirement l'acheter. On pourra être extrêmement pauvres, mais si on ne produit pas la nourriture, il faudra qu’on l’achète. Et le développement de ce marché ira de pair avec l’augmentation de la population.

Le fait que les peuples paysans et indiens du monde continuent à être les principaux producteurs d’aliments permet de comprendre pourquoi l’un des principaux objectifs de cette offensive législative est d’en finir avec leur capacité à être indépendants. Mettre fin à la production alimentaire indépendante est une étape décisive dans ce processus. Il faut aussi éradiquer les semences indépendantes, les semences non contrôlées par les grandes entreprises.

Le Mexique a adopté une nouvelle loi sur les semences en 2007. La loi antérieure datait de 1991. Cette nouvelle loi n’est pas arrivée par hasard. Elle est extrêmement agressive envers ceux qui ont encore la capacité et l’intention de continuer à produire des aliments de façon indépendante. Les lois sur les semences semblent calquées d’un pays à l’autre : l’ordre des articles change un peu mais les contenus sont pratiquement les mêmes. Elles sont dictées par les grands groupes d’entreprises semencières qui se concentrent aujourd’hui dans ce que l’on appelle l’isf (International Seed). Au Mexique, l’isf est représentée par l’amsac (Asociación Mexicana de Semilleros ac) qui, en réalité, n’a pas grand chose à voir avec le Mexique. Elle s’autodéfinit comme « une association qui intègre tout le secteur semencier mexicain, qui a du pouvoir et de l’influence sur les décisions du gouvernement ; qui peut intervenir et participer à la gestion des lois et des normes ; qui est reconnue pour les services et l’infrastructure qu’elle offre pour résoudre les problèmes rencontrés par ses membres ». Tout est là, pas besoin de preuves : non seulement ils se définissent de cette manière, mais c’est aussi ce qu’ils veulent être, c’est la vision qu’ils ont d’eux-mêmes.

L’amsac se dit mexicaine mais en réalité toutes les grandes transnationales semencières y sont représentées : Monsanto, Syngenta, Dow, Dupont ou Pioneer, Vilmorin Inc. et plusieurs autres transnationales. Si l’on a encore des doutes quant à l’influence des transnationales sur cette association de semenciers, il suffit de savoir que Dow et Syngenta font partie de son conseil d’administration et, pire encore, que Monsanto et Vilmorin Inc. font partie de son comité d’honneur et de justice.

Au Mexique, l’amsac est clairement un « lobby » particulièrement efficace et la loi mexicaine sur les semences, la loi fédérale sur la production, la certification et le commerce des semences, Ley Federal de Producción, Certificación y Comercio de Semillas, respectent fidèlement les objectifs fixés par les transnationales. La loi n’est pas encore dotée de règlement. Quand nous avons fait des recherches spécifiquement sur cette loi, nous n’avons pu obtenir aucune information à propos de son règlement, et ce malgré la fameuse loi sur la transparence de l’État mexicain. Les règlements empirent toujours les lois, et de manière significative.1

L’article 34, parmi d’autres articles de la loi sur les semences, oblige à ce que les semences soient de production personnelle ou achetées ; il n’y a pas d’autre alternative. Cela signifie qu’échanger ou offrir des semences devient illégal, sans exception, car les semences ne sont ni de production personnelle ni achetées.

On pourrait imaginer que les gens qui ont des semences de production personnelle puissent dire : on va commercialiser ces semences, on va continuer à les échanger ; mais en réalité la loi est dotée d’une série d’articles qui font qu'il est impossible de répondre à toutes les exigences, ou qui détruisent ce que les semences paysannes et indiennes ont de meilleur. Par exemple, si quelqu’un décide de vendre des semences, il se voit dans l’obligation, d’une part, de tenir un registre très strict du processus de leur production. D’autre part, il se doit de préserver un échantillon pour pouvoir réussir n’importe quelle inspection fixée par le Ministère de l’agriculture, de l’élevage, du développement rural et de l’alimentation par le biais du Service national d’inspection et de certification des semences. Si les entreprises n’y parviennent pas toujours, les populations rurales n'y arriveront pas plus. En d’autres termes, on interdit non seulement aux paysans d’échanger et d’offrir leurs semences, mais aussi de les commercialiser.

La loi impose également l’idée que les semences de bonne qualité doivent être uniformes, identiques les unes aux autres et stables, c’est-à-dire qu’elles ne doivent pas s’altérer au fil du temps. La qualification en termes de semences de bonne qualité, même dans le cas de la certification, ne prend absolument pas en compte leur comportement en terre. L'essentiel est qu’elles soient identiques ; le fait qu’elles fonctionnent mieux ou moins bien que d’autres n’a aucune importance. Nous savons que seules les semences produites par les grandes entreprises sont uniformes, et que le fait qu’elles soient toutes identiques ne garantit en aucun cas qu’elles soient de meilleure qualité.

La loi dit aussi que les semences doivent être stables et que pour préserver le nom, elles ne doivent pas changer. Dans un pays comme le Mexique, cela signifie que d’une certaine façon, on empêche les semences locales de continuer à évoluer. Or les semences des paysans et des peuples indiens du Mexique ont été préservées justement parce qu’elles ont évolué au fil du temps. La loi exige qu’on les congèle (pour ainsi dire), et si ce n’était pas le cas, leur circulation d’un champ à l’autre pourrait entraîner des problèmes légaux.

On pourrait penser que c’est ce que dit la loi, mais les semences locales, les semences de production personnelle ont toujours circulé, et on n’a jamais demandé la permission à qui que ce soit, on va les échanger de toutes façons. C’est une stratégie fondamentale, qu’il faut continuer à utiliser : les semences doivent circuler, avec ou sans permission. Mais les attaques vont continuer. L’une des attaques qui est déjà en marche est le programme du Projet stratégique pour la chaîne productive de producteurs de maïs et de haricots, Proyecto Estratégico para la Cadena Productiva de los Productores de Maíz y Frijol, dont tous les projets d’assistance technique et financière vont être soumis à l’utilisation de semences certifiées. Si on doute encore du type de semence dont nous parlons, il est intéressant de visiter le site du Service national d’inspection et de certification des semences, Servicio Nacional de Inspección y Certificación de Semillas, pour voir quels sont leurs objectifs, selon leur plan stratégique.

Le Service national d’inspection et de certification des semences définit comme premier objectif stratégique « la coordination du développement et le renforcement de la capacité nationale de l’actif technologique des graines ». Ce que personne ne comprend mais qui à l'air chouette. Selon lui, si, en 2025, 60% des semences utilisées au Mexique sont des semences certifiées, l'objectif sera atteint. Et il ne s’agit pas seulement du maïs mais de toutes les semences utilisées au Mexique. S'il persiste encore des doutes, le deuxième objectif stratégique est « la gestion et l’administration du système national pour la protection des droits des obtenteurs de variétés végétales » : en 2025, au Mexique, 60% des semences doivent être des semences protégées ­— comme ils disent — c’est-à-dire des semences brevetées. En 2025, si les transnationales arrivent à leurs fins, la propriété intellectuelle sera brevetée. En résumé, l’objectif stratégique du Service national des semences au Mexique est qu’en 2025, 60% des semences soient certifiées et que toutes ces semences certifiées soient protégées par des brevets.

C’est avec cette vision, avec cette orientation, que la loi sur les semences va être appliquée. Elle ne va pas l’être de manière neutre, mais pour défendre de manière explicite et stratégique les intérêts des grandes transnationales qui, dans le cas du Mexique, sont représentées par l’Association mexicaine des semenciers ac.

Il existe aussi une façon d’appliquer les lois, et la première partie de l’application des lois est toujours la partie agréable, à l’amiable, qui consiste fondamentalement à mettre le grappin sur un maximum de personnes possible, entre autres pour diviser les organisations et les communautés. Évidemment, cela se fait toujours en parlant des bons côtés de ce qui est imposé. Puis, une fois que les organisations ou les communautés sont divisées, ou que les gens sont endettés de manière significative, l'étranglement commence.

Le site de l’amsac définit comme « semences pirates » celles qui n’ont pas été achetées. Il ajoute : « vous serez d’accord pour dire que l’on ne peut pas permettre que les semences pirates détruisent nos terres, notre patrimoine et notre prestige en tant qu’agriculteurs. Ensemble nous pouvons et devons affronter ce risque, en nous assurant de n’acheter que des semences d’origine, distribuées par des entreprises qui jouissent d’une bonne réputation. Cela nous aidera à acheter et à utiliser uniquement des semences de qualité ». C’est la partie douce, la première partie du scénario de mise en application de ces lois.

On trouve par la suite : « Il est très important qu’au moment d’acheter des semences d’origine, de bonne qualité, vous demandiez toujours à l’entreprise semencière ou au fournisseur qu’il vous délivre une facture qui protège votre achat ». Pourquoi est-ce que je dis que l'étouffement commence à ce moment-là ? Parce qu’implicitement, on dit à ceux — aux paysans et aux agriculteurs — qui utilisent des semences que s’ils n’ont pas de factures, ils vont avoir de gros problèmes. Puis : « Nous vous recommandons de notifier à l’entreprise semencière et à votre fournisseur si vous connaissez ou entendez parler de ce type de commerce illégal de semences pirates. ». On nous demande de devenir des délateurs !

Il ne serait pas surprenant de voir que le règlement de certaines de ces lois sur les semences finisse par nous dire que nous sommes tous obligés de dénoncer quelqu’un si nous savons ou entendons dire que cette personne n’a pas acheté de semences aux entreprises. Et ce n’est pas exagérer que de dire qu’il existe aujourd’hui des lois qui nous obligent à la délation.

On trouve ensuite les sanctions. Les sanctions mentionnées jusqu’à présent dans la loi sont des amendes de 500 000 pesos mexicains (environ 50 000 dollars) et la confiscation des semences, voire de la récolte, en cas d’infraction. C’est ce que l’on trouve dans l’article 39. L’article 41 dit que cela n'exclut pas les sanctions pénales, c’est-à-dire qu’il existe la possibilité d’être emprisonné si la loi n’est pas respectée.2

Si l’on ajoute cette loi à d’autres, comme celles sur la certification de la viande et du lait, la certification biologique, la biosécurité, la propriété intellectuelle, entre autres, l’objectif est d’en finir avec l’agriculture indépendante, d’en finir surtout avec la production alimentaire indépendante et d'arriver exclusivement à une agriculture sous contrat. Quiconque ayant vécu à la campagne sait que l’agriculture sous contrat est un système d’esclavage déguisé. C’est pourquoi il n’est pas surprenant que l’un des objectifs du Master-plan du maïs — mis en avant au Mexique —, soit la généralisation des contrats agricoles.

Pour les États, il n’est pas évident de mettre en place ce type de lois car ils doivent contrôler énormément de gens : des gens qui résistent, se battent et produisent de la nourriture depuis des siècles. Par conséquent ces lois, si terribles qu’elles soient, ne sont encore rien d’autre que des mots couchés sur le papier, et le resteront si nous continuons à produire de la nourriture de manière indépendante. Mais si nous lâchons la production d’aliments et permettons qu’elle soit contrôlée par les transnationales, ces lois vont devenir réalité. Le combat va être rude, mais il ne faut pas oublier que l’attaque l’est aussi, féroce et implacable, car la capacité des peuples paysans et indiens du monde aujourd’hui de continuer à produire de la nourriture est considérable. Si la nourriture que produisent ces peuples était quelque chose de marginal, il n’y aurait pas besoin de ces lois, on les laisserait mourir. L’intensité de l’attaque est en relation avec l’importance de ce que les communautés indiennes et paysannes préservent encore entre leurs mains. C’est pour cela qu’aujourd’hui plus que jamais il est important de préserver les semences de production personnelle ainsi que tous les systèmes collectifs qui permettent à ces semences de rester en vie et de continuer leur chemin.

 

1 Le règlement de la Ley Federal de Producción, Certificación y Comercio de Semillas vient à peine d’être publié, au mois de septembre 2011. http://www.dof.gob.mx/nota_detalle.php?codigo=5207725&fecha=02/09/2011

2Dans le règlement, comme l’avait prédit Camila Montecinos, on trouve un chapitre entier sur l’inspection, la surveillance et les sanctions, y compris la destruction ou la confiscation des « instruments, semences ou produits qui ont à voir directement avec la perpétration de l’infraction », voir Section XI, articles 105-120 du Règlement mentionné ci-dessus.

 

Author: GRAIN
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  • [1] http://www.dof.gob.mx/nota_detalle.php?codigo=5207725&fecha=02/09/2011