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Les paysans indiens s’organisent pour faire barrage au brinjal Bt

by GRAIN | 14 Dec 2010

Mise à jour : Le 9 février 2010, en réponse aux nombreuses inquiétudes exprimées par le public et par certains scientifiques, Jairam Ramesh, ministre de l’Environnement et des Forêts, a annoncé un moratoire illimité sur le l’autorisation du brinjal Bt.

Le 14 octobre 2009, une agence gouvernementale indienne, le Comité d’autorisation du génie génétique (GEAC), qui fait partie du ministère de l’Environnement, a approuvé l’autorisation du brinjal Bt, une aubergine transgénique. En d’autres termes, on considère que la culture de cette plante en milieu ouvert est sans danger, même si cette culture se fait à une échelle commerciale. Cette décision a été prise suite au lobbying de Maharashtra Hybrid Seeds Company Ltd (Mahyco), l’entreprise partenaire de Monsanto en Inde, qui est responsable en grande partie du développement de cette aubergine Bt. Peu avant l’annonce de la décision du GEAC, le directeur général de Mahyco, Raju Barware, déclarait sur le site Internet de l’entreprise : « Nous espérons que la décision sera positive, parce que cela va aider nos millions de producteurs qui subissent les ravages du foreur des fruits et des tiges de l’aubergine (BFSB). » Il affirmait aussi que l’aubergine Bt « a la même valeur nutritionnelle que l’aubergine non Bt et que sa composition est identique, mis à part la protéine Bt supplémentaire qui agit spécifiquement contre le BFSB. » Ce qui correspond à la position officielle du ministère américain de l’Agriculture, qui soutient que les plantes génétiquement modifiées (GM) sont sensiblement équivalentes aux plantes naturelles non modifiées.

L’aubergine Bt serait donc la première culture alimentaire génétiquement modifiée à être approuvée pour en faire la culture commerciale en Inde, et le gouvernement l’envisage comme une première. « A l’avenir, nous espérons que beaucoup de plantes GM, modifiées pour fournir davantage de vitamines, de fer, de micro nutriments, de protéines et d’huiles de qualité, pourront garantir la sécurité nutritionnelle de la population. », a admis le ministre de l’Agriculture, K.V. Thomas. Les organisations de paysans et de consommateurs, ainsi que toute une série d’autres groupes, étaient parfaitement conscients de la portée de cette première autorisation et des protestations ont immédiatement été organisées. Face à cette réaction, le ministère de l’Environnement a décidé, un jour après avoir donné le feu vert, de mettre la décision en attente pendant plusieurs mois. Il a donné aux organisations jusqu’au 31 décembre 2009 pour faire part de leurs commentaires sur le rapport du comité d’experts qui a fondé la décision du GEAC [1], et il a promis de consulter  “toutes les parties prenantes” [2], les scientifiques aussi bien que les experts agricoles, les organisations paysannes, les groupes de consommateurs et les ONG, en janvier et février 2010.

Les groupes font fortement pression pour obliger le gouvernement indien à revenir sur sa décision de manière permanente. Selon G. Nammalvar, de Vanagam, une organisation à but non lucratif du Tamil Nadu qui milite pour l’agriculture biologique, « il n’y a aucune nécessité d’introduire en Inde une aubergine Bt, car l’Inde a le mérite de disposer d’une énorme biodiversité. Nous avons en effet 2 500 variétés d’aubergine traditionnelles en Inde. Chaque communauté a l’habitude de consommer une variété particulière, c’est-à-dire  produite localement. L’introduction d’une aubergine Bt, avec ses prétendus avantages, contaminerait les variétés locales et réduirait la biodiversité d’un légume consommé par des millions d’Indiens. » Il affirme que les militants écologistes, les collectifs de femmes, les mouvements de consommateurs, les associations de paysans et celles de commerçants feront combat commun pour résister à l’introduction de l’aubergine BT au Tamil Nadu.

Cette protestation a trouvé un écho partout dans le pays. Le 7 novembre 2009, une conférence sur le génie génétique, l’agriculture et l’alimentation s’est tenue à Mysore et a demandé au gouvernement de l’État du Tamil Nadu de déclarer Karnataka zone non OGM. « Nous ne voulons pas de cultures GM qui pourraient s’avérer catastrophiques pour l’humanité. », pouvait-on lire dans le rapport de la conférence. « Refusons l’aubergine Bt à tout jamais ! » À Trivandrum le 3 décembre, un Brinjal Festival (festival de l’aubergine) a été organisé par des groupes exposant entre autres les variétés d’aubergines locales cultivées par les paysans du Tamil Nadu, du Kerala et du Karnataka. Un festival d’une semaine a également eu lieu au Kerala à partir du 27 décembre pour mettre en évidence les dangers de l’aubergine Bt. Plus de cinquante scientifiques et une centaine de délégués de diverses universités et d’instituts scientifiques du pays, ainsi que des paysans, des décideurs et des représentants du gouvernement et des organisations non gouvernementales, ont participé à ce festival. Les groupes paysans menacent en outre de passer à l’“action directe” si le gouvernement maintient l’autorisation.

Entre temps, au niveau national, la Cour suprême indienne se trouve confrontée à une bataille juridique dans laquelle les requérants réclament une interdiction sur l’autorisation de toutes les plantes GM, tant que des tests scientifiques adéquats n’auront pas été menés et qu’un système crédible de réglementation concernant la biosécurité n’aura pas été mis en place. En même temps, le gouvernement propose d’établir une Autorité nationale de réglementation des biotechnologies, afin de surveiller les tests concernant les cultures biotech. Le directeur du Département de la Biotechnologie du gouvernement indien, S.R. Rao, affirme que cela garantirait que les décisions concernant les biotechnologies soient « fondées sur des évaluations scientifiques des risques, et non pas sur des campagnes et des slogans émanant de groupes de défense des intérêts publics. »

Mahyco fut la première entreprise à vendre du coton génétiquement modifié, le Bollgard, en 2002 et a dû faire face à des critiques incessantes depuis. Cette fois-ci, l’entreprise a été un peu plus prudente et elle ne vendra pas les semences GM elle-même. Les partisans de la technologie ont habilement déguisé cette autorisation de culture Bt en partenariat public-privé. Le partenariat, conçu par le gouvernement américain, financé par l’USAID et mené par l’Université Cornell , comprend Mahyco Hybrid Seed Company Ltd, l’Université agricole du Tamil Nadu (TNAU) de Coimbatore, l’Université des sciences agricoles (UAS) de Dharwad et l’Institut indien de recherche sur les légumes (IIVR) de Varasani. Le Projet II de soutien aux biotechnologies agricoles de l’USAID soutient les efforts de Mahyco pour obtenir l’approbation réglementaire pour cette technologie.

De nombreux aspects du développement de l’aubergine Bt sont entourés de mystère et les militants utilisent la législation du Droit à l’information pour tenter de démêler une séquence d’évènements très complexe. Une chose est claire, Mahyco a utilisé au départ une technologie sous licence Monsanto pour modifier génétiquement  des aubergines dans son laboratoire indien. L’aubergine GM a ensuite été croisée avec du “matériel” fourni par la TNAU. Un accord de transfert de matériel biologique (MTA), signé par la TNAU et Mahyco, déclare clairement que « la TNAU a fourni à MHSCL [Mahyco] du germoplasme d’aubergine développé, détenu, contrôlé et/ou produit sous licence par la TNAU. »

Les paysans indiens ont de bonnes raisons d’être particulièrement inquiets. Pendant des années, ils ont, en toute bonne foi, laissé les scientifiques collecter du matériel génétique à partir de leurs récoltes et le stocker dans les universités agricoles et les instituts de recherche. Tous ces mouvements de matériel végétal entre les différents secteurs et instituts par-delà les frontières suscitent désormais chez de nombreux paysans des interrogations fondamentales : A qui appartiennent vraiment les semences et le matériel végétal ? Le Système national de recherche agricole (NARS en anglais), auquel avaient été confiées les variétés des paysans et qui est un organisme public,  a t-il le droit de transmettre ce matériel à des entreprises privées ? Même si les années de savoir-faire paysans qui ont donné naissance aux variétés populaires d’aubergine sont reconnues, puisqu’elles doivent donner lieu à un partage des “bénéfices”, est-il possible d’inverser ou de compenser la perte de variétés indigènes pures, naturelles, génétiquement intactes ? Et surtout, faut-il laisser les multinationales, avec le soutien de leurs gouvernements, prendre le contrôle de l’agriculture ?

De plus, un certain nombre de “transferts” et d’“autorisations” manquent totalement de transparence. En 2007, l’Autorité nationale indienne sur la biodiversité (NBA) qui est devenue la première instance de décision conformément au Biological Diversity Act indien (loi sur la diversité biologique) de 2002, a autorisé Mahyco, avec l’approbation du NBPGR – le Bureau indien des ressources génétiques végétales - à importer des lignées parentales du Bangladesh, pour renvoyer le matériel désormais génétiquement modifié à East West Seeds Bangladesh Ltd, pour distribuer les semences. L’entreprise a des filiales en Thaïlande, en Indonésie, au Vietnam et aux Philippines. En d’autres termes, le NBA a effectivement autorisé une multinationale à utiliser du germoplasme indien pour développer un produit qui ne serait pas seulement utilisé en Inde, mais serait aussi exporté dans les pays voisins, mettant en danger la biodiversité en Asie.

Pour certains paysans, la proposition de Mahyco de « fournir la technologie gratuitement » au NARS n’est qu’un stratagème de l’industrie GM pour s’insinuer dans le NARS et ne laisser aux paysans que le choix d’accepter les produits de Mahyco. On parle beaucoup des bénéfices de l’aubergine Bt, mais les paysans sont tout à fait conscients que l’introduction de ce premier aliment GM ne serait que le début d’un processus qui mettrait sérieusement en danger les systèmes agricoles et alimentaires indiens et la biodiversité qui les soutient. Ils sont déterminés à se battre.


1 http://tinyurl.com/ydlhmum
2 http://ceeindia.org/cee/bt_brinjal.html

Author: GRAIN
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  • [2] http://tinyurl.com/ydlhmum
  • [3] http://ceeindia.org/cee/bt_brinjal.html