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Le Hoodia : beaucoup de baratin

by Rachel Wynberg | 13 Dec 2010

Il y a près de 20 ans que la Convention sur la diversité biologique (CDB) a été signée. Aujourd’hui il semble qu’un accord sur l’une de ses propositions centrales – la mise en place d’un régime qui réglementerait l’accès et le partage équitables des bénéfices de la biodiversité -  soit à portée de main. En octobre, les Parties doivent se rencontrer au Japon et sont censées se mettre d’accord sur un texte final. Entre temps, au niveau national, les gouvernements ont commencé à légiférer sur le sujet. Dans l’article qui suit, Rachel Wynberg analyse en quoi consiste ce partage des bénéfices pour les San, un peuple d’Afrique australe, qui ont vu leur cactus Hoodia prendre soudain une forte valeur commerciale.

Le Hoodia est sans aucun doute l’un des cas de biopiratage les plus célèbres. Il est souvent utilisé pour démontrer les bénéfices de la bioprospection pour les peuples indigènes et comme une façon de résoudre les problèmes de biopiratage. La réalité, cependant, est beaucoup plus complexe ; elle pose plus de questions qu’elle n’en résout en matière d’accès et de partage des bénéfices, et illustre les coûts et les bénéfices qui sont l’inévitable corollaire de ces accords de partage des avantages.

L’histoire a son origine dans les régions arides d’Afrique australe, où le Hoodia, une plante grasse, est utilisé depuis très longtemps par les population indigènes San, pour inhiber la faim et la soif. Les San sont parmi les populations africaines les plus anciennes, et les plus marginalisées. Les connaissances sur cette plante avaient été publiées par des botanistes au temps de la colonisation et ont été exploitées par le Conseil sud-africain pour la recherche scientifique et industrielle (le CSIR) afin de mener des recherches sur les propriétés potentielles de la plante comme coupe-faim. En 1997, après une longue période de développement, le CSIR a déposé un brevet sur l’usage des principes actifs responsables de l’effet coupe-faim de la plante. Un accord a ensuite été signé en 1998 entre le CSIR et la firme britannique Phytopharm. Celui-ci a été suivi par un autre accord de licence avec redevances entre Phytopharm et Pfizer, le géant pharmaceutique américain.

Jusqu’à 2001, les San n’avaient aucune idée que leurs savoirs concernant le Hoodia pouvaient avoir des applications commerciales ni que ces savoirs avaient servi de base à des recherches, à une validation scientifique ainsi qu’à la demande de brevets internationaux par le CSIR. Ils étaient de plus exclus des transactions lucratives liées au développement des produits commerciaux. En 2001, les San ont pris conscience que leurs savoirs étaient exploités sans leur consentement. De fait, le CSIR avait informé Phytopharm que les San, dont la population avoisine les 100 000, « n’existaient plus ». Les pressions politiques et une intense couverture médiatique ont obligé le CSIR à négocier avec les San et un accord de partage des bénéfices a été adopté en 2003.

Cet accord déclarait que les San recevraient 6 % de toutes les redevances versées par Phytopharm au CSIR pour ses produits, et 8 % en paiements d’étapes, au fur et à mesure que certains objectifs seraient atteints. L’argent serait déposé dans un fonds mis en place conjointement par le CSIR et le Conseil des San d’Afrique du Sud, « afin d’améliorer le niveau de vie et le bien-être des populations San d’Afrique australe. » Des règles très strictes furent décidées pour la distribution des fonds. Les représentants des San ayant reconnu que les savoirs concernant la plante était la propriété collective de la communauté San, il fut donc décidé de partager l’argent entre tous les San d’Afrique australe.

Les failles apparaissent

Au départ, on a vanté cet accord comme une avancée décisive dans l’impasse où se trouvaient les questions de l’accès et du partage des avantages (APA). On avait là un bel exemple de la façon dont la CDB pouvait en pratique bénéficier à la fois aux populations indigènes et à ceux qui tentaient de tirer profit des savoirs traditionnels et des ressources biologiques. Le contrôle de l’obésité par le régime alimentaire est évalué à 3 milliards de dollars US par an, rien qu’aux États-Unis : on pouvait donc attendre des retours sur investissement extrêmement lucratifs. Mais très rapidement, la situation a commencé à se détériorer. Une analyse de l’accord a révélé que, même si les San devaient recevoir d’importantes sommes d’argent, celles-ci ne représenteraient qu’une portion minuscule d’un très gros gâteau. L’argent reçu par les San serait extrait des royalties touchées par le CSIR, mais les bénéfices de Pfizer et de Phytopharm resteraient inchangés. Pouvait-on alors parler de partage équitable ? La condition imposant aux San un accord exclusif avec le CSIR était également troublante, en ce sens qu’elle privait les San de toute autre opportunité de tirer profit de l’utilisation du Hoodia. Et si l’accord avec Pfizer était annulé ? Autre problème très inquiétant : comment gérer l’afflux et la distribution de sommes d’argent potentiellement énormes, quand les institutions San locales étaient si fragiles et si peu développées ? Quel serait l’impact sur les San et comment pourrait-on créer un système garantissant la justice et l’équité dans trois pays différents ? Cet aspect était particulièrement complexe car les San sont largement répartis dans des régions très reculées de l’Afrique australe.

Ces inquiétudes étaient d’une certaine façon prophétiques. En 2003, Pfizer fusionne avec Pharmacia et ferme sa filière de Natureceuticals, responsable du développement du Hoodia. Pfizer interrompt le développement clinique du médicament et rend les droits à Phytopharm. En 2004,  le géant de la consommation Unilever entre dans la danse via un accord de développement en collaboration avec Phytopharm et commence à faire des recherches sur le Hoodia qu’il intègre dans sa gamme de boissons Slim Fast ®. Un vaste programme de culture est lancé : 300 hectares de Hoodia en Afrique du Sud et en Namibie, des essais cliniques de sûreté, des unités de production et un accord destiné à mettre en place une usine d’extraction de 750 millions de rands (soit environ 105 millions de dollars US).

Entraînés dans cette frénésie, une bande d’opportunistes se sont mis à cultiver et commercialiser le Hoodia. Le brevet du CSIR concernait l’extrait de Hoodia et rien n’empêchait les autres sociétés de vendre tout simplement du Hoodia brut pour l’incorporer dans des suppléments à base de plantes.  Les collectes sauvages non-réglementées se sont alors multipliées au point qu’en 2004, l’importance de la menace pour les populations naturelles de Hoodia a fait inscrire ce dernier à l’Annexe II de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Des dizaines de produits à base de Hoodia ont fait l’objet de publicité sur Internet et se sont vendus en pharmacie et en para-pharmacie sous forme de barres de régime, de pilules, de crèmes et de boissons. Une myriade de sociétés les commercialisaient, en s’appuyant sur la publicité et les essais cliniques de Phytopharm et d’Unilever. Ces produits ne procuraient aucun bénéfice aux San et certains étaient d’une authenticité et d’une qualité plus que douteuses. Les inquiétudes croissantes concernant les effets environnementaux et la qualité ont amené l’industrie à adopter une réglementation plus stricte et à n’utiliser que des plantes cultivées. Les entreprises qui cultivaient le Hoodia pour le marché des suppléments à base de plantes et de compléments diététiques ont elles aussi négocié un autre accord de partage des bénéfices avec les San. Alors que l’industrie du Hoodia était en train de s’organiser, elle a reçu un coup sévère quand Unilever s’est soudainement retiré en 2008, en annonçant qu’il abandonnait ses programmes de développement du Hoodia comme alicament, parce qu’il avait des doutes sur la sûreté et l’efficacité de la substance. Quoiqu’il reste actuellement sur le marché quelques produits à base de Hoodia, les bénéfices de centaines de millions de dollars qui avaient été prévus restent du domaine du fantasme.

Le cas du Hoodia a permis de tirer plusieurs conclusions importantes. L ‘enseignement principal de cette histoire, c’est qu’elle a montré que les attentes des bénéfices de la bioprospection sont irréalistes et très souvent trompeuses. La bioprospection a bien plus de chances de contribuer à la création de capacités scientifiques et technologiques que de soulager la pauvreté ou de favoriser la conservation de la biodiversité. Le développement de produits commerciaux implique des coûts et des risques élevés et bénéficie rarement aux communautés sur le terrain. Les accords de partage des bénéfices ne sont pas compatibles avec les projets de développement et ces accords causent parfois plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. À ce jour, le San-Hoodia Trust n’a reçu que 100 000 dollars US et déjà les défis rencontrés pour distribuer cet argent sont immenses ; certains craignent même que cela ne serve qu’à détourner des ressources nécessaires autre part. Une grande partie des organisations mises en place pour représenter les San sont nouvelles, manquent de capacités et peuvent difficilement faire face à l’introduction de grosses sommes d’argent.

Il faut aussi se demander quel intérêt représente l’APA  pour les peuples indigènes par rapport aux autres défis et priorités du développement. Les questions d’APA restent marginales comparées à l’ensemble des luttes que mènent les San et les autres populations indigènes dans le monde pour leur développement. Il s’agit de garantir leurs droits aux ressources, aux savoirs et aux terres dont ils ont été privés depuis des siècles. Le plus souvent, les débats sur l’APA n’ont pas pris en compte ces réalités ni ces menaces plus générales qui sont à l’origine de la perte effrénée de la biodiversité et de la culture de ces populations, à savoir l’abattage des forêts, l’extraction minière et l’agriculture commerciale. Le double objectif de l’équité et de la conservation de la biodiversité ne pourra être atteint que si ces questions sont vraiment prises en considération.

Encadré : à qui profite le Pélargonium ?

Le défi récemment soulevé par le brevet sur le Pélargonium, une plante provenant d’Afrique du Sud et du Lesotho, illustre clairement  avec quelle facilité les gouvernements et les entreprises manipulent les relations de pouvoir et choisissent les communautés et les questions qui les intéressent. Les savoirs concernant les propriétés curatives du Pélargonium ont été obtenues dès les années 1800 par un médecin suisse auprès de guérisseurs traditionnels du Lesotho.  Schwabe, une firme pharmaceutique allemande, produit depuis plusieurs dizaines d’années un médicament très efficace à partir de la racine de la plante. Ce n’est qu’un exemple des nombreuses ressources biologiques issues des pays du Sud qui sont utilisées comme médicaments dans les pays industrialisés. Mais quand Schwabe a obtenu plusieurs brevets à l’EPO (Bureau des brevets européen), une communauté de la petite ville d’Alice, dans la province du Cap-Oriental en Afrique du Sud, a décidé de contester le brevet. Soutenue par des ONG nationales et internationales, cette communauté a réussi à contester les brevets. Le gouvernement sud-africain est obligé désormais de trouver une solution et envisage d’accorder un permis national de bioprospection à Schwabe qui inclurait des bénéfices qui seraient reversés à un chef local. Entre temps, le gouvernement local sans attendre a décidé de donner accès à Schwabe, en accordant un permis à des intermédiaires locaux, à condition que ceux-ci fournissent exclusivement Schwabe. En d’autres termes, la façon dont les autorités sud-africaines choisissent de résoudre le problème est d’ignorer la communauté qui a contesté le brevet et de s’arranger plutôt avec une firme pharmaceutique, un chef local trié sur le volet et un trust communautaire nouvellement créé. De cette manière, elles évitent d’avoir à composer avec la communauté d’Alice, mieux informée, et avec les ONG.. 1 Peut-on parler ici de partage équitable des avantages ? 


1    Communication personnelle de Mariam Mayet  à GRAIN. Voir aussi : http://www.biosafetyafrica.org.za

LECTURES COMPLÉMENTAIRES

Rachel Wynberg, Doris Schroeder and Roger Chennells, “Indigenous Peoples, Consent and Benefit Sharing: Lessons from the San-Hoodia Case” Springer Press, 2009. http://www.springer.com/law/environmental/book/978-90-481-3122-8

Jay McGown, “Out of Africa, Mysteries of Access and Benefit Sharing”,  Edmonds Institute & African Center for Biosafety, 2006. http://www.edmonds-institute.org/outofafrica.pdf

GRAIN, “Resituer la question des bénéfices tirés de la biodiversité”: Seedling, avril 2005. http://www.grain.org/seedling/?id=398

GRAIN, “De bonnes idées qui ont mal tourné ? Glossaire des termes relatifs aux droits”: Seedling, janvier 2004
http://www.grain.org/seedling/?id=320

“Access and Benefit Sharing laws from across the world” sur le site de GRAIN http://www.grain.org/brl/?typeid=20


Photo: Les San restent parmi les peuples les plus marginalisés d’Afrique australe et leur histoire est une longue suite de dépossession, de persécutions et de déplacements. La plupart vivent dans des zones reculées, difficiles et arides, et parviennent à peine à survivre grâce aux activités agricoles, à l’élevage, au travail saisonnier et à la collecte de produits forestiers autres que le bois. Beaucoup de San vivent au-dessous du seuil de pauvreté et ont des difficultés considérables à accéder aux services sociaux, à l’emploi et aux opportunités génératrices de revenus. Laisser entrer dans ces communautés de grosses sommes d’argent pourrait avoir pour conséquence de les diviser, voire provoquer des catastrophes.

Rachel Wynberg  est chercheur à l’Environmental Evaluation Unit (Département d’évaluation environnementale) à l’Université de Cape Town, et membre fondateur et actuellement administratrice de Biowatch South Africa. En 1997, ayant entendu parler du brevet Hoodia qui avait été demandé par le CSIR, elle a fait des recherches sur les utilisations traditionnelles de cette plante et a lancé, par l’intermédiaire de Biowatch, une campagne pour alerter les médias et les San, en révélant comment leurs savoirs étaient exploités. Depuis 10 ans, elle fait des recherches sur le Hoodia et sur sa commercialisation et a récemment publié un livre sur la question, en collaboration avec Doris Schroeder et Roger Chennells. (cf. Lectures complémentaires à la fin de l’article.)

Author: Rachel Wynberg
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  • [4] http://www.biosafetyafrica.org.za
  • [5] http://www.springer.com/law/environmental/book/978-90-481-3122-8
  • [6] http://www.edmonds-institute.org/outofafrica.pdf
  • [7] http://www.grain.org/seedling/?id=398
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