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La protection des obtentions végétales pour nourrir l'Afrique ? Rhétorique contre réalité

by GRAIN | 1 Dec 1999

La protection des obtentions végétales pour nourrir l'Afrique?

Rhétorique contre réalité

Octobre 1999

www.grain.org/fr/publications/pvp-fr.cfm

 

Dans un aide-mémoire officiel adressé aux gouvernements d'Afrique francophone en juin 1999, l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) a souligné les principaux avantages de l'introduction de lois sur la protection des obtentions végétales – une sorte de brevet sur les plantes – en Afrique:

Au bout de compte, la protection des obtentions végétales contribue au bien-être de la population en contribuant tout particulièrement à :

a) la sécurité alimentaire (par l'augmentation des quantités, de la qualité et de la diversité des denrées alimentaires)

b) l'agriculture durable (par exemple par une utilisation plus efficace des ressources disponibles et des intrants ou par l'utilisation de variétés résistantes aux parasites et aux maladies); et

c) la protection de l'environnement et de la biodiversité (par exemple par la réduction des pressions exercées sur les écosystèmes naturels consécutive à une meilleure productivité des terres cultivées, par l'augmentation de la diversité des espèces et des variétés cultivées et par l'augmentation de l'intérêt pour la conservation et l'utilisation des ressources génétiques pour l'alimentation et l'agriculture).1

Ce pont d'or promis par l'UPOV à certains des pays les plus pauvres d'Afrique mérite une réflexion attentive. L'UPOV est un groupe constitué essentiellement par des pays industrialisés qui accorde des droits de monopole sur des semences à des entreprises multinationales et à d'autres professionnels du monde de la recherche. L'UPOV est très actif dans la promotion de son système de droits sur l'obtention végétale (DOV) dans tout le Tiers- Monde.

En février 1999, les pays africains francophones membres de l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) 2 ont été amenés à rejoindre l'UPOV sous les termes de sa Convention de 1991. Ils doivent à présent ratifier leur décision. L'aide-mémoire avait pour but de leur rappeler ce qui se présentait à eux à l'issue la ratification prometteuse.

Sécurité alimentaire

Aucune disposition du système international des DOV n'oriente la sélection des plantes vers la sécurité alimentaire. De façon plus spécifique, il n'y a rien dans la Convention de l'UPOV qui accorde priorité à une protection juridique des cultures vivrières sur celle des cultures industrielles. La réalité en Afrique est que la sécurité alimentaire ne figure absolument pas sur l'agenda des systèmes de DOV. Notre premier graphique montre les demandes et octrois de DOV par culture dans les trois pays africains qui offrent de tels droits à ce jour.

 

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Cultures industrielles: fibres, fourrages, ornamentaux, oléagineux et autres
Cultures vivrières: céréales, légumineuses, fruits, tubercules et légumes

SOURCE: Données rassemblées par GRAIN du Kenya Plant Health Inspectorate Service (KEPHIS) public notice du 3 mai 1999; Zimbabwe Ministry of Agriculture, Dept. of Research and Specialist Services, Seed Services Division, comm. pers. du 23 septembre 1999; South African Plant Variety Journal, décembre 1998.

 

Au Kenya, pas une seule demande, déposée et vérifiée depuis le démarrage de son administration des DOV jusqu'en Mai 1999 3, n'a porté sur une culture importante pour la sécurité alimentaire nationale. Presque toutes ont visé des cultures commerciales: plantes ornementales, canne à sucre, café et orge pour les brasseries industrielles.Un certificat d'obtention végétale a été délivré pour une variété de haricot vert – que le Kenya cultive pour le marché européen. Dès lors, le système des DOV au Kenya peut soutenir la sécurité alimentaire des producteurs de fleurs et des consommateurs européens de légumes, mais en rien celle de la vaste majorité des paysans locaux qui produisent la nourriture de leur pays.

Au Zimbabwe, la loi sur les Droits des Sélectionneurs de Plantes fut promulguée en 1973. En 1974, 13 genres ou espèces furent retenus pour la protection juridique. Leur nombre se monte aujourd'hui à 31. 4 A partir de 1999, plus de 70% de l'ensemble des demandes ont porté sur des cultures industrielles ou de rente: plantes d'ornement, fibres, oléagineux et tabac. Seules 30% des demandes d'enregistrement déposées recouvrent ce qui peut être qualifié de cultures vivrières.

Dans le cas de l'Afrique du Sud, le système des DOV devint opérationnel en 1977. A compter de la fin de 1998, un total de 1435 certificats d'obtention végétale avaient été délivrés. La moitié d'entre eux portaient sur des cultures industrielles.

Ces trois exemples – les seuls en Afrique – démontrent très clairement que le système des DOV ne présente aucune orientation en faveur de "la sécurité alimentaire". Ils indiquent, au contraire, que ce système soutient très bien les industries d'exportations agricoles. Ceci s'avère particulièrement vrai au Kenya et au Zimbabwe, où respectivement 80% et 70% de la population dépend de l'agriculture pour sa survie. La "face cachée" de ce processus que l'UPOV ignore est que dans ces trois pays, la production alimentaire par habitant a diminué au cours des deux dernières décennies.5

Agriculture durable

De même, rien ne découle ni de la Convention de l'UPOV, ni des législations nationales sur les DOV qui n'attribue à la sélection des plantes un but particulier—autre que le "DUS", bien entendu. Toutes les lois sur la protection des obtentions végétales en Afrique exigent que les variétés soient "distinctes", "uniformes" et "stables" pour bénéficier d'une protection juridique. Ces caractéristiques sont connues comme constituant les critères "DUS". L'uniformité et la stabilité sont les deux facteurs qui orientent l'amélioration des plantes vers l'agriculture industrielle. Etant des critères obligatoires pour la protection juridiques, ils poussent les sélectionneurs à développer des variétés qui possèdent une adaptabilité étroite et qui conviennent fort bien aux systèmes de production des monocultures conçus pour des marchés larges (nationaux et à l'exportation). De surcroît, ces variétés tendent à nécessiter l'utilisation d'intrants pour compenser leur uniformité, puisque l'uniformité sur de larges surfaces conduit à la vulnérabilité des cultures. Nous notons que pendant la période 1977-1997, les factures d'importations de pesticides ont triplé à la fois pour le Zimbabwe et pour l'Afrique du Sud. 6 Sur la même période, celles du Kenya doublaient. L'uniformité génétique, les monocultures et la dépendance par rapport à des intrants extérieurs et à des marchés étrangers peuvent difficilement passer pour les caractéristiques d'une agriculture durable.

Mais une meilleure indication de la relation existant entre l'obtention végétale et l'agriculture durable nous est peut-être donnée par un regard sur le type de sélectionneur qui se voit actuellement reconnaître ces droits. Il est largement admis que pour qu'un pays se dirige vers une agriculture durable, il ait besoin d'un système de recherche national solide qui puisse développer des technologies adaptées aux besoins des paysans locaux. Ceci est particulièrement vrai dans la sélection des plantes, étant donné que les paysans ont besoin de différentes variétés de semences pour des conditions agronomiques, environnementales et socio-économiques différentes.

Notre deuxième graphique, qui juxtapose les données de six pays en voie de développement différents, démontre que la vaste majorité des demandes de DOV proviennent d'institutions étrangères à ces pays. Ces institutions étrangères sont souvent d'importantes multinationales qui de façon croissante contrôlent le complexe agro-industriel qui recouvre la sélection des plantes, l'agrochimie et les nouvelles biotechnologies. Dans le cas du Kenya, plus de 90% de toutes les demandes de certificats d'obtention végétale ont été déposées par des sélectionneurs étrangers, quand pour l'Afrique du Sud cette proportion dépasse les deux-tiers.

Au lieu de promouvoir une agriculture durable et une structure de recherche nationale autonome capable de répondre aux besoins locaux et nationaux, les DOV encouragent l'expansion de systèmes d'agriculture industrielle structurellement faibles et augmentent la dépendance de ceux-ci vis-à-vis d'une poignée de sociétés multinationales.

Protection de l'environnement et conservation de la biodiversité

L'argument de l'UPOV proclamant que le système des obtentions végétales stimule la protection de l'environnement et la conservation de la biodiversité ne possède ni base légale, ni base économique, et n'est fondé sur aucune expérience sur le terrain. Ce système semble au contraire induire un effet inverse. Nous avons déjà souligné que le critère d'uniformité pour l'octroi des DOV tend à détruire la diversité dans le champ, au lieu de la sauvegarder. Suivant la logique de l'UPOV, une telle érosion génétique pourrait être considérée comme stimulant la conservation de la biodiversité car elle alarme les populations!

Il n'existe pas une seule disposition de la Convention de l'UPOV qui se réfère à la préservation des ressources génétiques. Ceci est compréhensible, puisque le but de la propriété intellectuelle n'est pas de protéger l'environnement mais de protéger les oeuvres du génie humain. En réalité, le lien entre les droits de propriété intellectuelle appliqués au vivant avec la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité est hautement contentieux. Cela peut être perçu dans le conflit largement rapporté qui existe entre l'accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et la Convention sur la Diversité Biologique (CDB). 7

Malgré cet état de fait, ou à cause de lui, quelques Etats en voie de développement essaient de rédiger leurs propres lois sur la protection végétale qui incorporent des agendas en faveur de la biodiversité dans l'esprit de la CDB: exiger des études d'impacts sur l'environnement, utiliser des critères plus larges que les critères DUS pour l'agrément à la protection juridique, réservation de fonds pour des banques de semences communautaires, etc… 8 Cependant, l'UPOV entrâve ces efforts. Prenons un exemple en Amérique Latine : les conseillers de l'UPOV ont récemment averti les législateurs du Nicaragua que tout alignement de leur loi nationale sur l'obtention végétale avec la Convention sur la Diversité Biologique rendrait cette loi incompatible avec l'UPOV. 9

Conclusions

Les arguments de l'UPOV avançant que la protection des obtentions végétales – en particulier par la Convention de l'UPOV — contribue à la sécurité alimentaire, à l'agriculture durable et à la protection de la biodiversité sont infondés et erronés.

La promesse de la sécurité alimentaire peut être évaluée à travers l'examen de l'expérience africaine, à ce jour, avec les DOV. Au Kenya et au Zimbabwe, la protection juridique des variétés végétales est clairement orientée vers un renforcement du secteur agricole des cultures de rente, et non vers l'amélioration de la production alimentaire. En Afrique du Sud, aucun lien privilégié entre DOV et cultures vivrières ne peut être établi.

La promesse d'une agriculture durable est affaiblie par l'exigence d'une uniformité contenue dans les lois de protection sur l'obtention végétale elles-mêmes et par les données qui démontrent qu'au lieu de promouvoir un système national de recherche agricole solide et autonome, la grande majorité des droits de monopole sur des variétés végétales aboutit entre les mains étrangères de sociétés multinationales. Cette situation engendre la dépendance, et non pas une agriculture durable.

La promesse d'une contribution à la biodiversité est probablement la plus contestable de toutes. Comme précédemment démontré, les lois portant sur l'obtention végétale encouragent l'uniformité et une agriculture industrielle orientée sur l'exportation, et non sur la biodiversité. Un système juridique qui, dans son propre concept de variété végétale, renie les droits des paysans à conserver librement des semences et pose un veto à la variabilité, ne peut prétendre être un instrument de protection de la biodiversité.

Traduit de l'anglais par Nathalie Whitfield-Pimbert


[1] Aide Mémoire pour la Ratification du Nouvel Accord de Bangui et l'Adhésion à l'Union Internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV), Genève, juin 1999.

[2] Bénin, Burkina Fasso, Cameroun, République Centrafricaine, Tchad, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo.

[3] Le Bureau des Obtentions Végétales fut établi en mars 1997. A compter de cette date et jusqu'en mai 1999, 136 variétés ont subi des examens pour l'octroi du droit. Sur ce nombre, 123 concernaient des plantes ornementales, 6 de la canne à sucre, 5 de l'orge (le sélectionneur étant brassier), 1 portait sur du café et 1 autre sur un type de haricot vert (Kephis Public Notice, Nairobi, 3 mai 1999).

[4] Dr Bellah Mpofu, "National Experience and Plant to Implement a Sui Generis System in Zimbabwe", article présenté à l'atelier régional organis par l'UPOV, l'OMPI et l'OMC sur La protection juridique des variétés végétales suivant l'article 27.3(b) des Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Nairobi, 6-7 mai 1999.

[5] Programme pour le Développement des Nations-Unies, Rapport sur le Développement Humain 1999, New York, www.undp.org/hdro/food.htm

[6] FAOSTAT fournit uniquement des données en valeur sur les importations de pesticides. Pour le Zimbabwe, elles représentaient 12 millions de $ en 1977 et 27 millions de $ en 1997. En Afrique du sud, 34 millions de $ en 1977 et 115 millions de $ en 1997. Au Kenya, 24 millions de $ en 1977 et 42 millions de $ en 1997. La majorité de ces substances chimiques ont été répandues sur des cultures commerciales. Voir http://apps.fao.org/

[7] Le sigle ADPIC désigne les droits de propriété intellectuelle touchant au commerce, ceux-ci autorisent la brevetabilité du vivant sous l'OMC. Voir Gaia/GRAIN, "L'ADPIC contre la CDB", Commerce mondial et biodiversité en conflit, N° 1, avril 1998, www.grain.org/fr/publications/num1.htm

[8] Voir Au delà de l'UPOV: Des examples de lois sui generis de protection variétale non conformes avec l'UPOV en voie d'élaboration dans les pays en développement pour la mise en oeuvre de l'ADPIC, GRAIN, juillet 1999, www.grain.org/adhoc-f.htm

[9] Daniel Querol, communication personnelle, 16 août 1999.


Référence pour cet article : GRAIN, 1999, La protection des obtentions végétales pour nourrir l'Afrique? Rhétorique contre réalité, octobre 1999, Seedling, GRAIN Publications

Lien sur internet : www.grain.org/fr/seedling/pvp-fr.cfm


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Author: GRAIN
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  • [1] http://www.undp.org/hdro/food.htm
  • [2] http://apps.fao.org/
  • [3] http://www.grain.org/publications/french/num1.htm
  • [4] http://www.grain.org/adhoc-f.htm
  • [5] http://www.grain.org/fr/seedling/seed-jun992-fr.cfm
  • [6] mailto:'