https://grain.org/e/1338

Quelles modes de production pour la semence paysanne ? (Suite et fin)

by Abdoulaye Sarr | 15 Apr 2009

Par Abdoulaye SARR

Président du Gadec (Groupe d’Action pour le Développement Communautaire (Tambacounda – Sénégal) et Membre de la Coalition pour la Protection du Patrimoine Génétique Africain (COPAGEN)

Cette communication a été présentée à Djimini (Sénégal) le 7 mars 2009, à la foire des semences paysannes organisée par l’Association Sénégalaise des Producteurs de Semences paysannes (ASPSP) et l’Association française Biodiversité Echange et Diffusion d’Expériences (BEDE)

(Première partie)

2.2. L’agriculture sénégalaise actuelle

Les différents états coloniaux, ou post coloniaux, ont favorisé la mise en place des cultures de rente, comme l’arachide ou le coton, cultivées avec la traction animale, et l’utilisation des engrais chimiques. Cette agriculture occupe aujourd’hui une large partie des terres arables du Sénégal appelé bassin arachidier, et a ainsi bouleversé les anciens systèmes de culture, ce qui se traduit par :

•   une diminution du taux de la matière organique,

•   la modification des terroirs agricoles plus exposés à l’érosion éolienne, et hydrique,

•   l’acidification, la salinité, et la latérisation des sols,

•   des conflits permanents entre agriculteurs et éleveurs,

•   une baisse constante des rendements qui amènent les producteurs à élargir leurs champs.

En gros, la logique d’accumulation de profits en devises pousse les politiques agricoles de l’état à détruire les systèmes traditionnels.

L’agriculture sénégalaise actuelle est constituée par des systèmes techniques hybrides, ni traditionnel, ni moderne et surtout non adapté a la gestion durable des ressources naturelles de base. Ces orientations agricoles, poussent le monde paysan dans le sens de la misère et du désespoir, vers des conflits sociaux, comme on en voit souvent en Afrique. Malgré tous les efforts fournis pour introduire en milieu paysan des variétés à haut rendement, la production des céréales dans les villages est jusqu’à présent assurée par les semences paysannes.

Les besoins de diversité de semences des paysans ne peuvent être satisfaits par un nombre limité de variétés à haut rendement, et nécessitant un paquet technique coûteux.

Or, ces semences paysannes sont plus que menacées de disparition, pour les raisons suivantes :

•   l’épuration variétale, par les techniciens sénégalais, est influencée par l’agronomie moderne française, et surtout dans des zones telles que le bassin arachidier ;

•   on assiste à un rétrécissement notoire de la base génétique des variétés améliorées, a cause d’une certaine homogénéisation du matériel végétal, ce qui peut constituer un sérieux problème d’adaptabilité en cas d’épidémie. (Se conférer au manuel de formation sur les normes techniques de Riz de ISRA - 1998) ;

•   les aléas climatiques, les famines, les guerres, où des villages ont disparu avec leurs variétés locales. C’est le cas des villages entiers qui ont été décimés a cause de la guerre en Casamance ;

•   la destruction de la biodiversité des milieux naturels ;

•   les techniciens font croire aux paysans que les semences certifiées sont plus performantes que les semences paysannes.

En gros, la situation n’est pas perdue ; mais nous devons relever un énorme défi qui nous concerne tous : paysans, ONG, leaders d’opinion, religieux, chercheurs et journalistes.

Il s’agit de gagner la bataille de la préservation, de la protection de la diversité biologique et génétique.

III. L’agrobiologie porteur d’avenir de la semence paysanne

Mes premières observations liées aux semences locales ont commencé à partir des années 1990. Le GADEC, notre ONG s’inscrivant dans la gestion et la réhabilitation des terroirs villageois, avait démarré la construction de micro-barrages dans différentes vallées de la zone du Sénégal oriental et de la haute Casamance. Ces ouvrages non seulement permettent de contribuer à la ré-alimentation de la nappe, mais également à créer les conditions les plus favorables au développement des cultures maraîchères et rizicoles, et ainsi à faire face aux dures conditions des différentes années de sécheresse.

En collaboration avec l’ISRA (l’Institut Sénégalais de Recherche Agronomique), la GADEC avait entrepris des recherches en introduisant des variétés améliorées pour valoriser des ouvrages, et contribuer ainsi à l’amélioration de la riziculture de bas – fond. Je constatais à la suite des expériences faites en milieu réel, avec des protocoles simplifiés, que nos variétés, soit disant améliorés, s’adaptaient difficilement aux dures conditions du milieu. Par contre, les femmes avec une bonne maîtrise du calendrier cultural, arrivaient à faire de bonnes récoltes. J’avais demandé en 1998 à mes amis chercheurs si on pouvait, tout en continuant à introduire les variétés améliorées, surtout collecter le matériel végétal traditionnel dans les zones à bonne pluviométrie, et permettre aux femmes de les échanger à travers des banques de semences dans les villages ou le GADEC avait construit des micro- barrages. A titre d’exemple, j’ai toujours en mémoire - car je sillonnais des semaines durant, les mauvaises pistes de la brousse, pour les collecter de village en village - le nom de quelques variétés: Samba Diadié, Binta Damadé, Thiamoyel, Diounanang, kalburon, Abdoulaye Mano, Balinghor, Copé, Banakru Gudomp, Sira Ding etc…

Ainsi, nous avons pu évaluer l’effet du compost, du fumier du Sesbania rostrata (un engrais vert, obtenu avec les groupements de Nianga, région de Kolda) en comparant le développement et la production des variétés locales et améliorées. Cette utilisation du fumier, du compost et de la sesbania, plante fixatrice d’azote, doit être encouragée dans la riziculture. C’était une forte recommandation de nos essais. Nous avons présenté nos travaux, lors d’un atelier sur les résultats de la recherche sur le thème : Riziculture dans les Régions de Basse et Moyenne Casamance du Sénégal oriental et de haute Casamance à Tambacounda en Mars 1998.

Je rappelle pour caractériser, la variété Binta Damadé lors des restitutions villageoises et dans un langage humide, les femmes disaient que cette variété se comporte comme une belle femme, à la floraison, elle embaume l’atmosphère des rizières de son parfum exquis. Pour dire que nous n’avons pas de solutions techniques simplificatrices, comme les marchands d’engrais chimiques qui recommandent les doses de NPK, ce que nous avons à faire exige, de l’imagination et de la créativité, ainsi qu’un travail massif d’expérimentations ; il n’y a pas de solutions toutes prêtes qui proposent de faire du compost partout, car chaque parcelle, chaque ferme est une individualité agricole.

Conclusion

Les praticiens que nous sommes, pensons que l’agrobiologie ou l’agroécologie, peu importent les nuances, participe à la vie du paysan accompli. En faisant la conservation des ressources comme le sol, ou le recyclage à travers le compostage. En favorisant la régénérescence naturelle de plantes fixatrices d’azote (Acacia Albida) à l’échelle de la parcelle. En utilisant les roches broyées pour récupérer un système dégradé, et les savoirs anciens subtiles. En intégrant de façon harmonieuse l’élevage à l’agriculture, en faisant de la sélection massale créatrice et paysanne. En protégeant le domaine sylvo-pastorale contre les feux de brousse, en produisant des aliments de grande qualité nutritive, nous intervenons de façon réfléchie dans les mystères de la vie. Ainsi, on est inspiré par les images originelles des anciennes civilisations agraires, ou la vie est une participation à l’unité fondamentale et vitale, et à l’interdépendance des êtres à la source commune du sacré.

Author: Abdoulaye Sarr