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Gestion de la grippe aviaire au BĂ©nin : Tapis rouge au virus H5N1 sur les cadavres de victimes innocentes (2)

by Patrice Sagbo | 9 May 2008

Par Patrice Sagbo, Actions pour le Développement Durable (ADéD) - Bénin

(Première partie | Suite et fin)

photoLa destruction de volailles devrait concerner toutes les volailles tant locales qu’ importées. On ne cessera jamais de s’interroger sur cet acharnement d’extermination sur les seules volailles locales, ressources précieuses de notre patrimoine génétique africain. Est-ce que la grippe aviaire a été prouvée à leur niveau ?

Au même moment, avec le soutien du Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche (MAEP) et de tout le gouvernement, il a été organisé à grande pompe et à forte médiatisation (avec cinq minutes au moins de diffusion sur la chaîne de la télévision nationale), la DÉGUSTATION publique de volailles importées et de produits qui en sont dérivés au Palais des Congrès Cotonou, afin de convaincre les populations d’acheter et de consommer massivement cette catégorie de volailles importées et ses dérivés. Ainsi des cages et hangars de fortune remplis de poules pondeuses en fin de carrière importées, de coquelets et de dindons importés, ont été installés partout sur le territoire du Bénin au nez et à la barbe de tous ces destructeurs de volailles locales et techniciens de la Direction de l’élevage. Pourtant, on ne connaît rien sur le statut, l’état sérologique de toutes ces volailles importées disséminées sans aucune restriction et pour des raisons commerciales sur tout le territoire national, malgré la présence déjà des foyers de grippe aviaire au Bénin depuis le 4 décembre 2007. Voilà l’incohérence des mesures mises en œuvre pour la gestion de la grippe aviaire avec toutes les contradictions et injustice associées. Ce faisant, toutes les conditions de dissémination du virus H5N1 dans tout le Bénin étaient ainsi réunies en cette période de fêtes de décembre 2007.

Mais cela ne gène presque personne. Certainement parce que les paysans et les éleveurs ne font peur à personne, et sont donc maltraités et bluffés à souhait.

Destruction sans dédommagement

Plus inquiétante et confuse est «  la destruction des volailles sans dédommagement » soutenue par le Directeur de l’élevage : « Une fois que la loi doit être exécutée et que les uns et les autres sont informés, l’arrestation de volailles ne donne pas droit à des indemnisations. Et c’est dans ce cadre que les volailles qui ont été arrêtées sont systématiquement détruites.

Lorsqu’il s’agit d’une loi, d’un règlement de l’État et pour l’intérêt commun de la nation, il est interdit de faire circuler des volailles, des zones infectées vers des zones non infectées, nous avons mis des barrières de contrôle parce que c’est extrêmement dangereux que des volailles viennent des départements de l’Ouémé où nous avons 4 foyers de grippe aviaire. A partir de ce moment, nous n’avons plus d’autres solutions que d’appliquer le règlement qui veut que l’on protège le reste du pays. A partir de ce moment, une arrestation de volailles ne peut pas être soumise à une indemnisation. »

Il est impérieux et vital de protéger le reste du pays, mais pas de détruire les volailles locales sans dédommager les propriétaires de volailles qui n’y sont pour rien dans la contamination du pays, bien au contraire.

De plus, en 2006, cette question a retenu l’attention des donateurs lors d’une conférence internationale sur la grippe aviaire à Bamako (Mali). Ces donateurs de dix pays, la Commission de l'Union européenne, la Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement se sont engagés à verser près de 500 millions de dollars afin de lutter contre la grippe aviaire et se préparer à l'éventualité d'une pandémie humaine pour 2007.

Plus de cent pays et organisations internationales étaient représentés à la conférence. Cette réunion de trois jours a permis aux experts d’échanger des informations sur la maladie et aux délégations ministérielles de définir des stratégies communes en matière de financement des programmes de lutte contre la maladie

Les 500 millions de dollars ont été fermement promis pour l’année 2007 par tous les bailleurs. Le Bénin était-il représenté à cette conférence ? Ces millions de dollars ont-ils été effectivement débloqués ? Il revient aux autorités de soutenir le peuple. Rappelons quand même que les donateurs n’ont pas hésité à se manifester pour empêcher la propagation de la grippe aviaire lors de cette rencontre inédite en Afrique. D’ailleurs, la Communauté Internationale à travers la Banque mondiale s’est engagée de nouveau à mobiliser 400 millions de dollars pour la même cause en 2008.

Structure de gestion de la grippe aviaire

photoIl est bien entendu que la gestion de la grippe aviaire est une affaire technique. Mais ce n’est pas une raison pour prétendre que c’est seulement la Direction de l’élevage qui doit s’en occuper. Ceci est d’autant plus vrai que la grippe aviaire est une zoonose comme l’a si bien rappelé le Directeur de l’élevage sur des chaînes de télévision du Bénin. Cela étant, la grippe aviaire est un problème de santé publique. Ainsi sa gestion devrait nécessiter la mise en place d’un comité de crise composé de plusieurs ministères et d’autres structures et institutions, avec des cellules dynamiques et opérationnelles qui assureraient des tâches précises comme c’est le cas ailleurs. Une lutte concrète, efficace et transparente contre cette zoonose est à ce prix. Autrement, le Bénin risque de connaître la même situation qu’avec la peste porcine qui continue de détruire le cheptel porcin en dépit des projets défunts financés à coût de millions de francs CFA ; ce qui fait que l’élevage du porc au Bénin continue de rester en veilleuse. Seuls les éleveurs courageux continuent d’entreprendre dans ce domaine où la situation épidémiologique est dans un flou incompréhensible. Si on ne veut pas sceller le sort de l’aviculture au Bénin en consommant les millions et milliards de dons sur les cadavres de volailles locales et de pauvres paysans tout en cajolant la grippe aviaire, on a alors intérêt à changer son fusil d’épaule.

Information et communication

L’un des points clés devant figurer dans la stratégie de lutte contre la grippe aviaire (s’il y en avait une) devrait, plus que quelques simples communiqués, être un plan de communication bien élaboré et organisé ayant un lien de confiance entre les autorités compétentes et les populations à la base. Cela suppose des informations sans équivoque, transparentes, continues, non exclusives, donnant l’assurance que les pouvoirs publics sont à même de gérer la situation dans tous ses aspects et dans l’intérêt de toutes les couches sociales et catégories d’acteurs concernés.

Loin d’exclure les paysans aviculteurs, il est crucial de solliciter leur collaboration dans un processus participatif dans les prises de décisions afin de faciliter leur adhésion aux différentes mesures relatives à la gestion efficace de la crise de la grippe aviaire au Bénin. Les messages doivent, tant que faire se peut, être traduits dans des langues nationales ciblées, et diffusés par les canaux les plus appropriés.

Mais malheureusement, les vendeuses et vendeurs de volailles locales n’ont jamais bénéficié d’information sur la grippe aviaire et ne savent même pas ce que c’est. « Ils ont tué tous nos poulets et nous ont conduits à la ruine économique. On ne nous a pas interdit l’activité ; on ne nous a pas informés de quoi que ce soit. Mais on arrête nos poulets avec des fusils partout pour nous intimider. Que nous veulent-ils, ces gens là?»

Conclusion

photoLa gestion actuelle de la grippe aviaire au Bénin est préoccupante et devrait interpeller les autorités au sommet. La médecine vétérinaire est quand même une science. En tant que telle, tout acte posé par un technicien de ce domaine doit pouvoir être justifié techniquement et répondre à des normes scientifiques. On ne peut pas continuer comme des profanes à exterminer aveuglément les animaux sans avoir procédé au préalable à des dépistages sérieux permettant de définir le statut sérologique de ces animaux. Tout devrait être mis en œuvre pour obtenir des une précisions sur l’épidémiologie de la grippe aviaire dans le pays. Aussi est-il impératif de tout mettre en œuvre pour établir la traçabilité de toutes les volailles des élevages déjà contaminés par la grippe aviaire, afin de suivre scientifiquement l’évolution de cette épizootie et de mettre fin à la navigation à vue des autorités.

Author: Patrice Sagbo