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Semences paysannes fondement de la souveraineté alimentaire en Afrique de l'Ouest (1)

by Anne Berson | 28 Feb 2008

en Afrique de l’Ouest

Par Anne Berson, BEDE, Juin 2007

Si en Europe, les lobbies semenciers de l’agrochimie déploient leurs énergies pour accroitre leurs monopoles (dissémination du maïs Génétiquement Modifié, directive européenne...) ; la privatisation des semences en Afrique de l’Ouest est du reste bien en marche. L’épée de Damoclès plane au dessus du patrimoine culturel, naturel que sont les semences paysannes sélectionnées depuis des millénaires par les paysans et ce d’autant plus que ces derniers restent pas ou peu informés des enjeux. Cependant des initiatives se multiplient sur les différents continents pour faire face à ces menaces et établir l’autonomie paysanne en semences.

Biopiratage, pillage du bien des communautés rurales

sEn Afrique, dans les sociétés traditionnelles paysannes, la semence est restée un élément culturel, social, spirituel. Elle ne se vend pas, elle s’échange, se transmet. Les variétés voyagent. Par exemple, les paysannes conservent plusieurs variétés de riz (une des céréales de base). Elles viennent à maturité à différents moment, ce qui leur permet d’étaler et d’assurer les récoltes. Dans une zone du Mali, à Mopti il existe un riz dit sauvage. Il permet de prédire les pluies. Les années où elles sont insuffisantes la maturité de la céréale est accélérée et sert de première alimentation précieuse au moment de la soudure. Période des plus difficiles puisque les greniers sont pratiquement à secs mais lors de laquelle il faut trouver l’énergie suffisante pour effectuer les semis. C’est une période décisive pour la récolte suivante et donc la survie de la famille. Dans certains périmètres aménagés où la culture est intensifiée, les services techniques et la recherche se sont rendu compte que ce riz sauvage résistait à une bactériose qui attaquait les cultures. Une équipe de chercheurs de l’université de Californie (USA) s’est alors attardée sur ce cas et a simplement fini par breveter un gène de ce riz qu’elle a transféré dans une nouvelle variété commerciale californienne. Nouvelle obtention que les producteurs maliens devront à l’avenir acheter, n'ayant plus le droit ni de la multiplier ni de l’échanger sans s’acquitter de royalties. Quels avantages pour les communautés rurales qui ont su jusqu’à maintenant préserver et sélectionner ce riz sauvage, partie intégrante de leur stratégie de sécurité alimentaire ? Aucun ! Mais l’université californienne considère que les nombreuses formations –formatage ?- qu’elle dispense à des chercheurs africains dans les laboratoires de biotechnologies américains est un retour « juste et équitable ». Ce cas est loin d’être isolé, biopiratage de l’igname jaune qui soigne le diabète ; d’une variété de Quinquéliba (Cambretum caffrum) arbuste médicinal qui a un intérêt pour soigner les leucémies ; ne sont que quelques illustrations du pillage du patrimoine vivant ouest africain.

Un programme pour uniformiser les législations sur les semences et ouvrir le marché des semences certifiées

Le durcissement des législations sur les semences de l’Afrique de l’Ouest est actuellement à l’ordre du jour des organisations intergouvernementales. Plusieurs législations s’affrontent mais c’est sous l’égide de la CEDEAO [1], qu’elles vont être uniformisées (catalogue ouest africain des variétés végétales, harmonisation des règles de certification et de commercialisation). Il est fort à craindre pour la biodiversité cultivée et les variétés locales car elles ne sont pas reconnues par ce système. Lors de la conférence d’Accra fin février 2007, les organisations semencières privées annonçaient la création d’un futur réseau des organisations productrices privées de semences d’Afrique de l’Ouest ; un nouvel espace pour négocier et favoriser les droits des semenciers et organiser la conquête de marché, autrement dit la recherche de dépendance des producteurs.

Les accords de Bangui révisés, une photocopie de la convention UPOV 91 [2]

En Europe la convention UPOV régit la propriété intellectuelle sur les variétés végétales. Elle restreint considérablement le droit des agriculteurs sur leurs semences en les obligeant à s’acquitter de royalties même sur les semences issues de leur propre récolte. Si l’on consulte la liste des membres qui ont ratifié la convention UPOV on ne trouve pas de pays africain. Etonnant que ce système mis au point en France n’ait pas gagné les anciennes colonies ! D’autant plus que les accords de l’OMC [3] sur la propriété intellectuelle dits accord ADPIC [4] et son fameux article 27.3 b. obligent ses pays membres à se doter de règles de protections sur les variétés végétales. Les pays d’Afrique auraient pu adapter un système à leur contexte. Mais la possibilité d’innover en la matière a été rapidement bafouée car la loi modèle de l’OUA [5] a tout simplement été torpillée par l’OAPI [6] et la mise en place de l’annexe X des accords de Bangui révisés (encadré).

La loi modèle africaine torpillée

Novembre 1999, les Etats membres de l’OUA se retrouvent à Assis- Abeba (Ethiopie) pour entériner une version définitive de la loi modèle sur la protection des droits des communautés locales, des agriculteurs et des obtenteurs et sur les règles d’accès aux ressources biologiques ». Elle propose un cadre pour la formulation des législations nationales. En Afrique de l’Ouest cette loi modèle n’a pas inspiré les Etats puisque l’OAPI a ratifié les accords de Bangui révisés qui ne sont qu’une simple photocopie de la convention UPOV 91. Tous les efforts promulgués dans la loi modèle OUA pour reconnaître le droit des communautés rurales à conserver et à échanger les semences devient désuet sous la pression ardente des pays occidentaux à imposer comme seul modèle sui generis, le leur, l’UPOV !


1 - Communauté Economique Des Etats d’Afrique de l’Ouest
2 - Union de Protection des Obtention Végétale version 91
3 - Organisation Mondiale du Commerce
4 - Accord sur les aspects de Droit de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce
5 - Organisation de l’Unité Africaine
s6 - Organisation Africaine de Propriété Intellectuelle qui regroupe les pays francophones d’Afrique de l’Ouest

A suivre…

Author: Anne Berson